Une analyse du nanesque

 Quatre Anneaux
Magnus Åberg — Janvier 2009
traduit de l’anglais par Romain Escarbassière et Vivien Stocker
Articles théoriques : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs.

Introduction

Le khuzdul, la langue des Nains, est naturellement difficile à analyser car très peu usitée et virtuellement jamais, en-dehors des affaires intérieures des Nains. Aulë le Vala créa le khuzdul en même temps que les Nains, et il le fit dur et rude à l’image de ses utilisateurs. La roideur de la langue des Nains participe probablement à l’aspect quasi inchangé de celle-ci depuis qu’elle a été créée (cela, mais aussi le fait qu’elle soit essentiellement employée dans les rituels et pour un usage archaïque). C’est également pour cette raison qu’il n’existe presque pas de variantes dialectales ; les Nains se comprennent même s’ils viennent de différentes zones géographiques à condition qu’ils parlent tous en khuzdul.

Prononciation

Le khuzdul possède les cinq voyelles classiques a, e, i, o, u. Elles existent sous deux versions, brèves ou longues, ces dernières se notant avec un accent circonflexe (^). La prononciation des voyelles semble être similaire à celle des langues des Elfes et des Hommes, mais dans une note sur les runes de Daeron dans l’Appendice E du Seigneur des Anneaux, Tolkien laisse entendre qu’il y avait aussi des voyelles centralisées réduites (voir ci-dessous). Si tel est le cas, c’est un point commun avec, entres autres langues, l’hébreu, avec lequel le khuzdul présente de nombreuses autres similitudes (voir sous Structure). L’hébreu possède des règles concernant les voyelles de ce type, indiquant si elles doivent être prononcées ou être muettes, mais elles sont toujours écrites (un tel signe est appelé schwa et s’écrit comme deux points à la verticale en dessous de la consonne précédent la voyelle). Les mots khuzdul commençant par une voyelle sont probablement prononcés avec une occlusion glottale assez appuyée (concernant cette supposition, voir sous Structure).

En principe, les consonnes sont également identiques à celles des autres langues, de même que leur prononciation, à quelques exceptions près : chez certains Nains, le « r » est prononcé comme un « r » grasseyé c’est-à-dire prononcé du fond de la bouche comme le font les Orques. Il semble que ce soit l’unique distinction dialectale en khuzdul. De plus, la combinaison d’une occlusive non voisée et du <h> qui la suit n’est pas prononcée comme une fricative, comme dans les langues elfiques, mais comme une occlusive aspirée. <th>, <kh> et probablement aussi <ph> (il n’y a pas d’exemple) désignent effectivement des phonèmes différents de ceux qui s’écrivent <t>, <k> et <p>, mais ils sont prononcés comme des occlusives accompagnées d’une forte respiration (plus ou moins comme dans les termes anglais backhand, outhouse). Je préfère par conséquent utiliser la typographie <th>, <kh> et <ph> pour éviter les confusions. D’autre part, la combinaison <gh> était vraisemblablement une fricative (vélaire voisée), comme en parler noir et en orquien, puisque rien de particulier n’est dit à propos de cette combinaison dans le contexte du khuzdul. Il devrait en aller de même avec la combinaison <sh>, qui serait alors prononcée comme en anglais.

On sait peu de choses concernant l’accent syllabique, mais dans les langues sémitiques l’accent est souvent placé sur la dernière syllabe. Cela pourrait également être valable pour le khuzdul, excepté pour un groupe de noms (la deuxième déclinaison ci-dessous) qui comportent, dans leur forme basique, une voyelle longue dans la première syllabe et une voyelle brève dans la seconde. Il semble plus naturel ici d’accentuer la première syllabe, ces noms s’accorderaient ainsi au niveau de la prononciation avec les segholates, un type de noms très fréquent en hébreu, avec un <e> (de l’hébreu seghól) dans ses deux syllabes, l’accent étant mis sur la première (e.g. mélek, « roi »).

Structure

Comme décrit ci-dessus, le khuzdul est similaire aux langues sémitiques du monde primaire par de nombreux aspects, et lorsque les exemples m’ont fait défaut il a été facile d’élargir mon analyse par analogie avec l’hébreu et d’autres langues apparentées. Pour commencer, les mots en khuzdul (du moins les noms, les autres mots étant sérieusement sous-représentés dans le matériel disponible) sont construits de la même manière que les verbes en hébreu, sc. la base nominale se compose uniquement de trois (ou deux) consonnes, complétées par des voyelles intercalées afin de constituer des mots. Ces consonnes sont appelées radicaux, et sont communes à tous les mots ayant une signification similaire. Par exemple le radical désignant les choses ayant trait aux Nains est Kh-Z-D. On retrouve cette racine dans les mots attestés Khazâd, Khazad-dûm, Khuzd et Khuzdul (vraisemblablement aussi dans le nom de lieu Nulukkhizdîn). Le mot est entièrement défini uniquement lorsque les voyelles et autres suffixes ou préfixes requis ont été intercalés, après ou avant les bases du radical.

J’ai mentionné auparavant que mon analyse se base dans une certaine mesure sur des règles des langues sémitiques, et je vais maintenant traiter les plus importantes similitudes (attestées et hypothétiques) entre ces langues et le khuzdul, afin de conférer quelque autorité à mon analyse de reconstitution des paradigmes nominaux khuzdul, et également expliquer la manière dont ces paradigmes doivent être lus.

Voyelle centrale (« schwa »)

En hébreu, seules les consonnes étaient écrites à l’origine, mais plus tard les symboles de voyelles commencèrent à être utilisés. Il devint usuel d’attacher les symboles des voyelles à toutes les consonnes excepté les consonnes finales (et même à celles-là dans certains cas). Les voyelles étaient souvent entièrement prononcées, mais dans certaines positions elles étaient réduites. Le plus haut degré de réduction vocalique était « schwa », représentant une voyelle centrale relâchée, notée [ə] (en alphabet phonétique international). Parfois elle était prononcée, parfois non. À propos du khuzdul, l’Appendice E du Seigneur des Anneaux nous apprend notamment que « les voyelles comme celles que l’on entend dans le mot anglais butter (i.e. la voyelle postérieure [ʌ] et la voyelle centrale [ə])… étaient fréquentes en nanesque et en westron ». Elles possèdent en fait leurs propres runes dans le tableau des cirth, des variantes réduites pouvant être utilisées lorsque les voyelles sont « faibles ou évanescentes »1). Cependant les runes pour ces sons ne sont pas transcrites dans le tableau de valeurs, et ils n’étaient probablement pas suffisamment prononcés pour justifier une transcription.

