Accord des adjectifs en q(u)enya

Table des matières

Quatre Anneaux
Roman Rausch — Octobre 2006
traduit de l’anglais par Damien Bador
Article de synthèseArticles de synthèse : Ces articles permettent d’avoir une vue d’ensemble du thème traité mais ils nécessitent une bonne connaissance des principales œuvres de J.R.R Tolkien.
« Qui dira si le libre adjectif a créé des images étranges et magnifiques ou si l’adjectif a été libéré par d’étranges et magnifiques images de l’esprit ? »1)
J.R.R. Tolkien « Un Vice secret », dernière phrase

Introduction

A chaque fois que les noms sont qualifiés par des adjectifs, le lien entre les deux peut être établit en faisant s’accorder l’adjectif en genre, en nombre ou en cas. Dans diverses langue, leur traitement est différent – il n’y avoir aucun accord, accord pour les trois ou pour certaine combinaison de ceux-ci.

Il n’y a pas de genre grammatical dans le q(u)enya de Tolkien, si l’on excepte certaines formes personnelles dans les premières sources, aussi sommes-nous limités au nombre et au cas. L’adjectif peut se situer avant ou après le nom et s’accorder en nombre, en cas, pour les deux ou aucun ; de sorte qu’avec un nom pluriel décliné, il existe huit possibilités théoriques pour le comportement de l’adjectif. Pour un nom singulier fléchi ou pour un nom pluriel qui ne l’est pas, il y en a quatre. Ceux qui étudient les œuvres de Tolkien ne seront pas surpris qu’il existe au moins un exemple pour presque chaque situation possible ; mais certaines sont plus fréquentes que d’autres et certaines ne sont utilisées qu’en versification. L’objet de cet article est d’examiner le développement externe du pluriel et de l’accord en cas des adjectifs en q(u)enya avec le nom qu’ils qualifient.

I. Premières sources du qenya

Le poème « Narqelion » était l’un des premiers, sinon le tout premier texte qenya écrit. Il n’est pas traduit, mais un essai de traduction et d’analyse à l’aide du QL fut tenté en VT 40, p. 8-32. Aussi toutes les références aux adjectifs et aux noms qu’ils qualifient dépendent de l’exactitude de cette interprétation. Je ne donne ici que la traduction qui y est proposée, voir le VT 40 pour plus de détail. On peut trouver d’autres exemples dans la carte du navire-monde en LT1, p. 84-85.

Adjectif antéposé (nom pluriel), accord en nombre

  • ōmi karmar « #tous les faits »2) < ōmi pl. « tous » (cf. ompi « [adj. pl. avec pl.] tous, chaque »3)), karma « forme, façon - acte, fait »4) + pl. -r

Adjectif postposé (nom pluriel), pas d’accord en nombre

  • lasser pínea « #petites feuilles »5) < lasser, pl. de lasse (e) « feuille »6), pīnea « petit »7)
  • rotser simpetalla pinqe « chalumeaux sifflant fin »8) < rotse « hautbois, chalumeau (tube) »9), #simpeta « hautbois, chalumeau » + participe présent -lla (cf. SIPI « siffler, jouer de la flûte »10)), pinqe (i) « mince, fin »11)

Ici, pinqe peut être employé comme adverbe qualifiant l’activité de siffler, mais il pourrait aussi être un ordre des mots poétique pour « #fins chalumeaux sifflant ». S’il en est ainsi, il n’y a pas d’accord de pinqe avec le pl. rotser.

Adjectif postposé (nom pluriel), accord en nombre

  • ve sangar voro úmeai « #comme des foules toujours grandes »12) < ve « comme, tel »13), sanga « presse, masse légère, foule »14), voro « éternellement, toujours »15), ūmea « grand, large »16)
    • sangar úmeai à nouveau l. 17
  • kuluvai ya karnevalinar « dorés et rouges-orange » < kuluva « d’or »17), ya(n) « et »18), {karnewalin} « fauve, rouge-orange »19), cf. ‘walin(a) « brun »20).

Ici, kuluva et #karnevalina sont tous les deux au pluriel et renvoient soit au sinqi « joyaux » qui suit, soit au lassi « feuilles » qui précède.

  • sangar […] oïkta rámavoite malinai « #foules […] d’oiseaux, ayant des ailes jaunes »21) < oi « oiseau, poule »22) + -kta, rāmavoite « ayant des ailes »23), malinai, pl. de malina « jaune »24)
    • sangar […] oïkta rámavoite karneambarai « #foules […] d’oiseaux ayant des ailes aux poitrines rouges » < karneambar « poitrine-rouge, rouge-gorge adj. ou nom », -a adj.25)

Au début, cette ligne était écrite exactement comme la précédente, oïkta rámavoite malinai. Les deux expressions semblent être un groupe de trois adjectifs dont seul le dernier s’accorde en nombre avec sangar.

  • natsi nostalen máre « #choses / êtres bons par nature »26) < nat (tt) « chose »27) + pl. -i avec -tt- > -ts-, nostalen māra « bon par nature »28), ici pl. máre
  • i hondor nērinwe « #les cœurs des hommes »29) < hondo « cœur »30) + pl. –r ; #nērinwa « #humain » (cf. ner « homme, mari », nerea « viril, ferme, brave »31)), pl. *-ai > -e
  • Tolli Kimpelear « #Îles Crépusculaires » ? < pl. Tolli de Tol (ll) « une île, toute élévation se trouvant isolée dans l’eau, une plaine d’herbe, etc. »32) ; #kimpelea est d’origine incertaine, peut-être apparentée à PELE-(1) « enclore, enfermer »33) parce que les îles bordent et protègent Valinor ?
  • I Tolli Kuruvar « Les Îles Magiques » < kuru « magie, sorcellerie (de bonne magie) »34), kuruvar, pl. de #kuruva « #magique »35)
  • I Nori Landar « #Les Grandes Terres » < cf. nōre « terre d’origine, nation, famille – pays »36) + landar, pl. de landa « vaste, large »37)
  • Neni Erùmear « Eaux Extérieures » < nen « rivière, eau »38), erūmearr, pl. de erūmea « externe, extérieur »39)

L’accent d’Erùmear est peut-être un macron mal formé ou lu erronément.

