Vicentes S. Velasco — Décembre 2004 traduit de l’anglais par Damien Bador & Juliεη |
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Articles de synthèse : Ces articles permettent d’avoir une vue d’ensemble du thème traité mais ils nécessitent une bonne connaissance des principales œuvres de J.R.R. Tolkien. |
Il faut le reconnaître, la présente révision aurait dû être faite depuis longtemps. J’ai décidé d’améliorer le style de ce texte afin de le rendre moins idiosyncratique et de corriger les erreurs d’inadvertance repérées ultérieurement, en l’augmentant des nouvelles informations qui ont été publiées depuis. |
n 1968 fut publié The Road Goes Ever On : A Song Cycle, une collection de morceaux musicaux pour piano réalisée par le musicologue Donald Swann sur des textes de J.R.R. Tolkien tirés de ses œuvres The Lord of the Rings et The Adventures of Tom Bombabil. Ce livre s’est révélé d’un grand intérêt pour ceux qui étudient les langues elfiques, puisqu’il contenait des notes rédigées par Tolkien concernant les chants poétiques Namárië et A Elbereth Gilthoniel, en plus de leur transcription en tengwar. En fait, antérieurement à la publication de la Lettre du Roi dans Sauron Defeated, la transcription de Namárië en tengwar constituait le plus long texte des langues eldarines que Tolkien ait rédigé en écriture elfique1).
Nonobstant, la version en tengwar de Namárië est le plus long texte quenya en tengwar que Tolkien ait écrit lui-même. La jaquette de The Road Goes Ever On est constituée de Namárië en première de couverture (comme on le voit plus haut)2) et A Elbereth Gilthoniel en quatrième de couverture. À l’intérieur du livre lui-même, les textes en tengwar peuvent être trouvés aux pages 57 et 62. Bien que le texte de Tolkien soit lisible, il a été restitué au moyen de la police Tengwar Annatar TrueType de Johan Winge pour plus de clarté, car elle constitue la meilleure approximation du style de Tolkien de toutes les polices disponibles3). Cependant, pour le titre Namárië lui-même, j’ai utilisé la police Tengwar Noldor de Dan Smith.
Pour référence, voici sa transcription, correspondant aux mots de la version en tengwar.
Altariello nainië Loriendesse
Ai laurië lantar lassi súrinen · yéni únótime ve
rámar aldaron ! · Yéni ve linte yuldar avánier ·
mí oromardi lissemiruvóreva · Andúne pella Vardo
tellumar · nu luini yassen tintilar i eleni ·
ómaryo airitárilírinen ::
Sí man i yulma nin enquantuva ? ::
An sí Tintalle Varda Oiolossëo · ve fanyar máryat
Elentári ortane · ar ilye tier unduláve lumbule ·
ar sindanóriello caita mornie · i falmalinnar
imbe met · ar hísie untúpa Calaciryo míri oiale : sí
vanwa ná Rómello vanwa Valimar !
Namárië ! Nai hiruvalye Valimar !
Nai elye hiruva ! Namárië ::
Helge Fauskanger a déjà rédigé une excellente exégèse ligne par ligne de Namárië sur son site internet Ardalambion (voir à cette adresse), il me paraît donc inutile d’en répéter ici la majeure partie. Néanmoins, étudier l’étymologie est souvent inévitable, ne serait-ce que pour prouver un argument ou une justification. Par conséquent, ce commentaire peut être considéré comme un supplément à l’article de Helge. Il est supposé que le lecteur est familier avec l’Appendice E du Seigneur des Anneaux, en particulier les formes des tengwar et leurs noms, ainsi que leur valeur en quenya.
amárie : La façon dont le mot est retranscrit en tengwar nous apprend déjà trois choses : tout d’abord, qu’en quenya le tengwa (la consonne) est écrit en premier et qu’ensuite le signe vocalique suivant, ou diacritique (ómatehta), est écrit au-dessus de la consonne. Par conséquent pour le quenya écrit en tengwar, il faut lire chaque tengwa, puis l’ómatehta au-dessus (dans un mouvement ascendant), avant de poursuivre avec la combinaison tengwa-ómatehta suivante. Deuxièmement, chaque fois qu’une voyelle longue suit le tengwa, comme le second a de Namárië, celle-ci est écrite comme un ómatehta au-dessus d’un porteur long, ce qui est généralement la manière normale de la représenter. Pour écrire autrement une voyelle longue, se référer au commentaire de l’entrée yéni. Enfin, dans le cas de groupes vocaliques dissyllabiques, comme dans -ie, le premier ómatehta est écrit au-dessus du tengwa précédent et le signe vocalique suivant est au-dessus d’un porteur court.