Aulë et les Nains (© Ted Nasmith)

L’occlusive glottale (‘alef)

L’hébreu et l’arabe comportent tous deux une occlusive glottale appuyée au début des mots qui apparaissent commencer par des voyelles dans leur transcription latine. Ses variantes (voisées et non voisées) ont leurs propres lettres, et font office de radicaux. Un tel son aurait aussi existé en khuzdul. Certains mots comportant seulement deux consonnes et commençant par une voyelle semblent être formés de la même façon que les mots avec trois radicaux. En outre, cette occlusive glottale pourrait avoir été assimilée à une consonne subséquente au point de liaison entre deux éléments d’un composé (voir la section spéciale à propos de Nulukkhizdîn pour plus de précisions à ce sujet). Concernant la représentation de ce son en runes, les Appendices nous apprennent qu’une rune en Angerthas Moria était utilisée pour « le début clair ou glottal d’un mot avec une voyelle initiale qui apparaît en khuzdul »2). Le son est transcrit ici par ‘ (une apostrophe). (Dans le cadre de cette connexion, il est intéressant de noter qu’il existe une théorie selon laquelle les scandinaves utilisaient également d’une rune spécifique pour l’occlusion glottale, ou du moins prononçaient les voyelles en début de mots avec une occlusive glottale très nette. Cela pourrait éventuellement expliquer pourquoi la poésie en vieux norrois allitère les mots commençant par une voyelle quelconque – ce qui allitère vraiment étant l’occlusive glottale.) Tout au long de cet article, j’ai rajouté l’occlusive glottale, notée par une apostrophe <‘>, comme radical dans les mots qui semblaient le nécessiter. Bien que l’Appendice E parle uniquement « du commencement glottal d’un mot », je m’attends à ce que, à l’instar des langues sémitiques, cette consonne puisse apparaître comme premier, deuxième ou troisième radical, bien qu’aucun exemple n’illustre le second cas.

L’état construit

En hébreu, la possession s’exprime de manière différente que dans les langues indo-européennes. Le mot dont la forme est modifiée désigne ce qui est possédé, non ce qui possède, qui dans de nombreuses langues européennes est fléchi au cas génitif. En hébreu le nom possédé est infléchi dans ce qu’on appelle l’état construit, et il est suivi par le nom possédant dans sa forme basique, l’état absolu. En khuzdul, il y a au moins un exemple clair d’une telle construction, à savoir l’expression baruk khazâd, « les haches des Nains ». Khazâd est écrit ici dans sa forme plurielle usuelle attestée, l’état absolu, tandis que baruk se trouve dans l’état construit. Ici, pourtant, Tolkien a établi que baruk est identique en construit et en absolu, le cas n’est donc pas visible sur le mot isolé. La plupart du temps, cependant, l’état construit devrait abréger les voyelles de l’état absolu, parfois jusqu’à les réduire à un schwa – il est fréquent qu’en hébreu des voyelles soient réduites dans l’état construit, e.g. bayith « maison » – beth léhem « maison du pain; magasin ». Dans les tableaux, j’ai inclus les quatre formes, singulier absolu, pluriel absolu, singulier construit et pluriel construit.

La forme composée

En hébreu il existe une forme ainsi appelée qui désigne les noms qui se dotent d’un suffixe (par exemple, les pronoms possessifs sont des suffixes en hébreu). Elle est plus ou moins identique à l’état construit, la différence étant alors indiquée par le contexte, ou simplement par la présence ou absence d’un suffixe. Le khuzdul semble également avoir possédé une forme spécifique pour les noms comportant un affixe et les noms composés, et ce apparemment sur le même modèle que les formes construites. Par conséquent, j’ai supposé ici que les deux formes étaient en fait identiques et uniquement distinguées par le contexte et un éventuel affixe ou mot composé, utilisant le terme état construit pour les deux. La forme composée est évidemment la forme appliquée au premier élément dans les noms composés épithètes, qui incluent parfois un trait d’union, par exemple Khazâd-dûm « Cave des Nains ». Par ailleurs, l’usage du trait d’union est courant dans les langues sémitiques également, mais n’a pas tout à fait la même fonction qu’en khuzdul.

Enquête grammaticale

Noms

J’ai identifié un certain nombre de types différents de noms en khuzdul, et de ces exemples, j’ai hypothétiquement et analogiquement reconstruit cinq déclinaisons. Dans les cinq tableaux des déclinaisons ci-dessous, je montre le modèle de chaque déclinaison, en utilisant des bases écrites avec des chiffres à la place des radicaux (e.g. 1 â 2 a 3). Je donne les formes singulière et plurielle absolues (sing. / plur. abs.), et singulière et plurielle construites (sing. / plur. constr.) avec la forme objective (obj.) ajoutée lorsque ce n’est pas simplement un -u suffixé sur le modèle original (voir Affixes, -u). Après chaque forme j’ai donné un ou plusieurs exemples attestés ou supposés de cette forme, les exemples supposés étant marqués par un croisillon (#). Supposés signifiant ici « fondés sur la logique », ce qui est normalement tout à fait faux dans les langues naturelles, où la psychologie et la chance règnent. Pourtant, en khuzdul, la logique devrait être applicable, car cette langue fut construite par le maitre de la structure et de la régularité : Aulë.

