Dérivation en elfique primitif

Cinq Anneaux
Helge Kåre Fauskanger
traduit de l’anglais par Damien Bador
Article de synthèseArticles théoriques : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs.

En elfique primitif, la quasi-totalité des mots peut se décomposer en un radical suivi d’une terminaison dérivationnelle et nous nous efforcerons ici de lister ces suffixes. Dans la langue primitive, le radical et la terminaison sont habituellement faciles à distinguer, tandis que la frontière entre les deux est souvent brouillée par des changements phonétiques dans les langues ultérieures. Par exemple, le mot primitif *sukmā « vaisseau à boire » se divise aisément en un radical SUK- « boire » et une terminaison – dénotant un ustensile — mais en quenya, qui changea le km originel en ngw, le mot résultant, sungwa, ne peut plus être analysé aussi facilement. (En dépit d’exemples comme celui-ci, les terminaisons originelles sont fréquemment reconnaissables en quenya, qui présente un abrégement régulier des voyelles finales : - apparaît normalement sous la forme –ma. Une grande partie de ce que j’ai dit reste vrai pour les descendants directs de ces suffixes en quenya, alors qu’en sindarin, les terminaisons originelles sont considérablement altérées et parfois même remplacées par de nouveaux suffixes.)

Il faut noter que l’ómataina ou « extension vocalique », la seconde voyelle du radical, redoublée, est fréquemment omise lorsqu’une terminaison est ajoutée pour produire un mot réel. Il y a clairement certains mots pour lesquels la seconde voyelle persiste, comme lorsqu’ULU- « déverser » donne ulumō « #verseur », mais elle tombe souvent. En WJ, p. 416, est donné le radical *NUKU « rabougri », mais dans le dérivé *nuktā- « atrophier » ne figure pas le second U de *NUKU. D’un autre côté, l’ómataina peut parfois figurer dans des dérivés même quand le radical est donné sous sa forme la plus brève, comme lorsque le nom *tyulussē « peuplier » est dérivé de TYUL- « se tenir (droit) » ; ce nom se base en fait sur la forme avec ómataina #TYULU.

La seconde voyelle des radicaux dissyllabiques comme GÓLOB- ou STÁLAG- peut aussi être omise dans les mots réels qui en sont dérivés ; ces radicaux se manifestent comme étant golb- et stalg- dans les dérivés *golbā « branche » et *stalgondō « héros, homme intrépide » (Voir aussi plus bas au sujet de *laik-wā dérivé de LÁYAK-.)1) Il existe aussi des mots où la première voyelle tombe lorsqu’elle est inaccentuée : par exemple, le radical BERÉK- donne #b’rektā- « se rompre soudainement » et KARÁN- produit *k’rannā « roux » (mais de ces mêmes radicaux proviennent berékā « sauvage » et *karani « rouge », avec la première voyelle du radical intacte). Cette perte des voyelles racines inaccentuées se voit très fréquemment dans les formes originelles des mots sindarins et peut être considérée comme un phénomène qui advint après la phase la plus ancienne, en telerin commun, de sorte que *b’rektā-, par exemple, représente un #berektā- antérieur. Mais dans une phase au moins, une forme où une voyelle inaccentuée a été omise est sous-jacente dans un mot quenya : ráca « loup », qui descend d’un #d’rāk primitif, radical DARÁK-. Le mot primitif #darāk-, avec une première voyelle intacte, aurait lui donné le quenya **laraca. Ainsi, dans certains cas au moins, la voyelle inaccentuée doit avoir disparu au plus tard en eldarin commun. Dans le cas des radicaux dissyllabiques avec une consonne finale, celle-ci et la voyelle finale peuvent aussi échanger leur place lorsqu’est ajoutée une terminaison : ainsi le radical ÚLUG- se manifeste sous la forme ulgu- dans le mot *ulgundō « monstre ».

Noter que dans de vrais mots, si j est la consonne finale d’un radical, il devient invariablement i devant une consonne, fusionnant avec la voyelle racine pour produire une diphtongue en –i (comme lorsque le radical TUY — ou #TUJ — donne le mot *tuimā « une pousse, un bourgeon » au lieu de **tujmā). De même, w devient u devant une consonne, comme lorsque TIW- produit *tiukā « épais, gras » (pour **tiwkā). Si un radical dissyllabique perd sa seconde voyelle dans une forme dérivée et que la consonne médiale est une semi-voyelle qui est donc amenée en contact direct avec la consonne finale, cette semi-voyelle peut à nouveau fusionner avec la voyelle qui précède pour former une diphtongue (comme lorsque le radical LÁYAK- se manifeste sous la forme laik-, au lieu de **layk- ou **lajk- dans le dérivé *lai̯k-wā « vert »). Chose intéressante, le VT 45 révèle que dans ce cas comme dans beaucoup d’autres, Tolkien marqua les voyelles générées à partir des semi-voyelles avec un diacritique spécial dans son manuscrit original (un petit arc souscrit2)) Dans une certaine mesure, ces voyelles peuvent toujours être considérées comme des consonnes. Parfois mais pas toujours, j devient aussi i devant des voyelles, comme lorsque DAY- (#DAJ) donne #dai̯ō « ombre » - mais pas toujours : voir #nāje « lamentation », dérivé de NAY- (#NAJ). Dans le premier cas, le i est marqué avec le diacritique discuté ci-dessus (cf. VT 45, p. 8), indiquant manifestement qu’il doit aussi être considéré comme une semi-voyelle. Il se pourrait donc qu’il n’y ait pas une telle « différence » entre les deux orthographes au final.

La plupart des mots primitifs se terminent par une voyelle, parfois brève mais souvent longue. Celle-ci peut constituer une terminaison complète par elle-même ou faire partie d’une terminaison plus longue. Il est impossible de formuler une règle stricte et rapide déterminant ce que les différentes voyelles finales dénotent ; au plus existe-t-il certaines tendances. Pour parler très généralement, les mots avec un A final sont souvent des verbes ou des adjectifs, et s’il s’agit de noms, ils dénotent des choses concrètes plutôt que des abstractions ou des substances. Les mots en I sont souvent des adjectifs de couleur ; s’ils sont des noms, ils dénotent habituellement des êtres féminins. Les mots en O sont pour la plupart des noms et désignent typiquement des être animés (masculins) ; ces mots ont très souvent une signification agentive. Les mots en U sont relativement rares ; ce sont presque toujours des noms, qui dénotent typiquement des êtres masculins ou des parties du corps.

Terminaison « –ā », « –a »

La terminaison –ā (ou –a) figure dans de nombreux types de mots, mais la plus notable est la terminaison adjectivale en –ā que mentionne Tolkien en WJ, p. 382. Les adjectifs peuvent être dérivés par simple suffixation, comme *mizdā « mouillé » < radical MIZD- ou *télesā « arrière » < TELES-. Cependant, cette terminaison se combine souvent avec certaines transformations du radical :

  • Affermissement médian comme M > MB, N > ND ou L > LD, e.g. *rimbā « fréquent, nombreux » de RIM-, *kandā « audacieux » de KAN-, *kuldā « rouge-doré » de KUL-.
  • Infixation nasale, e.g. *tungā « tendu, étroit » de TUG-, voir aussi WJ, p. 375, où Tolkien dérive #pendā « incliné » du radical *PED « pencher, s’incliner ».
  • Infixation en a, e.g. *thausā « répugnant, nauséabond, putride » de TUS- (voir aussi maikā « aigu » de MIK (WJ, p. 337) et #naukā « #rabougri » de *NUKU ; WJ, p. 413).
  • Infixation en i ; elle a lieu dans un petit groupe de formation désidératives. Par exemple, l’adjectif *meinā « empressé d’aller, désirant commencer » vient du radical *MEN « aller »3). (Ce mot pourrait apparemment aussi s’utiliser comme un verbe « désirer aller dans une certaine direction, viser quelque chose, avoir quelque but en vue » ; c’est au moins vrai pour son descendant quenya mína-.) On trouve d’autres exemples en quenya : maita « affamé », dérivé du radical *MAT « manger » et soica « assoiffé » de *SOK « avaler, engloutir, boire » (formes primitives #maitā, #soikā). Voir VT 39, p. 11.
  • Allongement de la voyelle racine, e.g. *khīmā « collant, visqueux » de KHIM-, *rāba « sauvage, indompté » de RAB-, dāla « plat » de DAL-.
  • Préfixation de la voyelle racine : *askarā « déchirement, précipitation » de SKAR- « déchirer, rompre » (dans les faits, *askarā devient un genre de participe).