Il semble qu’à cette époque il ait été habituel de postposer les adjectifs en quenya. Ils s’accordent habituellement en nombre (toutes les expressions attestées sont au nominatif), mais un exemple au moins ne présente pas d’accord (lasser pínea), aussi semble-t-il optionnel – du moins en versification. Les formations plus complexes avec plusieurs adjectifs dont seul le dernier est fléchi jouent probablement un rôle spécial et un autre exemple similaire apparaîtra plus loin (section VIII).

Dans « Narqelion », la marque du pluriel est –i pour les adjectifs se terminant en –a, bien que –r apparaisse dans karnevalinar. Cela peut s’expliquer par son usage en tant que nom, « #[ceux] rouges-orange » ou par altération poétique dans l’expression kuluvai ya karnevalinar (plutôt que la répétition #kuluvai ya karnevalinai). Cependant, les adjectifs qui font partie des termes géographiques des Contes perdus ajoutent tous –r.

II. « Early Qenya Grammar »

La « Early Qenya Grammar » fut écrite par Tolkien aux alentours de 1923 et consiste en une version manuscrite et une dactylographiée – une copie au net de la précédente, plus détaillée en certains points. Certaines explications importantes concernant l’accord de l’adjectif y sont données. Tout d’abord, une chose importante à prendre en compte est le « composé lâche », « une fonction libre et vivante » et « écrite avec un “point surélevé” », mais souvent employée comme un vrai composé en poésie40). Les composés lâches diffèrent des composés ordinaires du fait qu’ils n’appartiennent pas au lexique, et que leurs constituants sont plus distincts et « gardent habituellement leur propre accentuation ». Ainsi ohta « guerre » et karo « fait » forment óhta·kàro « fait guerrier, acte hostile et inamical » ; maptale « prise » et lehesta « chevauchée, raid » forment máptale·lehésta « un raid » (l’accent aigu sert apparemment à indiquer l’accent primaire et le grave l’accent secondaire). Bien que ce ne soit pas explicité par Tolkien, « un fait de guerre » (angl. a war deed) et « une expédition de capture » (angl. a seizure raid) seraient probablement l’équivalent dans notre langue des composés lâches.

Mais dans ce contexte, l’important est que les adjectifs peuvent précéder le nom exactement de la même manière et ne sont alors pas fléchis, par exemple anda·ráma « (au) long bras » (angl. long arm(ed)) – comme on peut le voir par la traduction, le résultat peut être employé comme nom ou comme un nouvel adjectif. Le pluriel serait probablement #anda·rámar « longs bras ». En outre, Tolkien distingue les quatre cas (nominatif, accusatif, génitif et datif) des cinq « suffixes adverbiaux » : inessif –sse, ablatif –llo, allatif –nta / -tta, partitif nen et de manière –ndon. Les suffixes adverbiaux (1) « ne peuvent pas tous être formés à partir de n’importe que nom et adjectif »41) et (2) « sauf en versification, ils ne sont jamais ajoutés à un adjectif en accord avec son nom : là où un nom qualifié reçoit l’une de ces terminaisons l’adjectif le précède et est habituellement non fléchi (sauf pour le pluriel) et peut être écrit comme un composé lâche »42). L’exemple donné est tára·kasse « sur la haute tête », où l’adjectif tára « haut » précède le nom et n’est pas fléchi.

La version dactylographiée donne des détails supplémentaires sur cette idée, notant que « l’adj. quenya précède ou suit le nom qu’il qualifie ; dans le premier cas, il forme virtuellement un composé lâche avec celui-ci, mais est écrit séparément »43), ainsi pour anda ráma « (une) longue aile ». La formulation du manuscrit « précède non fléchi (sauf au pluriel) » est changée en « précède non fléchi (sauf rarement au pluriel) »44). Ainsi les possibilités pour le pluriel sont tára·kasisse(n)ou rarement tare kasissen [sic]. D’après cette explication, l’accord serait poétique : #tárasse kasse ou #tárassen kasissen. L’accord serait habituel pour les quatre cas « ordinaires » (par comparaison avec les suffixes adverbiaux) et nous trouvons en effet : ni·hepsine […] i·mailinen losselin « j’ai moi-même attaché […] les fleurs magnifiques »45) où tant #mailina « magnifique » que #losse « fleur » sont à l’accusatif pluriel.

III. Poèmes en qenya des années 1920

Les trois poèmes en quenya Oilima Markirya, Nieninqe et Earendel sont présentés dans le PE 16 et M&C avec tous les brouillons qui les ont précédés. C’est la principale source du matériel concernant la morphologie des adjectifs. Les conventions du PE 16 seront employées pour dénoter les différentes versions. Les derniers textes des années 1950 ou après seront discutés plus loin.

III.1. Décliné

Adjectif antéposé (nom singulier), pas d’accord en cas

  • OM1a, b, c : lúne veasse « #dans la mer bleue » < lúne « bleu »46), vea « mer »47) + inessif -sse
  • OM1a, b, c : tanda kiryaiko « #avec ce navire » < tanda « #cela » (cf. TA en PE 12, p. 87 & PE 14, p. 54), kirya« navire »48) + comitatif sing. -iko
  • OM1c : móre veasse « #dans la mer sombre » < móre « #sombre » (cf. MORO en PE 12, p. 62)
  • OM1 : pinilya wilwarindon « petit comme un papillon » < pinilya « petit » (cf. PINI49)), ‘wilwarin « papillon »50) + similatif -ndon
  • OM2a : oilima óresse « dans le dernier matin » < oilima « dernier, ultime »51), óre « l’aube, lever de Soleil, Est »52) + inessif -sse
  • OM2a : valka wilwarindon « vague comme un papillon » < valka « vague » d’origine incertaine, peut-être identique ou similaire à walda « excité, sauvage », aussi walka53)
  • OM2 : oilima ailinello « #depuis le dernier rivage » < oilima « dernier, ultime »54), cf. aile, ailin « plage »55) + ablatif -llo
  • OM2 : ringa ambar « dans son sein froid » < ringa « moite, froid, glacial »56), #amba « poitrine » + datif –r [Le PE 12, p. 30 donne en fait Ambar (–r ou –s) « poitrine »]
  • OM2 : lúnelinqe vear « #dans la mer coulant bleu » < lúnelinqe « coulant bleu »57), vea « mer » + datif r
  • OM2 : silda-ránar « dans la lune luisant » < silda « luisant » (cf. SILI58)), rána « lune » (Silm., App. : ran-) + datif r

Adjectif antéposé (nom singulier), accord en cas

-pas attesté-

Adjectif antéposé (nom pluriel), pas d’accord en cas ni en nombre

  • OM1d, e, f : laiq’ ondoisen < « sur les rocs verts » < laiqa « vert »59), ondo « pierre »60) + inessif archaïque / poétique pl. –isen61)
    • OM1 : laiqa’ondoisen
    • OM2 : laiqa ondolissen

Adjectif antéposé (nom pluriel), pas n’accord en cas, mais accord en nombre

Voir III.3.