  • Première déclinaison, type A (mots à 3 radicaux)
sing. abs. 1u23 e.g. rukhs (Orque), #khuzd (Nain)
plur. abs. 1a2â3 e.g. rakhâs (Orques), khazâd (Nains)
sing. constr. 1u2a3 e.g. duban (vallée de …)
plur. constr. 1a2a3 e.g. Khazad-dûm (Cave des Nains / Dwarrowdelf)
  • Première déclinaison, type B (mots à 2 radicaux)
sing. abs. 1û2
obj.:1u2u2
e.g. dûm/#tûm (demeure / édifice) [le d de dûm est assimilé avec le d précédent de Khazad-dûm.], ‘ûl3) (ruisseaux) [je suppose une occlusive glottale comme 1er radical]; obj. Tumunzahar (Demeure-creuse) [le dernier radical est assimilé à m – n par la dentale suivante].
plur. abs. 1a2â2 e.g. #tamâm (demeures / édifices)
sing. constr. 1u2 e.g. #‘ul (ruisseaux de …)
plur. constr. 1a2a2 e.g. #tamam (demeures / édifices de …)

Ce type est originellement le modèle ordinaire 1 u 2 3, mais puisque les deux derniers radicaux sont identiques (#tumm) la voyelle est prolongée et les radicaux réduits à un seul (#tûm). Ce développement est évidemment arabe.

  • Deuxième déclinaison
sing. abs. 1â2a3
obj.:1u2u3
e.g. zâram (lac), nâla’ (passage, cours (de rivière) (?)) [je suppose une occlusive glottale comme 3e radical], #zâbad (seigneur); obj.: Buzundush (Racine Noire), Nulukkhizdîn (Nargothrond). D’autres exemples de ce modèle pourraient être les formes abandonnées ‘Udushinbar (plus tard Bundushathûr) et ‘Uruktharbun (peut-être plus tard Khazad-dûm).
plur. abs. 1a2û3 e.g. shathûr (nuages)
sing. constr. 1ə2a3 e.g. #zəbad (seigneur de …)
plur. constr. 1a2u3 e.g. #shathur (nuages de …)
  • Troisième déclinaison
sing. abs. 1a23 e.g. bark (hache)
plur. abs. 1a2u3 e.g. baruk (haches)
sing. constr. 1a23 e.g. ‘aglâb (langue parlée, langage), Nargûn (pays noir / Mordor), Sharbhund (colline de la tête (chauve) (?) / Amon Rûdh) [sujet à métathèse, voir La métathèse], Tharkûn (homme au bâton / Gandalf)
plur. constr. 1a2u3 e.g. baruk (haches de …)
  • Quatrième déclinaison (déclinaison-i — pourrait peut-être être appliquée aux mots des autres déclinaisons avec une fonction diminuée)
sing. abs. 1i2a3 e.g. zirak (pointe, pic)
plur. abs. 1i2â3 e.g. bizâr (ruisseaux)
sing. constr. 1i23 e.g. ‘igl (langue de …) [je suppose une occlusive glottale comme 1er radical], Nulukkhizdîn (Nargothrond)
plur. constr. 1i2i3 e.g. #khizid ([Petits-]Nains de …) [Exemple tiré de la forme primitive de Nulukkhizdîn: Nulukhizidûn (voir Affixes, -ân, et la section spéciale à propos de ce nom).]

Le pluriel construit n’est pas attesté, mais j’ai reconstruit ici une forme inspirée par la forme primitive du nom Nulukhizidûn.

  • Cinquième déclinaison (mots à 3 radicaux ; plusieurs noms sans pluriels)
sing. abs. 1i2i3
alt.1e2e3
e.g. kibil (argent [le métal]), kheled (verre 4))
sing. constr. 1i2i3
alt.1e2e3
e.g. Kibil-nâla (Silverlode), Kheled-zâram (Mirrormere)

C’est un groupe de noms particulier qui semble indiquer divers types de matériels et, ainsi, il n’y a pas de formes plurielles (attestées). Les deux exemples de cette déclinaison sont reconstruits à partir des noms composés de lieu Kibil-nâla et Kheled-zâram. J’ai supposé que la forme absolue était identique à ces formes construites attestées.

Il pourrait très bien exister plus de déclinaisons que ces cinq-là. Par exemple, il semble exister un modèle assez commun 1 â 2, dans des mots attestés et hypothétiques comme ‘ân (« rivière », de Gabilân, « Gelion5), [Grande Rivière] » ; il est suggéré dans The War of the Jewels (p. 336) que seul l’élément -ân signifie « fleuve »), nâd (peut-être « cours (d’eau) », utilisé dans un nom alternatif pour Kibil-nâla’, et signifiant probablement la même chose que nâla’) et #‘âb, issu du mot ‘aglâb « langue parlée, langage ». Ce pourrait être une sorte de type B pour la troisième déclinaison. Cependant, nâd ne fut jamais utilisé dans le texte final, et les deux autres sont traités comme des suffixes ci-dessous, car je les juge plutôt ainsi.

Nous avons aussi les noms propres Mîm and Khîm, qui pourraient être l’état construit d’un hypothétique type B de la quatrième déclinaison. Quelques fois, des formes autres que le basique/nominatif deviennent des noms (e.g. le nom de lieu Arboga en Suédois), alors il est possible que ces noms soient en relation avec des noms hypothétiques comme #mimam et #khimam, dont les formes construites auraient donné les noms propres des Petits-Nains, apparemment réticent à l’idée de révéler leurs noms véritables. Il y a aussi des modèles tels que 1 e 2 a 3, 1 a 2 o 3, etc. Concernant ce dernier, voir adjectifs, gabil.

Affixes

En khuzdul il est possible, à part sur les variations de voyelles, d’altérer la signification d’un mot, et peut-être aussi sa partie du langage, par l’utilisation de suffixes et de préfixes. La plupart de ces affixes sont greffés sur la forme construite des noms, mais il y a aussi des affixes plus autonomes qui peuvent être vus comme des mots à part entière, ou tout du moins, comme des suffixes/préfixes tout à fait productifs. Ci-dessous j’ai préparé une liste alphabétique des affixes pour lesquels j’ai trouvé des occurrences.

  • -âb

La signification de ce suffixe n’est pas claire ; il pourrait peut-être indiquer un pluriel collectif. Cela pourrait environ aller de pair avec le modèle pluriel de la première déclinaison. Il est seulement attesté lors d’une occurrence, dans le mot ‘aglâb « langue parlée » (je suppose une occlusive glottale comme premier radical). Le radical #‘-G-L est reconnaissable à partir du terme attesté ‘iglishmêk (je suppose une occlusive glottale comme premier radical), la langue gestuelle des Nains, et devrait signifier « langue / langage ». Le radical Sh-M-K devrait avoir un lien avec les signes ou les mouvements ; selon la forme i 1 2 ê 3, voir La métathèse ci-dessous. La différence de voyelles entre ‘iglishmêk et ‘aglâb nous laisse supposer que la quatrième déclinaison, la déclinaison-i, peut être appliquée aux noms d’autres déclinaisons, et que l’élément ‘igl dérive d’un mot de la troisième déclinaison, #‘agl. (Cet élément pourrait, sinon, être un nom de n’importe quelle déclinaison parmi les cinq listées ci-dessus, #‘âb, voir Noms, la section suivant le paragraphe de la dernière déclinaison.)

