Table des matières

Les déclinaisons bodléiennes

Analyse de Patrick Wynne, Christopher Gilson & Carl Hostetter — Mars 1993
Textes de Tolkien © Tolkien Trust
traduit de l’anglais par David Giraudeau
Article théorique : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs.
Cet article est issu du fanzine à but non-lucratif Vinyar Tengwar no 28 paru en mars 1993. Il présente l’étude d’un des deux seuls tableaux de déclinaisons quenya existants en date du milieu des années 30 (l’autre étant contenu dans la Lettre de Plotz de 1966—1967).

L’association Tolkiendil remercie le Tolkien Estate, ainsi que Carl Hostetter et Patrick Wynne pour leur permission de traduire ces textes en français, et de les inclure sur ce site Internet. Les textes sont © The Tolkien Trust 1992, 2006.

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Ce tableau de déclinaisons de noms quenya a été découvert parmi les manuscrits de Tolkien à la Bodleian Library (Ms. Tolkien A26/2 fol. 95v). La transcription initiale a été effectuée par Patrick Wynne, et elle fut ensuite confrontée à l’original par Christopher Gilson. Le manuscrit est soigneusement rédigé à l’encre au dos d’une page d’un brouillon tardif de ‘Beowulf’ and the Critics, l’essai duquel Beowulf : les monstres et les critiques était dérivé. Le 25 novembre 1936, Tolkien lit Beowulf : les monstres et les critiques à l’Académie britannique à la Lecture Commémorative de Sir Israel Gollancz (voir MC, p. 1). Cela fournit une date approximative pour le tableau. Dans notre transcription, les formes biffées sont indiquées par des accolades {} ; lorsqu’elles sont illisibles, de telles formes sont indiquées par {?}. La page entière a été barrée d’un X.

C’est le plus ancien tableau existant de flexions de noms quenya. Le seul autre tableau à avoir été dévoilé contient les fameuses « déclinaisons de Plotz », écrites quelques trente ans plus tard en 1966—19671).

Comme cela sera indiqué, les terminaisons de noms du tableau bodléien ressemblent à celles des poèmes de « Un Vice Secret » de 1931, avec certains signes de développement dans le système flexionnel. L’arrangement des formes, cependant, ressemble de près à celui du tableau de Plotz. Les formes du tableau bodléien ne sont pas annotées, mais une comparaison de leurs terminaisons et de leur arrangement avec le tableau de Plotz fournit des indices sur leur identité et fonction.

Résumé du tableau de Plotz

Le tableau de Plotz donne les déclinaisons de deux noms en quenya classique, cirya « navire » et lasse « feuille » et quatre colonnes nommées par nombre : Singulier (cirya, lasse), Pluriel 1 (ciryar, lassī), Pluriel 2 (ciryalī, lasselī), et Duel (ciryat, lasset). Par commodité nous nommerons les pluriels (1) « particulier » et (2) « général »2). Les deux paradigmes du tableau de Plotz possèdent dix lignes, dont sept possèdent des noms de cas dans le premier paradigme. Les lignes de chaque paradigme sont divisées en trois sous-groupes nommés a, b et c. Ces sous-groupes semblent être basés sur les fonctions des cas, pour autant que nous pouvons les déterminer3). Les déclinaisons du singulier et du pluriel particulier de cirya sont comme suit :

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Les quatre cas du sous-groupe a sont dénommés N, A, G, I ; soit Nominatif, Accusatif, Génitif et Instrumental. Les noms dans chacun de ces cas peuvent être employés comme les accompagnements syntaxiques primaires d’un verbe : le cas nominatif comme sujet d’un verbe indicatif, le cas accusatif comme complément d’objet direct d’un verbe transitif, le cas instrumental comme agent d’un verbe passif (turún’ ambartanen « maîtrisé par le destin » ; UT, p. 138) et le génitif comme sujet logique d’un nom verbal (līrinen airetārio « dans-le-chant de-la-sainte-reine » ; RGEO, p. 67). Le sous-groupe b possède trois cas, dénommés All., Loc., Abl : soit Allatif, Locatif et Ablatif. Ces cas incluent parmi leurs fonctions l’expression des notions spatiales, stationnaires ou bien cinétiques. L’allatif peut indiquer un mouvement vers (Endorenna « vers la Terre du Milieu » ; LotR, vol. III, p. 245), l’ablatif un mouvement loin de (Mardello « de la Terre » ; LRW, p. 72) et le locatif une situation à/en (Lóriendesse « en Lórien » ; RGEO, p. 58). Tandis que cela épuise à peine les diverses fonctions de ces cas, le contraste dans ces fonctions particulières suggère une terminologie commode. Nous nommerons le sous-groupe a cas « syntaxiques » et le sous-groupe b cas « locaux ».

L’allatif et le locatif possèdent également des formes réduites données entre parenthèses. Un emploi de la forme courte -n de l’allatif -nna est ailleurs décrit comme datif4). Le datif possède un large panel de fonctions, mais son sens primaire était probablement similaire à celui de l’allatif comme dans des phrases telles que Ilyain antalto annar « À tous ils offrirent les dons » (LRW, p. 72), suggérant (métaphoriquement) un mouvement des dons vers les récipiendaires. Aucun nom n’apparaît pour la forme courte en -s du locatif -sse. Un exemple apparaît dans une phrase d’un brouillon non publié de Namárië à Marquette : elli yas atintilar, non traduit mais correspondant à yassen tintilar i eleni « où les étoiles tremblent » dans le texte publié5). Cela suggère que le « locatif court » était similaire de sens au locatif. Le locatif -r dans les poèmes de « Un vice secret », comme dans silda-ránar « dans le miroitement de la lune » (OM2), pourrait être une forme du locatif court -s qui aurait subi un rhotacisme6).

Le sous-groupe c contient un seul cas non nommé, pour lequel le nom associatif a été proposé7)8). Il possède un sens adjectival/génitif et peut avoir été à l’origine une terminaison adjectivale9). Les exemples incluent úruva « ardent » (LRW, p. 396), yuldar lisse-miruvóreva « gorgées du doux hydromel » (LotR, vol. I, p. 394), et Mindon Eldaliéva « Haute Tour de l’Eldalie » (S, p. 341).

Sous-groupe a (cas syntaxiques)

Le tableau bodléien donne également la déclinaison pour kirya « navire », de même que les terminaisons pour les noms se finissant en -o et des déclinaisons partielles pour les noms pole et sare. Il y a également quatre nombres : le singulier (la colonne entamée par kiryan), le pluriel particulier (kiryar), le pluriel général (kiryali) et le duel (-aton, représentant [kiry]aton). La terminaison duelle fut d’abord écrite -aru (pour [kiry]aru « deux navires »), mais cette colonne originale ne fut jamais achevée. Elle fut apparemment supprimée en cours d’écriture et remplacée par la colonne de formes débutée par -aton, bien qu’il puisse être noté que le duel -aru réapparaît dans la phrase des Deux Arbres vers 1937—1941 qui a aldaru * « les Deux Arbres », duel de alda « arbre »10).

Les formes du singulier et du pluriel particulier dans le tableau bodléien sont également divisées en trois groupes, et ces groupes semblent être congruents avec les sous-groupes a, b et c du tableau de Plotz, au moins jusqu’à une identité formelle d’environ la moitié des formes11).

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Le tableau de Plotz possède quatre cas dans ce groupe, le bodléien cinq. Bien qu’il y ait quelques différences dans les terminaisons, les cas syntaxiques du tableau de Plotz sont clairement apparentés de forme et d’arrangement à ceux du tableau bodléien. On peut s’accommoder de deux des différences en considérant les changements historiques mentionnés par Tolkien dans ses notes sur les différences entre le quenya classique, « les formes employées à l’écrit » par les érudits númenóréens et gondoriens, et le quenya parlé des Elfes noldorins de Fondcombe et de la Lórien, « une « langue secondaire’ apprise durant la jeunesse ». Une différence est que « toutes les voyelles longues étaient réduites en voyelles courtes en finale et avant les consonnes finales dans les mots de deux syllabes ou plus. Ainsi acc. Kiryā > kirya. (kiryō > kiryo) ». Et c’est précisément ces formes kirya et kiryo qui apparaissent aux positions correspondantes dans le tableau bodléien. La même réduction se produit pour l’accusatif pluriel général ciryāli vs. Kiryali, la dernière forme apparaît dans le tableau bodléien et est également mentionnée dans les notes sur le quenya parlé.

Les cas nominatif et accusatif

Les deux premiers cas du singulier et des deux pluriels dans le tableau de Plotz, N[ominatif] cirya, ciryar, ciryalī et A[ccusatif] ciryā, ciryai, ciryalī, sont ainsi équivalents aux deux premiers cas du tableau bodléien, kiryan, kiryar, kiryalin et kirya, kiryai, kyriali, excepté pour la notable différence que le singulier et le pluriel général du premier cas sont marqués par un -n final suffixé. Dans les poèmes de « Un vice secret », il y a de nombreux exemples comparables de noms sujets en -n, tels que Vean falastanéro « La mer était forte et écumante » dans OM1 (pour vea « mer » cf. OM2, l. 9) et ondolin ninqanéron Silmeráno tindon « les rochers s’étendaient blancs brillants sous la lune argentée » (pour ondoli « rochers » cf. OM2, l. 15).

Avec les verbes transitifs le complément d’objet direct correspond au second cas du tableau. Il y a trois occurrences du singulier kirya « navire » concerné, e.g. Man tiruva kirya ninqe « Qui verra un vaisseau blanc » (OM2)12). Il y a une phrase à l’indicatif avec un nom sujet en -n et une terminaison de complément d’objet direct pluriel en -i, c’est laiqali linqi falmari langon veakiryo kírier « le flot des vagues vertes fendait la gorge du navire » dans Earendel (pour lango « gorge » cf. LRW, p. 367).Mais il y a également dans ces poèmes des exemples de noms sujets singuliers sans le suffixe -n, comme dans kirya kalliére « le navire brillait » (OM1) et yar i vilya anta miqilis « à qui l’air donne des baisers » (Nieninque). Si les poèmes de « Un vice secret » exemplifient l’usage des deux premiers cas du tableau bodléien, cela suggère que kiryan, kiryar, kiryalin est le cas sujet, alors que kirya, kiryai, kiryali est employé à la fois pour le sujet et l’objet.

Cas subjectif et normal adunaïques

Ceci est une réminiscence de l’adunaïque, la langue des Hommes de Númenor inventée par Tolkien en 1946 lors de l’écriture de The Notion Club Papers. On s'attend à certaines similarités entre les systèmes de cas du quenya et de l’adunaïque, puisque selon le Lowdham’s Report l’adunaïque fut influencé par (et en partie dérivé de) l’eldarin. Les noms adunaïques font la différence entre le cas normal et subjectif. La forme normale « ne présente aucune flexion de « cas », » tels que N. raba « chien », izrē « amoureux, bien-aimé », mānō « esprit » (SD, p. 428, 437—438). Il combine certaines fonctions à la fois du nominatif et de l’accusatif, et est employé tout autant comme le sujet que comme le complément d’objet d’un verbe13). Le cas subjectif, par contraste, est seulement employé pour le sujet d’un verbe. Au singulier des noms masculins, féminins et communs cela est marqué par le suffixe -n, ainsi donc les formes subjectives des noms données ci-dessus sont raban, izrē et mānōn. Ainsi la distinction entre kiryan, kiryalin, polin, saryan et kirya, kiryali, pole, sare dans le tableau bodléien ressemble à la distinction de certaines formes du subjectif du cas normal en adunaïque, la caractéristique commune distinctive étant le suffixe -n. Et la même distinction formelle entre vean, langon, ondolin et vea, lango, ondoli dans les poèmes de « Un vice secret » exemplifie un système de fonctions qui se corrèlent d’une certaine manière avec les fonctions que décrit Lowdham pour les cas adunaïques normal et subjectif, tel que l’emploi du dernier à la fois pour le sujet et le complément d’objet, mais le premier pour le sujet uniquement.

