L’Ombre d’une ombre : De l’« Akallabêth » rédigée par J. R. R. Tolkien à celle lisible dans le Silmarillion

Julien Mansencal – Mai 2012
Articles de synthèseArticles de synthèse : Ces articles permettent d'avoir une vue d'ensemble du thème traité mais ils nécessitent une bonne connaissance des principales œuvres de J.R.R. Tolkien.

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L'Arc et le Heaume n°3 - Númenor.

L'Arc et le Heaume n°3 - Númenor

La quatrième partie du Silmarillion, l’« Akallabêth », retrace de manière brève toute l’histoire de Númenor, de ses origines à sa disparition. Ce texte trouve ses origines dans « La Chute de Númenor », rédigée par Tolkien dans les années 1930 en lien avec son roman ébauché la Route perdue. Si celui-ci fut abandonnée après quelques chapitres, Tolkien continua à travailler sur Númenor, qui devint, au fil de l’élaboration du Seigneur des Anneaux, le maillon reliant l’époque de la « Quenta Silmarillion » à celle du Hobbit, le Deuxième Âge intercalé entre le Premier et le Troisième.

Au milieu des années 1940, Tolkien ébaucha un nouveau roman lié à Númenor, Les Archives du Notion Club (The Notion Club Papers), qui connut le même sort que la Route perdue. Les Archives allèrent de pair avec une évolution conséquente de l’histoire de Númenor, qui aboutit à plusieurs versions d’un texte intitulé « La Submersion d’Anadûnê » (The Drowning of Anadûnê), lequel dépeint les événements du Deuxième Âge d’un point de vue exclusivement humain. Ce texte constitue le socle de l’« Akallabêth » tel qu’on le connaît à travers le Silmarillion : Christopher Tolkien estime qu’environ trois cinquièmes de la seconde version de « La Submersion d’Anadûnê » réapparaissent à l’identique dans l’« Akallabêth » (SD, p. 376).

L’« Akallabêth » même, qui abandonne l’idée d’un point de vue purement humain, a connu trois versions différentes successives. On y voit émerger la lignée des rois de Númenor telle qu’elle apparaît dans les appendices du Seigneur des Anneaux, ce qui permet de dater ce texte de la fin des années 1940, et probablement de l’automne 1948.

Ici comme dans le reste du Silmarillion, le lecteur francophone a devant lui un texte déformé par deux filtres. Le premier est celui du travail éditorial de Christopher Tolkien et Guy Gavriel Kay, lesquels ont procédé à de nombreux ajouts, modifications ou omissions dans un but de cohérence générale. Le second est celui de la traduction de Pierre Alien, souvent décriée, qui ajoute encore son lot d’erreurs et d’oublis au texte. Ainsi, ce lecteur n’a guère accès qu’à « l’ombre d’une ombre » de l’« Akallabêth », parfois bien éloignée du texte d’origine.

Cet article se veut donc un recensement des modifications apportées par Christopher Tolkien au texte de son père, d’une part, et des erreurs de traduction de l’édition française1) d’autre part. Pour les premières, la source indispensable est the Peoples of Middle-earth, douzième volume de l’Histoire de la Terre du Milieu, où Christopher Tolkien revient sur son travail éditorial. Les secondes ont été patiemment débusquées par l’auteur à travers une comparaison page à page d’une édition de poche anglaise (HarperCollins, ISBN 0-261-10273-7) et française (Pocket, ISBN 2-266-12102-2) du Silmarillion.

La main de l’éditeur : Notes sur l’« Akallabêth » édité par Christopher Tolkien

Les modifications apportées par Christopher Tolkien peuvent être réparties en trois catégories, chacune identifiée par un petit symbole dans le cadre de cet article :

# : corrections plus ou moins profondes
: ajouts d’éléments tirés d’autres versions ou d’autres textes
✘ : omission de passages plus ou moins longs
La flèche ← indique le passage du texte original de Tolkien père (à droite) à celui du Silmarillion publié (à gauche), qui a parfois pu être retraduit (voir les errata pour plus d’informations). La flèche → indique la même chose, dans l’autre sens.