Les noms en –ā présentent le même genre de variation ; dans la plupart des cas, de tels noms dénotent des choses inanimées. Certains sont dérivés par simple suffixation, e.g. *wedā « lien » (WED-) ou *golbā « branche » (GÓLOB-). Certains présentent une infixation nasale : *kwentā « conte » (de KWET- « parler »), *randā « cycle, âge » (RAD-), *kwingā « arc » (KWIG-). Nous notons aussi des cas où la voyelle racine est allongée, comme pour *rāmā « aile », dérivé de RAM-, ou kānā « tollé, clameur » de KAN- (voir PM, p. 361–362 pour ce dernier exemple). Le doublement de la consonne finale du radical s’observe aussi : *rattā, *ratta « cours, lit de rivière », dérivé de RAT-, *gassā « trou, interstice, intervalle » de GAS-. Le mot *ankā « mâchoire, rangée de dents » se base sur une forme réarrangée du radical NAK- « mordre » ; Tolkien écrivit en fait « an-kā » comme pour souligner que la voyelle du milieu disparaissait. Il est difficile de dire si le –ā final est une terminaison indépendante ou juste la voyelle racine suffixée et allongée. La dérivation similaire d’OKTĀ- « guerre » à partir de KOT- « s’efforcer à, se quereller » présente clairement une terminaison indépendante –ā, puisque la voyelle racine est ici O.

Comme noté plus haut, il existe de nombreux verbes présentant un A final, mais qui fait partie de terminaisons plus longues en – ou –. La terminaison simple –a, –ā est très rare pour les verbes. On peut noter *olsa- « rêver » du radical ÓLOS-. Un –ā long combiné avec un affermissement médian M > MB est présent dans *tambā́ « toquer » (TAM-) ; le –ā final est indiqué être accentué. De même pour la voyelle finale de #battā́- « piétiner », avec une « consonne médiale [du radical BAT-, #BATA] allongée selon une formation fréquentative ». Pour certains radicaux verbaux, le –a final est très clairement une simple répétition de la voyelle racine, par exemple stama- « barrer, exclure »4) ou glada « rire »5). Ils ne nous concernent donc pas ici.

Terminaison « –dē »

En tant qu’équivalent féminin de – (voir ci-dessous), nous nous attendrions à –, et cette terminaison est peut-être attestée dans *asmalindē « oiseau jaune, bruant jaune » (SMAL-). La terminaison –(i)ndē que l’on voit ici pourrait être considérée comme une forme avec infixation nasale de *–, similaire à –ndō pour –. (En quenya, -ndë peut apparemment être utilisé pour un inanimé aussi bien qu’un agent féminin : cf. ulundë « inondation », dérivé de ULU- « s’écouler ».)

Terminaison « –dō »

Plan de l’article :
L’elfique primitif :
là où tout a commencé

Le suffixe – est une terminaison (habituellement agentive) qui est privilégiée dans le cas de radicaux se terminant par N : #ñgandō « #harpiste », dérivé de ÑGAN- / ÑGANAD-, et #lindō « chanteur », de LIN2-. (Dans cette dernière entrée des « Étymologies », seule la forme quenya ultérieure lindo est listée, mais la forme archaïque #lindō est donnée comme élément du composé *tuilelindō « hirondelle », étymologiquement « chanteur du printemps », dans l’entrée TUY-. #ñgandō n’est de même attesté qu’en tant qu’élément du mot tjalañgandō « joueur de harpe » ; voir TYAL-, ÑGAN- / ÑGANAD-.) Il y a aussi le mot #ndandō « Nando, Elfe-vert », interprété par « celui qui revient sur sa parole ou sa décision » (les Nandor furent appelés ainsi parce qu’ils quittèrent la marche depuis Cuiviénen ; le radical DAN-, NDAN- indique « l’inversion d’une action de manière à défaire ou annuler son effet » ; WJ, p. 412). Dans *ñgolodō « Ñoldo »6), la terminaison – suit la voyelle racine redoublée (ómataina) du radical ÑGOL-. Dans ce mot, - n’a apparemment aucune signification agentive ; c’est simplement un suffixe personnel (masculin), indiquant quelqu’un qui a la propriété dénotée par le radical ÑGOL- (sage, sagesse).

Le mot eldarin commun *rondo « toit voûté » ne contient pas la terminaison – ; il vient du radical RONO (absent des Étym.), avec affermissement médian n > nd7). De fait, il est possible que des mots comme #lindō soient dérivés de LIN- au moyen d’un affermissement similaire et de la terminaison plus simple –ō (voir ci-dessous). La question n’a guère d’intérêt pratique.

La terminaison – apparaît aussi sous une forme avec infixation nasale –ndo ou –ndō. Dans le mot *ulgundō « monstre, créature hideuse et déformée », dérivé d’ÚLUG-, elle ne semble pas être agentive, mais être simplement utilisée pour former un nom. Dans les mots *kalrondō « héros » (de KAL- « briller ») et *lansrondo, *lasrondo « auditeur, écoutant, oreille indiscrète » (de LAS2- « écouter »), la terminaison –ndo / –ndō semble être suffixée à une autre terminaison masculine, - / -ro (voir ci-dessous). Tolkien écrivit en fait « lansro-ndo, lasro-ndo » pour rendre cela plus clair. Voir aussi –ondō.

Terminaison « –ē », « –e »

La terminaison –ē, –e a plusieurs sens, ou plutôt quelques significations spécialisées et d’autres très générales. Un certain nombre de mots en –ē ou –e dénotent des choses abstraites ou intangibles ; dans ce cas, la voyelle racine est souvent allongée : *nēthē « jeunesse » (NETH-), ñgōlē « Science / Philosophie »8), *ñōle « odeur » (ÑOL-), rēnē « souvenir »9), *slīwē « maladie » (SLIW-), *tūrē « maîtrise, victoire » (TUR-). La voyelle racine demeure brève pour *weȝē « virilité, vigueur » (WEG-), *et-kelē « source, résurgence d’eau » (KEL-) et *naje « lamentation » (NAY-), tandis que *khaimē « habitude » présente une infixation en a au lieu d’un allongement (KHIM-). Dans le mot *esdē > *ezdē « repos », origine du nom quenya de la Valië Estë, le radical SED figure sous la forme alternative ESD-10). Pour –ē en tant que terminaison abstraite, comparer aussi avec les terminaisons longues –, – et , qui sont souvent employées pour dériver des mots abstraits.

Un autre groupe de noms en –ē dénote des substances : *khjelesē « verre » (KHYEL(ES)-), #kjelepē « argent » (KYELEP-), *laurē « lumière dorée » (LÁWAR- / GLÁWAR-), *mazgē « pâte » (MASAG-), #rossē « rosée, écume »11), *slingē « toile d’araignée » (SLIG-), *srawē « chair »12) ; nous pourrions même inclure *mizdē « pluie fine » (MIZD-). Une terminaison féminineē, –e se voit dans le mot *tawarē, *taware « dryade, esprit des bois » (manifestement féminin, contraster avec le masc. *tawarō, *tawaro) (TÁWAR-). Voir aussi *bessē « épouse » (BES-), quoiqu’il puisse contenir une terminaison longue –, ainsi que la voyelle finale du pronom , se « elle » (radical S- ; également , si). Quelques noms en –ē dénotent des lieux : *ndorē « terre » (NDOR- ; WJ, p. 413), *taurē « grand bois, forêt » (TÁWAR-) ; nous pourrions aussi ajouter *et-kelē « source, résurgence d’eau », déjà mentionné (KEL-).

Cependant, la terminaison –ē apparaît aussi dans de nombreux noms qui semblent ne rien avoir en commun au plan sémantique. Elle peut être utilisée seule (comme dans spinē « mélèze », dérivé de SPIN-, ou #tatharē « saule », de TATHAR-), mais plus souvent, elle est combinée avec une autre manipulation du radical, comme l’infixation nasale (*londē « chemin étroit », de LOD-), allongement de la voyelle racine (*rīgē « couronne », de RIG-), infixation en a (*laibē « pommade », de LIB2-), affermissements médians comme M > MB ou N > ND (*rimbē « foule, troupe », de RIM- ; *spindē « boucle de cheveux, tresse », de SPIN-) ou doublement de la consonne finale du radical (*lassē « feuille », de LAS1-, *b’rittē « gravier », de BIRÍT-). *nībe « front, face » présente un –e bref, mais la voyelle racine de NIB- est allongée. Dans certains noms, la terminaison –ē, –e pourrait s’analyser comme étant simplement la voyelle racine suffixée et parfois allongée, e.g. dans *eredē « graine », #kjelepē « argent », ndere « marié » (ERÉD-, KYELEP-, DER- / NĒR-). Des adjectifs comme dene- « mince et fort, souple, svelte »13) ou des radicaux verbaux comme *dele « marcher, aller, procéder, voyager »14) devraient probablement être analysés de la même manière ; aucune vraie terminaison dérivationnelle n’est présente. C’est la même chose pour le nom *kwende « Quendë, Elfe », qui est dérivé du radical *KWENE par affermissement médian N > ND, pas par l’ajout d’une terminaison distincte –e15).