Ordre des mots

L’existence d’un cas normal combiné aux fonctions à la fois du nominatif et de l’accusatif peut également être accommodée par les notes de la déclinaison de Plotz au sujet du quenya parlé. Il est dit ici que de pair avec la réduction des voyelles longues finales en voyelles courtes, « La différence entre nom. et acc. fut abandonnée – elle fut exprimée de manière adéquate par l’ordre des mots ». La manière dont l’ordre des mots entre en jeu est illustrée par l’adunaïque. Dans cette langue le nom au cas normal « ne précède jamais immédiatement un verbe dont il est l’objet ». Par conséquent le nom au cas normal peut être employé comme sujet du verbe dans cette position, avec la réserve supplémentaire que « le verbe doit contenir les suffixes pronominaux requis ». Ces deux fonctions du cas normal sont ainsi distinguées par la position du nom en relation avec le verbe.

Les règles quenya semblent être plus subtiles que ceci. Dans le quatrième vers de OM1 nous avons : mandulómi anta móri Ambalar « L’est fit surgir des ombres noires hors de l’Enfer ». Ici apparemment Ambalar = « l’Est » est le sujet, le verbe est anta, littéralement « donne », tandis que mandu-lómi est constitué de mandu « abysse » + lómi « nuages » (cf. OM2, l. 21—22), et móri semble être le pl. du nom móre « obscurité » (OM2, l. 27). Bien que la traduction du complément d’objet dans son ensemble, mandulómi móri est « ténèbres noires hors de l’enfer », la syntaxe des formes indique que c’est un complément d’objet composé, groupé autour du verbe. L’ordre est OVOS14). L’ambiguïté entre sujet et objet serait surmontée dans ce cas particulier par le fait que mandulómi et móri sont pluriels, tandis que le verbe est singulier et possède donc le sujet singulier Ambalar, mais ce n’est pas toujours ainsi.

Dans les fragments d’eresséen rêvés par Alboin, nous avons herunūmen ilu terhante « Seigneur-de-l’Ouest le monde détruisit » (LRW, p. 47), avec le complément d’objet placé entre le sujet et le verbe (dans la position préverbale immédiate évitée en adunaïque). Ici tant le sujet que le complément d’objet sont singuliers, ainsi la convention avec la terminaison singulière du verbe n’est pas distinctive. Dans une version plus récente de ce passage rêvé par Lowdham, númeheruvi arda sakkante « Seigneurs-de-l’Ouest la Terre déchirèrent » (SD, p. 246), le sujet est pluriel et nous pouvons supposer que le verbe est marqué pour s’accorder en nombre, s’il s’agit en fait du radical sakka- « déchirer » (cf. sanka « fissure, fente » ; LRW, p. 388) + terminaison plurielle -nte. Ces phrases possèdent la structure SOV, tandis que les questions telles Man tiruva kirya ninqe « Qui verra un vaisseau blanc » possèdent la structure SVO. Ainsi de même (avec l’addition d’un pronom comme complément d’objet indirect à son début) pour yar i vilya anta miqilis « à qui l’air donne des baisers ».

Une implication de ces variations semble être que le verbe et le complément d’objet direct, s’ils sont dans les ordres OV, VO ou OVO, constituent un groupe ou une phrase dans la phrase transitive. Celui-ci est traditionnellement nommé prédicat ou cette partie de la phrase qui prédit quelque chose pour le sujet. Le prédicat peut également être un verbe intransitif sans complément d’objet, comme i lunte linganer « le navire vibrait comme une corde de harpe » (Ear., l. 7), ou le verbe « être » avec un nom ou un adjectif prédicatif, comme Írima ye Númenor « Belle est Númenor » (LRW, p. 72). Le sujet peut venir avant ou après le prédicat, créant une différence dans l’emphase mais pas dans la signification. Notez en particulier l’exemple de la Lamentation de Galadriel du poétique ilye tier unduláve lumbule « tous les chemins sont profondément noyés dans les ombres » vs. prosaïque lumbule undu-lāve ilye tier « des ombres (pesantes) ont léché profondément tous les chemins » (RGEO, p. 66—67). L’ordre OVS place l’emphase sur le complément d’objet tier « chemins, routes », mais laisse malgré tout la signification inchangée par rapport à celle d’un ordre SVO. Mis à part les différents choix de vocabulaire, comme « noyés » vs. « léchés », les différences dans les traductions sont purement mécaniques, la conséquence du changement du complément d’objet d’une phrase active en le sujet d’une autre passive, pour qu’il vienne avant le verbe en anglais.

Ce que le sujet à la forme normale ne peut pas faire est s’intercaler entre le verbe et le complément d’objet direct, les ordres OSV et VSO étant évités. Par conséquent une séquence Nom + Nom + Verbe ou Verbe + Nom + Nom est sans ambiguïté, uniquement interprétable comme SOV ou VOS, respectivement. Et la séquence Nom + Verbe + Nom est vraisemblablement interprétée comme SVO à moins que la flexion du verbe montre qu’elle s’accorde avec le deuxième nom en nombre plutôt qu’avec le premier. En ce sens la différence entre sujet et complément d’objet « était exprimée de manière adéquate par l’ordre des mots ».

{Let>L’exemple de l’emploi}} du cas explicitement subjectif (avec le suffixe -n) pour le sujet d’une phrase transitive contraste avec ce modèle. Dans laiqali linqi falmari langon veakiryo kírier « le flot des vagues vertes fendait la gorge du navire » (Ear., l. 3—4), l’ordre est OSV. Et le même modèle se trouve dans la dernière question de OM2, Hui oilima man kiluva « Qui pourra voir le dernier soir » (l. 35). Parce que le suffixe -n ne marque jamais un nom comme complément d’objet direct, il n’y a aucune dépendance à l’ordre des mots pour le distinguer du sujet. Néanmoins nous devrions ajouter qu’il y a un degré de régularité dans le placement du nom subjectif. Il vient presque invariablement avant le verbe et non après lui, avec ou sans mots intercalés : Vean falastanéro « La mer était forte et écumante », telumen tollanta naiko lunganar « la voûte des cieux se courba sur les sommets des collines » (OM1, l. 5, 17—18), tyulmin talalínen aiqalin kautáron « les grands mats se courbaient avec les voiles » (Ear., l. 5—9). La seule exception est lorsqu’il y a un second sujet lié par la conjonction ar dans I oromandin eller tande ar wingildin wilwarindeën « Les esprits des bois vinrent là, et les esprits de l’écume tels des papillons » (Nien., l. 5—6). D’un autre côté il ne semble rien y avoir d’inhabituel à des sujets sans suffixe -n suivant le verbe : Kaire laiqa’ondoisen kirya « Le blanc navire gisait sur les rochers » (OM1, l. 19—20), elle tande Nielikkilis « là venait petit Niéle » (Nien., l. 2), lútier kiryasse Earendil « naviguait Earendil, sur un navire » (Ear., l. 1—2), etc.

Subjectif quenya vs. cas normal

Le choix du normal ou du subjectif semble souvent déterminé par le contexte. Dans la seconde version de Oilima Markirya, avec ses files d’infinitifs et de participes, les noms qu’ils décrivent sont toujours à la forme normale : vea falastane, rámali tíne, súru laustane, húro ulmula, mandu túma, vea qalume, etc. C’est parce que ces noms sont tout autant des compléments d’objet directs d’un verbe (comme tenuva súru laustane « entendra rugir le vent »), ou appositifs à une telle construction (comme kiluva lómi sangane, telume lungane « verra les nuages qui se rassemblent, les cieux qui se courbent »), ou décrivant la situation par un parallèle similaire (comme húro ulmula « la tempête qui gronde »). Ces fonctions équivalent à l’emploi du cas normal comme complément d’objet et comme appositif en adunaïque. Par contraste la première strophe contient un emploi du cas subjectif : níve qímari ringa ambar ve maiwin qaine « les pâles fantômes dans son froid giron comme des mouettes criant ». Lorsque ve n’est suivi que par un nom, le cas normal est utilisé : lanta-ránar, ve kaivo-kalma « dans la lune qui descend comme un feu-follet ». Cela suggère que dans ve maiwin qaine l’emploi du subjectif définit clairement que « mouettes » est le sujet du verbe suivant, * « comme des mouettes qui crient ».

Une autre fonction du cas subjectif adunaïque est d’exprimer un verbe « être » d’accompagnement avec la forme suivante du cas normal exprimant le prédicat : Ar-Pharazōnun Bār ‘nAnadūnē « le Roi Pharazon est le Seigneur d’Anadune » (SD, p. 248). Mais le verbe « être » peut aussi connecter un sujet avec un adjectif, comme Írima ye Númenor « Belle est Númenor » (LRW, p. 72). Ainsi peut-être que le subjectif peut être employé pour souligner que le sujet possède ou obtient une qualité impliquée par le verbe. La phrase infinitive vea falastane est traduite par « la mer qui enfle » dans OM2, ligne 9, tandis que dans la phrase indicative Vean falastanéro est rendu par « La mer était forte et écumante » dans OM1, ligne 5. Avec le même radical verbal falasta- ce qui est dit de vea(n) « la mer » est tout à fait distinct. Alors que vea falastane décrit simplement le nom comme engagé dans une action, vean falastanéro affirme qu’il possède une qualité (« était forte et écumante ») comme le résultat de son engagement dans cette action. Une affirmation semblable d’une qualité est suggérée par les traductions de ondolin ninqanéron « les rochers s’étendent blancs » (l. 11) et tyulmin talalínen aiqalin kautáron « les grands mâts se courbaient avec les voiles » (Ear., l. 8—9). À contrario rien ne semble impliquer une telle signification dans kirya kalliére kulukalmalínen « le navire brillait de lumières dorées » (OM1, l. 7—8) ou Súru laustanéro « le vent s’engouffrait avec vacarme » (l. 9). Dans le dernier, par exemple, le sujet est décrit comme produisant un son (cf. la note sur i súru laustaner selon laquelle le verbe signifie littéralement « faire un bruit de vent » ; MC, p. 216), plutôt que « est fort ». Pour de nombreux verbes cependant, la différence ne peut pas être importante : cf. elle tande Nielikkilis « là vint petit Niéle » vs. I oromandin elle tande « Les esprits sylvestres vinrent ici ».

Subjectif et datif-génitif

L’emploi de plus d’un cas pour le sujet n’est pas inconnu des autres langues. À côté du nominatif habituel l’anglais ancien possède des constructions comme me thinks15) = « il me semble » et le latin possède tibi invidetur « vous êtes envié » avec des sujets datifs. Le finnois possède des sujets génitifs, comme dans pitää mennä « je dois partir » ou hänen oli nälkä « elle avait faim ». Dans chacun d’eux le verbe est à la troisième personne sans se soucier de la personne du sujet, indiquant qu’ils sont à l’origine impersonnels, avec des significations telles que « vers vous il y a de l’envie », « c’est une obligation pour moi de partir », « pour elle il y avait de la faim ». Notez que la terminaison du génitif minun est identique au suffixe subjectif dans l’adunaïque bārun. Le suffixe génitif singulier finnois pour les noms est -n. Ainsi le gén. de Jumala « Dieu » apparaît dans la phrase Jumalan kiitos « louanges (soient faites) à Dieu », ce qui démontre également comment ce cas fonctionne parfois comme le datif.