Adjectif antéposé (nom pluriel), accord en cas et en nombre

-pas attesté-

Adjectif antéposé (nom pluriel), accord en cas, mais pas en nombre

-pas attesté-

Adjectif postposé (nom singulier), pas d’accord en cas

  • OM1, OM1d, e, f : veasse lúnelinqe « #dans la mer coulant bleu » < lúnelinqe « coulant bleu »62)
    • OM1g : laivarisse luunelinkve « #dans l’océan coulant bleu » < laivar « océan »63)
    • OM2a : vear lúnelinqe < vea « mer » + datif –r
  • OM2 : óresse oilima « dans le dernier matin » < óre « l’aube, lever de Soleil, Est »64) + inessif sse, oilima « dernier, ultime »65)

Adjectif postposé (nom singulier), accord en cas

  • OM1a : kiryinqen tinweninqen « #un bateau blanc-étoile » < #kir(y)inqe « #petit bateau » de kirya « navire »66), tinwe « étoile »67), ninqe « blanc »68) ; tous deux avec nominatif en –n. [Il s’agit d’une hypothèse d’interprétation, une autre serait kir- « naviguer » + inf. –inqe69), ainsi « #naviguer blanche-étoile », voir PE 16, p. 57.]
  • OM1d, e : ailisse oilimasse, ailinisse oilimasse « #sur le dernier rivage » < aile, ailin « plage »70)
  • OM1d, e : oilimisse alkarasse « #dans la lumineuse fin » < #oilin (m-) « #fin, terminaison » + inessif isse71), alkara adj. « éclatant »72)+ inessif sse
  • OM1d : alkarisse oilimasse « #dans le dernier matin » < alkar « brillance, lumière du jour »73) + inessif –isse ou asse, oilima « dernier, ultime »74)
  • OM1e : alkarisse panyarasse / wanyarasse « #dans la lumière du soleil couchant » ou « #dans la lumière du jour s’amenuisant » < #panyara « #établissement, couchant [du soleil] » (cf. PANA « arranger »75)) ou #wanyara « #disparaissant, s’amenuisant, pâlissant » (cf. VAHA76), AVA « s’en aller, partir, quitter »77))
  • OM1g ajout : tauren lintyulussean « #forêt ayant de nombreux peupliers » < taure « forêt »78), lintyulussea « ayant de nombreux peupliers »79) + nominatif –n
  • OM1g ajout : tauren linqarassean « #forêt, où beaucoup observent » < linqarassea peut-être apparenté à QARA- « faire attention à, garder, observer (surveiller) »80) + nominatif –n

Adjectif postposé (nom pluriel), accord en cas et en nombre

  • OM1d : ondon mórenondoin mórinondoin morin « les rocs sombres » < ondo « pierre »81) + nom. pl. archaïque / poétique in82) ; more « #sombre » (cf. MORO en PE 12, p. 62) > nom. pl. morin
    • OM1e, f, g : öndöin moorin, ondoin {mórin}, ondoin moorin
  • OM1b, c : ondoisen andalissen « #sur les longs rocs » < ondo « pierre »83) + inessif pl. archaïque / poétique -isen84), anda « long »85) + inessif pl. -li-ssen
  • OM1, OM1f : ailissen oilimaisen « #sur les derniers rivages » - voir ci-dessus
    • OM1g : ailinissen oilimaisen
  • OM1g ajout86) : ornin lassevarnen « #arbres feuillus-bruns » < orne « arbre »87), lasse (e) « feuille »88), varne « brun » (Étym. BÁRAN-) + nominatif -n
  • OM1g ajout89) : tavárin lilyen « #nombreuses fées des bois » < tavāri « fées des bois »90), #lilya peut-être « #nombreux » (cf. 91)) + nom. pl. –in92)
  • E1a : wingildin silqelosseën « demoiselle d’écume avec une chevelure blanc fleur » < wingild- « demoiselle d’écume »93) (cf. ‘wingild- « nymphe »94)) + nom. pl. in + #silqelossea « #à la chevelure blanche » (cf. silqe (e) « une tresse de cheveux »95), losselie « peuple blanc » dans Nieninqe), nom. pl. archaïque / poétique silqelosseën avec #–eain > –eën
    • E1b : vingildin silkvelosseën
  • N1b variante : wingildin wilwarindeën « les fées d’écume comme des papillons » < wilwarindea « comme un wilwarin ou papillon » (cf. ‘wilwarin « papillon »96)), nom. pl. #–eain > eën
  • E1a : tyulmin aiqalin « les hauts mâts » < #tyulm- « mât » (cf. tyulma « mât »97)), nom. pl. tyulmin + aiqa « raide »98) + nom. pl. -li-n
    • E1b : tyulmin aikvalin

Adjectif postposé (nom pluriel), accord en cas, mais pas en nombre

-pas attesté-

Adjectif postposé (nom pluriel), pas d’accord en cas, mais accord en nombre

  • OM1d : {ondoisen laiqe} « sur les rocs verts » < ondo « pierre »99) + inessif pl. archaïque / poétique –isen100), laiqa pl. laiqe « vert »101)
  • OM2 : tollalinta ruste « sur des collines croulantes » < tolla « sommet de colline »102) + allatif pl. -li-nta, rusta pl. ruste « croulant » (cf. rusta kirya « navire brisé »)
  • OM2 : assari silde « sur des os luisant » peut-être < as- (ass-) « os »103) + datif pl. –ri, silda pl. silde « luisant » (cf. SILI104), silda-ránar dans OM2)