Terminaison « –i »

La terminaison –i figure dans un grand nombre d’adjectifs, dont beaucoup désignent des couleurs. Dans le cas des radicaux monosyllabiques se terminant par N, cette terminaison se combine toujours avec l’affermissement N > ND : *slindi « fin, délicat » (SLIN-), *thindi « blême, gris, pâle, gris argenté ou pâle » (THIN- ; WJ, p. 384), *windi « gris-bleu, bleu ou gris pâle » (WIN- / WIND- ; *windi fut biffé). *ninkwi « blanc » combine la terminaison –i avec une infixation nasale du radical NIK-W-. D’un autre côté, *karani « rouge » (KARÁN-) ne présente pas de modification supplémentaire, juste un ajout de la terminaison. Un autre adjectif de couleur encore, *lugni « bleu » (LUG2-) semble contenir une terminaison plus longue –ni, qui n’est attestée que dans ce mot. Dans #ringi « froid », la terminaison pourrait être la voyelle racine suffixée16). *mori est dit être à la fois l’adjectif « sombre, ténébreux » et le mot abstrait « ténèbres » (L, p. 382 ; dans « Les Étymologies, radical MOR-, la glose est simplement « noir »).

Cela nous amène aux noms en –i. Certains sont abstraits, comme *rinki « fioriture, secousse rapide » (RIK(H)-, noter l’infixation nasale). À l’origine, le mot etsiri « embouchure d’une rivière » était manifestement un nom abstrait « écoule(ment) » lit. « dehors-écouler » (ET-, comparer avec SIR-). Quelques noms en –i se réfèrent à une période temporelle : *ari « jour » (AR1-) et *dōmi- « crépuscule » (DOMO-). Quelques-uns désignent des substances : g-lisi « miel » (LIS-) et *pori « farine, repas » (POR-) ; *khīthi « brume, brouillard » pourrait aussi être considéré comme une substance (KHIS- / KHITH-). Dans cette optique, *liñwi « poisson » (LIW-, noter l’infixation nasale) pourrait-il être « poisson » en tant que substance, que nourriture, plutôt qu’en tant qu’animal ? Un seul mot en –i renvoie à un objet unique, concret et tangible : *phini- « un cheveu » (PM, p. 362 — ce mot est dit être de l’eldarin commun plutôt que du quendien primitif). Dans plusieurs des exemples ci-dessus, y compris *phini-, la « terminaison » pourrait aussi être la voyelle racine suffixée (mais évidemment pas pour *ari, #dōmi- ou *pori).

Terminaison « –ī »

Une terminaison féminine en –ī s’observe dans deux mots : *Barathī (BARATH-), un ancien nom de Varda, et *tārī « reine » (femme d’un *tāro « roi »). Le mot *tārī est probablement formé sur *tāro, puisqu’il n’y a pas de R dans le radical - / TAȜ- et que l’équivalent de la terminaison masculine –, –ro semble à proprement parler être – (comme dans *weirē « tisseuse » ; WEY-), non *-. Pour –ī comme élément féminin, voir aussi le pronom , si « elle » (radical S- ; aussi , se). (Noter cependant que Tolkien suggéra plus tard une étymologie différente pour le quenya Vairë ; voir *weirē dans le lexique ci-dessous.) Le –ī du mot **īdī « cœur, désir, souhait » semble ne pas avoir de lien avec le précédent (une terminaison abstraite ou juste la voyelle racine suffixée ou même une erreur de lecture pour *īdē comme le suggère la forme quenya írë ?)17) Le radical ID- n’est pas défini.

Terminaison « –iē »

Une terminaison abstraite / infinitiveie se trouve en quenya et en vieux sindarin et nous pourrions nous attendre à ce qu’elle corresponde à quelque chose comme – dans la langue primitive. Cette terminaison pourrait être attestée dans le mot *luktiēnē « enchanteresse » (LUK-), s’il s’agit de #luktiē « enchantement » + terminaison féminine –, d’où « #enchantement-femelle ». #luktiē serait un nom abstrait ou verbal formé à partir de #luktā- « enchanter » (ma reconstruction, cf. quenya luhta-). Dans #gwa-lassiē « collection de feuilles, feuillage », de *lassē « feuille », la terminaison – et le préfixe gwa- « ensemble » sont utilisés pour former un collectif18).

Terminaison « –imā »

Une terminaison adjectivale –imā semble figurer dans le mot *silimā « blanc étincelant », « argenté » (SIL-). Cela serait l’origine de la terminaison adjectivale quenya –ima (signifiant souvent « -able », « -ible », mais parfois utilisée dans un sens plus général). Sinon, nous aurions à expliquer *silimā comme étant la forme avec ómataina de SIL-, en l’occurrence #SILI, suivie de la terminaison – (voir ci-dessous). Mais celle-ci est typiquement employée pour dériver des mots pour des ustensiles et ne se trouve avec aucun (autre) adjectif, aussi est-il préférable de faire l’hypothèse d’une terminaison en –imā.

Terminaison « –ittā »

La terminaison féminine –ittā est mentionnée en PM, p. 345 ; c’est l’origine du sindarin –eth. Voir aussi –otta et –otto.

Terminaison « –jā », « –ja », « –iā », « –ia »

La terminaison –, –ja, –, –ia a plusieurs significations. Elle apparaît dans beaucoup d’adjectifs : *bánjā « magnifique » (BAN-), #erjā « isolé, solitaire »19), *kalarjā « brillant » (KAL-), *minii̯a « seul, distinct, unique » (MINI-), *oijā « perpétuel » (OY-), *slinjā « mince, fin, maigre » (SLIN-), *windiā « bleu pâle » (WIN- / WIND- ; on ne sait exactement si Tolkien rejeta ou non le mot *windiā). #wanjā « beau, magnifique » est dit être un « dérivé adjectival […] du radical *WAN » en WJ, p. 383, et Tolkien se référa explicitement à –ja comme à un élément adjectival eldarin commun20). Il figure aussi dans certains ordinaux qui sont sensés être eldarins communs : #lepenjā « cinquième », otsōja « septième »21). Le mot #kwendjā, origine de quenya, est dit être un adjectif signifiant « appartenant aux *kwendī, au peuple dans son ensemble »22). Cette formulation suggérerait-elle que #kwendjā vient de #kwendī-ā, c’est-à-dire de la forme plurielle kwendī « Elfes » + terminaison adjectivale –ā ?

La terminaison verbale, –ja, – est attestée dans les mots *barjā- « protéger » (BAR-), *bérja- « oser » (BER-), *beujā- « suivre, servir » (BEW-), *ramja- « voler, naviguer ; errer » (RAM-), *tjaliā- « jouer » (TYAL-), *uljā « il pleut » (ULU-). Dans « Les Étymologies », le mot *barjā́- a un diacritique indiquant que la terminaison – (ou sa voyelle finale) était accentuée (BAR-). Mais nous ne pouvons en conclure que c’était systématiquement le cas ; *bérja- « oser » est signalé être accentué sur la première syllabe. (Les – adjectivaux sont apparemment inaccentués ; cf. *bánjā « magnifique ».)

Il n’existe que quelques noms en –, –ja : *galjā « lumière brillante » (KAL-), *gilja « étoile » (GIL-), kegjā « haie »23), *talrunja « plante du pied » (TALAM, RUN-). Tolkien biffa *winjā « soir » (WIN- / WIND-). #wanjā « Vanya » (quenya pl. Vanyar, le premier clan des Eldar) est en fait en adjectif « beau, magnifique », comme noté plus haut24). Tolkien reconstruisit aussi la forme primitive de Vanya comme étant *bánjā (BAN- ; cf. pl. « Banyai » en PM, p. 402).

Terminaison « –kā »

Une autre terminaison adjectivale est –. En L, p. 282, Tolkien mentionne une « base » LAY (également présente dans le quenya lairë « été ») qui donne #laikā « vert ». D’autres exemples comprennent *gajakā « mortel, terrible, désastreux »25), *poikā « propre, pur » (POY-), *tiu̯kā « épais, gras » (TIW-) ; - devint plus tard un –ka bref comme dans *lauka « chaud » (LAW-). La terminaison –, uniquement attestée dans le mot *tiu̯kō « cuisse » (TIW-) semble être une forme substantive de – (*tiu̯kā « épais » > *tiu̯kō « #chose épaisse » = « cuisse »).

Terminaison « –la »

La terminaison –la ne semble signifier guère plus que « chose » (ou « personne ») ; elle est employée pour former des noms. Tolkien définit *hekla par « toute chose (ou personne) écartée ou laissée hors de sa compagnie normale » (WJ, p. 361 ; radical *HEKE « de côté, à part ») ; ceci pouvait être changé en une « forme personnelle » #heklō « vagabond ou paria » avec la terminaison masculine –ō ; voir ci-dessous. (Il existe aussi une forme adjectivale *heklā formée sur la terminaison adjectivale –ā, discutée plus haut.) Dans « Les Étymologies », -la s’observe dans beaucoup de noms d’instruments ou d’ustensiles, là où la terminaison – (voir ci-dessous) aurait probablement pu être utilisée aussi : *makla « épée », dérivé de MAK- « épée, combat à l’épée », *tekla « plume, stylo », de TEK- « écrire » (d’où « #chose pour écrire ») et, pour une infixation nasale d’un radical, *tankla « épingle, broche », de TAK- « fixer, faire tenir ». Dans le mot *magla (lire #smaglā26) ?) « tache », dérivé du radical SMAG- « tache[r ?], souille[r ?] », la terminaison sert simplement à former le nom. (Dans « Les Étymologies », le mot sindarin mael, qui provient de *magla, est aussi bien glosé comme nom « tache » qu’adjectif « taché », mais ce dernier dérive probablement de #(s)maglā avec un –ā adjectival.) Dans un cas, la terminaison –la est ajoutée non pas directement à la racine, mais à un autre mot dérivé : #sjatsela / *sjatsēla « lame d’épée à deux mains », « lame de hache » et comprend le mot sjatsē < *sjadsē « fissure, entaille », dérivé de la racine SYAD- « percer, pénétrer, dégager » ; un *sjatsēla est donc une « #chose utilisée pour faire des entailles ».