Tout ceci accrédite la possibilité que le cas quenya que nous nommons subjectif, au moins au singulier (kiryan) et au pluriel général (kiryalin), est à l’origine un cas datif-génitif. Et nous pouvons comparer les formes dans des constructions telles que les noms des jours dédiés « à Manwe », (Ar)Manwen, ou « à Ulmo », (Ar)Ulmon (LRW, p. 368), ou ce qui semble être un génitif adjectival hísen « de brume » dans úri kilde hísen níe nienaite « le soleil avec des yeux humides laissait tomber des larmes de brume » (OM1, l. 21—22). Notez que la terminaison -on est donnée en tête de ce qui semble être une liste de terminaisons pour un nom avec radical en o, à la droite des formes correspondantes de kirya.

Il y a également une terminaison en -en un peu plus loin sur la droite, mais seulement une entrée sous elle, -o (eo) à la verticale de kiryo. L’espace entre les deux est énigmatique, même si nous supposons que Tolkien s’arrêta après la forme la plus récente, laissant la déclinaison inachevée. Les terminaisons semblent appartenir à un nom avec radical en e, mais pouvons-nous en déduire une terminaison *-e placée là entre -en et -o < -eo ? Une autre interprétation est possible, qui dépend des divers exemples de flexions donnés dans « Les Étymologies » pour illustrer les modèles de certains radicaux. Par exemple ailin (gén. sing. ailinen) « mare, lac » ; umbar (umbarten) « destin, sort » ; peltas pl. peltaksi « pivot » ; hwan (hwandi) « éponge, champignon » ; tál (gén. sing. talen) « pied » (LRW, p. 349, 372, 380, 388, 390). La forme non fléchie se termine généralement par une consonne, dont l’étymologie est indiquée par la forme fléchie, qui n’est pas toujours identifiée mais qui est le plus souvent un pl. en -i ou un gén. sing. en -en. Une exception intéressante est la référence à « Tulkas (Tulkatho, Tulkassen) » sous la racine TULUK- (LRW, p. 395). Il se peut très bien que en et o soient des éléments de la déclinaison du radical consonantique au nombre singulier, auquel cas l’espace entre eux représente la forme du radical avec une consonne finale sans terminaison.

Le nominatif et accusatif pluriels

Les formes du pluriel particulier kiryar et kiryai sont phonétiquement identiques avec les ciryar et ciryai correspondants dans la déclinaison du quenya classique. Et c’est sur la base de la dénomination de ces formes comme nominative et accusative, et cette base seule, que nous pouvons assigner des fonctions à ciryar, ciryai ou aux parallèles polir, poli et saryar et sari. Dans les poèmes de « Un vice secret », où nous avons été capables (au moins partiellement) de motiver une distinction entre les singuliers et les pluriels généraux kiryan, kiryalin vs. kirya, kiryali, etc., soit par accident ou à dessein il n’y a pas d’exemples de terminaisons de noms avec le suffixe pluriel -r. Ces poèmes possèdent de nombreux noms sujets pluriels en -in, tels que oromandin, wingildin, tyulmin. Ceci n’a pas d’équivalent dans le tableau bodléien – polin est une forme nominative singulière, avec le pl. polir.

Mais cela est moins paradoxal qu’il pourrait y paraître à première vue. Les poèmes possèdent des terminaisons plurielles en -i employées à des fonctions objectives, telles que lómi « nuages » ou falmari « vagues », avec une terminaison parallèle à poli et sari. Et nous ne pouvons admettre que le tableau bodléien est censé être complet ou même représentatif de tous les types de noms. Certainement que des noms avec des terminaisons singulières non fléchies en u ou i, tels que ainu ou tári, sont absents. Et si pole, poli représente des noms avec une terminaison radicale étymologique en i court, et sare, sari des terminaisons radicales en ̯ıa, alors des noms comme lasse sont également absents, car ils se terminent à l’origine en ē (LRW, p. 367). La forme wingildin « fées de l’écume » au moins, et probablement falmari « vagues », sont des pluriels de radicaux consonantiques. Cf. le radical wingild- « nymphe » (LT1, p. 273) et la forme singulière wingil « nymphe » (LRW, p. 398) et falmar « vague au moment où elle se brise » (LT1, p. 253). Dans la déclinaison de Plotz lasse ne dispose pas de forme plurielle en -r, bien qu’il y ait une forme lasser dans le poème plus ancien Narqelion, et d’autres formes comparables apparaissent telles que maller « routes » (LRW, p. 47). Il n’y a aucune allusion à un radical consonantique avec une forme plurielle se terminant par r, cependant, et il se peut ici que le suffixe subjectif -n fut tout d’abord appliqué au pluriel particulier, i.e. wingildin étant formé à partir de wingildi par analogie avec pluriel général ondolin : ondoli.

Le cas génitif

Ce cas est virtuellement identique sur les deux tableaux : Plotz ciryō, ciryaron = tableau bodléien kiryo, kiryaron. La seule différence est la longueur de la terminaison génitive singulière, chez Plotz vs. -o dans le tableau bodléien. Notez que le gén. sing. de lasse dans la table bodléienne est lasseo, avec un -o court suffixé au radical lasse-. Cela suggère que le gén. sing. du quenya classique de cirya dérive de la contraction de *kiryao > *kiryoo = ciryō. Avec la réduction des voyelles longues finales ceci produit la forme kiryo relevée dans les notes sur le quenya parlé et dans la déclinaison bodléienne. Ce même mot est le second élément du composé veakiryo « du navire-de-mer » (Ear., l. 4), et le même type de formation se trouve dans Silmeráno tindon « brillant dans la Lune d’argent » (OM1, l. 12), avec le gén. de -rána « lune ». La forme polio est structurellement similaire à lasseo, mais avec le radical sous-jacent poli- (dont nous allons parler plus bas). Nous pouvons également comparer ceux-ci à úrio kalmainen « dans les rayons du soleil » (Ear., l. 6—7), contenant le génitif de úri « le Soleil ».

En parallèle de la terminaison génitive dans kiry-o pour le radical kirya, le tableau donne la terminaison -u pour les radicaux en -o. Il y a ici un parallèle abstrait au niveau phonétique, en cela que le génitif est marqué par une voyelle courte prenant la place de la voyelle radicale, et dans chaque cas la voyelle est plus haute ou « plus fermée » que la voyelle radicale (en termes de position de la langue dans l’articulation du son). Nous pouvons seulement spéculer sur la manière dont ce modèle est apparu. Si nous avons raison sur le fait que kiryo provient de *kiryō = *kiryoo < *kirya-o parallèle à poli-o et lasse-o, alors la source ultime du gén. -u serait voyelle radicale + suffixe gén. = *-o-o. Que ce double o produise un résultat différent de *-oo < *-ao suggère qu’il a été altéré en prononciation avant que la dernière combinaison ait été développée. Dans la discussion sur les voyelles dans l’Appendice E du Seigneur des Anneaux, Tolkien déclare, « En quenya les é et ó longs étaient, lorsque prononcés correctement, selon les Eldar, plus tendus et « plus fermés » que les voyelles courtes. » (LotR, vol. III, p. 393). Puisque le ó long q. représente en majeure partie un son survivant du ō long en quendien primitif (e.g. lóme < *dōmē, S, p. 358 ; mól « esclave » < *mōl-, LRW, p. 373), cette tendance vers une prononciation plus fermée que le o court doit être très ancienne16). À l’époque (préhistorique) lorsque *kiryao se terminait encore par deux voyelles courtes, la flexion -oo correspondante du radical en o, si prononcée sans hiatus, aurait été comme un final en longueur et approximativement en qualité, et peut avoir acquis le même degré de fermeture. Lorsque le a dans *kiryao fut assimilé au o suivant et qu'ils fusionnèrent en un seul ō long ceci aurait été distinctivement ouvert à la prononciation. Et la distinction entre le dans le génitif des radicaux en a vs. le fermé dans le génitif des radicaux en o aurait facilité la différenciation des formes dans ces classes, ainsi peut-il avoir été préservé (et peut-être exagéré) en dépit des tendances dans la langue en générale. Quand par la suite les voyelles longues finales furent réduites, tandis que le ō long ouvert dans kiryaō fut aisément identifié au o court, la terminaison génitive * plus fermée du radical en o pourrait plutôt avoir glissé vers un u court17).

Le cas locatif court

Le troisième cas dans le premier groupe du tableau bodléien – kiryas, kiryais, avec (aisi) indiquant une forme plurielle alternative plus complète [kiry]aisi – ne possède pas d’équivalent dans le sous-groupe a du tableau de Plotz, mais il est identique de forme avec le locatif court ciryas, ciryais dans le sous-groupe b (cas locaux). Si kiryas, kiryais (aisi) est le même cas que le locatif court dans le tableau de Plotz, il est remarquable que dans le tableau bodléien il soit placé parmi les cas syntaxiques plutôt qu’avec les cas locaux.

Un examen des diverses fonctions de ce cas peut mettre quelque peu en lumière la logique sous-jacente de cet arrangement. Comme mentionné dans notre résumé du tableau de Plotz, le seul exemple connu jusqu’à présent de locatif court en -s apparaît dans un ancien brouillon de Namárië à Marquette, elli yas atintilar * « dans lequel les étoiles frémissent », et yas fut remplacé par le locatif yassen dans le texte publié. Dans les poèmes de « Un vice secret » et « Les Étymologies » il y a un cas en -r qui semble être une forme rhotacisée du locatif court -s. Comme le -s dans yas, ce suffixe -r est employé pour indiquer la position, comme dans ringa ambar « dans son froid giron » et lúnelinqe vear « dans la mer qui monte » (OM2). D’autres exemples démontrent un plus vaste champ d’application. L’adverbe pronominal tar « là » (LRW, p. 389) possède un sens allatif, et dans mir, minna « à l’intérieur, dans » (LRW, p. 373) le suffixe -r est associé au suffixe allatif -nna. Un autre exemple de cette fonction allative apparaît dans la phrase assari silde « sur des os luisants » (OM2), dans laquelle -ri est apparemment le pluriel de -r, étant équivalent à la terminaison -si dans le pluriel alternatif [kiry]aisi dans le tableau bodléien. Cette ligne est rendue par le cas allatif -nna dans la version tardive du poème : axor ilkalannar (OM3)18). Apparentée à cet emploi allatif du locatif court -r est sa fonction dans la phrase yar i vilya anta miqilis « à qui l’air donne des baisers » (Nieninque). Ici yar « à qui » agit comme un datif, c’est-à-dire qu’il indique le récipient de l’action exprimée par le verbe anta.

Les exemples cités ci-dessus démontrent que le locatif court -r possède une assez large gamme de significations, combinant les sens de position à, mouvement vers, et de récipient dans une seule terminaison flexionnelle. Le contexte doit certainement avoir joué un rôle important en déterminant quelle signification était escomptée. Par exemple, yar est interprété comme ayant le sens datif « à qui » parce qu’il est employé avec le verbe anta « donne », et probablement que lúnelinqe vear aurait aussi un sens datif, « à la mer qui monte », si utilisé avec anta. La dépendance au contexte du locatif court le distingue des cas locaux – le locatif, l’allatif et l’ablatif – qui semblent retenir leurs sens basiques de « à », « vers » et « de » indépendamment du contexte. Ceci pourrait être une raison expliquant pourquoi le locatif court est placé avec le premier groupe de cas dans le tableau bodléien plutôt qu’avec les cas locaux ; il est un cas syntaxique en cela que sa signification est en grande partie déterminée par l’environnement syntaxique dans lequel il est employé.