§1 Les Eldar racontent…
✘ Le texte original commence ainsi : « Des Hommes, Ælfwine, les Eldar disent qu’ils vinrent au monde au temps de l’Ombre de Morgoth… »
Cette adresse à Ælfwine a été supprimée par Christopher Tolkien, ainsi que toutes les autres contenues dans le texte (cf. §81, §86). Tolkien conçut l’« Akallabêth » comme un récit fait à Ælfwine d’Angleterre par Pengoloð lors du séjour du premier à Tol Eressëa, et bien qu’ailleurs, Tolkien ait attribué ce texte à Elendil (Contes et légendes inachevés, p. 256), cette version des faits n’est répercutée dans aucun texte.
# « ils furent nommés les Edain en langue sindarine » ← « et les Noldor les nommèrent Edain »
Tolkien envisagea longtemps que les Noldor exilés aient continué à utiliser leur propre langue, le noldorin, en Beleriand. Par la suite, il changea d’idée et, moyennant quelques ajustements, fit du noldorin le sindarin. Le texte de l’« Akallabêth » date donc d’avant cette modification radicale de l’histoire linguistique des Elfes. Christopher Tolkien a apporté une modification similaire au §6, et son père lui-même a corrigé une occurrence de « noldorin » en « des Elfes » au §9.

§2 C’est d’eux que descendit…
Ajout du nom Rôthinzil pour le Vingilot, à partir de « La Submersion d’Anadûnê ».

§3 Dans la Grande Bataille…
✘ Le texte du Silmarillion omet ici deux références à Eönwë, le héraut de Manwë. Dans le texte original, c’est lui qui renverse Morgoth et qui est rejeté par les Hommes de la Terre du Milieu (« repoussant les invites d’Eönwë [→ des Valar dans le texte publié] comme de Morgoth »). Christopher Tolkien estimait en effet qu’Eönwë, qui jouait à l’origine un rôle majeur dans les événements de la fin du Premier Âge en tant que fils de Manwë, aurait pu voir son importance revue à la baisse si son père avait pu terminer sa révision du Silmarillion. Il décida donc de diminuer la présence du personnage, ici et dans le dernier chapitre de la « Quenta Silmarillion », en supprimant plusieurs apparitions de son nom ; un traitement qu’il a par la suite estimé être une erreur.

§4 Or donc, Manwë rejeta Morgoth…
✘ Un fragment de phrase a été omis après « une existence plus longue qu’aucun mortel avant eux ». Tolkien précisait que les Dúnedain vivaient trois fois plus longtemps que les Hommes de la Terre du Milieu, et que les descendants de Hador reçurent une durée de vie encore plus longue. Christopher Tolkien a par la suite jugé cette coupe comme n’étant « guère nécessaire ».

§5 Alors les Edain firent voile…
✘ Une partie du début du paragraphe a disparu. L’original donne : « Alors les Edain rassemblèrent tous les navires, grands comme petits, qu’ils avaient construits avec l’aide des Elfes, et ceux qui souhaitaient partir emmenèrent leurs femmes, leurs enfants et toutes les richesses qu’ils possédaient et ils firent voile sur les eaux profondes en suivant l’Étoile. »
Christopher Tolkien lui-même n’est plus certain des raisons de ce changement, mais estime avoir pu être influencé par un extrait de la « Description de Númenor » (coupé dans Contes et légendes inachevés), où il est dit que les navires employés par les Edain étaient d’origine eldarine, et que chacun avait à son bord un navigateur elfe.

§6 Ce furent les débuts de ce peuple…
# « que la langue des Elfes Gris appelle Dúnedain » ← « que les Noldor appellent Dúnedain » (cf. §1)

§7 Autrefois la plus grande ville…
✘ Une note de bas de page apposée au nom Armenelos, supprimée par Christopher Tolkien, précisait son nom adûnaïque : Arminalêth.

§8 Or, Elros et son frère Elrond…
#« descendaient des Trois Maisons des Edain » ← « descendaient des lignées de Hador et de Bëor »
# « plusieurs fois la vie des Hommes de la Terre du Milieu » : tous les textes donnent « sept fois », mais Tolkien corrigea « sept » en « trois » sur une copie, tout en rejetant apparemment l’idée selon laquelle Elros vécut 500 ans. « Plusieurs fois » est un compromis éditorial.