  • -âl / -al

C’est peut-être un agent de terminaison ajouté aux verbes pour indiquer quelqu’un qui est l’auteur de l’action du verbe. Cette hypothèse est basée sur une interprétation de deux noms, Mahal et ‘Azaghâl. Le premier est le nom que les Nains donnent à Aulë, dont il est peu probable qu’il signifie simplement « créateur ». C’est très suggestif que le nom soit présenté dans les mots « Aulë le Façonneur, qu’ils nomment Mahal »6). C’est l’un des seuls endroits dans le Silmarillion où Aulë est appelé « le Façonneur ». Si le second, ‘Azaghâl, est un agent nominal, la base #‘-Z-Gh peut peut-être être la source du verbe numénoréen azgarâ « faire la guerre/ guerroyer », et avoir un sens similaire : de la terminaison -âl soit du modèle entier 1 a 2 a 3-âl dériverait un agent nominal « guerrier » de ce verbe, un (sur)nom approprié pour l’héroïque seigneur-Nain auquel il fait référence.

Pour les bases verbales des deux radicaux, le modèle semble être 1 a 2-al, sans l’accent circonflexe, comme dans Mahal. Qu’il y ait une voyelle brève dans un mot plus court indique qu’il y aurait une sorte d’harmonie vocalique 7) plutôt qu’une balance vocalique en khuzdul. Entre autres langues, l’harmonie vocalique est un phénomène connu en finnois, une langue dont l’influence sur la créativité de Tolkien nous est familière. Malheureusement cette terminaison n’est attestée nulle part ailleurs que dans ces deux noms, et les verbes sont dans l’ensemble très sous-représentés dans le matériel existant donc il est difficile d’en dire plus sur sa formation.

  • -ân / -în / -ûn

C’est une terminaison de personnification, utilisée pour dériver des noms à partir d’autres noms, voire peut-être de pratiquement tout mot. Les occurrences attestées sont seulement des noms : Gabilân (« La Grande », Gelion8) – à condition que -ân ne signifie pas « rivière » comme suggéré dans The War of the Jewels (p. 336)), Nulukkhizdîn (« le pays des (Petits-)Nains sur la rivière », Nargothrond), Tharkûn (« homme au bâton », Gandalf) and Nargûn (« le pays noir », Mordor).

‘Uruktharbun, une version abandonnée de Khazad-dûm (probablement), pourrait aussi avoir cette terminaison, mais elle ne sera pas traitée ici, tant que nous n’aurons pas d’indication sur la signification de ce nom. La terminaison elle-même devrait être traduite pour entrer dans le contexte — « homme », « pays », ou l’équivalent —, et les mots principaux traduits par différentes parties du langage « (Petit-)Nain » et « bâton » sont des noms et « grande » et « noir » sont des adjectifs). La variante -în est peut-être la seule régulièrement utilisée dans les noms de la quatrième déclinaison. Une forme primitive Nulukhizidûn a été abandonnée en faveur de Nulukkhizdîn, montrant encore un autre exemple de la présence de l’harmonie vocalique en khuzdul, appliquée ici sur la qualité de la voyelle, plutôt que sur la quantité comme c’était le cas dans la discussion sur Mahal (voir -âl / -al ci-dessus).

Que -ân ou -ûn soient utilisés dans d’autres cas doit dépendre du type du mot principal : -ân sur des adjectives stables tels que #gabil avec deux voyelles différentes — lequel pourrait donc ne pas être réduit —, et -ûn sur des noms et des adjectifs réductibles avec deux voyelles similaires (voir Adjectifs), lesquels sont réduits quand ils prennent ce suffixe. On pourrait ajouter que, pour des mots avec ce suffixe, il n’y a pas de pluriel attesté, et il est assez probable qu’aucun n’existe puisque les noms de lieu et de personne ont rarement besoin d’accord en nombre. Il ne devrait pas être possible d’appliquer cette terminaison sur un nom pluriel, depuis que Nulukhizidûn a été abandonné.

  • -în

Voir -ân.

  • ma-

Préfixé à une base verbale, apparemment, mais pourrait en fait être une partie d’un modèle verbal complet ma-1 a 2 3. Il forme probablement le participe passé. Le seul exemple attesté est Mazarbul, « appartenant aux archives ». Si ces mots finissent avec le suffixe -ul « appartenant à … » (voir ci-dessous) attaché à un radical à trois bases #Z-R-B, il nous resterait apparemment un préfixe ma-. Comme par hasard, le préfixe hébreu pour les participes passés de verbes dérivés est mə- (e.g. məkhatev « écrit »), et il est assez tentant de supposer une fonction similaire pour le khuzdul ma- ; (#)mazarb serait un participe passé (nominalisé) « [les] documents (écrits) ; archives », et (#)Z-R-B indiquerait l’archivage et la documentation 9).

Livre de Mazarbul (© John Howe)