Cela peut aussi avoir une incidence sur la disposition du tableau de Plotz. Là les cas datif et locatif court sont regroupés avec les cas locaux, placés entre parenthèses sous l’allatif et le locatif respectivement. Une part de la raison de cet arrangement était certainement de refléter la relation étymologique proche du datif à l’allatif et du locatif court au locatif. En même temps, les parenthèses autour du datif et du locatif court pourraient avoir été destinées à indiquer que ces deux cas, bien que placés parmi les cas locaux, possèdent tout autant des utilisations syntaxiques (nous avons noté précédemment que le cas datif dans le tableau de Plotz pourrait correspondre au cas subjectif du tableau bodléien).

Le placement de kiryas, kiryais (aisi) parmi les cas syntaxiques et son emploi comme un datif (dans sa forme -r) possèdent un parallèle intéressant en adunaïque. Dans la forme finale de l’adunaïque telle que décrite dans Lowdham’s Report, cette langue dispose de trois cas : normal, subjectif, et objectif ; mais dans les p. 438—439 de Sauron Defeated Christopher Tolkien note qu’à un degré plus ancien son père conçut l’adunaïque comme ayant cinq cas : normal, subjectif, génitif, datif et instrumental. Comme exemple de cette conception plus ancienne il fournit une déclinaison du nom masculin bār « seigneur ». Il y a une remarquable correspondance entre cette ancienne déclinaison adunaïque et les cas syntaxiques du tableau bodléien, à la fois dans l’ordre dans lequel les cas sont donnés et dans les terminaisons causatives elles-mêmes.

Les cas syntaxiques du tableau bodléien et l’ancien paradigme adunaïque de bār sont comparés ci-dessous :

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Les étroites similarités entre les cas normal et subjectif de l’adunaïque et les cas nominatif et accusatif du tableau bodléien ont été largement débattues plus haut. Ici le normal et le subjectif dans le paradigme adunaïque sont dans l’ordre inverse de leurs équivalents du tableau bodléien, mais les trois cas subséquents apparaissent dans le même ordre dans les deux paradigmes. Le cas génitif occupe la troisième position, et il y a une proche corrélation entre le génitif q. -o, pl. -ron et le génitif adunaïque , pl. -iyōm19) (La similarité de la terminaison du génitif pluriel adunaïque avec celle du quenya est encore plus marquée dans la déclinaison de pole, avec le génitif pluriel -ion dans polion). Le cas datif est en quatrième position, et les terminaisons datives adunaïques -s, pl. -isim sont presque identiques aux terminaisons locatives courtes quenya -s, -is (ou -isi)20). Le cas instrumental occupe la cinquième place, et là les terminaisons sont basées sur des morphèmes dissemblables, -in en quenya et -ma en adunaïque21), bien que les deux terminaisons instrumentales disposent de marqueurs pluriels similaires : q. -en, ad. -in.

L’instrumental

Une des plus subtiles différences entre le tableau de Plotz et le tableau bodléien réside dans la forme de l’instrumental. Dans le tableau de Plotz, la terminaison instrumentale est -nen à la fois au singulier et au pluriel – ciryanen, ciryainen – avec la pluralité exprimée par un -i- placé entre le radical nominal et la terminaison causative : cirya-i-nen (le datif pluriel cirya-i-n et le locatif pluriel court cirya-i-s dans le tableau de Plotz possèdent la même structure). Les formes instrumentales dans le tableau bodléien, cependant, sont kiryain, kiryainen, et celles-ci sont tout à fait différentes en structure de leurs précédents équivalents. L’instrumental singulier bodléien est marqué par -in, non par -nen, soit kirya-in. Comparer celui-là au pluriel suggère que la terminaison inen consiste en une marque (singulière) de cas -in plus un suffixe pluriel -en. Aucun doute que cette terminaison plurielle -en est le même morphème que le pluriel •n apparaissant dans d’autres formes du tableau, e.g. le génitif pl. kiryaron et comme terminaison alternative dans les cas locatif et ablatif. Le e précédent le -n dans kiryain-en est probablement une voyelle épenthétique insérée pour une prononciation plus aisée. Le même modèle phonologique apparaît en quenya lorsque la terminaison causative n est ajoutée à un nom se terminant par une consonne, e.g. tál « pied », génitif sing. talen (LRW, p. 390).

Il devrait être souligné que la similarité entre l’instrumental kiryain dans le tableau bodléien et le datif pl. ciryain dans le tableau de Plotz est superficielle, et leurs structures sous-jacentes sont tout à fait différentes ; autrement dit, l’instr. sing. bodléien kiryain est constitué de kirya + instr. -in, tandis que le datif pl. de Plotz ciryain est constitué de cirya + pl. -i + datif -n22). De manière similaire, l’instrumental pl. bodléien kiryainen est constitué de kirya + instr. -in + pl. -en, tandis que l’instrumental pl. de Plotz est constitué de cirya + pl. -i + instr. -nen. Ici le modèle phonétique et les significations sont les mêmes, mais les deux structures sous-jacentes sont distinctes.

Un exemple semblable à l’instrumental singulier -in apparaît dans les poèmes de « Un vice secret », dans les lignes losselie telerinwa, tálin paptalasselindeën « le peuple blanc des rivages d’Elfinesse, [vint] à pied comme la musique des feuilles qui tombent » (de Nieninque). Ici tálin est traduit par la phrase instrumentale « à pied », donnant le moyen par lequel le « peuple blanc » vint, et bien que ce soit traduit au pluriel ce peut être en fait une forme instrumentale singulière, i.e. tál « pied » (LRW, p. 390) + instr. -in, littéralement * « avec pied » – ou pour employer l’idiome anglais [ou français, N.d.T.] équivalent * « à pied ». L’anglais possède un grand nombre de telles expressions instrumentales qui font référence à des parties du corps au singulier lorsqu’un sens pluriel est recherché, e.g. by hand, with an eye to, play by ear, on the wing, tooth and nail, et bien d’autres23).

Il est bien connu que le finnois fut une des langues influentes dans la création du quenya ; comme Tolkien l’écrivit dans une lettre de 1955 à W.H. Auden, le finnois « m’a totalement grisé […] et « ma langue à moi », ou bouquet de langues inventées, a pris fortement la marque du finnois dans sa structure phonétique et sa syntaxe. » (L, p. 214)24). À cet égard, il est remarquable que le cas instrumental finnois soit marqué par le suffixe -in, et il semble fort probable que ce fut l’inspiration de Tolkien pour la flexion instrumentale quenya -in dans le tableau bodléien. L’instrumental finnois (aussi nommé cas instructif) est employé pour indiquer les moyens ou la manière d’une action particulièrement lorsque l’instrumental est une partie du corps, e.g. Tein sen paljain käsin « Je l’ai fait avec mes mains nues » (paljas « nu », käsi « main »). La terminaison causative finnoise -in est plurielle de structure, pour autant que le -i- est partagé par d’autres formes plurielles en finnois, mais fonctionnellement elle n’a pas de nombre et la forme plurielle -in est employée même si le nom est singulier ; ainsi Hän tuli paljain päin « Elle vint avec la tête nue, découverte » (pää « tête »). Tandis que cet emploi du pluriel pour le singulier de l’instrumental finnois est l’opposé de l’emploi du singulier pour le pluriel de l’instrumental quenya *tálin * « à pied » et des phrases instrumentales anglaises [et françaises, N.d.T.] telle que by hand et al., il sert véritablement à souligner que dans les phrases instrumentales concernant des parties du corps une distinction rigoureuse entre le singulier et le pluriel est souvent sans importance, le contexte indiquant de manière adéquate le sens escompté.

Il est également important de noter que le finnois possède un cas comitatif, avec le sens basique « avec » ou « en compagnie de ». Il est marqué par le suffixe -ne, et comme l’instrumental/instructif il est uniquement utilisé avec le radical pluriel, i.e. dans la forme -ine. Lorsque appliquée à un nom, une forme du suffixe possessif est également ajoutée, produisant la forme -ineen, comme dans Han tuli koirineen « Elle vint avec son chien ». Cette terminaison -ineen est bien sûr tout à fait similaire à l’instrumental quenya pluriel -inen, et Tolkien peut avoir voulu un certain rapport entre les deux. Les fonctions comitative et instrumentale sont proches parentes ; ainsi en anglais [comme en français, N.d.T.] avec peut être employé de manière comitative, comme dans Il vint avec moi, ou de manière instrumentale, comme dans Il la toucha avec sa main. De manière similaire, dans l’ancienne forme de l’adunaïque détaillée par Christopher Tolkien à la p. 438 de Sauron Defeated, la terminaison causative instrumentale -ma est dite avoir eu « à l’origine un sens de postposition agglutinée « avec », et exprimant une relation instrumentale ou comitative ».

L’emploi de -nen au lieu de -in comme terminaison instrumentale singulière ne survient que quelque temps après la composition du tableau bodléien vers 1936. Spécifiquement, ce n’est pas avant l’histoire de la Route Perdue, écrite vers 1937—1938, que l’instrumental singulier en -nen apparaît tout d’abord, dans le poème Chanson de Fíriel : Iqainen antar annar lestanen Ilúvatáren « À tous ils donnèrent en mesure les dons d’Ilúvatar » (LRW, p. 72). Ainsi bien qu’il y ait de nombreux pluriels instrumentaux en inen dans les poèmes de 1931 de « Un vice secret », tels que talainen « avec des ailes » (OM2), les instrumentaux singuliers en -nen sont totalement absents.

Sous-groupe b (cas locaux)

Il y a une correspondance étroite entre les cas locaux du sous-groupe b du tableau de Plotz et le second groupe de cas du tableau bodléien, particulièrement lorsque nous tenons compte de la variation orthographique bien attestée et insignifiante entre c et k dans le corpus quenya. Dans le tableau ci-dessous, les cas du tableau de Plotz sont consignés pour clarifier les correspondances :

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Les fonctions grammaticales de ces cas sont indiquées par les abréviations de Tolkien sur le tableau de Plotz. Le cas locatif (< latin locātus, participe passé de locāre « placer ») indique un lieu dans, à ou sur lequel, ou un temps auquel : kiryasse « sur un navire » (MC, p. 216). L’allatif (< lat. ad « à, vers » + lātus « porté »), marqué par -nda dans le tableau bodléien, indique le mouvement vers : kiryanda * « vers un navire ». L’ablatif (< lat. ab « loin, de » + lātus « porté »), marqué par -llo, indique le mouvement loin de : kiryallo * « du navire ». Comme nous le détaillerons ci-dessous, le premier emploi démontrable des cas locaux dans le corpus publié se trouve dans les poèmes de « Un vice secret », écrit vers 1931, particulièrement OM1, OM2 et Earendel25).

Les entrées locative et ablative singulières des tableaux bodléien et de Plotz s’accordent exactement, tandis que les entrées locative et ablative plurielles diffèrent seulement en cela que le tableau bodléien tient compte des formes variables tant en -r qu’en -n, alors que le tableau de Plotz indique seulement -n. Cependant, un pluriel ablatif alternatif en -r apparaît dans du matériel contemporain du tableau de Plotz (voir la discussion sur l’ablatif ci-dessous). Le seul marqueur allatif pluriel indiqué à la fois pour les tableaux bodléien et de Plotz est -r. La différence la plus significative entre les cas locaux des tableaux bodléien et de Plotz est que la terminaison allative bodléienne est -nda, tandis que la terminaison allative de Plotz est -nna.

