Le passé du noldorin premier

 Quatre Anneaux
Roman Rausch — Juin 2010
traduit de l’anglais par Damien Bador
Article théorique : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs.

Introduction

Après l’écriture du « Gnomish Lexicon » et du « Qenya Lexicon », l’étape majeure suivante de la création linguistique de Tolkien fut la « Early Qenya Grammar » (EQG) et la « Early Noldorin Grammar » (ENG), qu’il rédigea aux environs de 1923, alors qu’il vivait à Leeds. L’ENG est aussi accompagnée de deux compilations de vocabulaire, les « Noldorin Word-lists » (NW) et le « Noldorin Dictionary » (ND).

Il existe plusieurs paradigmes verbaux associés avec cette grammaire et les NW et ND listent en outre une vingtaine de verbes chacun, accompagné de leur passé. L’objectif de cet article est de classifier les modèles de passé du noldorin premier de cette époque. Nous verrons que les conceptions présentées dans les NW et ND ne sont pas exactement les mêmes et les deux seront donc traitées séparément avant que ne soit présentée une comparaison finale des paradigmes verbaux. Les citations sont référencées par page du PE 13, sauf exception signalée.

Remarques préliminaires

En qenya de l’EQG, le passé s’obtient par ajout des suffixes ye,ie,ne. Le plus commun est –ie, qui est « normalement accompagné d’un affermissement du radical consistant en (1) infixation en a (2) infixation en n (3) allongement vocalique »1)

La situation n’est guère différente en noldorin. Le passé fort s’obtient par infixation nasale et mutation en i dans l’ensemble du mot, laquelle est apparemment causée par le suffixe –ye. D’où mad- > maint (< #mantye) « mangea », là où le qenya a #mantye > mansie2). Noter que certaines formes pointent vers un suffixe passé –ya plutôt que –ye, e.g. la 3ème pers. masc. medenniog < #mat-an-yā-k-, fém. [med]ennias < #mat-ant-ya-s-3), mais ce passé faible est déjà analogique. Pour une discussion des mutations vocaliques du noldorin à cette époque, voir [6].

Tous les verbes peuvent être groupés en « verbes de base », qui ne contiennent aucun suffixe dérivationnel (et sont appelés « verbes forts en –(i) » par Tolkien4)), et « verbes dérivés », qui sont formés au moyen de –a, -ta, -nta, -ya, -tya5) en qenya. En noldorin, ces suffixes deviennent habituellement –a, -d, -ia.

Tolkien liste les verbes soit par leur racine, soit par leur infinitif, soit par la forme impersonnelle de la troisième personne du singulier. L’infinitif se forme habituellement en attachant le suffixe –i aux radicaux se terminant par une consonne et –d (< *-t) à ceux se terminant par une voyelle (et par conséquent surtout aux verbes dérivés). Dans le premier cas intervient une mutation en i. Mais *-t est parfois aussi ajouté aux racines consonantiques, où il cause des changements supplémentaires, comme alaith « inf. protégeant, défendant, protéger / protection » < #alakt-, radical #alag-, ou gonoth « inf. compter » < #go-nod-t, radical gonod. Finalement, les verbes dérivés se terminant en –ata > -ad voient habituellement leur dernière voyelle être allongée à l’infinitif : *-āta > -od, d’où tangod « fixer, fixant », radical #tangad-.

La forme impersonnelle de la troisième personne du singulier est habituellement dépourvue de terminaison, mais les mêmes verbes de base qui forment un infinitif avec *-t forment la troisième personne du singulier par mutation en i du radical nu (en gallois aussi, la troisième personne du singulier au présent est soit le radical soit une forme avec mutation en i de celui-ci). D’où elaig « #protège, défend » et genyd, goenyd « #compte ». Cela pourrait être dû au fait que le suffixe dérivationnel –ya n’est attaché au radical qu’au présent. Comparer avec la description de Tolkien de –(n)ta comme étant « simplement pour former le présent » en qenya – cela signifie que ce suffixe apparaît au présent (kapta « sauter ») et au futur (kaptuva), mais est omis au passé (kampie). De ce point de vue, les formes du présent elaig < alak-ya, masc. elegiog < #alak-ya-k-, fém. elegiais < #alak-ya-is- deviennent logiques. D’un autre côté #nuv- « coulant, descendant, couler, poser » donne la forme impersonnelle de la 3ème pers. ou par mutation en i, mais se comporte autrement comme un verbe de base, donc donne le masc. nuveg plutôt que **nyviog. Par conséquent, j’ai traité cette dernière catégorie comme un verbe de base. Peut-être la mutation en i devint-elle un outil morphologique par analogie.