§9 Ainsi les années passaient…
# « et ils pouvaient ainsi converser avec les Eldar, qu’ils fussent d’Eressëa… » ← « et ils restèrent donc grands amis des Eldar, qu’ils fussent d’Avallon » (la mention d’une « amitié » a également été supprimée dans les §12 et §29)

§12 Car, en ce temps, Valinor…
Christopher Tolkien introduit le nom de Celeborn, l’Arbre Blanc d’Eressëa, et précise que Galathilion, l’Arbre Blanc de Tirion, était une « image » de Telperion (le texte original parle simplement d’un « souvenir »). Par la suite, il a jugé superflu ce dernier ajout, qui entre effectivement en contradiction avec le Seigneur des Anneaux (où il est dit que Galathilion provient d’un fruit de Telperion).

§13 C’est donc à cause de l’Interdit des Valar…
✘ Un passage a été omis après « leur apprirent beaucoup » : « Ils leur enseignèrent le langage, car les langues des Hommes de la Terre du Milieu, hormis dans les anciennes terres des Edain, avaient sombré dans la barbarie, et ils poussaient des cris stridents d’oiseaux ou des grognements de bêtes sauvages. »

§17 D’autres dirent encore…
« le bonheur des Puissants » ← « le bonheur des Grands »
« un des plus grands peuples d’Arda » ← « un des plus grands peuples de la Terre »

§21 Et ils répondirent…
# Tolkien emploie, dans la réponse du Messager, le pronom thou (une forme archaïque de tutoiement en anglais) lorsqu’il s’adresse au roi seul, mais you lorsqu’il évoque le peuple númenóréen dans son ensemble. Christopher Tolkien a systématiquement remplacé thou par you (voir aussi sous le §57).

§23 Et les Messagers…
# « dans les Cercles du Monde » ← « dans le giron de la Terre »
# « l’amour d’Arda » ← « l’amour de cette Terre »

§28 Les Amis des Elfes prirent peu de part…
#✘ La fin du paragraphe a été réécrite par Christopher Tolkien. L’original donne :

Mais les Hommes du Roi allaient loin vers le sud, et bien que les royaumes et les places fortes qu’ils fondèrent aient laissé maints souvenirs dans les légendes des Hommes, les Eldar n’en savent rien. Ils ne se rappellent que Pelargir, car là se trouvait le havre des Amis des Elfes, au-dessus des bouches du Grand Anduin.

Christopher Tolkien justifie cette correction par la suppression du contexte « eldarin » de la légende, à travers le retrait des adresses de Pengoloð à Ælfwine.

§29 À cette époque, comme il est dit ailleurs…
« au temps où l’Anneau Unique avait été forgé et où Sauron faisait la guerre aux Elfes d’Eriador »

§31 L’Ombre qui planait sur Númenor…
# Le texte original indique qu’Ar-Adûnakhôr est le vingtième roi et Ar-Gimilzôr le vingt-troisième. Toutefois, en se basant sur les appendices du Seigneur des Anneaux, Christopher Tolkien modifia ces nombres en « dix-neuvième » et « vingt-deuxième », respectivement. Par la suite, il comprit que la liste des rois de Númenor incluse dans les appendices était erronée, son père ayant oublié le roi Tar-Ardamin (voir la note 11 à « La Lignée d’Elros » dans Contes et légendes inachevés). En conséquence, les nombres originaux ont été rétablis silencieusement dans une édition anglaise ultérieure du Silmarillion. Voir aussi sous le §38.

§33 Après ceux de la Maison du Roi…
✘ Deux notes sur les Seigneurs d’Andúnië ont été coupées : la première expliquait qu’ils prenaient des noms en quenya et étaient les seuls, avec les rois, à agir ainsi, et la seconde revenait sur la loi de succession au trône de Númenor (cf. « Aldarion et Erendis »).

§37 Et il arriva que Tar-Palantir mourut…
# Le nom adûnaïque de Míriel a été systématiquement corrigé (ici, mais aussi dans Contes et légendes inachevés) : Ar-Zimrahil devient Ar-Zimraphel. Ce dernier nom n’apparaît qu’en une occurrence dans la dernière version du texte.