  • u-

Conjonction « et » (?). Il n’existe qu’un seul exemple (excepté l’hypothétique exemple Udushinbar, voir Adjectifs, dush), mais un exemple d’un intérêt particulier. C’est l’inscription sur le sarcophage de Balin : Balin Fundinul uzbad Khazad-dûmu – « Balin fils de Fundin [et] Seigneur de la Moria ». Le radical dans le mot pour « seigneur » devrait être #Z-B-D, et par conséquent u- serait un préfixe. L’explication complète devrait ainsi être comme suit : « seigneur » est dans l’état construit, bien qu’il ne soit pas réellement possédé par le mot suivant, mais plutôt positionné par celui-ci (dû à la terminaison objective -u de Khazad-dûmu). Si le mot pour « seigneur » appartient à la deuxième déclinaison, et ainsi, dans sa forme basique, est #zâbad, l’expression « Seigneur de la Moria » serait #zəbad Khazad-dûmu, si elle se trouvait isolée. Mais c’est une présentation bien éloignée de Balin; à part être le fils de Fundin, il est aussi Seigneur de la Moria, et donc une conjonction est appropriée. De plus, le mot u- réduit apparemment la voyelle de la syllabe suivante (si elle est brève en un schwa et si c’est un schwa en rien), alors que la seconde voyelle reste, d’où uzbad. Ces hypothèses sont largement basées sur l’hébreu « wə-/u- » (sans occlusive glottale, mais avec un faible son w- initial). Ce petit mot — il peut être vu comme un mot en tant que tel — est mieux traduit par « et », mais peut souvent être vu comme une virgule parlée. Il est probablement plus fréquemment employé que la conjonction française — voyez chaque chapitre de l’Ancien Testament et comptez le nombre de phrases débutant par « et » ! L’hébreu « u- » a aussi le pouvoir de réduire les voyelles de la syllabe suivante dans quelques cas.

  • -u

C’est une terminaison qui donne aux noms une signification d’objectif ou de locatif. Elle est dans quelques cas infixée plutôt que suffixée (voir ci-dessus le paragraphe sur les Noms, les formes objectives), mais surtout elle est simplement suffixée sans affecter autrement le mot. Bien que, quelques fois, elle fasse prendre l’état construit au mot qui la précède, la signification devient équivalente à un complément d’objet plutôt qu’à celle d’un possessif, et l’on pourrait idéalement le traduire comme une préposition ou un marqueur génitif complément d’objet.

Dans la phrase uzbad Khazad-dûmu sur l’inscription de la tombe de Balin, Balin est seigneur de ou en Moria ; sc. la terminaison -u de Khazad-dûm rend un attribut génitif complément d’objet ou locatif (plutôt que possessif ou adjectival) au mot précédent, uzbad, lequel est apparemment dans l’état construit (voir ci-dessus, u-). Que le dernier mot devienne -dûmu au lieu de #-dumum doit venir du fait que le nom Khazad-dûm est infléchi entièrement et la connexion avec le mot original #tûm est perdue. Dans l’épithète khuzdul de Finrod, Felakgundu « creuseur de cavernes », littéralement « tailleur (de) caverne », gundu « caverne » est aussi un attribut génitif complément d’objet du nom felak, « tailleur » (outil ou personne). La forme basique devrait ainsi être #gund et entrer dans la première déclinaison. (Ce mot apparait peut-être aussi dans Gundabad, un nom noté pour avoir une origine khuzdule dans The Peoples of Middle-Earth.) Dans ce cas, il est plus difficile de déterminer si le mot précédent, felak, est dans l’état construit ou l’état absolu (bien que, selon l’exemple ci-dessus, il devrait être dans l’état construit), puisque c’est le seul nom attesté de la forme 1 e 2 a 3. Il est possible qu’il appartienne à une variante de la quatrième « déclinaison i », mais il dérive plus probablement du verbe felek, « tailler la pierre », et ainsi conserve le [e] — même si le mot felak lui-même peut être identifié à un verbe: « utiliser un felak ». Le nom Bundushathûr pourrait aussi contenir cet élément, et dans ce cas avoir les mots principaux dans un ordre inversé : le mot suffixé en premier, et le nom suivant dans l’état absolu, pas dans le construit, peut-être parce qu’il est le suivant plutôt que le précédent. Divisé en #bund-u shathûr cela pourrait signifier « tête - sur nuages », ou de façon plus compréhensible « nuages sur tête ». (dans The Treason of Isengard, p. 174, en disant que bund(u) doit être la partie signifiant « tête », Tolkien mentionne bund (B N D) - u - Shathûr « tête dans/de nuages » comme analyse potentielle, bien que ce ne pourrait simplement être qu’une adaptation pour une approche plutôt indo-européenne.)

Un dernier exemple de -u, encore en tant que terminaison objective est peut-être trouvée dans le cri de guerre nanesque Khazâd ai-mênu, « Les Nains [sont] sur vous ». mênu, « vous », finit en -u, et est en outre assez manifestement l’objet de la préposition préfixée aussi bien que celui des Nains.

  • -ul

Cette terminaison forme des adjectifs, comme le français « -ique ». Dans l’analyse d’‘Azanulbizar, Tolkien l’identifie comme « une terminaison génitive des patronymes tels que Balin Fundinul »10). C’est une référence à l’inscription sur la tombe de Balin, où « Balin fils de Fundin » est ainsi exprimé par un génitif adjectival, plus ou moins « le Fundinique Balin ». Puisque ce second exemple montre que la terminaison peut être attachée aux noms extérieurs des Nains, pris dans la langue des Northmen, il devrait être possible de l’utiliser avec n’importe quel mot khuzdul. Le mot khuzdul lui-même contient aussi apparemment cette terminaison, et ainsi doit signifier assez naturellement « nanesque », « en relation avec les Nains ». Dans le nom ‘Azanulbizar, si la signification littérale est « sombres-rigoles », i.e. « [la vallée des] rigoles sombres », tel qu’établit dans The Lord of the Rings, A Reader’s Companion, le -ul- est en fait cette terminaison adjectivale suffixée sur un pluriel de ‘uzn (donné de façon erronée par uzu): ‘azan-, signifiant « sombres », et selon mes théories, une forme courte (construite) du pluriel. Cela pourrait signifier deux choses: premièrement que la terminaison adjectivale -ul peut être suffixée sur un pluriel et en plus dans l’état construit (d’un autre côté nous avons le terme khuzdul où elle est suffixée à la forme absolue), et deuxièmement que l’élément « vallée » n’est pas écrit ici – il est suggéré dans la même source que cet élément devrait être duban, manifestement un nom de la première déclinaison #dubn dans l’état construit. Nous avons aussi cette terminaison dans mazarbul, « appartenant aux archives » (voir ci-dessus, sous l’entrée ma-).

  • -ûn

Voir -ân.

Adjectifs

En général, il semble qu’il existe deux sortes d’adjectifs : réductibles et stables. Les premiers ressemblent à des noms en ce qui concerne leurs flexions, et la plupart ont deux voyelles similaires sujettes à réduction, comme les voyelles dans les structures nominales. Les adjectifs stables ont une structure différente avec la plupart du temps deux voyelles différentes, plus stables dans les mots composés et lorsque des affixes leur sont attachés.