L’adjectif *ndulla « sombre, crépusculaire, obscur » ne contient pas nécessairement la terminaison –la ; il est apparemment formé à partir de la racine NDUL- par « affermissement » de la consonne finale en pour former un ll double, puis ajout de la terminaison adjectivale –ā. En effet, en q. pr. et en eld. com., sa forme devait être #ndullā avec une voyelle finale longue, car autrement un *ndulla primitif aurait donné le quenya **nul (null-), alors que la vraie forme quenya est nulla. Il faut comprendre *ndulla comme de l’ancien quenya (après l’abrégement des voyelles finales longues originelles) plutôt que comme de l’elfique primitif27). La terminaison –la combinée avec le suffixe adjectival –ā produit –, comme dans *heklā, mentionné plus haut. Ce – semble être l’origine de la terminaison participiale quenya –la, sindarin –l.

Terminaison « –lē »

La terminaison – est employée pour dériver des noms qui « semblent à proprement parler avoir été universels ou abstraits »28) ; il en va de même pour son descendant quenya direct –. Dans la plupart des exemples attestés, il sert simplement de terminaison à un substantif verbal. La racine TUY- « bondir, jaillir, germer » donne *tuilē « temps du jaillissement », littéralement « jaillir-jour » ; la signification de base serait simplement « #jaillissement, germination ». Keglē vient de keg- « accroc, barbelure, barbe » et signifierait à peu près « #accrochage, barbelure », mais les noms abstraits prennent souvent une signification concrète ; le sindarin cail (< keglē) signifie « barrière » ou « palissade »29).

Le –rille de *silimarille « Silmaril » pourrait être un substantif verbal dérivé de RIL- « luire », de sorte que #rille signifierait quelque chose comme « #radiance, brillance ». Le –le de *nen-le « ruisseau » (NEN-) pourrait ou non être apparenté ; si c’est le cas, ce mot signifierait « mouillure, humectage ». Mais ce –le pourrait aussi être une terminaison diminutive. Enfin, on ignore comment *rāmalē « rémige, grande aile (d’aigle) » (RAM-) s’intègre à cela.

Terminaison « –mā »

Le suffixe – est l’une des terminaisons les plus productives. Tolkien signale qu’il est fréquent dans les noms d’instruments ou d’ustensiles30). Ainsi, le radical TAK- « fixer, faire tenir » peut-il donner *takmā « chose pour fixer », origine du quenya tangwa « moraillon, fibule, fermoir ». SUK- « boire » donne sukmā « vaisseau à boire ». Un autre mot avec la même signification, *julmā, est de même dérivé du radical *JULU signifiant « boire » (WJ, p. 416 ; c’est l’origine du quenya yulma « coupe », connu par Namárië). Du radical YAT- « rejoindre » vient *jatmā, signifiant apparemment « pont » ou « joint » (quenya yanwë). Noter que le radical auquel est ajouté – (-ma) n’a pas nécessairement de signification verbale ; *kas-ma « casque, heaume » vient du radical KAS- « tête ». *telmā « capuchon, capote, couverture » vient d’un radical (TEL- / TELU-) qui n’est pas défini, mais est apparemment en rapport avec le sommet ou plafond de quelque chose. (Dans « Les Étymologies », la voyelle finale de *telmā̆ possède un diacritique dénotant qu’elle peut être longue ou brève, de sorte que la variation – vs.ma n’a pas d’importance.) Certains « ustensiles » peuvent même être des parties du corps, comme *nakma « mâchoire », dérivé de NAK- « morsure, mordre » ou #labmā « langue », de *LABA « lécher »31).

Cependant, tous les mots en – ne désignent pas des ustensiles. La signification de la terminaison – est souvent très générale ; elle dénote simplement un objet lié d’une manière ou d’une autre avec l’état ou l’action défini par le radical. *parmā « livre » vient du radical PAR- « composer, rassembler » ; un *parmā est simplement une « chose qui est composée ou rassemblée ». Quelques fois, – désigne un agent impersonnel, comme pour tuimā « un germe, bourgeon », dérivé de TUY- « bondir, jaillir, germer », ou *tjulmā « mât », de TYUL- « se tenir debout » (mais en SD, p. 419, la forme primitive du quenya tyulma est reconstruite comme étant plutôt kjulumā). Dans certains cas, - est simplement utilisé pour dériver des noms concrets, comme dans *pathmā « espace de niveau, gazon » ou *sjalmā « coquille, conche, corne d’Ulmo » (radicaux PATH-, SYAL-, non définis). De même, *skelmā « peau, fourrure » vient du radical SKEL-, qui n’est pas clairement glosé ; il pourrait signifier « arracher, dépouiller, dénuder » (cf.. SKAL1-). Le quenya corma « anneau » représente clairement une forme primitive #kormā (non reconstruite par Tolkien) ; le radical KOR- signifie « rond », de sorte que #kormā est simplement une « chose ronde ».

Parfois, la terminaison – peut aussi désigner une substance, comme pour *wilmā « air, air inférieur », dérivé du radical WIL- « voler, flotter dans l’air », ou *sagmā « poison », de SAG- (radical dont la signification n’est pas donnée ; peut-être « amer »). La terminaison – semble aussi figurer dans un adjectif, *silimā « blanc étincelant », « argenté » (SIL-). Mais il s’agit probablement d’une terminaison adjectivale plus longue –imā ; voir ci-dessus.

Terminaison « –mē »

La terminaison – est au sens propre une terminaison abstraite ou de substantif verbal, assez similaire à l’anglais –ing, comme dans *julmē « beuverie, orgie », dérivé du radical *JULU « boire »32) ou #labmē « l’action de *LABA », c’est-à-dire un radical en rapport avec l’action de lécher ou de remuer la langue33). Le nom du Vala Oromë est en fait adapté du valarin (une ancienne forme eldarine étant Arāmē), mais aux âges ultérieurs, les Eldar considérèrent que ce nom signifiait « sonnerie de cor », supposant à tort qu’il contenait la terminaison des substantifs verbaux en –34).

Un certain nombre d’autres mots s’expliquent aisément comme étant des termes abstraits qui prirent une signification plus concrète, ainsi que le font souvent de tels mots : *rakmē « brasse », dérivé de RAK- « (s’)étendre, atteindre », *tekmē « lettre, symbole », de TEK- « faire une marque », *tinmē « étincelle, lueur », de TIN- « étinceler », *tulukmē « soutien, support », de TULUK- (radical non défini mais en rapport avec le fait d’être ferme ou constant). Noter que le mot « soutien » peut avoir un sens aussi bien concret qu’abstrait (l’acte de soutenir vs. un support tangible), illustrant comment peuvent être confondus abstractions et objets concrets. Dans un cas, la terminaison – semble se confondre avec – ; tant *telmā que *telmē (ou *telma, *telme) « capuchon, capote, couverture » sont mentionnés par Tolkien lorsqu’il donne l’étymologie du quenya telmë « capuchon » (TEL- / TELU-). Une fois de plus, une abstraction complète « couverture, capote » prend une signification concrète : un capuchon, qu’il faudrait à proprement parler appeler un *telmā avec la terminaison pour les instruments et les ustensiles.

Dans quelques cas, la terminaison – / –me figure dans le nom de substances : *khithme « brouillard » (KHIS- / KHITH-), *silimē « lumière de Silpion », aussi un mot poétique pour « argent » (SIL- ; cela pourrait en fait être une forme substantive de la terminaison apparemment adjectivale vue dans *silimā ; voir –imā). En un mot, - dénote simplement quelque chose d’intangible : *doȝmē « nuit » (DOȜ, voir DOMO-).

Terminaison « –mō »

La terminaison agentive – est uniquement attestée dans le mot Ulumō « Verseur, Ulmo » (ULU-). Cependant, son descendant quenya –mo est bien connu et est affirmé être une terminaison qui « apparaissait souvent dans les noms ou les titres, parfois avec une signification agentive » (WJ, p. 400 ; ici « le Verseur » en tant que signification d’Ulmo est dit être une étymologie elfique populaire, car ce nom fut en fait adopté et adapté à partir du valarin Ul(l)ubôz).