Adjectif postposé (nom pluriel), pas d’accord en cas ni en nombre

-pas attesté-

III.2. Pas décliné

Suivent ici certains exemples sans déclinaison explicite. Comme la grammaire qenya sous-jacente change, OM1g présente toujours un nominatif fléchi, mais pas d’accusatif explicite. Dans MO2 et MO2a, la déclinaison nominative disparaît aussi. Pour ces exemples, nous ne pouvons bien sûr rien dire sur l’accord en cas :

Adjectif antéposé, accord en nombre

  • OM2 : níve qímari « fantômes pâles » < *níva pl. níve « pâle » d’origine incertaine + #qímar pl. qímari « fantôme », peut-être dérivé de #QIM- apparenté à QIV-, QIPI- « #(s’)éveiller »105)
  • E1a : laiqali linqi falmari « vertes vagues mouillées » < laiqa « vert »106) + pl. –li, #linqe pl. linqi « mouillé », (cf. linqea « délavé ; aqueux », liqin(a) « mouillé »107), falmar « une vague alors qu’elle se brise »108) + pl. i
    • E1b: laikvali linkvi falmari
  • OM1g : moori raukvi « #sombres tempêtes » < móre pl. móri « #sombre » (cf. MORO en PE 12, p. 62) ; rauko pl. raukvi « voracité, précipitation »109)

Adjectif antéposé, pas d’accord en nombre

-pas attesté-

Adjectif postposé, accord en nombre

  • N1a, b : wingildi wilwarindear comme ci-dessus, avec pl. –r
  • N1a, b : táli paptalasselindear « avec des pieds dont la musique est celle des feuilles tombant » < tāl pl. táli « pied »110) ; paptalasselindea < papt- « petite feuille »111) ; lasse (e) « feuille »112), #lindea « musical » (cf. lindelea « mélodieux »113)) + pl. r

Adjectif postposé, pas d’accord en nombre

  • OM2 : ondoli losse « rocs blancs » < losse « blanc » (cf. losselie « peuple blanc » dans Nieninqe)
    • OM2a: ondoli ninqe < ninqe (i) « blanc »114)

III.3. Nominatif supplémentaire

Nous observons un type spécifique de structure lorsque les adjectifs s’accordent en nombre avec des noms déclinés alors qu’ils sont eux-mêmes au nominatif. L’adjectif peut soit précéder soit suivre le nom.

  • OM1g : laikven ondolissen < « #sur les verts rocs » < laiqa « vert »115), nom. pl. #–ain > –en ; ondo « pierre »116) + inessif pl. -li-ssen
  • OM1, OM1f, g : alkarissen oilimain « #dans les brillances dernières » < alkar « brillance, lumière du jour »117) + inessif pl. issen, oilima « dernier, ultime »118) + nom. pl. archaïque / poétique –in
  • OM1, OM1f : ailinisse alkarain « #sur des rivages [qui sont] éclatants » < aile, ailin « plage »119) + inessif isse, alkara « éclatant »120), « lumineux »121) + nom. pl. archaïque / poétique in
    • OM1g : ailinissen alkarain

Dans ailinisse manque la marque du pluriel n ; le suffixe –isse forme le singulier inessif / locatif des noms consonantiques comme pilin > pilindisse122), mais ailinisse doit peut-être s’interpréter comme un pluriel en –i. Le nominatif peut s’expliquer comme une construction relative : « #sur les rocs qui sont [des] verts. »

III.4. Discussion

Puisque nous avons une fois de plus affaire à de la poésie, diverses constructions doivent être archaïques ou poétiques. Bien qu’il y ait des exemples pour la plupart des structures possibles, il est tout de même possible de faire une certaine quantification. Pour les adjectifs antéposés, il semble habituel qu’ils ne s’accordent pas en cas ou en nombre, que les noms soient singuliers ou pluriels. Le seul exemple présentant un accord est laikven ondolissen, donc probablement poétique – et cela est cohérent avec l’EQG. Mais si le nom n’est pas fléchi en cas, il y a plusieurs exemples d’accord (même aussi divers que dans laiqali linqi falmari), mais aucun sans accord. Les adjectifs postposés s’accordent toujours en nombre, et l’on n’observe aucun exemple contraire. Mais il y a à peu près autant d’exemple avec accord en cas que sans – l’une des deux constructions est peut-être aussi poétique.

Les marqueurs pluriels utilisés sont –i (y compris –e < –ai123)), –r et –li. Pour des formes comme anda « long », pl. ande (plutôt que **andali), PE 14, p. 46 explique que « la différentiation des terminaisons est advenue en s’efforçant d’éviter les terminaisons longues et leur répétition tintant – mais le –li des pluriels vocaliques est à l’origine secondaire […] »124) Une autre raison de cette alternance peut être leur adaptation au mètre poétique, comme dans ondoisen andalissen. Aucun pluriel en –r ne se trouve dans les versions de l’Oilima Markirya, probablement du fait de sa coalescence avec la terminaison dative. La conception de l’EQG que les adjectifs s’accordent toujours avec les quatre cas (contrairement aux suffixes adverbiaux) ne semble pas être appliquée. Nous trouvons par exemple lúnelinqe vear et d’autres exemples similaires avec datif en –r.

IV. Quenya des années 1930-1940

Cette période comprend essentiellement les exemples donnés dans la Route perdue et un exemple des brouillons du Seigneur des Anneaux.

Adjectif antéposé (nom pluriel), pas d’accord en nombre

  • ilya maller « toutes [les] routes »125) < ilya « tous, tout, l’ensemble » (Étym. IL-), malle « rue, route » (Étym. MBAL-) + pl. -r

Adjectif antéposé (nom pluriel), pas d’accord en cas ni en nombre

  • Kuivië, kuivië! laurea’esselínen à ankalim’esselínen « #Vivat, vivat ! Par (de nombreux) noms glorieux »126) < kuivië est glosé « (s’)éveillant » (Étym. KUY-), « vie »127) est ici peut-être une traduction littérale de l’angl. hail = « santé, prospérité, bonne chance » ou quelque chose comme vivat « vive (longtemps) ! », laurea « doré, comme l’or »128) – peut-être métonymie poétique pour « glorieux », esse « nom »129) + part. pl. instrumental -lí-nen

Malheureusement, la variante modifiée présente une élision de la voyelle finale, de sorte que nous ne savons pas s’il s’agit du sing. ankalima « excessivement brillant »130) ou du pl. #ankalime.