§38 Ar-Pharazôn le Vermeil…
# Les premières éditions du Silmarillion dénombrent « vingt-trois rois » au lieu de « vingt-quatre » ; Christopher Tolkien a par la suite rétabli le nombre original, qu’il avait corrigé à tort. Cf. §31.

§41 Les Hommes virent ses voiles surgir du couchant…
# « rehaussées d’or et de vermillon » ← « rehaussées d’or vermillon » (une simple étourderie, selon Christopher Tolkien)_
# « Umbar, le puissant port des Númenóréens que nulle main n’avait façonné » ← « Umbar, le puissant port que nulle main n’avait façonné »
# « Les terres alentour étaient vides et silencieuses lorsque le Roi de la Mer s’avança sur la Terre du Milieu » ← « Les alentours étaient vides et silencieux sous le croissant de lune lorsque le Roi de la Mer posa le pied sur le rivage » Ces deux dernières corrections prennent en considération le fait qu’Umbar était un port númenóréen depuis plus d’un millénaire lorsque Ar-Pharazôn y débarqua (cf. l’Appendice B du Seigneur des Anneaux). Christopher Tolkien présume que ce fait n’avait pas encore émergé au moment de la rédaction de l’« Akallabêth ».

§53 Néanmoins les Númenóréens crurent longtemps…
# « les rois bienveillants de jadis » ← « les rois bienveillants des Jours Anciens » (correction probablement due à la crainte d’une confusion avec le Premier Âge)

§57 L’époque est sombre…
# Le texte original donne « il n’y a plus rien à espérer des Hommes » (there is no hope in Men) et non « il n’y a plus d’espoir pour les Hommes » (there is no hope for Men) — une correction mineure que Christopher ne s’explique pas, probablement une simple étourderie.
# Dans le dialogue entre Amandil et Elendil (§57–65), Tolkien semble avoir voulu que le père emploie thou et le fils you, mais les pronoms sont employés de manière inconsistante. Christopher Tolkien a remplacé tous les thou par des you (voir aussi sous le §21).

§76 De la Montagne, Manwë
# « les rênes d’Arda » ← « les rênes de la Terre »

§77 Le pays d’Aman et l’île d’Eressëa
✘ Deux mentions des « cercles du monde » ont été supprimées.

§81 Plus tard, Elendil et ses enfants…
✘ Suppression d’une adresse à Ælfwine : « Et ainsi s’achève ce conte, Ælfwine, en parlant d’Elendil et de ses fils, qui fondèrent par la suite des royaumes en Terre du Milieu… »

§83 Mais cela ne fait pas partie du récit…
Christopher rétablit Akallabêth dans la liste des noms de Númenor après sa submersion ; son père l’avait retiré au profit de Mar-nu-Falmar.

§84 Beaucoup des Exilés croyaient…
# Le texte original diffère profondément de celui du Silmarillion publié :

Mais si tu désires savoir, Ælfwine, avant de partir, pourquoi se fait-il que les hommes de la semence d’Eärendil, ou ceux à qui une part, aussi mince soit-elle, de leur sang est échue, comme c’est ton cas, s’aventurent toujours sur la Mer, en quête de ce qui ne peut être trouvé, ceci encore je te dirai.
Le sommet du Meneltarma, le Pilier des Cieux au coeur des terres, était un lieu saint, et nul ne l’avait profané même au temps de Sauron. Ainsi, beaucoup des Exilés croyaient qu’il n’avait pas sombré à jamais, qu’il se dressait à nouveau au-dessus des vagues comme une île solitaire perdue sur l’océan, sauf si un marin par chance l’abordait. Et il y en eut pour partir à sa recherche, car il se disait parmi les sages que les hommes de jadis qui avaient la vue perçante pouvaient voir depuis le Meneltarma un reflet du Pays Immortel.

§86 Plus tard donc…
# « pour atteindre Tol Eressëa, l’Île Solitaire » ← « pour atteindre Eressëa où demeurent les Elfes immortels »
Les lampes et les quais d’Avallónë sont un ajout provenant de la conclusion de la « Quenta Silmarillion » de 1937 (cf. RP, p. 334).
✘ Le texte original se conclut sur une adresse à Ælfwine, une nouvelle fois omise :

Et si tous ces récits sont faux, ou si certains du moins sont vrais, et qu’à travers eux les Valar préservent un souvenir d’au-delà des ténèbres de la Terre du Milieu parmi les Hommes, à présent le sais-tu, Ælfwine, en ton for intérieur. Et pourtant nul ne te croira sans doute jamais.