Les formes comparatives ne sont pas du tout connues. Les flexions plurielles ne sont apparemment pas présentes, à en juger par les différentes traductions des deux adjectifs zigil et sigin, respectivement au singulier et au pluriel. Les exemples d’adjectifs attestés ou hypothétiques sont si rares qu’il est possible d’analyser chacun d’entre eux séparément.

  • [#’azan]

« Pâle, sombre, obscur » ? Suggéré dans ‘Azanulbizar, « (Vallée) des rigoles sombres ». Le mot est entre crochets car je ne le considère pas comme un adjectif. Dans The Lord of the Rings, A Reader’s Companion, azan est présenté comme un nom pluriel signifiant « pâleur, ombres », et devenait un adjectif uniquement par ajout du suffixe –ul (voir ci-dessus, Affixes).

  • baraz

« Rouge ». Attesté dans le nom Barazinbar, « Rubicorne » 11). Peut manifestement engendrer la métathèse d’un mot le suivant, comme d’autres adjectifs réductibles, même lorsque ses voyelles ne sont pas réduites, comme dans Barazinbar (voir La métathèse ci-dessous).

  • #dush

« Noir ». Suggéré dans Buzundush, « Racine Noire », et dans la forme abandonnée Udushinbar qui devint Bundushathûr « tête nuageuse ». Dans le nom Buzundush, l’élément #dush signifierait « noir », se rapprochant de l’orquien « dushgoi » décrivant Minas Morgul ce qui laisserait supposer que le mot #dush signifierait en fait « sombre » en orquien également.

Udushinbar se rencontre uniquement dans la liste Barazinbar, Zirakzinbar, Udushinbar, et si c’est de cette façon que les Nains récitaient traditionnellement ces noms de montagnes le dernier devrait en fait être #Dushinbar avec la conjonction –u préfixée ; dans ce cas il n’y a pas de raison d’ajouter une occlusive glottale initiale.

  • #gabil

« Grand ». Suggéré dans Gabilân, « grande rivière», Gelion12), et dans Gabilgathol, « grande forteresse », « Belegost ». Il y a probablement un jeu de mot dans le mot composé Gabilgathol ; le mot pour « forteresse », gathol est quasiment identique au mot hébreu signifiant « grand » : « gadhol ». C’est aussi une des deux apparitions de la voyelle [o] dans la totalité du matériel attesté, et la seule où la voyelle est brève ; donc si Tolkien n’avait pas fait une petite plaisanterie avec la ressemblance entre gathol et « gadhol », le [o] court pourrait ne pas avoir existé du tout dans le corpus.

Gimli (© John Howe)

  • gamil

« Vieux » ? Du nom Gamil Zirak, « vieux pic (?) ». La signification de ce mot est clairement indiquée par l’apparition du nom parallèle « Zirak l’ancien » dans La Route perdue et autres textes. Nous avons ici aussi un éventuel jeu de mots avec la similitude entre gamil et le vieil anglais poétique « gamol » (suédois moderne « gammal »), « vieux ».

  • narag

« Noir ». Attesté dans Narag-zâram, « étang noir (?) » (nom abandonné pour Kheled-zâram), et Nargûn, « pays noir », Mordor. Nous avons ici l’exemple de deux formes différentes avec la même racine (adjectivale) de radicaux : 1 a 2 a 3 et 1 a 2 3. Les adjectifs du type réductible comportant le suffixe –ûn adoptent manifestement la structure d’un nom de la troisième déclinaison. Ce n’est cependant pas le cas pour le nom Gabilân, qui est stable, car il possède deux voyelles différentes, qui garderait ainsi les deux voyelles et prendrait la terminaison –ân-.

  • sigin

« Long », pl. Attesté dans le nom khuzdul de la lignée de Durin : Longues-Barbes (sigin tarâg). C’est le seul exemple d’un adjectif traduit par un pluriel mais il est impossible de déduire de ce seul exemple s’il s’agit d’une forme particulière du pluriel ou si le khuzdul ne possède pas de flexion plurielle pour les adjectifs. Cependant, la similitude avec zigil qui est traduit par un singulier suggère qu’il n’y avait pas de forme particulière pour les adjectifs au pluriel.

  • #zahar

« Creux ». Suggéré dans le nom Tumunzahar, « Demeure-creuse ». Ici, les éléments sont manifestement en ordre inverse par rapport à l’anglais 13) ; l’adjectif est ainsi placé en dernier comme dans Zirakzigil (voir zigil). Le nom, Tumun-, possède une forme objective (le radical original du nom devrait en fait être #T-M-M, et le mot devrait appartenir à la première déclinaison de type B ; ainsi la forme objective correcte devrait être #tumum, bien que le z de –zahar assimile ici le m à un n), il semble donc que lorsqu’un nom précède l’adjectif au lieu de le suivre, il prenne la forme objective. La raison pour laquelle ceci n’est pas vérifié dans Zirakzigil est discutée ci-dessous, sous zigil, et sous La métathèse.

  • zigil

« (De couleur) argenté(e) ». Attesté dans le nom de lieu Zirakzigil, « pic argenté ». Ce nom a été redéfini par Tolkien, passant de « argenté + pic » à « pic + argenté ». Je tiens la seconde interprétation comme la plus plausible, zirak devenant alors un nom respectant la structure de la quatrième déclinaison. zigil devient l’adjectif, s’accordant structurellement avec l’adjectif attesté sigin, et apparaissant également dans le nom alternatif pour le Kibil-nâla’ : Zigilnâd, qui signifie approximativement la même chose (« rivière argentée »). Ainsi la traduction du nom Gamil Zirak en « Vieux Pic » me semble plus logique que « Vieil Argenté », « pic » renvoyant à l’idée de « au sommet de », ou « maître ». Le nom Zirakzigil, comme Tumunzahar, indique la possibilité de laisser l’adjectif suivre le nom (sans les relier par un trait d’union – la forme Zirak-zigil a été abandonnée). Dans un tel cas le nom devrait normalement prendre la forme objective (voir ci-dessus, #zahar), créant le nom #Zirakuzigil. Cependant, la forme abrégée du nom de la montagne, Zirak, fort usitée, a pu affecter le nom complet, et la forme objective du nom dans ce mot composé être abandonnée.