V. Quenya du « Seigneur des Anneaux »

Il est probablement préférable de considérer le Seigneur des Anneaux séparément. En tant que première œuvre publiée et contenant une quantité substantielle de matériel quenya, il eut certainement beaucoup d’influence sur les développements ultérieurs de l’elfique. Bien que Tolkien ait toujours continué à expérimenter, il est bon de garder en mémoire quelles structures furent « fixées » dans le SdA. Il est également intéressant de faire une comparaison entre l’ordre des mots non poétique de Namárië donné dans The Road Goes Ever On (1966). (Voir ici pour une analyse à ce sujet.)

Adjectif antéposé (nom singulier), pas d’accord en cas

  • yuldar lisse-miruvóreva « gorgées du doux hydromel »
  • i·aire táríva ou tário « de la sainte reine » [prose]131)

Adjectif antéposé (nom pluriel), accord en nombre

  • laurië lassi « des feuilles comme l’or »
  • lintë yuldar « rapides gorgées » (identique en RGEO)
  • ilyë tier « tous les chemins » (identique en RGEO)
  • nu luini tellumar « sous les dômes bleus »132)

Adjectif postposé (nom pluriel), accord en nombre

  • lassi laurië « feuilles comme l’or »133)
  • tellumar nu luini « sous les dômes bleus »

Noter qu’à une époque, Tolkien interpréta laurië par « comme l’or » (adv. angl. goldenly) (homonyme du nom « dorure » (angl. goldenness) formé avec le suffixe adverbial –ie comme dans norne lintie « il courait rapidement »134). Ce n’est pas la seule explication, cependant – la Route perdue cite l’adj. laurëa (pl. laurië) « doré ». Noter aussi les explications plus tardives de Tolkien pour lisse-miruvóreva :

« La préfixation à un nom d’un adjectif non fléchi comme dans lisse-miruvóre pour créer un composé lâche est normale en quenya. Ainsi l’est, comme en anglais, la préfixation d’un nom non fléchi pour créer un composé génitif ou adjectival lâche : tel tári-líre “chant [de la] reine”. Mais un tel empilement, aire-tári=lírinen et l’ordre des mots sont dans le style poétique. »135) Un compte-rendu similaire mais plus court est en PE 17, p. 76.

On peut voir que le concept de composé lâche (tant « adjectif + nom » que « nom + nom ») perdura et seul le nom est décliné dans lisse-miruvóre. Cependant, il n’y a pas d’attestation de « adjectif + pluralisation et nom fléchi » dans Namárie.

VI. Quenya des années 1950

Cette période inclut les brouillons des traductions des prières catholiques136), l’essai « Quendi & Eldar » (1959-60) et la version N2 de Nieninqe datant de 1955137). Il n’y a en fait pas beaucoup d’exemples avec des noms fléchis, mais certains sont au pluriel :

Adjectif antéposé (nom pluriel), pas d’accord en nombre

  • menya lucandor « ceux qui pèchent envers nous » [lit. « nos pécheurs »]138) < me-nya « nos », #lucando « pécheur » (probablement < #ULUK- « mauvais, maléfique »), + pl. –r
    • menya lucindor « nos pécheurs »139)
  • musse teñgwi « éléments doux »140) < musse « doux » + teñgwe pl. teñgwi « signe », [voyelles et sonantes / semi-voyelles]
  • lehta teñgwi « éléments libres, libérés »141) < lehta « libéré » (« libérer, relâcher » dans Étym. LEK-) [voyelles]
  • sarda teñgwi « sons durs »142) < sarda « pierreux, dur » (cf. Étym. SAR-) [consonnes moins les sonantes / semi-voyelles]
  • tapta teñgwi « éléments entravé »143) < tapta « entravé » (cf. Étym. TAP- « arrêter ») [consonnes]

Adjectif antéposé (nom pluriel), accord en nombre

  • menye rohtar « nos pécheurs »144)
  • hlonaiti tengwi « signes phonétiques »145) < hlonaite « phonétique »
  • quante tengwi « signes complets »146) < quanta « plein » (Étym. KWAT-) [ensemble des consonnes + voyelles unitaires]
  • rakine tengwi « signes dépouillés / dépossédés »147) < #rakina « dépouillé, dépossédé », cf. rákina « brisé » en MC, p. 223 [consonne dont la voyelle précédente est perdue]
  • penye tengwi « signes manquants / inadaptés »148) < penya « manquant » (cf. PEN- « le démuni, le pauvre »149)) [voyelle dont la consonne précédente est perdue]

Adjectif postposé (nom pluriel), accord en nombre

  • N2 : wingildi wilwarindie « fées d’écume comme les papillons »150) – voir ci-dessus
  • N2 : táli lantalasselingie « pieds dont la musique dont la musique est celle des feuilles tombantes » < lantalasselingea « avec un son musical de feuilles tombantes »

Adjectif antéposé (nom singulier), accord en cas

  • Amille Eruva lisseo « Mère de grâce divine »151) < amille « mère » (cf. amil ; Étym. AM(1)-), Eruva « divin » < Eru « l’Un » + -va, lisse « grâce, douceur » + gén. o

[Mais Eruva peut aussi s’interpréter comme déclinaison possessive de Eru – nous n’aurions alors affaire qu’à une double flexion « mère de la grâce de Dieu »]

  • menya rohtaliello (← menya ruhtaliello) « nos pécheurs »152), lit. « notre peuple-pêcheur », ainsi #rohta « #péché, offense » + lie « peuple » (Étym. LI-) + ablatif -llo

Adjectif antéposé (nom pluriel), pas d’accord en cas ni en nombre

  • ilya raxellor « de tous les dangers »153) < ilya « tous, tout, l’ensemble » (Étym. IL-), raxe « danger » + ablatif pl. -llo-r
  • Aran linta ciryalion « #roi des navires rapides »154) < aran « roi »155) + linta « rapide »156), cirya « navire » + part. pl. génitif -li-o-n. [Existe aussi une variante au cas possessif et un composé complet : Aran lintaciryalíva]

Les termes linguistiques musse / lehta / sarda / tapta teñgwi sont tirés de la note « Mots noldorins pour le Langage » (angl. Noldorin words for Language) à « Quendi & Eldar ». Les formes données dans « Quendi & Eldar Appendix D » contiennent des adjectifs au singulier : hlonaiti / quante / rakine / penye tengwi. Il semble que nous soyons ici en face de deux conceptions différentes – l’une suivant ilya maller, l’autre ilye tier. Il n’est cependant pas clair que les deux puissent coexister. Peut-être le peuvent-elles, et une forme non fléchie résulterait d’un traitement comme composé lâche, où musse·teñgwe, etc. sont considérés comme des unités morphologiques uniques. L’autre traitement serait « qualificatif » + « nom ».