Terminaison « –nā », « –na »

La terminaison – (-na) est très productive. Dans quelques cas (khalnā́, *barnā́ dans les entrées KHAL2-, BAR-), la voyelle finale est indiquée être accentuée ; cette terminaison recevait peut-être l’accent en elfique primitif. Sa fonction est de former des adjectifs : en UT, p. 266, un mot en – est désigné comme une « ancienne forme adjectivale », tandis qu’en WJ, p. 365 un autre mot de ce type, #heklanā est dit être une « forme adjectivale étendue » (probablement par comparaison avec la forme adjectivale plus courte *heklā). Les exemples comprennent *kuȝnā « arqué, en forme d’arc, courbé » (KUȜ- « arc »), *magnā « talentueux » (MAG-, dans l’entrée MAȜ-), *ndeuna « deuxième » (NDEW- « suivre, venir derrière »), ornā « s’élevant, grand »35), *patnā « vaste » (PAT-), *pathnā « lisse » (PATH-), *ragnā « tordu » (RAG-), *sarnā « de pierre » (SAR-, voir STAR-), *taȝna « ? haut, élevé, noble » (- / TAȜ-), *tubnā « profond » (TUB-). Cette terminaison pourrait bien être ajoutée à des radicaux qui ont déjà une terminaison adjectivale, comme *k’rannā « rougeaud (du visage) », dérivé de KARÁN- « rouge », ou #mornā « sombre », de MOR « noir » (voir L, p. 382, pour #mornā ; ce dérivé n’est pas donné dans « Les Étymologies », bien que son descendant quenya morna le soit).

La terminaison – (–na) produit parfois des formes qui peuvent être considérées comme des participes passés, comme lorsque DUL- « cacher, dissimuler » donne *ndulna « secret » (ou « #caché, dissimulé »). *gjernā « vieux, usé » pourrait être considéré comme un participe passé si le radical GYER- signifie « user », comme c’est le cas pour un dérivé verbal quenya (yerya). De même, *skelnā « nu », vient du radical SKEL-, qui pourrait signifier « dénuder » (cf. SKAL1-). Les formes *skalnā « voilé, caché, masqué, ombreux », dérivé de SKAL1- « masquer, écarter (de la lumière) », *skarnā « blessé », de SKAR- « déchirer, fendre », et *barnā « sauf, protégé, en sécurité », de BAR- « soulever, sauver, secourir » sont clairement participiales. Nous pouvons aussi noter *wannā « parti, mort », dérivé de WAN- « partir, s’en aller, disparaître, s’évanouir » et *khalnā « noble, exalté », de KHAL2- « soulever ». *lebnā « laissé derrière » semblerait être un participe passé d’après sa glose, mais à notre surprise, le radical LEB- / LEM- ne signifie pas « laisser derrière », mais est glosé « rester, attacher, adhérer, demeurer, tarder ».

Dans quelques cas, des mots en – sont utilisés en tant que noms plutôt qu’adjectifs, comme *staknā « fissure, division ». Cela pourrait être un participe passé utilisé comme nom ; le radical STAK- est traduit par « partager, insérer ». On a également la forme originelle de Lindon, *Lindānā ; ce nom renvoie aux Elfes-verts lindarins (telerins) qui s’y établirent36). *Lindānā signifierait simplement « [Terre] lindarine ». Le mot *ramna « aile (corne), pointe étendue sur le côté, etc. » est plus difficile à expliquer ainsi ; il est dérivé d’un radical signifiant déjà « aile » et doit être considéré comme une simple variante (RAM-).

Une forme plus longue –inā, –ina se voit dans quelques mots : *smalinā (SMAL-), BedūinaBedū-ina ») « des Époux » (Bedū, Aulë et Yavanna ; voir LEP- / LEPEN / LEPEK), *ngolwina « sage, versé dans les arts profonds » (ÑGOL-). Dans ce dernier cas, la terminaison n’est pas directement ajoutée au radical ÑGOL-, mais à #ngolwē, antécédent du quenya nolwë « sagesse, connaissance secrète »37).

Terminaison « –nē »

Le mot *luktiēnē « enchanteresse » (LUK-), forme primitive de Lúthien, semble contenir la terminaison féminine –. Ce serait un équivalent féminin au masculin – ; voir ci-dessous. Elle est apparemment suffixée au nom #luktiē « enchantement » plutôt qu’au radical verbal directement. Une terminaison – distincte figure dans ornē « arbre (mince) », qui est dit être apparenté à l’adjectif ornā « se dressant, grand »38). Dans ce mot, - semble être une terminaison substantive correspondant au – adjectival, un ornē étant littéralement une « grande chose », mot utilisé pour se référer aux arbres minces. Il est difficile de dire à quoi correspond ici *slignē « toile d’araignée, arantèle », puisque Tolkien ne définit pas le radical SLIG-. Dans *neinē « larme », la terminaison – n’ajoute rien à la signification du radical NEI- « larme » et doit simplement être considérée comme une terminaison substantive.

Terminaison « –nō »

Le suffixe – est une terminaison masculine. Elle figure dans *bernō « homme » et *besnō « mari » (BES-, cf. BER-). Puisque le radical BES- signifie « marier », *besnō « mari » pourrait s’interpréter par « #marié » si nous donnons à – une signification agentive. C’est clairement le cas pour *khalatirnō « guetteur de poisson » : radical TIR- « surveiller, garder ». (Dans « Les Étymologies », la voyelle finale de *khalatirnō̆ possède un diacritique indiquant qu’elle peut être longue ou brève : – ou –no.) Voir aussi *stabnō « charpentier, fabricant, constructeur », dérivé de STAB- (également *stabrō, donc les terminaisons – et – sont parfois interchangeables). Dans certains cas, - désigne des agents impersonnels, comme *sjadnō « fendoir » = épée, dérivé de SYAD- « percer, fendre ». Dans *adnō « portail », la terminaison n’ajoute aucune signification au radical AD- « entrée, portail ».

Terminaison « –ō », « –o »

La terminaison –ō, –o est principalement un suffixe masculin ; comparer avec le pronom / so « il » (radical S-, aussi / su). La terminaison –ō semble correspondre au féminin –ē comme la terminaison masculine –ū fait pendant au féminin –ī. On voit souvent –ō prendre une signification agentive : *kānō « crieur, héraut », dérivé de KAN- « cri[er] »39), *mālō « ami », de MEL- « aimer en tant qu’ami » (Tolkien commente la vocalisation irrégulière E > A), *ndākō « guerrier, soldat », de NDAK- « abattre », *tanō « artisan, forgeur », de TAN- « fabriquer, façonner », *tūrō « maître, vainqueur, seigneur », de TUR- « pouvoir, contrôle[r] ». (Selon PM, p. 362, *kānō est un exemple de « l’ancienne forme agentive simple ».) À l’exception de *tanō, la voyelle du radical est allongée (voir aussi *delō̆ ci-dessous). Parfois, le radical est diversement altéré quand –ō est ajouté. On voit une infixation nasale dans *ronjō « poursuiveur » = chien de chasse (ROY1- « poursuivre ») et *sjandō « fendoir » = épée (SYAD- « fendre » ; *sjandō pourrait aussi être une forme avec métathèse de *sjadnō). Dans #raukō, un mot eldarin commun appliqué aux « plus grandes et plus terribles formes de l’ennemi » connues des premiers Elfes, le radical *RUKU présente une infixation en A40). On ne sait si #raukō peut être considéré comme une formation agentive et cela peut sembler douteux (*RUKU est en rapport avec la peur ; Tolkien définit le quenya rauca par « créature très terrible » en VT 39, p. 10). Dans le mot quendien primitif #edelō « quelqu’un qui avance, voyageur, migrant », la voyelle racine (sundóma) est préfixée ; voir le radical *DELE « aller, voyager »41). La variante plus simple *delō, *delo se voit dans les mots eldarin communs *awa-delo, *awā-delo (aussi ? wā-delō) « #au loin-partant », un nom créé au Beleriand pour ceux qui partirent de Terre du Milieu42). #edelō « voyageur » possède aussi la variante possible #edlō « avec perte de la sundóma »43). Bien sûr, la voyelle racine n’est pas réellement « perdue », mais la structure consonne-voyelle-consonne du radical est réarrangée en voyelle-consonne-consonne (EDL pour *DEL)44).

Dans certains mots –ō, –o n’a pas de signification agentive mais est simplement une terminaison masculine : #urkō « ? Orque »45), *ndēro « marié » (NDER-, forme affermie de DER- « homme »), *wegō « homme » (WEG- « vigueur virile »), *berō « homme vaillant, guerrier » (BER- « vaillant » ; dans l’entrée BES-, *berō est simplement traduit par « homme »), *tawarō / *tawaro « dryade, esprit des bois » (évidemment masc. ; cf. fém. *tawarē / *taware) (TÁWAR- « forêt, bois »). Nous pouvons aussi noter i̯ondo « fils » (mentionné sous SEL-D- ; lire #jondo46) ?), clairement dérivé de YON- avec affermissement médian n > nd et ajout de la terminaison masculine –o.