Pour conserver des étymologies claires, les verbes seront cités par leurs racines (reconstruites si nécessaire).

I. « Noldorin Word-lists »

1.1 Verbes de base forts –type A: infixation nasale / mutation en « i »

Le passé fort des verbes de base est formé par une combinaison d’infixation nasale et de mutation en i. Le pluriel se forme au moyen du suffixe –i avec le changement médian –mp-, -nt-, -nc- > -mm-, -nn-, -ng-. Les formes crimp et plus tard (cf. 2.1) pint sont en fait glosées « vieux noldorin » (par conséquent le –nth- médian du pluriel pinthi serait ultérieurement #pinni en noldorin), dans d’autres cas le passé faible (cf. 1.2) est simplement mentionné comme « plus récent ». Il apparaît donc que la présente structure (1.1) devint finalement archaïque, et fut remplacée par une formation analogique.

  • V. nold. crimp, pl. crimmi < crib- « courber »6)
  • dainc « tua » < (n)dag- « tuer »7)
  • genynt, goenynt, pl. genynni < go-nod « compter »8) [présent formé par mutation en i : genyd, goenyd « #compte »]
  • hync, pl. hyngi < hug- « futur »9)
  • lhint, pl. lhinni < lhid- « flotter, naviguer »10)
  • lhimp < lhif « boit »11) [Noter qu’il s’agit en fait d’une construction analogique, la forme historique n’étant pas **slif- ou **plif- (qui produirait **lhif-), mais sḷq-, sḷp- qui se range sous (1.2).]
  • sainc, pl. sengi < sag- « combattre »12) [présent formé par mutation en i : saig « #combat »]

1.2 Verbes de base forts avec consonnes syllabiques – type B : infixation en « a »

Plusieurs exemples indiquent que le passé des verbes dotés d’une consonne syllabique était à l’origine formé par allongement vocalique. En noldorin, cela produit apparemment une infixation en a. Ainsi hist « crache » < hṣt et lhif < sḷq, sḷp sont dus à la résolution du syllabique en is et du > il13). Le passé de lhif est heilf (plus tard hailf), dérivé de sl:q- > #salf-, avec une mutation en i subséquente et le changement habituel s- > h- en position initiale. Il semble que les s: syllabiques longs deviennent as, d’où #hs:t- > #hast- et finalement haist.

  • haist < hist « crache » (hst-)14)
  • heilf, hailf < lhif « boit » (slq-, slp-)15)
  • gaist < gist « sait » (ʒist-)16)

Il semble que dans le noldorin ultérieur, l’infixation en a soit reconnue comme un nouvel outil, et qu’un nouveau présent analogique hilf soit formé, allant désormais avec le passé hailf. Cela régularise le désaccord des consonnes initiales (h- et lh-). De plus, le verbe gist « sait » doit être dérivé de ʒist-17), il n’y a pas de consonne syllabique dans ce cas. Le passé gaist est donc soit formé par analogie avec des verbes comme hist, soit l’infixation en a est régulière dans un cas comme celui-ci du fait que l’infixation en n n’aurait probablement pas d’effet sur la forme (#ʒinst- > ʒist-).

1.3 Verbes de base faibles analogiques : « -aint », pl. « -enni »

Le passé faible des verbes de base est formé avec le suffixe –aint, pl. –enni (avec mutation en i) pour n’importe quelle racine vocalique. Il semble que ce suffixe ait plus tard été introduit tant pour les verbes de base que les verbes dérivés. Les sources noldorines ultérieures indiquent qu’il s’agit d’une formation analogique dérivée des passés simples forts des verbes se terminant en –d (< *-t), comme maint et tengaint18) :

  • cribaint < crib- « courber »19)
  • goenoedaint, genedaint pl. gonedenni < go-nod « compter »20)
  • gwestaint < gwaist « est averti, reconnaît » (peut-être avec dissimilation ai > e)21)
  • histaint < hist « crache » (hst-)22)
  • lhifaint < lhif « boit »23) [voir (1.1)]
  • nyvaint < #nuv- « coulant, allant vers le bas, couler, mettre »24) [présent formé par mutation en i : , anciennement « #couler, pose, place »]
  • segaint, pl. segenni < sag- « combattre »25)