VII. Quenya des années 1960

Cette section comprend des exemples tirés de plusieurs essais tardifs et des deux dernières versions de Markirya157), la dernière étant désignée OM3 par convention.

Adjectif antéposé (nom pluriel), pas d’accord en cas ni en nombre

  • OM3 : atalantëa mindonnar « sur des tours écroulées » < atalantëa « ruiné, effondré », mindon « tour » (Étym. MINI-) + allatif pl. -nna-r
  • {ve quenderinwa koainen} « comme avec des corps de race elfique »158) < ve « comme, tel »159) + possessif #quenderinwa pl. quenderinwe « #des Quendi » (cf. sindarinwa « gris-elfique »160)) ; koa « maison »161) + instrumental pl. -i-nen

Adjectif antéposé (nom pluriel), pas d’accord en cas, mais accord en nombre

  • OM3 : {atalantië mindoninnar} « sur des tours écroulées » < mindon « tour » (Étym. MINI-) + allatif pl. -i-nna-r
  • ve quenderinwe koaron « comme s’il s’agissait [lit. « d’après la manière »] de corps de race elfique »162) < koa « maison »163) + génitif pl. -r-on

Adjectif antéposé (nom singulier), pas d’accord en cas

  • métima hrestallo « #depuis la dernière plage » < métima « dernier », hresta « plage » + ablatif -llo
  • ringa súmaryasse « dans son sein froid » < ringa « froid »; súma « cavité creuse, sein », locatif súma-rya-sse « sein-sienne-dans »
  • OM3 (première version) : métima amaurëasse « dans le dernier matin » < métima « ultime, final », amaurëa « † aube, point du jour » + locatif -sse
    • OM3 : métim’ auresse < aure « lumière solaire, jour »164)

Adjectif postposé (nom pluriel), pas d’accord en cas, mais accord en nombre

  • rámainen elvië « sur des ailes comme des étoiles » < ráma « aile » + instrumental pl. ráma-inen ; elvëa pl. elvië « semblable aux étoiles »
  • ondolissë mornë « sur les rocs noirs » < ondo « pierre » + part. pl. locatif -li-ssë ; morna pl. mornë « noir »

Adjectif postposé (nom pluriel), pas d’accord en cas ni en nombre

-pas attesté-

D’autres exemples ne présentent pas de déclinaison :

Adjectif antéposé (nom pluriel), accord en nombre

  • OM3 (première version) : ninqi ondor « rocs blancs » < ninqe pl. ninqi « blanc » (Étym. NIK-W)
    • OM3 : ninqi carcar < karka « dent » (Étym. KARAK-) + pl. -r
  • Eldarinwe Leperi are Notessi « Les Doigts et Numéraux elfiques »165) < #eldarinwa pl. eldarinwe « elfique » ; leper « doigt »166) + pl. –i ; are « et » (cf. √asa « à côté »167)) ; notessi pl. « numéraux » < nóte « nombre » (Étym. NOT-) ; essi « noms »168)
  • ve quenderinwe koar « comme des corps elfiques »169)
  • Kenime Kantar « Formes visibles »170) < #kenima pl. kenime « visible » (cf. ken- « voir, observer » dans OM3) ; kanta « forme » (cf. Étym. KAT-) + pl. -r

Adjectif antéposé (nom pluriel), pas d’accord en nombre

  • OM3 (première version) : i néka fairi « les pâles fantômes »- cf. singulier néka « vague, indistinct, difficile à voir » ci-dessus

Adjectif postposé (nom pluriel), accord en nombre

  • OM3 : i fairi néke « les pâles fantômes » < faire pl. fairi « fantôme, esprit désincarné » ; néka pl. néke « vague, indistinct, difficile à voir »
  • OM3 : maiwi yaimië « comme des mouettes criant » < maiwe pl. maiwi « mouette » (Étym. MIW-) ; adj. yaimëa pl. yaimië « criant »
  • OM3 : ve tauri lillassië « #comme des forêts fortement feuillues » < taure pl. tauri « grand bois, forêt » (Étym. TÁWAR-) ; lillassëa pl. lillassië « ayant de nombreuses feuilles »

Adjectif postposé (nom pluriel), pas d’accord en nombre

-pas attesté-

VIII. Résumé et discussion finale

VIII.1. Usage épithétique dans les dernières années

Quelles formations étaient dominantes dans les dernières décennies ? Tout d’abord, il faut noter qu’il n’y a pas un seul exemple d’accord en cas, pas même dans les poèmes, aussi celui-ci ne semble pas habituel et serait au mieux poétique. Considérons l’accord en nombre. Pour les adjectifs précédant les noms pluriels déclinés, nous trouvons cinq exemples sans accord en nombre :

  • laurea’esselínen « #par de (nombreux) noms brillants »171)
  • ilya raxellor « de tous les dangers »172)
  • atalantëa mindonnar « sur des tours écroulées »173)
  • Aran linta ciryalion « #roi des rapides navires »174)
  • {ve quenderinwa koainen}« comme avec des corps de race elfique »175)

Et seulement deux exemples présentant un tel accord :

  • {atalantië mindoninnar} « sur des tours écroulées »176)
  • ve quenderinwe koaron « comme s’il s’agissait [lit. d’après la manière] de corps de race elfique »177)