Le cas locatif

Le cas locatif est marqué par -sse et apparaît d’abord dans plusieurs des poèmes de « Un vice secret » c. 1931, où il est traduit par « sur26) », comme dans kiryasse « sur un navire » dans Earendel et veasse lúnelinqe « sur les flots bleus de la mer » dans OM1 ; « sur27) », comme dans laiqa ondolissen « sur les rochers verts » (OM2) ; et « dans », comme dans alkarissen oilimain « dans les derniers rayons de lumière » (OM1) et óresse oilima « dans le dernier matin » (ibid.). Ce dernier exemple démontre que le locatif pourrait être employé dans un sens temporel tout autant qu’un sens spatial. Le locatif singulier en -sse et pluriel en -ssen persiste tout au long du corpus, de même que l’éventail d’application temporel/spatial – cf. métim’ auresse « dans le dernier matin » (OM3) et mahalmassen « sur les trônes » (UT, p. 305). Le locatif pluriel alternatif -sser, cependant, apparaît seulement dans le tableau bodléien.

Bien qu’il n’y ait pas encore d’exemples certains de cas déclinable en -sse avant les poèmes de « Un vice secret », le suffixe dérivatif -sse comme moyen de formation de nom est amplement attesté dans le matériel pré-1931, de même que dans le corpus plus tardif. Son application était variée, étant employé :
I) pour former un nom directement à partir d’une base ou une racine, comme solossë « houle, ressac » < SOLO (LT1, p. 266) et eresse « solitude » < ERE- « être seul, privé de » (LRW, p. 356) ;
II) pour former un nom à partir d’un autre nom, comme liantassë « vin » < liantë « vrille » (LT1, p. 271) et valasse « divinité » < Vala « Puissance, Dieu », (LRW, p. 350) ;
III) pour former un nom à partir d’un adjectif, comme laiqassë « verdeur » < laiqa « vert » (LT1, p. 267) et aikasse « pic de montagne » < aika « affilé » (LRW, p. 349)28).

Le cas allatif

Le cas allatif est marqué par -nda dans le tableau bodléien. Cette forme de la terminaison du cas allatif est certainement attestée ailleurs. Cependant, le verbe numenda- « baisser (en parlant du Soleil) » est donné dans le QL (cf. LT1, p. 263), et cela semble dériver du nom númë « ouest » avec l’addition du suffixe verbal -nda * « (se) déplacer vers », ainsi donc numenda- signifie littéralement * « se déplacer vers l’ouest ». Le trait qui distingue -nda des autres formes attestées de l’allatif (-nna dans le tableau de Plotz et -nta dans les poèmes de « Un vice secret ») est la présence d’un d. « Les Étymologies », s.v. TA- « cela » donnent le mot tar « là », qui est dit dériver de *tad plus ancien (LRW, p. 389), et cette proto-forme est manifestement constituée de ta « cela, il [impersonnel, N.d.T.] » (LRW, p. 389) plus un ancien suffixe allatif -d « vers », ainsi donc *tad (et par la suite tar) = « vers cela/lui ». Cet ancien allatif -d, avec l’addition d’un infixe nasal, pourrait aussi être la source de la terminaison -nde dans tande « là » (Nieninque), qui comme tar (*tad) doit dériver de ta « cela, il [impersonnel, N.d.T.] ». Le suffixe allatif *-nde dans tande est très similaire à notre terminaison causative allative -nda et pourrait lui être apparenté, bien que la différence dans les voyelles finales demeure inexpliquée. En tout cas, la présence d’un élément allatif -(n)d dans numenda-, *tad et tande fournit une certaine corroboration de la terminaison allative bodléienne.

Nos plus anciens exemples d’une terminaison d’un cas allatif apparaissent dans les poèmes de « Un vice secret », où elle a la forme -nta. Des trois occurrences, une est rendue par « dans » (Kaivo i sapsanta Rána númetar « Comme un corps dans la tombe la Lune descendit dans l’ouest » dans OM1), et les deux autres par « sur » (telumen tollanta naiko lunganar « La voûte du ciel fléchit sur les sommets des collines » dans OM1, et telume lungane tollalinta ruste « les cieux se courbant sur des collines s’effondrant » dans OM2)29). La terminaison allative sous la forme -nna donnée dans le tableau de Plotz n’apparaît pas avant c. 1937 dans l’histoire The Lost Road. Ici sa première apparition survient dans le texte de brouillon des fragments de rêve d’Alboin : Sauron lende nūmenorenna « Sauron vint à-Númenor » (LRW, p. 56). À partir de 1937 la forme allative -nna est exclusivement employée ; e.g. Anar kaluva tielyanna « Le soleil brillera sur votre route » (UT, p. 22, 51), et anar púrëa tihta axor ilkalannar « un soleil voilé qui luit faiblement sur des os qui brillent » (OM3). Bien qu’une variation dialectale pourrait expliquer l’altération entre -nta, -nda et -nna comme terminaisons allatives, la séquence chronologique apparente de ces formes – -nta dans « Un vice secret » (1931), -nda dans le tableau bodléien (c. 1936) et -nna dans The Lost Road (1937) et par la suite – semble une solide indication que la variation représente de réels changements dans la conception de Tolkien de cette terminaison de cas quenya30).

Le cas ablatif

Le cas ablatif est marqué par -llo, et comme le locatif sa première occurrence connue se trouve dans les poèmes de « Un vice secret » – Man kiluva kirya ninqe oilima ailinello lúte « Qui verra un blanc navire quitter le dernier rivage ? » (OM2) – et encore comme le locatif, l’ablatif singulier en -llo et pluriel en -llon persiste dans tout le corpus, e.g. sindanóriello « à partir du pays gris » (LotR, vol. I, p. 394) et falmalillon * « à partir des vagues » (TI, p. 285). Cependant, à la différence du locatif, l’ablatif retient ses formes plurielles alternatives en -llor dans le matériel plus tardif. Ainsi dans OM3, le dernier poème quenya existant que Christopher Tolkien date de « la dernière décennie de la vie de [son] père » (i.e. 1963—1973), nous trouvons l’ablatif pluriel alternatif dans la phrase elenillor pella « au-delà des étoiles »31).

Sous-groupe c (cas adjectivaux/adverbiaux)

Le cas marqué (c) dans le tableau de Plotz (le fameux cas associatif) correspond au premier cas dans le troisième groupe du tableau bodléien :

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Les formes du cas associatif en quenya classique dans le tableau de Plotz sont ciryava, [ciry]alíva et [lass]eva (avec la note « lasselī comme pour kiryalī » impliquant également lasselíva). Il n’y a pas de pluriel particulier ou de duel pour ce cas en quenya classique, et la même chose est vraie pour la déclinaison bodléienne. Mais il manque à la dernière un pluriel général correspondant : pas de formes *kiryalíva, *kiryalíka, *kiryalindon listées. Cela est curieux puisque il y a des formes plurielles générales du dernier cas dans les poèmes de « Un vice secret », tinwelindon « comme les étoiles », et taurelasselindon « comme les feuilles des forêts » (OM1, l. 4, 10 ; OM2, l. 8, 14).

Le cas adverbial en -ndon

Le cas -ndon est commun dans « Un vice secret ». Il est traduit par « comme » ou « tel » et agit comme un modificateur adverbial expliquant l’action ou le processus d’un verbe ou la qualité d’un adjectif par comparaison à un nom. Par exemple, dans Súru laustanéro taurelasselindon « Le vent se précipitait avec bruit comme les feuilles des forêts » (OM1), taurelasselindon modifie le verbe laustanéro « se précipitait avec bruit ». De manière similaire, dans Kildo kirya ninqe pinilya wilwarindon « Un blanc navire on vit, petit comme un papillon » (OM1), wilwarindon « comme un papillon » modifie l’adjectif pinilya « petit ».

L’exemple le plus récent du cas -ndon, et le seul trouvé hors OM1 et OM2, est kamindon, qui apparaît dans la première des deux versions préliminaires des fragments de Lowdham en quenya et en adunaïque associées avec le Notion Club Papers de 1945—1946. « Le mot nahamna, que ni Alboin Errol ni Lowdham ne pourraient traduire, devint […] kamindon, toujours intraduisible mais avec la glose -ly en-dessous » (SD, p. 311). Le mot kamindon fut remplacé par akamna, puis changé en nukumna, la forme apparaissant dans la version finale des fragments de Lowdham (SD, p. 246—247), où elle est traduite par « humilié ». Il est probable que kamindon possède la signification adverbiale * « humblement », décrivant la manière avec laquelle « Sauron vint »32).

Des exemples du cas adverbial en ndon apparaissent uniquement au singulier et au pluriel général. L’absence de formes du pluriel particulier s’accorde avec l’absence d’une forme du pluriel particulier de ce cas dans le tableau bodléien, mais la raison n’est pas complètement claire. Il se peut que ce cas (et les cas -va et -ika) soient toujours étroitement associés à leur origine comme dérivés basés sur le radical du nom. Ainsi wilwarindon peut être similaire à l’anglais comparable butterfly-like33), qui n’a bien sûr pas de forme comparable **butterflies-like34) basée sur le nom pluriel. On peut s’attendre ici à un pluriel général car cela possède à l’origine un sens collectif. Notez que súru laustane taurelasselindon « Le vent se précipitait avec bruit comme les feuilles des forêts » décrit un son qui n’est pas comme celui d’une seule feuille ou de quelques feuilles, mais uniquement celui d’un grand nombre ensemble.

La structure des deux exemples plurielstaure-lasse-li-ndon et tinwe-li-ndon – est comparable à celui de kirya-ndon. Mais notez que le radical de wilwarindon est wilwarin « papillon » (LT1, p. 273), ainsi la structure de cette forme est en fait wilwarin-don. Le marqueur du pluriel général -li apparaît aussi comme préfixe, avec à la fois les formes li- et lin- (cf. lin-tyulussea « qui possède de nombreux peupliers » ; LRW, p. 369), ainsi une interprétation étymologique telle que *tinwe-lin-don est également possible, avec la forme kiryandon en raison d’une analogie. C’est d’autant plus intrigant que le grec possède un suffixe de formation adverbiale avec la même forme (-δον) et un sens similaire, e.g. κυνηδόν « comme un chien, avidement » (cf. κύων gén. κυνός « chien »), βοτρυδόν « comme une grappe de raisin, en grappe » (cf. βότρυς « une grappe de raisin »), ένδον « à l’intérieur, à la maison » (cf. έν « dans »)35).

Le cas -ika

Il n’y a aucun exemple défini du cas bodléien -ika (kiryaika, -oika, polīka) hors de ce tableau. Puisque que les divisions des cas dans le tableau bodléien semblent basées sur la fonction, alors le cas -ika pourrait être adverbial (comme -ndon) ou plus probablement adjectival (comme -va), étant donné que -ka est employé pour former des adjectifs en quenya, comme faika « méprisable » < SPAY- « dédaigner, mépriser », poika « propre, pur » < POY-, fauka « qui a la bouche ouverte, assoiffé, desséché » < PHAU- « bailler », tiuka « épais, gras » < TIW- « gras, épais », etc. (cf. « Les Étymologies »). Bien que tous nos exemples actuels de cette terminaison adjectivale -ka apparaissent dans des adjectifs directement dérivés d’une base ou d’une racine plutôt que d’un nom, il est possible que le cas -ika se soit développé à partir d’elle. La variation entre -ka et -ika rappelle une variation similaire dans d’autres suffixes tels que le -na du participe passé ou de l’adjectif, comme dans harna « blessé » (LRW, p. 386) et morna « lugubre, sombre » (LRW, p. 373), qui apparaît aussi sous la forme -ina, comme dans nótina « compté » (LRW, p. 72) et kemina « de la terre, en terre » (LRW, p. 363). Une autre paire est -ma, -ima, bien qu’ici les deux formes possèdent des usages distincts, -ma comme terminaison nominale et -ima comme terminaison adjectivale – ainsi KAL- « briller » engendre le nom kalma « lumière, lampe » (LRW, p. 362) et l’adjectif kălĭma « qui brille avec éclat » (L, p. 279). Notez, cependant, que les adjectifs en -ima sont souvent employés comme noms, e.g. vanimar « les beaux » (L, p. 308, 448) et Fírimar « les Mortels » (S, p. 103).