2.1 Verbes dérivés – forts : infixation nasale / mutation en « i »

Comme nous l’avons déjà mentionné, le suffixe dérivationnel –ta sert souvent à former le présent en qenya et est omis au passé (kaptakampie). Cependant, dans les formations causatives ou transitives, les suffixes passés –ne, -ine sont utilisés (lapta « #envelopper » (cf. lapa- « envelopper, bander, emmailloter, entortiller »26)) – laptane). L’infixation nasale est une autre manière de construire la terminaison passée (loktalokante)27).

Il semble que le suffixe servant à construire le présent en noldorin est plutôt –ya que –ta, cf. rotya- > rhoid en ND. Autrement, nous observons l’infixation nasale de la dernière consonne suivant la méthode loktalokante et l’habituel ajout de *-ye causant une mutation en i très visible.

  • cyrenaint (#curanant-), intr. agyraint < #curant-, inf. curenni « cailler » (#curan-t(a)-), 3ème pers. sing. masc. curanneg28)
  • mebaint (*mapant-) < maitha- (*mapta-) « ravir, capturer »29)
  • meriaint < meriad « habiter, vivre, demeurer » (#mbaryata-)30)
  • V. nold. pint, pl. pinthi < peda « dire »31)
  • tengaint < #tangad- « fixer » (#tankata-), #inf. tangod « fixer, fixant »32)

Noter que curenni est probablement formé à partir d’un –(n)ta causatif. Ce suffixe perd son –a final en noldorin, donnant presque un radical consonantique (cf. tangod, meriad), et l’infinitif se forme avec –i. Le passé intransitif agyraint semble uniquement être formé par inflexion en i, sans extension #curant- > #curana-n-t. L’augment semble être relativement unique – il n’apparaît ailleurs que dans agor, qui est néanmoins transitif.

Le verbe peda est manifestement dérivé au moyen de –a, comme on le voit aussi dans la 3ème pers. masc. pedog < #kwetā-k-. Puisque la terminaison dérivationnelle ne comporte aucune consonne pour l’infixation en n, celle-ci agit sur la consonne de la racine, comme dans le cas des verbes de base.

2.2 Verbes dérivés – faibles : « -(a)in(t) », pl. « -(e)n(n)i »

En qenya, ce passé s’obtient par ajout de –ne, mais le noldorin emploie à la place le suffixe –(a)int, -(a)in (< *-(a)ntye, *-(a)nye), pl. -(e)nni, -(e)ni (< *-(a)nti-, *-(a)ni-), qui, comme nous l’avons déjà mentionné, est probablement une dérivation analogique formée sur les passés forts réguliers, très probablement à partir des passés forts réguliers comme maint et tengaint33). La mutation en i s’applique à nouveau à l’ensemble du mot.

  • pedaint, pl. pedenni < peda « dire »34)
  • pisaint < #pisa- (*kwissa-) « murmurer », pis « murmure », masc. pisog35)
  • rheidiain(t), pl. rheidien(n)i < rhoid « laisser aller » (*rotya-), 3ème pers. sing. rhoidia, rhoe(i)dia, rheidia36)

2.3 Verbes dérivés avec « -tha » > « -aist »

Nous n’avons qu’un seul exemple de ce type :

  • crimmaist < crimtha « courber (tr.) »

C’est un composé de crimp « #courbé » et tha- « fabriquer, causer être ». Le passé s’obtient simplement par ajout de tha au passé de aist, voir (3).

3. Irréguliers

Le verbe tha- « fabriquer, causer être » est relativement irrégulier ; sa forme de base dérive de s’ta-, son radical passé est asti- avec une voyelle radicale préfixée. Cela donne aist sans affixe supplémentaire pour la forme impersonnelle de la troisième personne et astig pour la troisième personne masculine.

Un autre exemple irrégulier est gwaist « est averti, reconnaît » (*wa-ʒist, PE 13, p. 146), passé guist. Le présent dérive apparemment de ist « connaît », avec le préfixe gwa- « ensemble, co(n)- », mais le passé semble incorporer la forme non accentuée de ce préfixe go-, avec le changement subséquent oi > ui.

