Túrin et Elric - S. Veyrié

Túrin (© Anke Eissmann)

Fils des rois de ces temps, fils héritiers de trônes,
Leur Destin fut antan séparé de tout autre,
Ils sont toujours tentant batailles, princes qui prônent
Face au nœud gordien, la Gloire. D'elle les apôtres,
Ils en sont les gardiens. Habiles, puissants, braves, souples,
Rusés tels leurs ancêtres, fiers comme leurs aïeuls,
Leur Destin, d'eux les maîtres, font un féroce couple.
Malheur tant pour les traîtres, qu'à ceux qui les accueillent !

L'un est né en une cité nommée Dor-lómin.
Son père, seigneur du lieu, fut le plus grand guerrier
Que jamais Arda ait pu voir, soit qu'il lamine
Les rangs des trolls, soit qu'il mène les siens, marié
A la plus dure, la plus incisive des filles
Des humains, Morwen à la noire chevelure.
Ce père partit un jour, quittant sa famille.
Sauvant Gondolin, il fut pris avec allure.

L'autre naquit successeur du chaos mystique
D'un clan, antan conquérant, cruel, décadent.
Sur le trône, l'Empereur, monarque despotique
N'a plus qu'un reste de l'Empire sous la dent.
Et la grandeur d'Imrryr, ancien centre du Monde
En l'île de Melniboné, est plus que pieux
Regrets et envie, car dragons et chaos sondent
La puissance de ce peuple, fier, fort et furieux.

Ils héritèrent d'un peuple, tous deux le trahirent,
Tous deux le condamnèrent. Ils choisirent l'exil,
Laissant les leurs en de mauvaises mains, partirent
De part le vaste monde. Ils virent maintes villes,
Contrées, pays, elzévirs, beautés et cités,
En gardant toujours la terrible nostalgie
Des origines, et du remord, toujours cité,
Du Destin que ne peut vaincre nulle magie.

Cette voie les mena vers leur future femme.
Chacun, à travers le malheur, la mort d'amis
Reçut, en gage de la Légende, une lame,
Une noire épée, un innommable semi.
Ces fers, noirs comme le jais, possédaient une âme,
Malicieuse, esprit suceur, assoiffée de sang,
Vampire accroissant leur force, leur esprit, leur flamme,
Epées de pouvoir donnant la mort par deux cents.

Alors ils devinrent légendes. À leur approche,
Tous fuyaient, amis fidèles, ennemis mortels,
Les premiers de peur qu'à eux le Destin s'accroche,
Les seconds face à l'épée qui sur eux martèle
Sans pitié, sans merci. Glorieux, beaux, héroïques,
Apportant partout la désolation, consciences
Tiraillées de remords, sentiment colérique,
Ils erraient, cherchant un bonheur vu par prescience.

Ce bonheur, ils le voulaient, et tout leur esprit
Était tourné vers ce but, sans cesse et sans trêve,
Et sans espoir, car leur histoire leur apprit
Que nul ne bat le fil du Destin, et le rêve
De lutter avec le fil de l'épée, chimère.
Parfois il sembla là, ce bonheur désiré,
Mais alors la Destinée revint, mère amère
Des secrets désespoirs, rejetons inspirés.

Leur dénouement commun, vers qui ils vont enfin,
Inéluctablement vient, douce délivrance.
Ce dénuement de l'être, torture qui prend fin,
Amène à leur bouche un goût de salive rance.
Leur lame maudite, trompant l'amitié funeste
Les transperça l'un et l'autre, scellant leur Destin.
Elles burent leur âme, qui vint s'ajouter au reste
De leurs propres victimes, s'adjugeant un festin.

Ainsi finit cette folle et furieuse affaire.
Elric, roi des dragons, Empereur albinos
Empalé par le vouloir de son propre fer,
Tout comme son jumeau, à la maîtrise fausse,
Túrin Turambar Adanedhel Mormegil,
Qui lui aussi tenta en vain de se soustraire
A sa funeste Destinée, charrette agile.
Enfin en paix, jamais ils ne se rencontrèrent.

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arts/poemes/veyrie_s/turin_et_elric.txt · Dernière modification: 06/04/2020 18:47 (modification externe)
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