La terminaison –ō se voit aussi dans les noms de certains animaux : rokkō « cheval » (L, p. 282, 382 ; radical ROK- donné dans « Les Étymologies ») et *morókō « ours » (MORÓK-) ; nous pourrions aussi inclure #ūbanō « monstre » (BAN-). Nous ne savons s’il faudrait insister pour considérer tous ces mots comme exclusivement masculins. Puisque –ō correspond au féminin –ē, une ourse pourrait explicitement être une #morokē, tandis qu’une jument serait une #rokkē. De même, une #urkē serait un Orque femelle (jamais vu, jamais mentionné et on en a jamais entendu parler, mais d’après le chapitre 3 du Silm. « les Orques étaient vivants et se multipliaient à la façon des Enfants d’Ilúvatar », de sorte que les femmes orques doivent avoir existé !) Mais des mots comme *morókō, rokkō et #ūbanō peuvent probablement s’utiliser de manière générique, sans tenir compte du sexe.

La terminaison –ō, –o n’est que rarement employée pour dénoter des choses inanimées sans signification agentive. On notera *daio « ombre, ombre portée par tout objet » (DAY- « ombre »), *panō « planche, panneau, en particulier dans un plancher » (PAN- « placer, poser, établir, fixer en place (en particulier pour le bois) »), #tinkō « métal » (TINKŌ- est une tête d’entrée des « Étymologies », mais il semble s’agir d’un mot complet plutôt que d’un « radical »). Les noms abstraits en –ō sont particulièrement rares ; il y a #mbandō « détention, préservation, sauvegarde »47) et *álākō « précipitation, vol précipité, vent sauvage » (ÁLAK- ; « vent sauvage » est au moins relativement concret). Dans les mots *lokko « boucle » (LOKH-), #ndōro « terre ou région »48), #rondō « voûte en dôme ou dotée d’arches »49), #ostō « forteresse, place forte »50) et tollo « île » (TOL2-), la voyelle finale est probablement une simple suffixation de la voyelle racine. C’est aussi le cas pour les radicaux verbaux comme groto « creuser, excaver, percer un tunnel », rono « faire voûte, toiturer » ou *soto « abriter, protéger, défendre »51).

Terminaison « –ondō »

Une autre terminaison encore, -ondō, s’observe dans stalgondō « héros, homme intrépide » (STÁLAG-). Dans *kalrondō « héros » (KAL-), elle semble être combinée avec la terminaison masculine –ro. Une ancienne forme de Sauron est dite être thaurond-52)). Le tiret indique que le mot est incomplet ; il nous faut supposer que la forme complète devait être #thaurondō. Cet –ondō est manifestement une simple forme longue de –, décrit plus haut (voir la terminaison féminine –indē, qui sert apparemment de parallèle à une forme brève *- non attestée).

Terminaisons « –otto » et « –otta »

Les terminaisons –otto et –otta peuvent s’observer dans les reconstructions que Tolkien suggéra pour la forme primitive du sindarin nogoth « nain » : *nukotto, *nukotta « une chose (ou personne) rabougrie ou malformée »53). Ces terminaisons dénotent simplement quelqu’un ou quelque chose qui possède les propriétés décrites par le radical (dans ce cas *NUKU « rabougri » ; WJ, p. 413). Comparer avec le -tt- vu dans kwelett- « cadavre », dérivé de KWEL- « pâlir, disparaître, se flétrir ». Ce mot signifierait littéralement « #celui qui a pâli / a disparu / s’est flétri / est mort » ; sa forme complète pourrait être #kweletto ou #kweletta. La terminaison féminine –ittā mentionnée en PM, p. 345 pourrait être apparentée à ces terminaisons en tt doubles.

Terminaison « –rā »

La terminaison – est un suffixe adjectival relativement productif : *waȝrā « souillé, sale » (WAȜ-), *tārā « élevé, noble » (- / TAȜ-, cf. TÁWAR-), *ubrā « abondant » (UB-), *magrā « utile, approprié, bon (pour des choses) » (MAG-, sous MAȜ-), #mikrā « pointu, aigu »54), *sagrā « amer » (SAG-), *neth-rā, nethra « jeune » (NETH-), #gairā « terrible, effrayant »55), *akrā « étroit » (AK-), *teñrā « direct, droit » (TEÑ-, TEȜ-), *gaisrā « affreux » (GÁYAS-), *taurā « magistral, puissant » (TUR-, - / TAȜ-, cf. TÁWAR-), *nūrā « profond » (-). L, p. 380 donne #thaurā « détestable », dit être dérivé du radical THAW (absent des Étym.). L’adjectif *katwārā « joli, gracieux » est un cas spécial, qui semble avoir deux terminaisons adjectivales ajoutées au radical KAT-, d’abord –, puis –. Présence d’un –ra bref dans *lakra « rapide, prompt » (LAK2-) et *daira « large, grand » (VT 42, p. 11 ; base dite être DAY) ; voir aussi nethra à côté de *neth-rā.

Terminaison « –rē », « –re »

La terminaison – semble avoir plusieurs significations. Elle fonctionne comme une terminaison abstraite dans les mots *idrē « prévenance, circonspection » (ID-) et *thērē « air, figure, expression » (THĒ-). D’un autre côté, c’est une terminaison collective pour le mot *nōrē « famille, tribu ou groupe ayant une origine commune »56) ; ce serait l’ancêtre de la terminaison collective – qu’on connaît bien en quenya. Le radical WEY- « bobiner, tisser » donne *weirē « tisseuse » comme forme originelle du nom quenya de la Valië Vairë. Ce – est manifestement un suffixe agentif, à l’évidence l’équivalent féminin du – masculin. Dans le mot *stalrē « raide, tombant » (STAL-) – semble fonctionner comme une terminaison adjectivale (pourrait-il s’agir d’une erreur de lecture pour stalrā, avec un suffixe adjectival bien attesté ? Le VT 46, p. 16, rapportant les résultats d’un nouvel examen du manuscrit de Tolkien, indique que cette lecture alternative est la plus probable.) La terminaison –re de *bálāre, forme archaïque du nom de l’île Balar à l’embouchure du Sirion (BAL-) est-elle d’une manière ou d’une autre liée à l’un de ces – ?

Terminaison « –rō », « –ro »

Tolkien identifia les mots dotés de la terminaison –, –ro comme des formations agentives (WJ, p. 371 — où il mentionne aussi une forme –rdo qui n’est attestée nulle part)57). En WJ, p. 371, le quenya Avar (pl. Avari) est dit remonter à la forme primitive *abaro, dérivée du radical *ABA, en rapport avec le refus. « Les Étymologies » s’accordent fort bien avec cela ; on constate on effet que la plupart des mots en – et –ro semblent avoir une signification agentive : *beurō « suivant, vassal », de BEW- « suivre, servir », *onrō ou ontāro « géniteur, parent », de ONO- « engendrer », *ndeuro « suivant, successeur », de NDEW- « suivre, venir derrière ». *stabrō « charpentier, fabricant, constructeur » possède visiblement une signification agentive, bien que le radical STAB- ne soit pas glosé. Tolkien affirme que *tamrō « pic » signifie littéralement « frappeur », de TAM- « toque[r], frappe[r] ». Un autre nom d’animal, *njadrō « rat », signifie littéralement « #rongeur » (NYAD- « ronger »).

En WJ, p. 371, Tolkien note que si la forme brève –ro n’est utilisée qu’après une voyelle racine suffixée (ómataina), comme dans *abaro, la forme longue – peut être ajoutée directement au radical « avec ou sans infixation en n ». Le seul mot avec infixation nasale doté de cette terminaison dans « Les Étymologies » est *kwentrō « narrateur », dérivé de KWET- « parle[r] »58). Nous pouvons encore mentionner *lansrondo, dérivé de LAS2- ; ce –rondo semble être –ro + une autre terminaison masculine (comme pour *kalrondō « héros » ; voir –ndō sous –, ainsi que –ondō).

Dans quelques mots, –, –ro fonctionne simplement comme une terminaison masculine qui n’a pas de signification agentive. Voir *tāro « roi », dérivé de - / TAȜ- « haut, élevé, noble ». *kalrō « noble homme, héros » est un cas douteux, mais signifie peut-être littéralement « celui qui brille » (KAL- « briller »). La terminaison masculine – possède apparemment un équivalent féminin –, comme dans *weirē « tisseuse » (WEY-).

Terminaison « –sā »

Une terminaison – apparemment adjectivale figure dans le terme #neresā. Elle est dite être une « formation adjectivale féminine » dérivée de *NER « homme » signifiant « celle qui a une valeur ou une force semblable aux hommes »59). Cette terminaison spécifique ne semble pas être attestée ailleurs ; Tolkien n’expliqua pas non plus comment cet adjectif peut être considéré « féminin ». Peut-être nous faut-il faire l’hypothèse d’un radical #NERES comme variante « féminine » de *NER « homme », auquel on ajouterait la terminaison adjectivale normale –ā. Le radical double THEL-, THELES- « sœur » en LRW, p. 392, pourrait suggérer que les radicaux étendus en –S pouvaient parfois être typiquement « féminins » (bien qu’il y ait d’autres exemples d’extensions en –S qui n’ont clairement rien à voir avec le sexe).