II. « Noldorin Dictionary »

Il existe une différence importante avec la formation du passé introduite en NW : dans le ND, il existe désormais deux temps passés, l’imparfait et l’aoriste. Bien que Tolkien ait plus tard appelé « aoriste » une forme verbale atemporelle ou habituelle, c’est traditionnellement un terme se référant à une simple action dans le passé, sans autre restriction d’aspect. Il est donc proche du parfait, bien que le parfait au sens propre renvoie à l’idée d’une action ayant déjà eu lieu au moment de l’énonciation ou à l’état résultant d’une action. Ainsi les formes anglaises was doing « faisait », did « fit » et has done « a fait » correspondraient approximativement à l’imparfait, à l’aoriste et au parfait, respectivement.

Noter qu’il n’existe pas de parfait dans les paradigmes des verbes du noldorin premier. En gallois, il existe un imparfait et un passé ; le passé peut avoir le sens du parfait, mais il a généralement celui de l’aoriste37). On peut observer que le noldorin premier est étroitement modelé sur la phonologie du gallois38) et il semble que Tolkien ait eu l’idée d’un système verbal qui en soit aussi très proche. Bien entendu, le grec ancien est aussi bien connu pour disposer d’un passé simple, d’un parfait et d’un aoriste pour exprimer le passé.

Le fait que l’aoriste noldorin soit bien un passé peut se voir par exemple dans la traduction de l’aoriste maint « mangea » ; comparer avec l’imparfait madath « mangeait ». De plus, toutes les formes passées habituelles de NW sont désormais désignées sous le nom d’aoriste. Ainsi le q. alatya « #défendre, repousser, protéger »39) forme l’aoriste altíne – c’est une forme qui s’accorde bien avec celle de EQG : tulya « envoyer, apporter » > passé tulĭne, ou tantya « faire rebondir » > tansĭne, rarement īne ; mais il n’y a pas de distinction entre l’imparfait et l’aoriste dans EQG.

II.1. L’aoriste

1.1 Verbes de base – forts : infixation nasale / mutation en « i »

  • edainc < adag « #construit, érige »40)
  • hync < hug- « [lat.] coire (trans.), futuere41) »42)
  • V. nold. maint « mangea » < mad « mange »43)
  • pint, plus tard peint < ped- « dire »44)
  • dadní (#dad-nubh-ye) < dadnú « #coule, descend la pente / les escaliers » (#dad-nubh-)45)

Les variantes pint et peint présentent différents résultats de mutation en i : dans le premier cas, nous voyons un rehaussement #pentye > #pint(i), dans le deuxième une infixation #pentye > #peint(i). Noter que dadní est uniquement formé par mutation en i, probablement à cause de la perte précoce de la spirante v après u – de la sorte, le verbe se termine par une voyelle et l’infixation nasale ne peut s’appliquer.

1.2 Verbes de base faibles analogiques – type A : « -(i)n(t) », « -(i)nn », pl. « -(i)n(n)ir »

Ce suffixe du passé faible est probablement le même suffixe *-ntye que pour les verbes dérivés, mais s’attache au radical par la voyelle connective –i-. Le pluriel se forme désormais avec le suffixe –ir plutôt qu’avec –i comme en NW, mais il est uniquement attesté pour alaith.

  • elchin(t), pl. elchin(n)ir [vieux] < #al(a)ch- « défendant, repoussant, protéger / protection », inf. alaith < #alak-t-46) [présent formé par mutation en i : elaig, masc. eleigiog, fém. eleigiais]
  • emrynn, emrynt (< #amrontye) < amró « #s’élever »47)
  • pedint < ped- « dire »48)

1.2 Verbes de base faibles analogiques – type B : « -aint », pl. « -ennir »

  • elchaint, pl. [elch]ennir < #al(a)ch- « défendant, repoussant, protéger / protection », inf. alaith < #alak-t-49) [présent formé par mutation en i : elaig, masc. eleigiog, fém. eleigiais]
  • geraint < 3ème sing. ou inf. gair « il y a de la place (pour) » (#gar-)50)
  • genedaint < go-nod- « #compter »51)
  • medaint, masc. medenniog, fém. [med]ennias, pl. [med]ennir < mad « mange »52)
  • dadnyvaint < dadnú « #coule, descend la pente / les escaliers » (#dad-nubh-)53)
  • pedaint < ped- « dire »54)

Noter que dans dadnú la spirante v (bh) disparaît après le u en position finale.