La main du traducteur : Corrigenda de la traduction de l’« Akallabêth » par Pierre Alien

Commençons par le plus bénin, les coquilles. En vrac : Avallone, Númenoréens, Gralathilion, Ulairi, Romenna, Andunië, Armanelos, Edlar… Cette liste ne se veut pas exhaustive, d’autant que certaines ont pu être corrigées dans des éditions ultérieures du Silmarillion.

Il y a des majuscules oubliées. Cela peut paraître anodin, mais l’oublier à « Celui » quand on parle d’Eru (§19) est lourd de conséquences ! Elles sont encore omises à « Terres Immortelles » (§12), « Immortels » (§22), « Lieu Béni » (Hallow, §24, nous y reviendrons), « Âge » (§29, improprement traduit en « époque ») « Sceptre » (§38), « Héritier » (§40) et « Ouest » (§74). Pour finir en beauté, the Eye of Sauron the Terrible devient « le regard du terrible Sauron » (§82). À côté de cela, des mots qui n’avaient rien demandé en récupèrent une, à l’image de « Messagers » (§18 ; toutefois, le mot prend par la suite la majuscule aux §22-23), « Humains » (§41), « Rebelles » (§44) ou « Intérieur » (§74).

Le respect des temps semble avoir été le cadet des soucis du traducteur. Lorsqu’on sait à quel point ce détail posa des problèmes à Tolkien, puis à son fils, la façon dont le texte français gomme systématiquement cette difficulté a quelque chose d’effarant. Ainsi, les verbes des phrases « et il ne pouvait plus revenir sur le monde, en personne et visible, tant que les Seigneurs de l’Ouest seraient sur leur trône » (§4), « Les Valar ne pouvaient leur enlever le don de la mort que les Humains devaient à Ilúvatar » (§6), « du pays où toutes choses duraient » (§11) et « où les Valar vivaient encore et contemplaient le déroulement de l’histoire du monde » (§87) sont conjugués au présent dans le texte original.

Il y a quelques approximations. Notamment, « nuit » revient fréquemment pour traduire shadow (§6), darkness (§26, §52, §75, §84), voire le terme héraldique sable (§73), et les hills de l’original se transforment souvent en « montagnes » (§70, §75, §78). On trouve encore de fréquentes apparitions de « langage » pour traduire tongue, en lieu et place de « langue » — les deux termes français n’ont pas du tout le même sens.

Certains choix de traduction sont discutables (et ont été amplement discutés), à l’image de Terres du Milieu, Humains et Orcs, qui ne sont pas vraiment notre sujet et que l’on se contentera de mentionner, pour préciser que les derniers choix de traduction effectués par Daniel Lauzon pour l’Histoire de la Terre du Milieu ont été suivis dans cet article (donc Terre du Milieu, Hommes et Orques).

On trouve des choix curieux. Ce ne sont pas nécessairement des erreurs, mais il y avait peut-être moyen de mieux faire :

  • §2 : Bright Eärendil devient « Eärendil l’Ardent » (l’Étincelant, le Brillant ?)
  • §4 : « il [Eönwë] leur donna la sagesse… » ? Sauf qu’en V.O., they were given, ce qui n’indique pas par qui.
  • §4 : the life of the Firstborn devient « la vie éternelle » (pourquoi ? il y a certes répétition, mais c’est un effet de style…)
  • §5 : Elenna, Starwards devient « Elenna, la Route de l’Étoile ».
  • §8 et 20 : fore-mothers et fore-fathers deviennent « grands-mères » et « grands-pères » — « aïeul(le)s » serait plus exact dans les deux cas.
  • §24 : But Atanamir was ill pleased devient « déplurent au Roi », qui n’est plus nommé.
  • §24 : Hallow devient « lieu béni ». Pourquoi pas « Sanctuaire » ?
  • §30 : les three great lords of Númenórean race (« trois grands seigneurs de race númenóréenne ») deviennent « trois grands seigneurs de Númenor », ce qui est légèrement différent.
  • §38 et 50 : Golden devient « Vermeil » : surtraduction.
  • §39 : Westernesse devient « Occidentaux ». Mieux vaudrait « Occidentale », au vu du risque de confusion avec les Valar…
  • §66 : heirlooms devient « biens de valeur » au lieu de « biens de famille ».
  • §73 : dans la version originale, Ar-Pharazôn hardened his heart : il s’endurcit, il s’arma de courage. Dans la traduction, il « rassembla ses esprits » ?