Il y a une flexion en -iko dans un tableau de paradigmes dans les archives de Marquette qui inclut les déclinaisons parallèles de quatre formes, entu ensi enta sen36), peut-être démonstratives apparentées à l’adjectif enta « cela là-bas » (LRW, p. 356). Bien que les cas sur ce tableau ne sont pas qualifiés, plusieurs des terminaisons causatives ressemblent étroitement à celles des poèmes de « Un vice secret » et du tableau bodléien. Ainsi dans le paradigme pour enta la forme entaiko apparaît, placée entre entainen et entanta (clairement l’instrumental et l’allatif, respectivement). Les quatre formes de ce cas énigmatique sont entoiko, ensíko, entaiko et endiko, enko (les deux derniers sous en), montrant clairement que i est une partie du suffixe causatif, comme pour la terminaison bodléienne -ika. Le positionnement du cas dans les paradigmes de Marquette, cependant, ne confirme pas une relation avec le suffixe -ika. Il y a un cas différent dans la position analogue à celle de -ika. Dans le paradigme pour entu la forme entuhta apparaît, placée entre entundon et entuva (clairement comparables à kiryandon et kiryava). Les quatre formes de ce cas sont entuhta, ensihta, entahta et endihta ehta, la terminaison commune étant -hta. Elle possède la consonne vélaire (h < *k) et le a final de -ika suggérant que -hta pourrait être étymologiquement apparenté à -ika. Le groupe consonantique ht en quenya peut résulter d’un *tk original : par exemple *et-kelē « source, écoulement d’eau » engendra q. ehtele, « à partir de la forme ayant subie une métathèse [i.e. avec des consonnes transposées] *ektele » (LRW, p. 363). Il est possible donc que la terminaison -hta dans les paradigmes de Marquette dérive d’un *-tka plus ancien, avec le -ka final étant le même morphème que dans -ika.

Tout comme le cas adverbial en -ndon ressemble étroitement à la terminaison adverbiale grecque -δον, le cas -ika (s’il est adjectival) pourrait également avoir un équivalent en grec, dans lequel le suffixe -ικός (fém. -ική) était un moyen très productif de dériver des adjectifs à partir de noms, e.g. ίππικός « des chevaux » < ϊππος « cheval », et βασιλική « royale » (fém.) < βασιλεύς « roi ». Le mot latin apparenté était -icus, -ica, e.g. bellicus « de guerre » < bellum « guerre », Italica « italienne » < Italia. Ces terminaisons grecque et latine remontent au suffixe indo-européen *-iqo-, et plusieurs suffixes apparentés apparaissent dans d’autres langues indo-européennes, incluant le sanskrit -ika-, le lituanien -ikas, et notre propre terminaison adjectivale anglaise -ic37) (comme dans bardic, angelic et Adunaic38).). La variation entre le masculin et le féminin ικό- et ική en grec et -icu- et -ica en latin peut faire un parallèle avec la variation entre le quenya -ico dans le tableau de Marquette et -ika dans le tableau bodléien.

Le cas associatif

Le cas associatif en -va possède également de puissantes connexions indo-européennes. Nous avons noté précédemment que le cas associatif possède un sens génitivo-adjectival [cf. note 8, N.d.T.], et la terminaison -va est probablement apparentée au suffixe adjectival commun -va, comme dans turúva « en bois » (LT1, p. 270), koiva « éveillé » (LT1, p. 257), huiva « obscur » (LT1, p. 253), etc. (cf. note 9). Il y a aussi un suffixe adjectival -wa, qui pourrait simplement être une variante de -va employée avec un radical consonantique, comme dans linyenwa « ancien, qui a de nombreuses années » (< yén « année » ; LRW, p. 400) et sindarinwa « gris-elfique » (LotR, vol. III, p. 401). Les terminaisons adjectivales quenya -va et -wa possèdent un forte ressemblance en forme et en fonction avec le suffixe de formation adjectivale indo-européen *-wo-, comme dans l’indo-eur. vt28_gwiwo.jpg > latin vīvus (fém. vīva) « en vie, vivant », lith. gyvas « vivant », sans. jīva- etc. L’indo-européen *-wo- était particulièrement commun dans des termes dénotant la couleur, comme le latin helvus « jaune », flāvus « doré » et fulvus « fauve » (fém. helva, flāva et fulva). De manière similaire, le suffixe q. -wa apparaît dans beaucoup d’adjectifs décrivant les couleurs : helwa « bleu (pâle) » (LRW, p. 360), hiswa « gris » (LRW, p. 364), laiqa (*laik-wā) « vert » (LRW, p. 368), malwa « daim, pâle » (LRW, p. 386), morqa « noir » (LT1, p. 261), narwā « rouge feu » (LRW, p. 374) et ninwa « bleu » (LT1, p. 262).

La terminaison adjectivale latine -vus (fém. -va) apparaît aussi sous la forme allongée -īvus (fém. -īva) comme dans nocīvus « nuisible » < nocēre « endommager, blesser, nuir » et aestīvus « de l’été » < aestus « chaleur ». C’est la source de la terminaison adjectivale -ive en anglais39), familière de termes grammaticaux tels que nominative, accusative, dative, etc. Sur l’ancienne carte « Bateau-Monde » associée aux Contes Perdus (cf. LT1, p. 83 sq.), les Montagnes de Valinor sont nommées I oros valinoriva (Christopher Tolkien donne la possible lecture Toros pour I oros), et ici la terminaison -iva dans valinoriva * « de Valinor » semble faire écho au latin -īva. Aucune forme du pluriel général de l’associatif n’apparaît dans le tableau bodléien, mais la terminaison -líva de l’associatif pl. général [ciry]alíva dans le tableau de Plotz est également très suggestive du latin -īva.

Autres déclinaisons

La déclinaison en e

Les formes -en et -o (eo) écrites à droite de la déclinaison en o semblent être les terminaisons subjective singulière et génitive singulière, respectivement, pour les noms avec un radical original en e. Cela contraste avec la déclinaison de pole, dans laquelle le -e final dérive d’un * court plus ancien. Ce -e < * demeure un i en position non finale, ainsi la déclinaison de pole présente le suj. sing. -in, gén. sing. -io (voir la discussion ci-dessous). Si le « (eo) » entre parenthèses représente une forme alternative de la terminaison -o alors elle correspond à la terminaison gén. sing. -eo donnée pour lasse dans le tableau de Plotz. Cette terminaison est employée par Galadriel dans le mot Oiolosseo « à partir du Mont Toujours Blanc », et par Cirion dans le mot Elenna•nóreo « du Pays de l’Étoile » (UT, p. 305). Et la terminaison -en est donnée comme une forme courte de -enna, la terminaison allative singulière de lasse.

Nous avons relevé plus haut, cependant, que les terminaisons -en et -o sont précisément ces flexions singulières les mieux attestées pour des noms à radical consonantique. Et dans « Les Étymologies », plusieurs radicaux consonantiques sont dérivés de formes primitives se terminant en e. Ainsi *i-ndise > q. Indis « épouse », *pel-takse > q. peltas « pivot », *tindomiselde > Tindómerel « rossignol » (LRW, p. 375, 380, 393). Il y a aussi des noms q. avec des formes avec une consonne ou un e finaux, e.g. ambaron, Ambaróne « lever du soleil, Orient » ; ear, aire « mer » ; Valinor, Valinóre « pays des Dieux » ; feren, ferne « hêtre » (LRW, p. 348—350, 381). Ainsi la connexion entre ces terminaisons avec les deux types de radicaux nominaux n’est pas incompatible.

Polin, pole

Le nom pole décliné au bas de la page n’apparaît pas dans le matériel publié40), mais c’est probablement le même mot que pole (i) « avoine » donné dans une liste non publiée de « mots poétiques et mythologiques d’eldarissa » (eldarissa = qenya) dans les manuscrits des Contes Perdus aux archives bodléiennes (Ms. Tolkien S1 (XII), fol. 2r)41). Le (i) entre parenthèses après pole indique probablement que le radical flexionnel (i.e. la forme à laquelle les terminaisons plurielles ou causatives sont ajoutées) est poli-. Il y a plusieurs autres exemples dans le QL d’un radical flexionnel donné entre parenthèses après la forme nominative sing., e.g. ork (orq-) « monstre, démon » (LT1, p. 264) avec le radical flexionnel orq- apparaissant dans le pl. Orqui (LT2, p. 219), et oaris (-ts) « sirène » (LT1, p. 263) avec -ts une abréviation pour le radical flexionnel oarits- observé dans le pl. Oaritsi (LT1, p. 227).

« Les Étymologies » fournissent plusieurs exemples de noms quenya dans lesquels le -e final dérive d’un court original, par exemple lingwe « poisson » < *liñwi (LRW, p. 369), et rinke « saccade, trépidation » < *rinki (LRW, p. 383). Il y a également des adjectifs de ce type, e.g. more « noir » < *mori (LRW, p. 373). Des noms tels que lingwe et rinke font contraste avec ceux dans lesquels le -e final dérive plutôt d’un * original long, tels que lasse « feuille » < *lassē (LRW, p. 267). Le radical flexionnel poli- semble indiquer que pole est du premier type (pole < *polī), et cela est confirmé par le fait que Tolkien a écrit un ĭ court à gauche de la déclinaison de pole sur le manuscrit. Il est caractéristique des noms et des adjectifs avec un -e final < * que le i court soit retenu en position non finale (que ceci résulte d’une composition ou d’une flexion), ainsi lingwe « poisson » apparaît comme lingwi- dans lingwilóke « poisson-dragon, serpent de mer » (LRW, p. 370), et more « noir » apparaît comme mori- dans Moriqendi « Elfes Sombres » (LRW, p. 374). De manière similaire, pole (i) « avoine » apparaît comme poli- dans le composé polisimpe « flûte de berger », étant donné ci-dessous pole (i) dans la liste de mots de l’eldarissa42), et ce même radical flexionnel apparaît dans les formes causatives obliques de pole dans le tableau bodléien, e.g. suj. sing. poli-n, gén. sing. poli-o, locatif sing. court poli-s, et ainsi de suite. Nous pouvons nuancer ceci avec le fait que le -e final < * dans des noms tels que lasse « feuille » demeure inchangé dans une position non finale, comme dans le composé lasselanta « chute des feuilles, automne » (LRW, p. 367) et dans diverses formes obliques dans le tableau de Plotz, e.g. datif sing. lasse-n, gén. sing. lasse-o, et locatif sing. court lasse-s.

Il y a une certaine variation entre poli- et polí- dans le paradigme de pole. La voyelle longue radicale dans les formes en polí- trouve son origine dans le cours de la composition. Par exemple, dans polīka la voyelle finale dans le radical poli- se combine avec la voyelle initiale dans la terminaison flexionnelle -ika pour former une voyelle longue : poli-ika > polīka. Un autre exemple de ceci est l’instrumental pl. polínen, < poli-in-en. Cependant, lorsque la composition résulte en une voyelle longue dans une syllabe fermée43), la voyelle est raccourcie : ainsi l’instrumental sing. poli-in > polin et le locatif pl. court poli-i-s > polis. Notez toutefois que dans la forme alternative du locatif pl. court [pol]ísi le í demeure long car il tombe dans une syllabe ouverte.