1.3 Verbes de base forts avec consonnes syllabiques : infixation en « a »

  • haich < hich « vomit » (*pṣk-)55)
  • haist < hist « crache » (*sṣt- ou *pṣt-)56)

Le p- initial devient h- en noldorin premier, et le -ṣ- syllabique est résolu en –is-. Au passé, nous avons probablement à nouveau à faire avec le #s: syllabique long, qui donne as. Noter aussi sk > ch.

2.1 Verbes dérivés – forts : infixation nasale / mutation en « i »

  • enneirn (< #antharn-yē) < athra- « faire face, regarder dans une certaine direction, s’opposer », v. nold. anthra-57)
  • glebaint (passé) < #glabad-, inf. glabod « bavardant &c. »58)
  • goelwaint, gelwaint < golwad- « puanteur, puer » (< #golwat(a)-), pl. goelwedir59)
  • mebaint < maitha- « ravir, capturer »60)
  • rhynt < rhaid « se hâter, se presser », v. nold. rhoid (*rotya-)61)

Noter qu’après le r il semble que nous ayons affaire à un suffixe nasal (> rn) plutôt qu’à un infixe. On peut fort bien voir le verbe anthra- se ranger dans la même catégorie que maitha < mapta ou le q. lokta – il subit une extension lors de l’affermissement nasal, d’où #antra- > #antar- > #antarnye > enneirn. Comparer avec mapta > #mapat- > passé #mapantye > mebaint et lokta > lokante.

Des explications supplémentaires sont nécessaires dans le cas de rhynt < rhaid. La base verbale est rotya- et il n’y a pas changement de la voyelle racine, sauf pour l’épenthèse o > oi, peut-être parce que les mutations en a et en i du o s’annulent l’une l’autre. Ainsi, si la première mutation en i réhausse rotyā > #ru(i)tya, la voyelle u est à nouveau abaissée par la mutation en a subséquente > rhoid. Finalement, le v. nold. oi donne régulièrement ai. Cette explication n’est cependant guère convaincante. Il se pourrait que les variantes rotya- > **rh(o)eid-, **rhuid n’aient simplement pas été réalisées (la première l’a été à la troisième personne du masculin rhe(i)diog, au côté de rhoidiog). Dans tous les cas, il n’y a pas de mutation en a au passé : #rontye- > #runtye- > rhynt.

2.2 Verbes dérivés – faibles : « -(a)int »

  • rhestaint < rhosta, amrosta « #s’élever »62)
  • ethraint (aoriste) < athra- « faire face, regarder dans une certaine direction, s’opposer », v. nold. anthra-63)
  • crennaint, agraint (passé) < crenni (< #kran-t(a)-) « finir, compléter, accomplir »64)
  • maithaint < maitha- « ravir, capturer »65)
  • rhodaint < rhaid « se hâter, se presser », v. nold. rhoid (*rotya-)66)

Noter que le suffixe du passé se substitue à l’ensemble de la terminaison dérivationnelle –ya dans rot-ya- > #rot-antye > rhodaint. Ce n’est pas le cas en NW, où la forme correspondante est rheidiain(t) < #rotya-ntye.

3. Irréguliers

  • Agor, pl. agori, egerni < cara « fabriquer, faire, exécuter, agir (trans. et absolu) »67)

Ce passé semble se former par allongement vocalique et ajout d’augment #akār- > agor, mais une nasale peut se voir dans le plur. #akarni > egerni. Bien que cette structure soit devenue habituelle dans le sindarin ultérieur, agor est une exception en noldorin premier.

II.2. L’imparfait

La conjugaison de l’imparfait suit en fait une structure très simple – elle s’obtient par ajout du suffixe –ath pour toutes les classes de verbes. Cette terminaison peut causer une mutation en a de la voyelle précédente.