Altariello : Ce mot commençant par une voyelle, le signe diacritique pour a fut donc inscrit au-dessus d’un porteur court dans la version en tengwar. Noter que dans la version originale le a diacritique est simplifié pour ressembler à un accent circonflexe. Ceci pour une raison évidente, car si on écrivait de petites lettres et des diacritiques plus petits encore, il serait difficile d’inscrire trois points avec un stylo plume. Mais Tolkien affirma aussi que cette pratique était courante parmi les scribes ; en effet le son a est si fréquent qu’écrire la forme simplifiée est bien plus commode, surtout si l’on est pressé — et si aucune confusion n’est possible, il est éliminé tout à fait. Tolkien donne l’exemple du mot calma « lampe », où l’on peut tout à fait se dispenser d’écrire le a diacritique (), puisque le mot calama n’existe pas. C’est également ici que nous avons pour la première fois rencontré l’utilisation de la barre en dessous d’un tengwa pour indiquer que la consonne est doublée : 4).
nainie : Ce mot illustre le fait que les diphtongues — dans ce cas ai — sont écrites en plaçant le signe vocalique qui précède au-dessus du tengwa semi-vocalique suivant, ici le tengwa yanta. Tel est également le cas avec l’interjection ai !, mais il n’en est pas toujours ainsi ; voir le commentaire sous caita. Voir également laurië.
laurie : Comme dans l’entrée nainië ci-dessus, la diphtongue au est écrite avec le signe vocalique du a placé au-dessus du tengwa semi-vocalique úre.
lantar : C’est ici la première fois que l’on rencontre le tengwa óre pour représenter le r, alors que dans les mots Namárië, Lóriendesse et laurië plus haut le r est représenté par rómen. Cette dernière lettre est une modification d’óre, employée à l’origine pour représenter un r roulé, tandis qu’óre était utilisé pour figurer un r faible (non roulé), qui se rencontrait anciennement en quenya. Toutefois, comme Tolkien le signale, cette distinction disparut ultérieurement, et le son r fut désormais roulé dans toutes les positions et ne disparaissait pas devant les consonnes. En théorie donc, on peut aussi bien utiliser óre que rómen pour représenter le r quel que soit son emplacement, mais en pratique óre est employé par les scribes pour représenter le r préconsonantique et final, tandis que rómen est utilisé pour le r intervocalique5).
lassi : Noter que dans ce cas, Tolkien a employé l’ómatehta du e pour représenter i. Bien que cela soit permis, leur emploi devrait être cohérent à l’intérieur d’un même texte.
súrinen : J’avais écrit auparavant que le s de súrinen aurait dû être retranscrit par le tengwa súlë (l’ancien thúlë) et non silmë. J’avais fait cette supposition à cause de l’existence de la racine THŪ « souffle »6). Cependant, il s’avère qu’il existe un autre radical SŪ « vent »7), par conséquent l’utilisation de silmë demeure correcte.
Yéni : C’est la première fois qu’on rencontre le tengwa anna avec le y diacritique souscrit pour représenter le y consonantique. Le tengwa anna n’a aucune valeur en quenya, bien qu’en quenya primitif il représentât la spirante postérieure ʒ, qui disparut plus tard8). Mais au Troisième Âge il avait la valeur d’un y consonantique lorsqu’il était combiné avec le y diacritique : . L’autre manière d’écrire une voyelle longue avec les diacritiques des tengwar est d’inscrire la voyelle deux fois au-dessus du tengwa qui précède. Cette méthode est fréquemment employée pour le e long, moins usitée pour les o et u longs (comme dans l’inscription de l’Anneau) et jamais avec le a ou le i. Cependant dans l’autre apparition de yéni dans le poème, Tolkien a transcrit le e long au moyen du porteur long.