N’oublions pas les oublis :

  • §2 : un mot a été mangé : « alors que la victoire de Morgoth était presque accomplie ».
  • §13 : après « moudre le grain », les Númenóréens apprirent également aux Hommes de la Terre du Milieu « à tailler le bois et à façonner la pierre » (in the hewing of wood and the shaping of stone).
  • §67 : la description du nuage en forme d’aigle omet ses « ailes s’étendant vers le nord et le sud » (with pinions spread to the north and the south).
  • §59 : Sauron se voit adjoindre le sobriquet the Deceiver (« le Trompeur ») dans l’original.
  • §74 : la musique (music) est oubliée dans le catalogue des choses perdues.
  • §87 : Ancient West devient simplement « l’Ouest ».

Pour finir en beauté, les erreurs pures et simples :

  • §4 et 9 : the High Eldarin tongue devient « l’Ancien Langage des Eldar/Eldarin ».
  • §6 : Grey-elven speech devient « la langue des Elfes Verts ».
  • §9 : contresens visible : c’est clairement le savoir des Númenóréens qui est « oublié », non pas leur royaume.
  • §15 : les Eldar ne se sont pas révoltés contre « leurs » Seigneurs, mais contre « les » (the) Seigneurs. Pinaillage ? Non : à ce stade, les Númenóréens n’ont pas encore rejeté les Valar.
  • §31 : nous avons évoqué plus haut le problème de numérotation des rois de Númenor. La traduction française vient encore compliquer le problème, puisque Ar-Adûnakhôr y est le vingtième roi et Ar-Gimilzôr le vingt-deuxième, alors que deux rois sont censés les séparer…
  • §32 : les Valar « se détournèrent » des Rois ? Pour Tolkien, the Valar were wroth, un sentiment beaucoup plus fort : les Valar sont furieux !
  • §36 : la mort de Gimilkhâd n’apporte no peace to the King dans la version originale, mais « pas la paix au royaume » dans la traduction…
  • §41 : Umbar, the mighty haven of the Númenóreans that no hand had wrought, devient « le plus grand port jamais construit par les Númenoréens », au lieu de « le puissant port que nulle main n’avait façonné » !
  • §41 : a field of tall flowers devient « une forêt de hautes tours » au lieu d’« un champ de grandes fleurs ».
  • §43 : « mais Ar-Pharazôn ne s’y trompa pas » oublie le yet (« encore ») de la phrase originale (mineur, mais le diable se cache dans les détails, n’est-ce pas ?)
  • §46 : It is he whose name is not now spoken signifie « C’est celui dont le nom n’est plus prononcé à présent », mais a été traduit par « C’est celui dont on parle maintenant » !
  • §47 : traduire the Dark par « le Ténébreux » et non « les Ténèbres » est visiblement erroné, surtout que la suite précise and of Melkor the Lord thereof (gommé dans la traduction).
  • §57 : Amandil ne part pas demander « leur » aide, aux Valar, mais bien celle (his) de Manwë en particulier.
  • §82 : Pierre Alien semble avoir cru que le great Ring de Sauron correspondait aux « fortifications » de Barad-dûr, alors qu’il s’agit bien entendu de l’Anneau Unique. Erreur lourde de sens lorsqu’on sait à quel point la question de savoir si oui ou non, Sauron avait emporté l’Unique lors de son séjour à Númenor a fait couler de l’encre.

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1) N.d.E : Il s'agit ici de la première traduction française par Pierre Alien en 1978, désormais une seconde traduction par Daniel Lauzon a été publiée en 2021.
 
essais/legendaire/ombre_akallabeth_silmarillion.txt · Dernière modification: 09/08/2022 18:45 par Zelphalya
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