  • -(a)th, pl. -(e)thir, -aith
  • amro(a)th, pl. amroethir, -rethir < amró « #s’élever »68)
  • madath « mangeait » < mad « mange »69)
  • dadnovath, -nuvath, pl. dadnyvaith, -nevaith, dadnévethir, -nyvethir < dadnú « #coule, descend la pente / les escaliers » (#dad-nubh-)70)
  • maithaf (#maithath dissimilé) < maitha- « ravir, capturer »71)

III. Comparaison des paradigmes verbaux

Les NW et ND sont accompagnés d’une grammaire intitulée « Lam na·NGoluith » et plusieurs paradigmes de conjugaisons verbales qui peuvent être comparés avec ce dont nous avons discuté jusqu’ici :

Paradigme 3ème sing. du passé de glathra- « polire » 3ème sing. du passé de mad- « manger », dag- « tuer »
Rejeté (PE 13, p. 126-127) glathraithglathrath maint
Conservé (PE 13, p. 129-130) glathraith maint, dainc

Nous voyons ici le suffixe –ath des verbes dérivés et l’infixation nasale des verbes de base – une distinction n’étant jamais rencontrée dans les lexiques. En outre, le schéma retenu possède des colonnes qui représentent probablement l’aoriste, qui se forme apparemment au moyen de préfixes, glathra « #polit » > aglathra, dengin « #je tue » > gindengin, manthin « #je mange » > (gi)mennin. Une telle structure n’apparaît pas non plus dans les lexiques. De plus, il existe un paradigme très détaillé72) avec une conjugaison complète de cinq verbes différents :

3ème sing. de tangad-
« rendre ferme »
3ème sing. de lub-
« nettoyer »
3ème sing. de mad-
« manger »
3ème sing. de adag-
« construire »
3ème sing. de gurdh-
« mourir »
Passé (imparfait) tangàdath *lhovath, lhuath madath adagath gwardhaf
Aoriste tengaint *lhîf, *lhîw, lhuaint maint edainc, edegaint gwridh

Ce paradigme est en accord avec ND, où madath, maint, edainc apparaissent aussi (tengaint apparaît en NW). Noter que la glose de lub- semble refléter une forme primitive, devenant #lhuv- en noldorin. D’où les possibilités #lhuvath > *lhovath avec mutation en a (marquée d’une astérisque par Tolkien) ou #lhuvath > lhuath avec perte du v après le u (cf. dadnú, ci-dessus). Les formes aoristes *lhîf, *lhîw sont aussi marquées d’une astérisque par Tolkien – elles semblent uniquement être formées par mutation en i (cf. dadnú > aoriste dadní ci-dessus) et la finale –v n’est pas perdue du fait que la voyelle précédente n’est plus u. À la place, elle devient un –f dévoisé ou l’approximante –w (cette dernière pourrait aussi être une voyelle [u]).

Le passé gwardhaf est à nouveau dissimilé par rapport à #gwardhath (cf. maithaf). L’aoriste gwridh semble étrange à première vue, mais peut s’expliquer par le fait que sa forme primitive avait un syllabique : ngwṛþ-ou gṷrþū́ > goldogrin gurthu « mort »73). D’où peut-être (n)gwṛđ-ye > gwridh (avec un g labialisé) ; et il n’y a pas de place pour l’infixation en n.

Bibliographie

Voir aussi

Sur Tolkiendil

Sur le net

1) Version originale : « normally accompanied by stem strengthening consisting out of (1) a-infixion (2) n-infixion (3) vowel lengthening » ; EQG : PE 14, p. 56
2) PE 14, p. 57
3) , 42) , 43) , 52) , 55) , 56) , 60) , 65) , 69) , 71) PE 13, p. 163
4) , 61) , 66) PE 13, p. 165
5) PE 14, p. 56
6) , 7) , 19) , 28) PE 13, p. 141
8) , 20) PE 13, p. 145
9) , 14) , 22) PE 13, p. 147
10) , 11) , 15) , 23) PE 13, p. 148
12) , 25) , 32) PE 13, p. 153
16) PE 13, p. 144
17) , 21) PE 13, p. 146
18) , 33) PE 17, p. 44
24) PE 13, p. 151
26) PE 12, p. 51
27) PE 14, p. 58
29) PE 13, p. 149
30) PE 13, p. 150
31) , 34) , 35) , 36) PE 13, p. 152
37) J. Morris-Jones, An Elementary Welsh Grammar §267, 270
39) , 40) , 46) , 49) PE 13, p. 158
41) N.d.T. : ces deux termes signifient « copuler ».
44) , 45) , 48) , 53) , 54) , 70) PE 13, p. 164
47) , 62) , 68) PE 13, p. 159
50) , 64) , 67) PE 13, p. 161
51) , 58) , 59) PE 13, p. 162
57) , 63) PE 13, p. 160
72) PE 13, p. 131-132
73) PE 11, p. 43
 
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