Terminaison « –sē »

La terminaison – apparaît dans nombre de mots, mais semble posséder plusieurs significations. Pour certains, elle dénote apparemment la résultante de l’action dénotée par le radical : *khotsē « assemblée », dérivé de KHOTH- « se rassembler », *sjadsē (plus tard sjatsē) « fissure, entaille », de SYAD- « percer, fendre », *wahsē « tache », de WAȜ- « tache[r], souille[r] ». Nous pourrions ajouter *b’rás-sē « chaleur » si le radical non défini BARÁS- a une signification proche de « brûler » ou « chauffer » (il donne des mots pour « chaud, brûlant, ardent »). Est-ce que *khjelesē « verre » est d’une manière ou d’une autre compatible avec cela, ou le S appartient-t-il au radical, que Tolkien nota sous la forme KYEL(ES)-, génératrice de confusion ? Il pourrait s’agir d’une forme « étendue » d’un radical plus court #KHYEL-. Quelques mots indiquent que – pourrait aussi être employé pour dériver des mots pour des ustensiles (*taksē « clou », dérivé de TAK- « fixer ») ou pour des constructions (*tupsē « chaume », de TUP-, non défini).

Une terminaison féminine distincte en – semble être attestée dans quelques mots, comme *ndīse « mariée » ; on pourrait croire qu’il s’agit du radical NDIS- avec la terminaison féminine –e, mais « Les Étymologies » listent une sous-entrée NDIS-SĒ/SĀ, qui semble indiquer qu’une terminaison – est vraiment présente. Celle-ci figure-t-elle dans *bessē « épouse » ou le s double est-il simplement un redoublement de la consonne finale du radical BES- ? C’est certainement le cas pour les mots *khrassē « précipice » (KHARÁS-), #kwessē « plume » (KWES-), *lassē « feuille » ou « oreille » (LAS1-, cf. L, p. 282) et *risse- « un ravin » (RIS-). Mais qu’en est-il de la terminaison longue –ssē de #tjulussē « peuplier », ajoutée à une forme avec ómataina du radical TYUL- ? Certains noms du quenya présentent aussi une terminaison –ssë, e.g. hopassë « mouillage » (KHOP-) — cela correspondrait-il à #khōpassē ?

Terminaison « –stā »

A la base, la terminaison –stā semble être un suffixe substantif ; le sindarin haust « lit » est dit dériver de *khau-stā, littéralement « repos-ant » (KHAW-).

Terminaison « –tā », « –ta »

La terminaison –, –ta est la plupart du temps un suffixe verbal. La majorité des verbes en –ta sont clairement transitifs : *anta- « présenter, donner » (ANA1-), #bāta « bannir, prohiber »60), #ektā « piquer avec une pointe aiguisée, poignarder »61), #hektā « mettre de côté, exclure, abandonner »62), *k’riktā « récolter » (KIRIK-), *maȝ-tā (> eldarin commun *mahtā-) « manipuler » (MAȜ-), *maktā « manier une arme » (MAK-), *rista- « couper » (RIS-), skelta- « dépouiller » (SKEL-), *wahtā- « souiller, salir » (WAȜ-). *wed-tā « jurer » (de faire quelque chose) fut biffé (WED-). Dans un verbe, la terminaison – prend une signification causative : *tultā- « faire venir », de #tul- « venir » (TUL-). Le verbe *nuktā- « atrophier, empêcher d’aboutir, s’arrêter court, ne pas autoriser à continuer » pourrait aussi être considéré comme une forme causative de *NUKU « rabougri »63). Certains verbes en –ta sont cependant intransitifs : *swesta- « souffler » (SWES-) et *b’rekta- « se rompre soudainement » (BERÉK-). Il y avait aussi *winta- « pâlir, s’évanouir » (WIN- / WIND-), mais Tolkien le biffa.

Il n’existe que quelques noms en –, –ta. Nous noterons *sjad-ta « coup de hache » (SYAD-), *bestā « mariage » (BES-), smalta « or » (LÁWAR- / GLÁWAR- cf. SMAL-) et *jakta- « coup » (YAK-). L’adjectif arātā « exalté » ne contient pas la terminaison – mais est un adjectif dérivé du radical étendu *arat-64). Le nom eldarin commun *ñalatā « radiance, reflet étincelant » pourrait de même être une forme étendue du radical ÑAL65). *kalata- « ? briller » est signalé être une forme étendue de *kala-66). L’élément *kwata vu dans les mots eldarins pour « plein » remonte aussi à un radical plus simple *KWA67).

Terminaison « –tē »

La terminaison – de #kirtē « coupe », origine du sindarin certh « rune », semble dénoter quelque chose qui est créé par l’action dénotée par le radical (ici manifestement KIR- « couper », bien que celui-ci ne soit pas listé dans les Étym.)68). Tolkien appelle #kirtē « un dérivé verbal » et ajoute qu’il était d’un type inusité en quenya, voulant apparemment dire qu’aucun mot quenya ne contient de descendant de la terminaison – ou qu’aucun de ses descendants n’est productif dans cette langue69). Un autre exemple possible de la même terminaison nous est donné par le mot *wahtē « une tache », évidemment de l’eldarin commun correspondant au quendien primitif #waȝtē, puisque le radical est WAȜ-70). Si nous considérons que les gloses de Tolkien pour WAȜ- « tache[r], souille[r] » sont des verbes plutôt que des noms, *wahtē a une relation sémantique vis-à-vis de sa racine WAȜ- très proche de celle qu’a #kirtē avec KIR-. Chose intéressante, le quenya vakse (vaxë) « une tache » ne vient pas de *wahtē, mais du mot primitif synonyme *wahsē, doté d’une autre terminaison, ce qui confirme apparemment que la dérivation correspondant aux mots primitifs en – n’était pas productive en quenya.

Terminaison « –(i)ti »

Une terminaison adjectivale –ti ou –iti se voit dans quelques mots : *maȝiti « habile, talentueux » (MAȜ-), *neiti- « moite, humide » (NEI-), *phoroti « droit » ou « nord » (PHOR-). Dans le cas de *phoroti, la terminaison adjectivale pourrait simplement être un –i ajouté à #phorot, une forme étendue (ce qu’on appellerait un radical en kalat ?) du radical de base PHOR-. Dans des adjectifs comme uruitë « ardent » (UR-), la terminaison quenya –itë descend clairement de –iti.

Terminaison « –ū »

La terminaison –ū est un suffixe duel, mais elle a aussi d’autres significations. Les mots en –ū, –u sont presque toujours des noms (rarement des verbes et jamais des adjectifs). Une terminaison masculine en –ū semble être présente dans *atū « père » (ATA-) et kherū « maître »71). Dans #kundū « prince » (KUNDŪ-), la terminaison pourrait être la voyelle racine rédupliquée, mais c’est probablement la même terminaison que pour *atū et kherū. Voir aussi le –u bref d’*órku « gobelin, Orque » (ÓROK-). Dans les reconstructions ultérieures du mot primitif pour « Orque » qu’élabora Tolkien, comme *urk(u) ou *uruku72), la terminaison –u pourrait aussi bien être un redoublement de la voyelle racine. Une terminaison masculine pourrait être présente dans *rauku, une origine possible pour l’élément final de Balrog ; Tolkien suggéra aussi la reconstruction alternative #raukō, et ce mot contient indubitablement une terminaison masculine73). Certains mots en –u désignent des parties du corps : *mbundu « museau, nez, cap » (MBUD-), *ranku « bras » (RAK-), *tūgu « muscle, nerf » (TUG-). Noter l’infixation nasale de *mbundu et *ranku. Certains mots en –u dénotent des lieux : *jagu- « golfe » (YAG-), *tumbu « vallée profonde » (TUB-) et *tundu « colline, tumulus » (TUN-) ; noter l’infixation nasale dans *tumbu et l’affermissement médian N > ND de *tundu. Un seul mot en –u désigne une substance : *smalu « pollen, poudre jaune » (SMAL-). Dans le mot *tulku « soutien, support » (TULUK-), le –u final est probablement juste la voyelle racine suffixée. Le mot *suglu « gobelet » et le nom *Utubnu, forme primitive d’Utumno, semblent contenir les terminaisons –lu et –nu, qui ne sont pas attestées ailleurs (SUG-, voir SUK- ; TUB-).

Parmi les rares radicaux verbaux en –u, on notera *tel-u, *telu « toiturer, poser le couronnement d’un bâtiment ». Tolkien suggéra qu’il s’agit d’une « forme différentiée de *TELE », un radical signifiant « clore, terminer, arriver à la fin »74). En WJ, p. 417, est aussi mentionné le radical quenya niku- « avoir froid, froid (pour le temps) » ; il descendrait de #niku-, mais aucune information supplémentaire n’est fournie. Nous n’avons pas besoin de considérer les radicaux comme ULU- « déverser, s’écouler »75), puisque le U final est simplement la voyelle racine redoublée et suffixée ; comparer avec la forme brève *UL en WJ, p. 400.

