Les numéraux de Fëanor

 Deux Anneaux
Damien Bador
Article de synthèse : Ces articles permettent d’avoir une vue d’ensemble du thème traité mais ils nécessitent une bonne connaissance des principales œuvres de J.R.R. Tolkien.

Introduction

Même si aucun d’entre eux ne fut publié de son vivant, Tolkien développa plusieurs systèmes numériques pour les alphabets de son invention. Il fait d’ailleurs allusion à un mode numérique des tengwar dans la Lettre no 344 :

« J’ai effectivement développé des signes numériques pour accompagner l’alphabet fëanorien, adaptés à une nomenclature décimale et duodécimale, mais je ne les ai jamais utilisés et ma mémoire n’est plus très claire à leur sujet. J’ai peur que le dossier contenant les systèmes numériques ne soit pas disponible et puisse être enfermé dans une chambre forte. »1)

Les plus anciens systèmes numériques inventés par Tolkien sont associés aux sarati. Ils furent publiés dans le PE 13, p. 5–89 et étudiés en détail dans un article d’Helios de Rosario Martínez, « Les Numéraux rúmiliens ». Plusieurs chiffres en cirth sont aussi attestés sur les fac-similés des pages du Livre de Mazarbul. Dan Smith les présente dans son essai sur « L’Angerthas Erebor ». Enfin, il existe une variété de numéraux tengwar qui figure sur la dernière version de la Lettre du Roi. Il pourrait s’agir d’un mode numérique spécifique au Gondor. Il fut analysé et reconstitué par Per Lindberg dans un court article intitulé « Numéraux tengwar dans la Lettre du Roi ».

Par ailleurs, Christopher Tolkien communiqua des renseignements sur le système numérique des tengwar aux éditeurs du magazine Quettar. Bien qu’on dispose de très peu de détails sur l’utilisation de ces chiffres et les circonstances de leur invention par Tolkien, il est permis de penser qu’il s’agissait là du système le plus courant, puisqu’il est sous-entendu qu’il était employé par tous les Peuples Libres, Elfes, Nains et Hommes. Ce système comprend deux méthodes, l’une alphabétique pour noter les nombres inférieurs ou égaux à vingt-quatre, l’autre purement numérique. Cette dernière comportait deux variantes, selon qu’était utilisé une base décimale ou duodécimale.

Méthode alphabétique

Christopher Tolkien indique que « [p]our les énumérations, en particulier dans des listes ou des séries, les lettres jusqu’à 24 […] étaient fréquemment utilisées, avec ou sans signe spécifique, comme . . »2) Cette méthode d’énumération était donc comparable à la manière européenne de noter les items d’une liste « a. b. c… » Dans la mesure où le système original de Fëanor comptait un tyellë de plus pour noter les tengwar dotés d’un telco étendu, le tengwa ne pouvait alors être considéré comme le vingt-quatrième caractère des tengwar. Il faut donc supposer que cette méthode d’énumération était comparativement récente et fut inventée en Terre du Milieu.

Méthode numérique

Dans l’Appendice D du SdA, Tolkien indique que « [l]es Eldar préféraient compter par six et par douze autant que possible. »3) De cette préférence découle une caractéristique des chiffres fëanoriens, qui sont « arrangés en triades » regroupant trois chiffres consécutifs. Le premier chiffre de chaque triade constitue la base dont son dérivés des deux autres, et la méthode de dérivation est similaire pour les trois premières triades. (La triade finale du système duodécimal, qui comprend les chiffres 10, 11 et 12, est spécifique à plusieurs égards.) Comme le souligne Tolkien dans la Lettre no 344, le système elfique de dénombrement suivait une notation positionnelle, comme pour les chiffres arabes (et contrairement aux chiffres grecs ou romains, par exemple).

Système décimal

Le système décimal, nommé maquanotie ou kaistanótie en quenya, fut la première base de dénombrement adoptée par les Elfes. Bien que ceux-ci aient ultérieurement développé un système duodécimal pour des raisons arithmétiques, le système décimal resta dans l’usage commun :

« En dépit de leur intérêt […] ultérieurement prédominant dans et pour l’emploi de six-douze (comme unités de groupe) ils ne développèrent pas de nomenclature duodécimale complète, quoiqu’ils inventèrent (après la période eldarine commune pour les nombres supérieurs à 12) des noms spéciaux pour les multiples de six fois six. Parmi ceux-ci, 18 et 24 étaient aussi d’usage quotidien, de même que la “grosse” 144 et 72 la demi-grosse. »4)

Selon Christopher Tolkien, « [a]u Troisième Âge les Hommes de l’Ouest utilisaient principalement le système décimal, bien que leurs numéraux présentassent l’influence des six & des douzes de l’usage eldarin et nanesque. »5) Cette remarque sur l’influence du système duodécimal vise peut-être les mentions de « douzaine » et de « grosse », unités de dénombrement qui semblaient d’usage courant chez les Hobbits.6) Le tableau du système décimal des tengwar présenté ci-dessous se base sur les informations fournies dans le Quettar no 13 :































0 1 2 3 4 5 6 7 8 9

La plus petite des unités était notée en premier et la plus grande en dernier, conformément au système de comptage défini par la « Early Qenya Grammar », où l’ordre des nombres figurant en toutes lettres (en caractères latins) va aussi du chiffre le moins signifiant au plus signifiant, comme pour yúyo yukainen « vingt-deux », litt. « deux [et] vingt » ou kea tuksa « cent dix », litt. « dix [et] cent »7). Dans ce système, le nombre 119 devait ainsi s’écrire « 911 », soit .