Parmi ceux-ci, atalantiëatalantëa fut un changement de la deuxième formation à la première et quenderinwaquenderinwe exactement le contraire. Cette distribution s’accorde bien avec l’explication d’EQG : « là où un nom qualifié reçoit l’une de ces terminaisons [-sse, -llo, etc.] (un mode quelque peu archaïque) l’adjectif le précède et est habituellement non fléchi (sauf rarement pour le pluriel) et est virtuellement un composé lâche »178). D’un autre côté, pour les noms qui ne sont pas fléchis, l’accord en nombre semble être plus fréquent :

  • menye rohtar « nos pécheurs »179)
  • laurië lassi « feuilles comme l’or »
  • lintë yuldar « rapides gorgées » (identique dans RGEO)
  • ilyë tier « tous [les] chemins » (identique dans RGEO)
  • luini tellumar « dômes bleus »180)
  • hlonaiti / quante / rakine / penye tengwi « signes phonétiques / complets / dépouillés / manquants »181)
  • ninqi ondor / carcar « rocs blancs »182)
  • Eldarinwe Leperi are Notessi « Les Doigts et Numéraux elfiques »183)
  • quenderinwe koar « corps elfiques »184)
  • Kenime Kantar « Formes visibles »185)

Mais là aussi, l’absence d’accord s’observe à différentes étapes externes :

  • ilya maller « toutes [les] routes »186)
  • menya lucandor « nos pécheurs »187)
  • musse / lehta / sarda / tapta teñgwi « éléments doux / libres / durs / entravés »188)
  • i néka fairi « les pâles fantômes » (OM3 première version)

Pour les adjectifs postposés, on n’observe qu’une seule formation – dans les exemples attestés, ils s’accordent toujours avec le pluriel. Il est probablement nécessaire que l’adjectif précède immédiatement le nom (qu’il s’agisse ou non d’un composé lâche) pour que la flexion tombe et que l’on conserve une signification univoque.

VIII.2. Usage attributif

Jetons finalement un œil aux adjectifs épithètes. Il n’y a pas beaucoup d’exemples et ils sont séparés par de nombreuses années, mais là aussi nous trouvons des témoins pour les deux formations possibles :

  • piliningwe súyer nalla qanta « #les airs étant pleins de plumes » < pilin « plume »189), possiblement pl. pilini + -ngwe « avec », súyer, pl. de súye « airs, brises, vents »190), nalla « #étant », qanta « plein »191)
  • ondoin morin ninqe« les rocs sombres [étaient] blancs »192) < ondo « pierre » + nom. pl. archaïque / poétique -in, ninqe « blanc », more « #sombre »+ pl. -n
  • i-Eldar “ataformaite” « Les Elfes [étaient] “ambidextres” »193) < ataformaite « ambidextre » (< at(a) « double, bi-, di- »194) + forma « main droite »195) + adj. -ite)
  • naltur […] ulqe nūsimar « #ils sont notables comme [étant] maléfiques »196) < naltur « #ils sont » (cf. « être, exister »197)); ulqa « mauvais, maléfique »198), pl. e ; #nūsima « #notable » (cf. nuste « sens de l’odorat », goldogrin nus- « prendre garde, percevoir »199)) + pl. r
  • nalto ūsiēre200) « #ils se sont échappés [lit. sont s’étant échappés] » < nalto « #ils sont », #ūsiēra « s’étant échappé » (cf. usin « il s’échappe »201), passé #ūsie + adj. -ra), pl. –e
  • nalto fustūme « #ils peuvent être détectés »202) < nalto « #ils sont », #fustūma « #notable » (cf. fausta- « prendre vent de »203)), pl. –e
  • táli paptalasselindeën « la musique de leurs pieds [était] comme des feuilles tombantes »204)
  • ilya sī maller raikar « toutes les routes [étant] désormais courbées »205) < « maintenant » (Étym. SI-), raika « tordu, courbé, faux » (Étym. RÁYAK-)
  • toi írimar « #qui [sont] magnifiques »206) < toi « ils », írima « magnifique » (cf. ĪR- « désirable, magnifique »207)), pl. –r
  • Eldar ataformaiti « [les] Elfes [étaient] ambidextres »208)

On y observe une modification ataformaiteataformaiti, de la première formation à la deuxième. Noter que le verbe « être » est habituellement omis, même au passé. L’exemple táli paptalasselindeën est assez curieux. S’il est correctement interprété, il signifie littéralement « #[leurs] pieds [étaient] feuille-musique-comme », i.e. le vrai sujet táli ne reçoit pas de suffixe nominatif, mais l’adjectif épithète en reçoit un. La même variante de lecture a un nominatif n·oromandinet wingildin wilwarindeën. Comparer avec la formation donnée en III.3.

Dans raikar, írimar le marqueur pluriel r est employé ; à cette époque, il s’agit typiquement d’une marque du pluriel des noms. Les adjectifs recevant ce pluriel sont employés substantivement comme vanima « beau, pâle » (Étym. BAN-), pl. vanimar « les beaux »209), linda « beau, (de sonorité) magnifique » (Étym. LIND-)210), pl. Lindar « les Beaux » comme nom de tribu211). Ainsi, maller raikar pourrait littéralement signifier « #[les] routes [sont des] courbées » et toi írimar « #[ils sont] des magnifiques ». Mais ataformaiti reçoit habituellement la marque du pluriel –i. Finalement, on trouve un exemple assez spécial en LRW, p. 72 :

  • Toi aina, mána, meldielto « Ils sont saints, bénis et aimés » < toi « ils », aina « saints » (Étym. AYAN-), mána « béni » (cf. Étym. MAN-), melda « aimé, cher » (Étym. MEL-), temps composé meld-ie-lto « aimés-sont-ils »

À cette époque, le verbe « être » est exprimé par un suffixe (ou un temps composé) –ie. Noter que les trois adjectifs sont tous au singulier, quoique « ils » requerrait un pluriel. Cette pluralité semble seulement être exprimée par la terminaison –ie-lto « ils sont » avec répétition du pronom. Comparer avec une construction similaire avec des adjectifs probablement attributs dans oïkta rámavoite malinai ou oïkta rámavoite karneambarai dans « Narqelion », mais d’un autre côté, noter l’accord en nombre dans laiqali linqi falmari dans « Earendel ».