Le paradigme pour pole est incomplet – tandis que les cinq groupes syntaxiques sont donnés en entier, des trois cas locaux seul le locatif est donné, omettant l’allatif et l’ablatif, et des trois cas du sous-groupe c seul polīka est donné, omettant le cas associatif et adverbial en -ndon. Il semble improbable que des noms tels que pole n’aient pas eu de formes allative, ablative, associative et adverbiale. Une explication plus probablement est que puisque le paradigme de pole apparaît tout en bas de la page manuscrite, Tolkien se trouva à court de place et ainsi ne fournit seulement qu’un exemple caractéristique de chaque pour les sous-groupes b et c (il semble que polīka fut donné comme un exemple du sous-groupe c, plutôt que *poliva ou *polindon, afin de démontrer la génération d’un í long en composition). Notez aussi que le paradigme de sare est encore plus incomplet que celui de pole.

Saryan, sare

Aucun nom tel que sare n’a encore été trouvé dans le matériel quenya, publié ou non. Cependant, étant donné que dans le tableau pole signifie probablement « avoine », il est intéressant que sare puisse étroitement ressembler à sara « herbe sèche et dure, agrostide, jonc », < STAR- « (se) raidir » (LRW, p. 388). Le -e final dans sare dérive apparemment du -̯ıa original, puisque cette terminaison est écrite à gauche des déclinaisons de pole et sare à côté du ĭ qui indique la terminaison originale de pole. La forme originale de ce nom était probablement *sar̯ıa, qui a dû devenir *sari lorsque les voyelles finales courtes furent perdues, avec ceci devenant à son tour sare avec le changement du final court en -e, tout comme le *poli original devint pole.

La terminaison -̯ıan écrite au-dessus du paradigme pour sare pourrait également être interprétée comme -̯ıən Elle semble fournir la forme originale de la terminaison de la forme subjective de ce nom, saryan, de même que -̯ıa présente la forme originale de la terminaison de sare ; ainsi *sar̯ıan > saryan. Ceci démontre qu’en position non finale le suffixe -̯ıa ne devint pas -e mais fut plutôt d’habitude retenu sous la forme -ya-, comme dans le subjectif pl. sarya-r, génitif pl. sarya-ro, locatif court sarya-s et instrumental sarya-in. Ceci fait un parallèle étroit avec la déclinaison de pole, dans laquelle le suffixe -i dans le *poli original fut retenu en position non finale, comme dans poli-r, poli-o, poli-s, etc.

La déclinaison de saryan, sare était probablement incluse dans le manuscrit pour fournir un contraste flexionnel avec kiryan, kirya. Ces deux noms se ressemblent étroitement l’un l’autre en cela que le radical flexionnel dans les deux se termine par -ya-, ainsi la plupart de leurs cas obliques sont similaires : kiryas et saryas, kiryain et saryain, kiryar et saryar, etc. Cependant, la terminaison radicale -ya- dans ces noms est d’origine différente, *-̯ıă dans le cas de saryan, sare et *-yā (ou *-̯ıā) dans le cas de kiryan, kirya. Cette différence de longueur de la voyelle finale originale résulte en des formes divergentes dans le cas normal (non fléchi), i.e. *kiryā (ou kir̯ıā) > normal kirya, par contraste avec sar̯ıă > sare. Cette divergence apparaît tout autant dans les formes normales plurielles, avec *kiryāi (ou kir̯ıāi) > kiryai, versus sar̯ıăi (ou peut-être sar̯ıəi) > sari.

Tolkien abandonna le paradigme de sare avant de l’avoir terminé, omettant les formes plurielles du locatif court et de l’instrumental, et ne listant aucune forme pour les cas locaux et le sous-groupe c. Apparemment, la dernière forme écrite sur cette page fut le génitif pluriel saryaro, qui est inhabituel en cela qu’il manque le -n pluriel final typiquement trouvé dans les génitifs pluriels, e.g. kiryaron, kiryalion et polion dans le tableau bodléien. Il semble peu probable de supposer que Tolkien voulut écrire *saryaron mais abandonna le manuscrit avant d’ajouter la simple lettre qui aurait complété cette forme. Il est intéressant de noter que le -n pluriel final dans les formes génitives plurielles telles que kiryaron est redondant, puisque le nombre est déjà indiqué par le morphème pluriel -r placé entre le radical et la terminaison génitive, i.e. kiryaron = radical kirya- + pl. -r + gén. -o + pl. -n. Ce ne serait donc pas une ambiguïté dans la forme saryaro, qui en dépit de l’absence du -n final est toujours clairement marquée en cas et en nombre : radical sarya- + pl. -r + gén. -o.

Bibliographie

The Compact Edition of the Oxford English Dictionary. Oxford : Presse de l’Université d’Oxford, 1971.

Abréviations employées

Pour toutes les abréviations, vous pouvez vous référer au Système de référence tolkiendil et à la Liste des abréviations et symboles.