Il était possible d’omettre les points permettant d’identifier les numéraux s’il n’y avait pas risque de confusion. Une série de chiffres au milieu d’un texte pouvait aussi être indiquée par une ligne horizontale au-dessus des numéraux. Contrairement aux sarati, les chiffres ne se rattachaient pas à la barre. Un nombre comme 3441 (l’année finale du Deuxième Âge) pouvait donc être écrit ou selon le contexte.

Système duodécimal

Comme signalé plus haut, un système duodécimal fut élaboré par les Elfes, mais ne gagna jamais suffisamment en popularité pour remplacer le système décimal antérieur. Il semble n’avoir été utilisé que pour des applications arthimétiques spécifiques :

« À une époque (probablement) ultérieure, les Eldar désormais pourvus d’un système numérique fermement établi sur les “décimaux” manuels 5, 10, s’intéressèrent aux sizaines et un mot pour 6 fois 2 (12) était déjà élaboré avant la fin de la période eldarine commune. »8)

En revanche, Christopher Tolkien nous informe que les Nains utilisaient exclusivement le système duodécimal. Bien que les chiffres figurant dans le Livre de Mazarbul soient des cirth, il semblerait qu’ils aient parfois utilisé les tengwar. Le tableau qui suit présente le système duodécimal des tengwar. Il se fonde sur les informations fournies dans le Quettar no 14 :






































ou

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

L’ordre des chiffres était identique à celui du système décimal présenté ci-dessus, la plus petite unité étant notée en premier. Comme on peut le constater dans le tableau, les chiffres étaient aussi identifiés par des points, mais ceux-ci étaient placés en dessous des tengwar, afin d’éviter toute confusion entre les deux systèmes. En base duodécimale, le nombre 119 s’écrivait « 9B »9), donc .

Le chiffre des douzaines pouvait spécifiquement être identifié par un petit rond en dessous plutôt qu’un simple point. Bien que cela ne soit pas précisé, cet usage devait sans doute permettre d’omettre les points sous les autres chiffres sans qu’il y ait risque de confusion avec les nombres décimaux. En système duodécimal, les séries de chiffres au sein d’un texte pouvaient aussi être identifiés par une barre, cette fois placée en dessous des chiffres. Le seul exemple dont nous disposions à ce sujet semble indiquer que dans un tel cas le rond des douzaines devait tout de même être utilisé. Pour reprendre l’exemple de l’année 3441, celle-ci devait pouvoir s’écrire « 9AB1 »10), soit , ou 3441 suivant la notation duodécimale des tengwar.

Curieusement, bien que les Elfes aient connu le zéro, il existe un chiffre pour 12 dans le système duodécimal, probablement pour compléter la dernière triade. On ignore cependant son rôle et s’il existait une variante où les chiffres varieraient de 1 à 12 plutôt que de 0 à 11. Christopher Tolkien ne fournit aucun exemple où figure ce chiffre.

Bibliographie sélective

  • Doughan David & Bradfield Julian, « An Introduction to the Writing Systems of Middle-earth, Part III: Numerals », Quettar Special Publication no 1 (sept. 1987), p. 4.
  • Smith Arden, « The Tengwar Versions of the King’s Letter », Vinyar Tengwar no 29 (mai 1993), p. 7–20.
  • Tolkien Christopher, « The Tengwar numerals » Partie 1, Quettar no 13 (févr. 1982), p. 8–9.
  • Tolkien Christopher, « The Tengwar numerals » Partie 2, Quettar no 14 (mai 1982), p. 6–7.
  • Tolkien J.R.R., « The Alphabet of Rúmil », édité par Arden Smith, Parma Eldalamberon no 13 (2001), p. 5–89.
  • Tolkien J.R.R., Sauron Defeated, édité par Christopher Tolkien, HarperCollins, 1992, p. 114–135.
  • Tolkien J.R.R., The Treason of Isengard, édité par Christopher Tolkien, Unwin Hyman, 1989, p. 452–465.

Voir aussi sur Tolkiendil

1) Version originale : « I did devise numeral signs to go with the Fëanorian alphabet accommodated to both a decimal nomenclature and a duodecimal, but I have never used them and no longer hold an accurate memory of them. I am afraid the folder containing the numeral systems is not available and may be locked away in a strongroom. »
2) Quettar 13, p. 8–9
3) Version originale : « The Eldar preferred to reckon in sixes and twelves as far as possible. »
4) Version originale : « In spite of their later predominant (…) interest in and use of six-twelve (as group units) they did not develop a complete duodecimal nomenclature, though they invented (after the common Eldarin period for numbers above 12) special names for the multiples of six times six. Of these, 18 and 24 were also in daily use, as well as the ‘gross’ 144 and 72 half-gross. » VT 47, p. 17
5) Quettar 14, p. 6–7.
6) SdA, Livre I chap. 1, Livre IV, chap. 4
7) PE 14, p. 49–50. Il convient de noter qu’on dispose de très peu d’exemples de ce type, ce qui explique qu’il faille remonter à des documents des années 1920 pour trouver des indications sur le système de numération positionnelle esquissé par Tolkien. Pour plus d’informations à ce sujet, voir l’article de Thorsten Renk, « Les Numéraux eldarins ».
8) Version originale : « At a (probably) later period the Eldar now provided with a numeral system firmly based on the manual ‘decimals’ 5, 10 became interested in sixes, and a word for 6 times 2 (12) was already devised before the end of the Common Eldarin period. » VT 47, p. 16
9) En effet, 9 x 12 + 11 = 119.
10) Du fait que 1 x 123 + 11 x 122 + 10 x 12 + 9 = 3441.
 
langues/ecritures/tengwar/numeraux_tengwar.txt · Dernière modification: 06/04/2020 18:47 (modification externe)
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