Le nom Sharbhund étant traduit par « Colline chauve », il semble contenir un adjectif qui signifie « chauve », mais en vérité il devrait être composé de deux noms, le second signifiant explicitement « tête chauve ». Le premier nom signifierait ainsi « colline » et serait à l’état construit et le nom complet signifierait « colline de la tête chauve » (voir La métathèse).

Tout cela fait référence à des adjectifs en position attributive, car les adjectifs prédicatifs peuvent seulement être attestés dans des phrases complètes, phrases qui font défaut au corpus khuzdul. Mais comme il n’y a sans doute pas de copule « être » (comme dans Khazâd ai-mênu, « Les nains [sont] sur vous »), le khuzdul devrait distinguer les adjectifs attributifs et prédicatifs afin de marquer une différence entre des phrases comme « les longues barbes » et « les barbes sont longues ». Les adjectifs prédicatifs étaient peut-être formés avec la terminaison adjectivale –ul apparemment très utilisée (voir Affixes ci-dessus).

Verbes

Les verbes, occupant souvent la plus grande part des grammaires, ne remplissent même pas un vingtième de ce compte-rendu. La raison en est, bien entendu, un corpus attesté extrêmement maigre, en particulier en ce qui concerne les propositions complètes. Au total, il y a trois verbes attestés, dont deux quasiment identiques, ou du moins possédant la même base. Les mots sont felek « tailler la roche », felak « utiliser un outil de taille, un felak », et gunud « percer un tunnel ». Il y a également le radical S-L-N « chuter rapidement», tardivement attesté ; il est établi qu’« un nom tel que salôn ou sulûn » serait une formation régulière14). Ce que les structures vocaliques « 1 a 2 ô 3 » et « 1 u 2 û 3 » représentent n’est pas expliqué, excepté le fait que cela concerne la dérivation nominale (l’origine possible du nom « Lhun »), et comme ces structures ne ressemblent à aucune autre, il est difficile voire impossible de conjecturer quoi que ce soit.

L’analyse est difficile, en particulier à cause de l’absence d’exemples de formes différentes d’un même verbe. Cependant, on peut observer que le mot felak, est donc, d’une part, un nom (un type d’outil pour les tailleurs de pierre), et d’autre part, un verbe (utiliser cet outil). La racine #F-L-K est manifestement la même que dans felek, ainsi un verbe comportant deux voyelles identiques pourrait éventuellement devenir un nom en changeant l’une (ou les deux ?) de ces voyelles. Le nom suivrait alors une déclinaison distincte ne correspondant à aucune de celles données au-dessus – la structure nominale « 1 e 2 a 3 » est particulière à ce mot dans le corpus attesté. En outre, un nom peut évidemment être utilisé comme un verbe, et donc la racine #F-L-K dans sa forme felak peut redevenir un verbe et signifier « utiliser un felak ». Le fait que la forme nominale puisse aussi être utilisée comme un verbe indique que les verbes étaient identifiés par le contexte et/ou l’ordre des mots plutôt que par leurs formes isolées. Les vagues limites entre certaines parties du langage participent à l’image de langue relativement simple et fonctionnelle qui s’attache au khuzdul lorsque l’on considère les propositions verbales ; ceci est aussi raisonnablement imaginable, en considérant la manière et la raison pour lesquelles cette langue fut créée.

La métathèse

Une métathèse semble survenir dans trois mots composés attestés, déplaçant le premier radical du deuxième élément du mot composé. Il s’agit de Barazinbar, « Corne Rouge », ‘iglishmêk, la langue des signes des Nains, et Sharbhund, « Colline chauve ». Barazinbar est composé de l’adjectif baraz, « rouge », et du nom inbar, « corne ». Le dernier mot n’est apparemment pas dans sa forme basique. S’il fallait simplement mettre deux mots côte à côte pour obtenir un nom composé correct, ce nom devrait être #Baraznibar, à condition que le nom dont le radical est N-B-R (correspondant au radical attesté pour le nom « corne » - Tolkien a en réalité commis une erreur typographique en donnant le radical M-B-R) appartienne à la quatrième déclinaison. Mais il y a en fait une métathèse incluant le premier radical et la première voyelle du second élément, ce qui produit la forme Barazinbar.

Le deuxième exemple, ‘iglishmêk, comporte apparemment une métathèse impliquant les mêmes positions. Avec des règles plus simples, cela donnerait #‘iglshimâk si le second élément est un nom de la quatrième déclinaison (et se trouve ici au pluriel), signifiant « gestes ». Une métathèse donne ainsi #‘iglishmâk. Le changement de voyelle [â] > [ê] pourrait être une autre preuve de l’harmonie vocalique, changeant en particulier les voyelles lors des métathèses.

Sharbhund diffère des autres exemples car il semble présenter une métathèse n’impliquant que des consonnes, #sharhbund – sharbhund. Le premier nom fait très probablement partie de la troisième déclinaison, #sharh étant aussi bien sa forme à l’état absolu qu’à l’état construit et une métathèse survient lorsqu’il est relié à bund (avec ici comme possible signification spécifique : « tête chauve »), #sharhbund devient ainsi sharbhund, « colline de la tête chauve ».

Amon Rûdh (Sharbhund) © Ted Nasmith

Concernant la cause de la métathèse et sa règle d’apparition, on ne peut qu’émettre des conjectures. Dans les deux derniers exemples, on peut justifier la métathèse par la difficulté de prononcer les groupes consonantiques #-glsh-, qui apparaît à cause de la structure construite 1 i 2 3, ou #-rhb-, dans la liaison entre #sharh- et –bund. Ainsi ces exemples suggèrent une règle intervenant lorsque trois radicaux sont côte à côte (du fait de voyelles réduites dans des noms et des adjectifs réductibles) et qui provoquerait une métathèse d’un certain type afin de faciliter la prononciation.