Je voudrais remercier Thorsten Renk pour ses remarques critiques sur la première version de cet article.

Voir aussi

Sur Tolkiendil

Sur le net

1) Version originale : « Who shall say whether the free adjective has created images bizarre and beautiful, or the adjective been freed by strange and beautiful pictures in the mind? »
2) PE 15, p. 32-33
3) PE 12, p. 70
4) PE 12, p. 45
5) VT 40, p. 8, 13-14
6) , 37) , 88) , 112) PE 12, p. 51
7) , 11) , 33) , 49) PE 12, p. 73
8) VT 40, p. 8, 24
9) , 56) PE 12, p. 80
10) PE 12, p. 84
12) VT 40, p. 8, 15-16
13) PE 12, p. 101
14) PE 12, p. 81
15) PE 12, p. 102
16) PE 12, p. 97
17) , 34) , 35) PE 12, p. 49
18) , 50) , 94) , 96) PE 12, p. 104
19) , 25) PE 12, p. 48
20) PE 12, p. 103
21) VT 40, p. 8, 16
22) PE 12, p. 69
23) , 191) PE 12, p. 78
24) PE 12, p. 58
26) PE 15, p. 32
27) , 197) PE 12, p. 64
28) PE 11, p. 10
29) PE 15, p. 32, 36
30) PE 12, p. 40
31) , 38) PE 12, p. 65
32) PE 12, p. 94
36) , 68) , 114) PE 12, p. 66
39) PE 12, p. 36
40) , 123) PE 14, p. 45
41) Version originale : « cannot all be formed from every noun and adjective »
42) Version originale : « they are never added except in verse to an adjective in agreement with its noun: where a qualified noun receives one of these endings the adjective usually precedes uninflected (unless for plural) and may be written as a loose compound » ; PE 14, p. 46
43) , 110) PE 14, p. 76
44) PE 14, p. 78
45) PE 14, p. 56
46) PE 12, p. 57 ; PE 16, p. 75
47) PE 16, p. 138
48) , 66) PE 15, p. 77
51) , 54) , 55) , 57) , 62) , 65) , 70) , 72) , 73) , 74) , 78) , 102) , 117) , 118) , 119) , 121) PE 16, p. 75
52) , 64) LT1, p. 264
53) PE 17, p. 154
58) , 95) , 104) PE 12, p. 83
59) , 101) , 106) , 115) PE 12, p. 52
60) , 81) , 83) , 99) , 116) PE 15, p. 77 ; PE 16, p. 138
61) , 82) , 84) , 92) , 100) PE 16, p. 115
63) , 109) PE 16, p. 77
67) PE 12, p. 92
69) PE 14, p. 28
71) , 122) PE 16, p. 113
75) , 111) PE 12, p. 72
76) PE 12, p. 99
77) , 103) PE 12, p. 33
79) , 91) PE 12, p. 53
80) PE 12, p. 76
85) PE 15, p. 74
86) , 89) PE 16, p. 80
87) PE 16, p. 139
90) PE 14, p. 10
93) PE 16, p. 100
97) PE 12, p. 50
98) , 105) PE 12, p. 29
107) , 113) , 189) PE 12, p. 54
108) , 203) PE 12, p. 37
120) PE 12, p. 30
124) Version originale : « the differentiation of the endings has come about through tending to avoid the longer endings and their jingling repetition - but the –li of vocalic plurals is originally secondary […]. »
125) , 186) , 205) LRW, p. 47 ; SD, p. 310
126) , 171) SD, p. 47
127) VT 42, p. 8
128) , 156) , 159) RGEO, p. 66
129) VT 43, p. 14 ; PM, p. 339
130) L, p. 211
131) PE 17, p. 76
132) , 133) , 180) RGEO
134) PE 17, p. 58, 61
135) Version originale : « The prefixing of an uninflected adjective to a noun as in lisse-miruvóre to make a loose compound is normal in Quenya. So, as in English, is the prefixing of an uninflected noun to make a loose genitival or adjectival compound: so tári-líre “queen-song”. But the piling up in this line, aire-tári=lírinen and the word order are in poetical style. » PE 17, p. 67
136) VT 43-44
137) , 150) PE 16, p. 96
138) At. I : VT 43, p. 8
139) At. IIa-IIb : VT 43, p. 9, 10
140) , 141) , 142) , 143) , 188) VT 39, p. 17
144) , 179) At. III : VT 43, p. 11
145) VT 39, p. 4
146) VT 39, p. 5
147) VT 39, p. 6
148) VT 39, p. 6, 8
149) WJ, p. 408
151) VT 44, p. 12, 18
152) At. IV : VT 43, p. 11
153) , 172) VT 44, p. 5
154) , 174) PE 17, p. 147
155) PE 17, p. 147 ; WJ, p. 369
157) MC, p. 221-223
158) , 162) , 175) , 177) PE 17, p. 174
160) SdA, App.E
161) , 163) MR, p. 250 ; PE 17, p. 199
164) Silm., Index
165) , 183) VT 48, p. 4
166) VT 47, p. 10
167) VT 47, p. 31
168) PM, p. 339
169) , 170) , 184) , 185) PE 17, p. 175
173) , 176) , 182) OM3
178) Version originale : « where the qualified noun receive one of these endings [-sse, -llo, etc.] (a somewhat archaic mode) the adjective usually precedes uninflected (except rarely for plural) and is virtually a loose compound » ; PE 14, p. 78
181) VT 39, p. 5-6
187) At. I-II : VT 43, p. 8-10
190) PE 12, p. 86
192) PE 16, p. 64
193) AS1 : VT 49, p. 6-8
194) VT 42, p. 26
195) VT 47, p. 6
196) PE 15, p. 32,33
198) PE 15, p. 70
199) PE 11, p. 61
200) PE 15, p. 32, 37
201) PE 12, p. 98
202) PE 15, p. 32, 39
204) N1b variante : PE 16, p. 93
206) LRW, p. 72
207) VT 45, p. 18
208) AS4-6 : VT 49, p. 6-8
209) SdA, livre VI, chap.6 ; L, p. 230
210) LRW, p. 369 ; VT 45, p. 27
211) LRW, p. 168
 
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