Voir aussi sur Tolkiendil

1) Le tableau de Plotz fut d’abord publié par Nancy Martsch dans Beyond Bree (mars 1989), bien que les notes l’accompagnant ne furent pas incluses. Le tableau et les notes furent publiés peu de temps après par Jorge Quiñónez dans le Vinyar Tengwar 6 (juillet 1989).
2) Ces catégories distinctes de terminaisons plurielles correspondent probablement à celles mentionnées dans la lettre de Tolkien à Naomi Mitchison, le 25 avril 1954 : « les langues eldarines font une distinction de forme et d’usage entre un pluriel « partitif » ou « particulier », et le pluriel général ou total. Ainsi yrch « orques, certains orques, des orques » apparaît dans le vol. I, p. 359, 402 ; les Orques, en tant que race, ou la totalité d’un groupe précédemment mentionné aurait été orchoth » (L, p. 178). Dans « Les Étymologies », le terme pluriel général est appliqué à la forme Telelli par contraste avec la forme Teleri nommée simplement pluriel, toutes deux apparentées au singulier Teler « elfe-marin » (LRW, p. 391).
3) Il y avait probablement un haut degré de correspondance entre l’usage des différents cas en quenya classique et leurs formes apparentées en quenya parlé dont nous avons de nombreux exemples dans le corpus plus tardif. Nous pouvons également déduire de l’application des dénominations grammaticales aux formes quenya un degré de ressemblance dans l’usage avec les cas du nom dans des langues plus familières attribuant traditionnellement les mêmes dénominations.
4) Voir les notes sur le Serment de Cirion dans Cirion et Eorl : « enyalien : en- « de nouveau », yal- « donner l'ordre, enjoindre », à l’infinitif (ou au gérondif) en-yalië, ici au datif « pour le rappel » » (UT, p. 317). Christopher Tolkien établit que Cirion et Eorl fut écrit après la publication du Seigneur des Anneaux « dans la période finale des travaux de mon père sur la Terre du Milieu » (UT, p. 10), ce qui signifie que le terme datif appliqué à cette forme est contemporain du tableau de Plotz.
5) Notre transcription de ce texte plus ancien de Namárië fut effectuée à partir d’une photocopie couleur du manuscrit exposé à la Conférence du Centenaire de J.R.R. Tolkien qui eut lieu au Collège de Keble, à Oxford, du 17 au 24 août 1992. La phrase elli yas atintalar fut biffée, et deux autres versions de cette ligne apparaissent sur ce manuscrit, toutes deux conservées : yassen elli atintillinar et yasse tintilar i{n} eleni. La dernière phrase atteint presque la forme du texte publié, excepté pour le sing. yasse au lieu du pl. yassen.
6) N.d.T. : Voir à ce sujet l’article sur Wikipédia.
7) Voir « The Associative : A ‘Problematic’ Quenya Noun Case Explained » par Patrick Wynne, Vinyar Tengwar 16, p. 5—9.
8) N.d.T : Patrick Wynne attire d’ailleurs notre attention sur le fait que depuis la parution de cet article, la question de ce cas a été éclaircie grâce aux indications de Tolkien dans le chapitre Quendi and Eldar de Morgoth’s Ring. Ce cas étant en fait employé comme génitif possessif-adjectival (cf. MR p. 368—369).
9) Cf. « The Growth of Grammar in Elven-tongues » par Christopher Gilson et Patrick Wynne : « Dans le nom Mar Vanwa Tyaliéva « la Chaumière du Jeu Perdu » (LT1, p. 14), un suffixe -va a été ajouté au nom tyalie « jeu » (260) pour indiquer qu’il modifie le nom mar « demeure » (251). C’est le cas que nous avons nommé associatif, mais que Tolkien lui-même laisse sans nom dans la déclinaison en « quenya classique ». Le Qenya Lexicon possède de nombreux adjectifs qui se terminent en -va, tels que kanuva « plombé, en plomb » ou tereva « perçant » (255). Puisque tyaliéva sert comme un équivalent adjectival du nom tyalie « jeu », il semble probable que le suffixe de cas -va émergea de la terminaison adjectivale. Ceci pourrait expliquer pourquoi le cas ne possède pas de nom dans le tableau, puisqu’il ne correspond à aucune catégorie traditionnelle de cas, bien qu’il soit souvent traduit par la préposition « de ». »
10) Cf. « Trees of Silver and of Gold » par Patrick Wynne et Christopher Gilson, VT no 27, p. 7—42, particulièrement les p. 7—8 et 23. La datation de ces deux manuscrits est en partie interdépendante. La différence dans la terminaison de tanna « là » avec celle de l’allatif kiryanda suggère que la phrase de Koivienéni est de manière externe plus récente que la déclinaison bodléienne, tandis que le remplacement du duel -aru par -ato suggère que la déclinaison est plus récente que la phrase des Deux Arbres. Ou bien les deux manuscrits sont de proches contemporains, ou alors nous devons considérer que l’une ou les deux de ces différences grammaticales n’est pas une différence conceptuelle, et doit être due à des facteurs de conditionnement internes.
11) Excepté pour la différence orthographique entre k et c, nous avons (1) kiryar = ciryar, kiryai = ciryai, kiryaron = [ciry]aron, kiryainen = [ciry]ainen ; (2) kiryasse, -n = ciryasse, -assen, kiryallo, -n = ciryallo, -allon ; et (3) kiryava = ciryava.
12) Formellement le pronom interrogatif man « qui » se compare au nom vean, bien que nous n’avons pas de forme contrastante *ma « qui » pour confirmer que ce -n est (ou fut jamais) un suffixe de cas. Dans The Lost Road Herendil, Fíriel et Elendil emploient man comme sujet (ou prédicat) et comme objet : man-ie « qu’est-ce », man táre antáva nin Ilúvatar « Que me donnera le Père », E man antaváro ? « Que donnera-t-il en fait ? » (LRW, p. 59, 63, 72). En ce sens ce pronom interrogatif est indéclinable, i.e. hors du système de cas conventionnel. Mais tous ses usages sont subjectifs dans le sens que la nature du pronom est de faire de la personne ou de la chose inconnue le sujet du questionnement.
13) Le cas normal adunaïque est également utilisé comme un nom prédicat équivalent au sujet ; en apposition à un autre nom ; comme un génitif adjectival, ou comme un génitif possessif ; et la forme est la base pour divers dérivés adverbiaux. Tandis que le quenya possède au moins huit cas, l’adunaïque n’en a que trois (dont un est limité au singulier), et par conséquent le dernier système doit avoir plus de fonctions par cas individuel.
14) N.d.T. : O = complément d'objet (angl. object), V = verbe et S = sujet.
15) N.d.T. : angl. me = moi, angl. thinks = pense.
16) Cela est soutenu par le fait que ce même ō primitif produit le même son plus fermé ū en noldorin et en sindarin. Le q. lóme est apparenté au sind. , de même que le q. mól est apparenté au nol. mûl.
17) Cette hypothèse se concentre sur deux fils des développements phonologique et morphologique du quenya. Il devrait être ajouté que la catégorie de nom avec radical en o du quenya représente le mélange de trois catégories distinctes du quendien primitif, les radicaux en ō long (e.g. kallo « héros » < *kalrō ; LRW, p. 362), les radicaux en o court (e.g. neuro < *ndeuro « suivant », 375), et les radicaux en u court (e.g. orko < *órku « gobelin », 379). Le génitif pour le dernier type aurait débuté par *orkuo avec la terminaison devenant * (peut-être une variété ouverte). Lorsque la forme brute du radical devint orko avec le gén. *orkū devenant ultérieurement *orku, il peut avoir servi d’analogie au gén. *neurō (avec un o fermé) devenant *neuru.
18) Notez que dans les deux versions de cette phrase la flexion allative est ajoutée aux différents mots; dans assari silde elle est ajoutée au nom (« os-sur luisants »), tandis que dans axor ilkalannar elle est ajoutée à un participe modifié (« os luisants-sur »).
19) La terminaison plurielle -m dans le gén. pl. -iyōm et d’autres formes plurielles dans le paradigme est probablement apparentée au q. pl. -n. Le chapitre « Les Étymologies » (LRW, p. 360) note que « l’ancien partitif » quenya en on dérive de + pluriel m (en q. le *-m final devint -n ;ainsi TALAM « sol, base, terrain » > q. talan, pl. talami « sol, terrain » (LRW, p. 390).
20) Dans une lettre du 25 avril 1954 à Naomi Mitchison, Tolkien écrivit que le quenya « est censé être une sorte de « latin elfique » […] on pourrait dire qu’[il] se compose d’une base latine couplée à deux autres ingrédients (principaux) qui, il se trouve, me procurent un plaisir « phonesthétique » : le finnois et le grec. » (L, p. 175—176). À la lumière de cette déclaration, il semble peu probable qu’il soit une simple coïncidence que le datif pluriel adunaïque -isim et son équivalent q., le locatif pluriel court -is ou -isi, soient très similaires à la flexion plurielle dative du latin, e.g. porta « porte » dat. pl. portīs, de même que pour le grec, †ppoj « cheval », dat. pl. †ppoij.
21) L’instrumental adunaïque -ma est visiblement apparenté avec un autre suffixe instrumental q., -me dans lenéme « avec la permission, par la permission » (SD, p. 246, 310).
22) Ceci ne signifie pas que la structure flexionnelle du radical nominal + pluriel -i- + terminaison causative n’existait pas lorsque le tableau bodléien fut écrit ; en fait la forme « dative » plurielle kirya-i-s (par contraste avec le sing. kirya-s) possède cette structure.
23) N.d.T. : Le français dispose également d’expressions similaires telles « à la main », « à pied », « jouer d’oreille », « avoir un œil sur », etc.
24) « L’intoxication » de Tolkien provoquée par le finnois à laquelle il fait référence dans cette lettre arriva vers 1912, lorsqu’il était étudiant au Collège d’Exeter à Oxford : cf. Tolkien : A Biography p. 65 par Humphrey Carpenter.
25) À cet égard, il doit être rappelé que bien qu’aucun exemple attesté avec certitude de formes de cas locaux n’apparaisse avant les poèmes de « Un vice secret » c. 1931, ça ne signifie pas que ces cas n’existaient pas avant cette époque. Les sources majeures de quenya de cette période sont Narqelion (Narq., Mythlore no 56, p. 47—52 ; cf. VT 6, p. 12—13) et particulièrement Parma Eldalamberon no 9, p. 6—32), le Qenya Lexicon (tous deux c. 1915—1916), et le Livre des Contes Perdus (c. 1917—1920). Alors qu’aucun de ces textes ne contient d’exemple concret des cas locaux, il semble néanmoins que dans Narqelion (en assumant que la traduction proposée soit correcte) Tolkien n’avait pas besoin d’indiquer la position ou la direction, et donc aucune nécessité d’employer aucun des cas locaux, même si de tels cas existaient à l’époque ; tandis que le Qenya Lexicon est essentiellement un dictionnaire qui cite des « entrées » sous les racines desquelles elles dérivent, avec virtuellement aucune citation de formes obliques (fléchies), et ainsi de nouveau nous pouvons simplement avoir une situation où les cas locaux existaient mais ne furent simplement pas cités ; et finalement, Le Livre des Contes Perdus contient (à côté des noms, qui montreraient seulement rarement une flexion de cas local) seulement quatre phrases courtes pour un total de dix mots – difficilement un échantillon significatif. Mais dans des textes qui montrent l’usage de cas locaux, il est toujours possible d’exprimer une fonction de cas local par d’autres moyens. Ainsi dans OM2 le cas allatif (marqué par -nt) est employé dans telume lugane tollalinta ruste « les cieux qui se penchent sur des collines qui s’effondrent », tandis que ce même poème possède la phrase aira móre ala tinwi lante no lanta-mindon « l’ancienne obscurité au-delà des étoiles tombant sur les tours effondrées », dans laquelle le sens allatif est exprimé par la préposition no.
26) N.d.T. : upon dans la version originale, cf. note suivante.
27) N.d.T. : Dans la version originale, le terme employé est on, mais les termes anglais upon et on sont tous deux traduits par « sur ».
28) La forme tarasse dans Narqelion, qui a été interprétée comme une flexion locative de l’adjectif tára « élevé » (cf. Parma Eldalamberon no 9, p. 15), est traduite comme « aubépine » dans une entrée non publiée de la racine TAÐA dans le Qenya Lexicon [cette entrée a depuis été publiée dans le Parma Eldalamberon no 12, p. 87, N.d.T.]. Bien que non traduite, cette racine peut avoir le sens * « une plante à épines » et être apparentée à d’autres mots dans le QL se référant à des choses affilées, pointues, e.g. taru « corne » et tarukko, tarunko « taureau » (LT2, p. 347).
29) Il y a dans tout le corpus des phrases qui traduisent la terminaison allative avec la préposition « sur », qui pourrait sembler plus convenablement locative ; incluant :
  • telumen tollanta naiko lunganar « La voûte du ciel fléchit sur les sommets des collines » (OM1)
  • Menel na-kúna ruxal’ ambonnar « les cieux qui se courbent sur des collines qui s'effondrent » (OM3)
  • Elen síla lúmenn’ omentielvo « une étoile brille sur l’heure de notre rencontre » (LotR, vol. I, p. 90)
  • Anar kaluva tielyanna « le soleil brillera sur votre route » (UT, p. 22, 51)
  • Sindanóriello caita mornië i falmalinnar « hors d’un pays gris l’obscurité s’étend sur les vagues écumantes » (LotR, vol. I, p. 394)
  • Enwina lúme elenillor pella talta-taltala atalantëa mindonnar « l’ancienne obscurité d’au-delà des étoiles qui tombe sur les tours effondrées » (OM3)
Notez cependant que dans toutes ces phrases, le sujet atteint le nom à l’allatif à partir d’une distance (généralement du dessus), qui requiert un mouvement du sujet. Ainsi les cieux fléchissent/se courbent vers les collines, l’étoile/le soleil brille vers l’heure/la route ; l’obscurité coule du pays vers les vagues, ou tombe d’au-delà des étoiles vers les tours. Cette distinction peut avoir été la raison pour laquelle Tolkien altéra la salutation de Frodo à Gildor pour employer l’allatif plutôt que le locatif : Eleni silir lúmesse omentiemman « Les étoiles brillent sur l’heure de notre rencontre » (RS, p. 324).
30) Sur la possibilité d’une connexion interne entre ces terminaisons remarquablement similaires -nta, -nda et -nna, notez que la forme verbale numenda- mentionnée plus haut est donnée comme une variation radicale de númeta-, ainsi donc la forme -nta pourrait représenter le mélange de -nda avec le synonyme -ta. Et si nous le traitons comme un changement interne ou un changement « externe », le changement de -nda en -nna rend clairement le modèle des cas locaux comme un groupe plus systématique, avec une double consonne dans chacun d’eux -sse, -nna et -llo.
31) Le -r final dans elenillor est certain, comme attesté par Rayner Unwin dans une lettre (Beyond Bree, mars 1986) dans laquelle il déclare que selon Christopher Tolkien OM3 existe en « deux textes distincts, tous deux tapés à la machine, et tous deux soigneusement corrigés, et tous deux ayant elenillor ».
32) Avec nahamna, akamna et kamindon se comparent un certain nombre de bases dans « Les Étymologies » commençant par KA- ou KHA- et toutes avec le sens basique « s’allonger au repos » : KHAM- « s’asseoir », KAY- « se coucher », KHAW- « se reposer, s’allonger à l’aise » et KHAG- (> nol. hauð « tertre, tombeau, tombe »). Ainsi *kam- pourrait signifier « se coucher devant un autre, se prosterner ». Notez également que le suffixe adverbial anglais -ly associé à kamindon dérive étymologiquement du vieil anglais -líc et -líce, suffixes de formation d’adjectif et d’adverbe apparenté à ge-líc « comme, semblable, similaire ».
33) N.d.T. : Littéralement comme-(un)-papillon.
34) N.d.T. : Littéralement comme-(des)-papillons.
35) Carl Darling Buck, dans sa Comparative Grammar of Greek and Latin (p. 350), note que le grec -δον et son parent latin -dam (comme dans quodam « une fois ») dérivent du radical pronominal *do-.
36) N.d.T. : Ce tableau a été étudié plus en détails dans l’article « The Entu, Ensi, Enta Declension » rédigé par Christopher Gilson dans le Vinyar Tengwar no 36, p. 7—29.
37) N.d.T. : Le français n’échappe pas à cette règle avec la terminaison adjectivale -ique.
38) N.d.T. : fr. poétique, angélique et adunaïque.
39) N.d.T. : Et -if en français.
40) N.d.T. : Bien que n’étant visiblement pas apparenté, il est intéressant de noter que par la suite, le verbe conjugué à l’aoriste polin « je peux (je n’ai aucune gêne physique) » a été publié dans le VT no 41, p. 6.
41) N.d.T. : Cette liste a depuis été publiée dans le Parma Eldalamberon no 12, p. 75.
42) Polisimpe est donc littéralement « flûte d’avoine », avec *-simpe « flûte » clairement apparenté au second élément dans Solosimpë « les Flûtistes du Pays Côtier » tout comme simpa, simpina « pipeau, flûte » < SIPI « siffler, jouer de la flûte », LT1, p. 265—256. Un nom anglais oat-pipe [angl. oat « avoine » + angl. pipe « flûte, pipeau », N.d.T.] (également aot-reed [angl. reed « roseau, jonc », N.d.T.]) est donné dans le OED, qui est défini comme « un instrument de musique fait d’une tige de roseau ».
43) La différence entre syllabes fermées et ouvertes est décrite dans « Proto-Eldarin Vowels : A Comparative Survey » par Christopher Gilson et Bill Welden, Introduction to Elvish p. 117 n. 9 : « Nous divisons les syllabes devant les consonnes médiales simples, et entre les paires de consonnes médiales. Une syllabe fermée est une syllabe qui se termine par une consonne. Hil-din-yar, An-ger-thas contiennent uniquement des syllabes fermées ; lo-en-de, ae-a-ron contiennent chacun les deux ».