Formuler une règle expliquant pourquoi Barazinbar a subi une métathèse et pas Gabilgathol est plus difficile, car ces deux mots ont une construction assez similaire. Mais baraz, possédant deux voyelles similaires, semble être un adjectif réductible, alors que Gabilgathol inclut un adjectif stable dont les voyelles sont immobiles, et ne pourrait ainsi former aucun groupe triconsonantique en les réduisant. Même si dans ce cas les voyelles de baraz ne sont pas réduites, cela aurait pu se produire initialement et créer le nom #Barznibar qui serait devenu #Barzinbar par métathèse. Puis, inspirés par le surnom très usité donné à la montagne, Baraz, les Nains pourraient avoir reconstruit le nom complet en Barazinbar, en conservant la métathèse de la forme #Barzinbar, gardée en mémoire.

Un exemple de ma méthode de travail : Nulukkhizdîn

Le nom de lieu Nulukkhizdîn « Nargothrond » représente un exemple caractéristique de mon travail de reconstruction des formes et des règles grammaticales en khuzdul. Pour ce cas là comme pour nombre d’autres j’ai reçu l’aide précieuse de Jay Lawson, qui fut le premier à me faire prendre conscience de la similarité des radicaux de Nuluk- et nâla’. Si ces mots proviennent réellement de la même racine, on peut arriver à la conclusion qu’une occlusion glottale pourrait s’assimiler à la consonne qui la suit lorsqu’elle apparaît comme le dernier radical du premier élément d’un mot composé. L’occlusion glottale peut en effet être assimilée à une consonne subséquente en arabe, cette hypothèse n’est donc pas farfelue.

La théorie est indiquée de manière plus développée avec la forme ancienne du nom de lieu donnée par Tolkien : Nulukhizidûn, qui ne comporte qu’un seul [k], appartenant indubitablement au second élément. Cette version première du nom, en plus d’indiquer que les suffixes –ân, -în et –ûn sont en fait identiques, conforte également ma supposition avançant que la forme absolue au pluriel des noms de la quatrième déclinaison est 1 i 2 î 3, puisqu’il semble qu’il y ait une règle liant ce suffixe au nom dans l’état construit, qui correspond la plupart du temps à la forme absolue avec des voyelles réduites. Que ce nom ait été changé en Nulukkhizdîn peut être expliqué par la supposition suivante : 1 i 2 i 3 était un pluriel (à l’état construit), et un suffixe tel que –în ne pourrait s’attacher à un pluriel étant donné qu’il indique un nom de personne ou d’élément géographique.

On peut ainsi identifier les radicaux #N-L-’ du nom nâla’ et #Kh-Z-D du nom Khazâd. Cela nous laisse avec la question des structures vocaliques 1 u 2 u 3 – 1 i 2 3 în. Cela a généré mes hypothèses que la structure 1 u 2 u 3 est la forme objective du singulier du nom nâla’, appartenant à la deuxième déclinaison, que la structure 1 i 2 3 est l’état construit du singulier du nom de la quatrième déclinaison #khizad, et que la forme adaptée –în est la terminaison personnifiante –ûn harmonisée ici au niveau des voyelles avec l’élément -khizd.

En supposant que la première racine citée #N-L-’ signifient « cours (de rivière) » et que la quatrième déclinaison indique un diminutif, le nom de lieu Nulukkhizdîn signifierait « terre des Petits-Nains sur le cours de la rivière ». La nature autour de Nargothrond accepte une telle interprétation, car ces demeures étaient situées à proximité de la rivière Narog.

Conclusion

Ce qui a été présenté ici est un corpus de théories très largement hypothétiques, ou même de conjectures logiques, mais je pense néanmoins être assez qualifié pour conjecturer, de par mon expérience des langues inventées en plus d’études universitaires élémentaires sur l’hébreu biblique. Dans ma recherche de cas attestés, j’ai été largement aidé par la page web de Helge Fauskanger concernant le khuzdul sur Ardalambion, et en ce qui concerne le formatage et l’édition, j’ai énormément de gratitude à l’égard de Gildir, Per Lindberg, et Elros, Måns Björkman, respectivement président et secrétaire de Mellonath Daeron. La majeure partie des traductions en anglais et de la refonte éditoriale a été réalisée par Beregond, Anders Stenström. Concernant les nombreuses idées et théories de cet essai, en particulier celles à propos de Nulukkhizdîn et Tumunzahar, j’ai reçu une grande aide de Jay Lawson, avec qui j’ai eu de nombreuses et longues discussions à ce sujet et à propos du khuzdul en général.

Voir aussi

Sur Tolkiendil

Sur le net

1) , 2) SdA, Appendice E, II
3) N.B. : Dans The Lord of the Rings, A Reader’s Companion, ‘ûl (ruisseaux) est noté comme étant la terminaison adjectivale -ul. L’unique apparition du mot se trouve dans le nom de lieu Azanulbizar (notez la composition de l’état construit de l’élément central dans ce composé triple, — ‘ul-, lequel serait autrement -‘ûl-cf. la variante abandonnée ‘Azanûl), et concernant ce nom The Lord of the Rings, A Reader’s Companion est en désaccord avec The Return of the Shadow. Dans ce dernier, il est exposé que ce nom doit être lu « vallée-[des]-rigoles-sombres », alors que le RC dit que l’élément vallée (supposé être duban) doit être compris dans l’expression, et le nom doit être lu « rigoles-sombres ». Je suis tenté de supporter cette hypothèse, depuis que nous avons une nouvelle base explicitement décrite signifiant « vallée », à savoir D-B-N, et que l’existence de cette base serait difficile à défendre s’il y avait un autre mot possédant cette signification
4) N.d.T. : la matière
5) , 8) , 12) N.d.É. : Åberg indique ici qu’il s’agit du Sirion, mais c’est une erreur, comme le confirme le texte en WJ, p. 336 et en NM, p. 311, n.d.a. ‡.
6) Le Silmarillion, chap. 2 - traduction modifiée
7) Cf. la page de Wikipédia sur l’harmonie vocalique
9) N.d.T. : Les parenthèses encadrant les astérisques des mot mazarb et Z-R-B ont été ajoutées par nos soins. En effet, depuis la publication de cet article, ceux-ci sont attestés dans le Parma Eldalamberon #17, publié en 2007.
10) The Lord of the Rings, A Reader’s Companion, p. 269
11) N.d.T. : une traduction plus exacte serait « Corne Rouge »
13) N.d.T. : comme en français également
 
langues/langue_nains/khuzdul/analyse_nanesque.txt · Dernière modification: 04/09/2022 15:24 par Elendil
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