Terminaison « –wā », « –wa »

A la base, la terminaison –, –wa peut être considérée comme un suffixe adjectival. Elle apparaît dans plusieurs noms de couleurs : *khithwa « gris » (KHIS- / KHITH-), *laik-wā « vert » (LÁYAK- ; laikwa dans l’entrée LAIK-), *smalwā « fauve, pâle » (SMAL-), narwā « rouge feu » (NAR1- ; la voyelle finale longue indique qu’il s’agit d’une forme archaïque et non quenya). Il y a aussi l’adjectif *katwā « modelé, formé », dérivé du radical KAT- « forme[r] ». Si cette dernière glose doit être comprise comme un verbe plutôt qu’un nom, la formation – fonctionnerait ici comme un participe passé. D’un autre côté, il joue presque le rôle d’un participe actif dans *terēwā « perçant, pénétrant, effilé », dérivé de TER-, TERES- « percer ». Dans un cas, – figure dans un mot signalé être un « adverbe et préposition » : #hekwā « laissant de côté, ne comptant pas, excluant, excepté »76). C’est simplement l’élaboration d’un « élément adverbial » *HEKE signifiant « de côté, à part, séparé »77).

La terminaison – figure aussi dans quelques noms d’oiseaux, *alk-wā « cygne » (ÁLAK-) et *kukūwā « colombe » (-. À l’origine, il s’agissait peut-être d’adjectifs qui étaient appliqués à ces oiseaux ; *alk-wā semblerait signifier « #se précipitant », tandis que *kukūwā reste obscur (échoïque ?) Dans un cas, la terminaison – est donnée comme partie d’une tête d’entrée des « Étymologies », GENG-WĀ-, d’où vient le quenya engwa « maladif ». Il faut manifestement la comprendre comme étant le radical GENG avec ajout de cette terminaison.

Terminaison « –wē »

Tolkien identifie la terminaison comme un suffixe abstrait (cf. WEG-). Elle est clairement utilisée pour produire des substantifs verbaux comme *et-kuiwē « éveil », dérivé de KUY- « éveiller », ou *wanwē « mort », de WAN- « partir » ; Tolkien précisa que *wanwē se réfère à l’acte de mourir, pas à la « mort » en tant qu’état. Certains mots concrets en – peuvent s’expliquer comme étant des substantifs verbaux abstraits qui prirent ensuite une signification concrète. *atakwē « construction, bâtiment » (TAK-) en est le meilleur exemple ; comparer avec les gloses anglaises construction, building qui sont intrinsèquement construits sur les verbes to construct et to build, bien qu’ils soient communément employés pour se référer à la structure qui est construite aussi bien qu’au processus de construction lui-même78). De même, le mot *skarwē « blessure », dérivé de SKAR- « déchirer, rompre » doit au sens propre se référer au déchirement ou à la rupture en tant qu’action abstraite, mais fut ensuite appliqué à une déchirure concrète. Au sens propre, *us(u)k-wē « puanteur, fumée » pourrait être le substantif verbal d’un radical signifiant « #fumer, produire de la fumée » (radical USUK- non défini). À l’origine, *jagwē « ravine, fissure, golfe » est de même un substantif verbal dérivé de YAG- « béer, bâiller », plus tard appliqué à un lieu.

On voit un –we bref dans le mot *tenwe (WJ, p. 394 ; cela semble une coquille pour #teñwe, puisque ce mot est dérivé du radical *TEÑ et donna le quenya tengwë). Il signifie « indication, signe, témoignage, jeton » et puisque le radical *TEÑ (absent des Étym.) veut dire « indiquer, signifier », #teñwe est manifestement juste un autre substantif verbal à l’origine. Dans le cas du nom *uñgwē « obscurité, mélancolie », la terminaison – semble simplement dénoter quelque chose d’intangible (UÑG-). Il n’est pas nécessaire d’étudier #Wolwē, reconstruction hypothétique de la forme primitive d’Olwë ; Tolkien signale que celle-ci est douteuse79).

Terminaison « –wō »

La terminaison – se trouve seulement dans le mot *nidwō « renforcer, amortir ». Puisque le radical NID- veut dire « se pencher contre », X-wō semble signifier « chose exposée à l’action X ». Cette terminaison pourrait être une terminaison substantive équivalente au – adjectival.

Voir aussi

Sur Tolkiendil

Sur le net

1) N.d.T. : C’est ce que Tolkien appelle une « vocalisation anormale de la racine » dans la « Tengwesta Qenderinwa » ; cf. PE 18, p. 36–38, 87–88.
2) N.d.T. : Servant à indiquer le caractère semi-consonantique d’une telle voyelle, suivant la notation classique employée pour le proto-indo-européen.
3) VT 39, p. 11
4) UT, p. 382
5) PM, p. 359
6) WJ, p. 364, 380
7) VT 39, p. 9 ; cf. WJ, p. 414
8) PM, p. 360
9) PM, p. 372
10) WJ, p. 403
11) , 18) , 71) L, p. 282
12) MR, p. 350
13) , 67) WJ, p. 412
14) , 15) , 41) , 42) WJ, p. 360
16) N.d.T. : Dans « Les Étymologies », ce terme est considéré comme une racine, mais il semble que Fauskanger estime qu’il s’agit plutôt d’un mot reconstruit.
17) N.d.T. : Le VT 45, p. 17, confirme cette hypothèse ; les astérisques ont été modifiés en conséquence.
19) VT 42, p. 4
20) VT 42, p. 10
21) VT 42, p. 25–26
22) WJ, p. 360, 393
23) , 29) UT, p. 282
24) WJ, p. 380, 383
25) , 64) PM, p. 363
26) N.d.T. : Les « Addenda & Corrigenda to the Etymologies », publiées dans les VT 45 & 46 ne confirment pas l’hypothèse émise ici.
27) N.d.T. : Puisque les –ā longs du quendien primitif étaient déjà abrégés en eldarin commun, cette forme peut aisément être considérée comme eldarine.
28) VT 39, p. 16
30) , 31) , 32) , 33) , 59) WJ, p. 416
34) , 55) WJ, p. 400
35) , 38) UT, p. 266
36) WJ, p. 385
37) N.d.T. : Au vu de la voyelle de liaison, peut-être vaudrait-il mieux reconstruire cette forme primitive comme étant #ngolwi.
39) PM, p. 352, 362, 361
40) , 45) , 72) , 73) WJ, p. 390
43) WJ, p. 363, 364
44) N.d.T. : En réalité, le PE 18, p. 36–38, 87–88, montre qu’il s’agit d’un radical avec vocalisation irrégulière : *edelō > #ed’lô > #edlō.
46) N.d.T. : Le VT 46, p. 13, signale en fait que le i initial de ce mot porte un arc souscrit, qui signale son caractère consonantique. Même si l’orthographe diffère, cela valide donc l’hypothèse faite ici par Helge Fauskanger.
47) MR, p. 350
48) , 53) , 56) , 63) WJ, p. 413
49) , 50) , 51) WJ, p. 414
52) L, p. 380
54) WJ, p. 337
57) N.d.T. : Depuis la parution de cet article la forme quenya nordo, correspondant au sindarin norð « chêne » a été publiée dans le PE 17, p. 25. Elle correspond probablement à une forme primitive #nordō.
58) N.d.T. : La version anglaise des « Étymologies » donnait ce mot sous la forme « *kwentro ». Helge Fauskanger suggérait cependant de lire *kwentrō, signalant que le descendant quenya de ce mot, quentaro, possédait un –o final, lequel devait descendre d’une voyelle finale longue plutôt que brève, sans quoi elle aurait disparu à l’étape de l’eldarin commun. Le VT 45, p. 25, lui a donné raison et la présente entrée a été modifiée en conséquence.
60) WJ, p. 372
61) , 76) WJ, p. 365
62) WJ, p. 361 ; *hekta, WJ, p. 365
65) PM, p. 347, absent des « Étymologies »
66) WJ, p. 392
68) N.d.T. : En réalité, ce radical est bien mentionné, avec les entrées pour le q. kirya « navire », nold. ceir. Pour les Elfes, le navire est en effet un « fendeur de vagues », ce qui se rapproche du terme anglais cutter, comme le souligne Christopher Tolkien dans la liste de vocabulaire fournie en appendice au Silmarillion.
69) WJ, p. 396
70) LRW, p. 397
74) WJ, p. 411
75) LRW, p. 396
77) WJ, p. 361
78) N.d.T. : Il en va d’ailleurs exactement de même pour le mot français « construction ».
79) PM, p. 357
 
langues/langues_elfiques/quendien_primitif/elfique_primitif_derivation.txt · Dernière modification: 08/07/2021 15:33 par Elendil
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