únótime : Ce mot, comme Altariello plus haut, débute avec une voyelle, mais cette fois en commençant avec un porteur long.
ve : L’utilisation du tengwa vala ici suggère qu’il descende d’une forme primitive *bē. Toutefois, Tolkien a diversement fait dériver ve de wē ou encore de vai9).
rámar : Le porteur long (indiquant que le a au-dessus du tengwa rómen est long) peut ici être vu sous la lettre.
avánier : le mot avánier est la forme du parfait pluriel du verbe auta- « s’en aller, quitter (du point de vue de celui qui parle) » ; à son tour il est issu de la racine AWA10). Par conséquent il semble que le v d’avánier, écrit avec le tengwa vala (considéré représenter le v issu du b primitif), devrait plutôt être écrit avec le tengwa vilya (le v issu du w primitif, bien qu’il représente aussi le w lorsque ce dernier apparaît en quenya tardif), c’est-à-dire : 11).
mí : Comme pour lassi plus haut, Tolkien a employé l’ómatehta qui représente habituellement le e.
lisse-miruvóreva : Il a été déterminé que le suffixe et adjectif possessif -va est une forme allomorphe de -wa comme dans hwesta sindarinwa. Par conséquent le v devrait être ici écrit avec un vilya : .
luini : Noter ici que la diphtongue ui est écrite avec l’ómatehta du u placé au-dessus du tengwa semi-vocalique yanta.
ómaryo : Noter ici que Tolkien a omis le y diacritique au-dessus du tengwa rómen (comme pour maryat).
enquantuva : Le phonème nqu (nkw) est écrit avec le tengwa unquë. Bien que cela soit correct, il devrait être à mon avis transcrit avec un númen et un quessë, afin de signaler au lecteur qu’enquantuva est un composé de en- « re-, à nouveau » et quantuva, la forme future de quanta- « remplir »12). L’utilisation de deux tengwar au lieu d’un préserve cette construction, d’où : . L’emploi de vala dans enquantuva suggère que le suffixe futur -uva a comme forme primaire -uba13).
Oiolossëo : La diphtongue oi est écrite avec l’ómatehta du o placé au-dessus du tengwa semi-vocalique yanta14).
ar : il est ici suggéré — et ultérieurement confirmé dans des études récemment publiées — que cette conjonction est issue du radical AS de l’eldarin commun.
sindanóriello : Noter ici que Tolkien a employé le tengwa silmë nuquerna pour représenter le s. Celui-ci est souvent utilisé pour accueillir les tehtar inscrits au-dessus de la lettre là où ils risqueraient d’être brouillés ou invisibles si la forme normale de silmë était employée. Toutefois, silmë — qu’il soit nuquerna ou autre — n’aurait pas dû être utilisé pour représenter le s ; le mot sinda ou sindë est dérivé de la base THIN-, d’où l’emploi de súlë / thúlë au lieu de silmë dans ce cas : .
caita : Noter ici que la diphtongue ai est ici transcrite avec le a diacritique au-dessus du tengwa calma, suivi par la semi-voyelle yanta.
hísie : Ici, le s n’aurait pas dû être écrit avec un silmë (ou plus exactement dans ce cas, un silmë nuquerna), mais plutôt avec un súlë / thúlë, puisque le mot hísië (sind. hith) dérive de la base KHITH- (cf. Hísimë = sind. Hithui, le nom du onzième mois du calendrier númenórien). Ainsi il devrait être retranscrit par 15).
vanwa : Comme avánier plus haut, il est dérivé d’AWA. Par conséquent le v devrait être écrit avec un vilya et non un vala, d’où : . Noter également que Tolkien a employé les tengwar númen et vilya pour représenter le digraphe nw. Le tengwa nwalmë aurait pu être utilisé à la place, mais strictement parlant, il ne doit être employé que pour représenter le son ñw (< *ŋgw).
En plus de ces commentaires, il faut enfin relever que Tolkien employa des « majuscules quenyarines » pour écrire les noms propres comme Varda, Oiolosse, Andúne, Rómen, Valimar. C’est également dans ce poème que certaines marques de ponctuation tengwar ont été découvertes pour la première fois. Tolkien a employé le symbole pour représenter le point d’interrogation et pour le point d’exclamation.