Le mot sindarin pour « dans » — I Beth Edhellen a « ned, mi, di, egor vi »

Deux Anneaux
Gabe Bloomfield — Février 2004
traduit de l’anglais par Damien Bador
Articles de synthèse : Ces articles permettent d’avoir une vue d’ensemble du thème traité mais ils nécessitent une bonne connaissance des principales œuvres de J.R.R. Tolkien.

Il existe malheureusement de nombreux cas où l’absence d’exemples dans le corpus attesté du sindarin / noldorin crée des difficultés pour comprendre un certain terme (comme le mot noldorin bui) ou pour savoir comment utiliser une règle grammaticale donnée. Cependant, il y a aussi des cas dans le corpus où l’on dispose de nombreux exemples d’un mot ou d’une règle grammaticale spécifique. Habituellement, cela serait une excellente chose, mais malheureusement, les différentes formes s’opposent ou se contredisent souvent et il devient alors nécessaire au « sindariste » d’extraire l’exemple qui semble le plus probant.

C’est notamment le cas pour le mot sindarin pour « dans », qui est un sujet très débattu, car il existe quatre options différentes pour ce mot en sindarin et bien qu’il soit possible qu’il y ait plus d’une option dans cette langue, il est nécessaire d’écarter certaines des possibilités les moins probables ou au moins de nous efforcer de procéder ainsi. Jusqu’à dernièrement, l’information dont nous disposions sur toutes ces options était très incertaine et incomplète, comme on peut le voir :

  • ned – c’est un mot qu’on trouve dans les tengwar de The War of the Jewels. Il est possible qu’il soit uniquement employé pour les relations temporelles, comme « en, de » en rapport avec le temps.
  • vi – ce mot se voit deux fois dans l’Ae Adar Nín, le Notre Père (publié dans le Vinyar Tengwar 44, p. 21-30, 38). Il existe un débat pour savoir s’il s’agit de la forme mutée ou non de ce mot.
  • mi – une possible forme originale de vi. Il vient de la racine MI (cf. quenya mi dans le poème Namárië). L’une des raisons arguant que ce mot s’écrit plus probablement mi que vi est que ne n’observons nulle part la lénition m > v, sauf dans des constructions grammaticales spécifiques (i.e. Eryn Vorn < morn)1). Le mot vi figure pourtant dans l’Ae Adar Nín à la suite de deux mots qui ne causent pas de lénition aux mots suivants dans le reste de la prière. Il est néanmoins possible qu’il faille incriminer une négligence de Tolkien à appliquer les règles régissant la mutation.

Jusqu'à dernièrement, il s'agissait des seules options possibles. Pour ned, nous n’étions pas sûr de sa signification précise (s’il pouvait ou non réellement signifier « dans » du point de vue spatial) et nous n’avions pas de certitude sur la forme correcte de mi / vi. Au bout du compte, tout revenait à une question d’opinion. J’avais choisi d’employer mi parce qu’il me paraissait étymologiquement plus probable comparé à vi et que la mutation douce qu’il occasionne probablement est mieux comprise que la « mutation occlusive » que ned causerait sans doute. D’autres traducteurs, comme David Salo (qui fit des traductions pour les films du Seigneur des Anneaux) et Ryszard Derdziński (de Gwaith-i-Phethdain), choisirent d’utiliser ned, quoique j’ignore ce qu’étaient leurs raisons.

Portrait de Gandalf (© John Howe)

Tout cela changea cependant lorsque fut publié le Vinyar Tengwar 45. J’ai reçu ma copie il y a quelques jours de cela. J’ai immédiatement remarqué que les importants matériaux que contiennent les « Addenda and Corrigenda to “The Etymologies” » publiés par Carl F. Hostetter et Patrick H. Wynne peuvent puissamment contribuer à éclairer ce sujet. Cet article contient de nombreuses entrées jusqu’à présent inédites des « Étymologies », lesquelles avaient été omises par Christopher Tolkien lors de son édition de ce fameux texte. On y trouve plusieurs entrées qui traitent du mot « dans ». En m’appuyant sur la clause de fair use de la loi sur le copyright, je reproduis ici les entrées en question de sorte que ceux qui n’ont pas le VT 45 puissent comprendre ce qui suit :

  • IMÍ- dans. imbe adv. > (de)dans. [Entrée absente du texte publié. Imbe fut d'abord orthographié imba. Sur la même page, un ajout marginal dit : « IMI- dans. Cf. MÎ- ».]
  • NDI- (DI-) = imi , mi [« dans » ; voir après MI-]. Nold. [innac?] di « dans. » tiro men. di ngorgoros.
  • NĒ̆- (cf. NED, ENED ?) *nde- dans, à l'intérieur. *ne-stak- insérer, pousser dans, enfoncer dans, piquer. Nold nestegi (nestanc) insérer, pousser dans, enfoncer dans.

Ces trois entrées, dont aucune n’est incluse dans « Les Étymologies » originales, contribuent à simplifier certains aspects de la recherche pour le mot sindarin signifiant « dans », mais la compliquent aussi. Par exemple, nous savons désormais qu’il est possible que vi se soit développé à partir d’imi, le i- initial faisant muter le m en v, puis disparaissant suite à un possible mélange avec la forme mi, donnant de la sorte vi. Cependant, il y aussi un nouveau mot à discuter, di, qui pourrait générer plus de complications. Pour l’instant, je vais discuter chaque entrée et ce qu’elle nous révèle. Celle qui est en rapport avec mi et vi ne contient aucune information incroyable, sauf la révélation d’une possible ascendance de vi, aussi improbable soit-elle (comme je l’ai mentionné plus haut). La forme imbe est étrange, car nous n’avons aucune idée de la provenance de l’occlusive2), mais puisque cet article concerne le sindarin, efforçons-nous de ne pas trop nous écarter du sujet principal.

L'entrée suivante des « Étymologies » révisées nous donne beaucoup plus d’informations. Elle nous introduit à un mot dont nous sommes déjà familiers, mais doté d’une signification que nous n’avons pas encore rencontrée pour celui-ci. Le di de cette entrée s’observe dans le cri « inspiré » de Sam à Cirith Ungol : le nallon si di-nguruthos, signifiant « vers vous je crie ici [depuis] sous l’horreur de la mort ». Dans cette phrase, di signifie « sous, en-dessous » plutôt que « dans ». Une phrase au thème similaire se retrouve dans la même entrée : tiro men. di ngorgoros, qui signifie à mon sens « #regarde vers nous, dans l’horreur de la mort », si la traduction « dans » est correcte pour di et que gorgoros est une version dissimilée de gorgoroth (un exemple similaire de dissimilation se voit dans uthaeth > uthaes3))4). Soit Tolkien changea la signification de di en « sous » pour le Seigneur des Anneaux, soit la traduction du cri de Sam est approximative et une formulation plus littérale serait « dans l’horreur de la mort ».

Finalement, nous avons la racine du mot ned. Cette entrée nous fourni plusieurs informations sur son utilisation. D’abord, elle confirme le fait que ce mot s’orthographie bien ned (antérieurement, n’étant attesté qu’en tengwar, nous ne pouvions être certains qu’il s’agissait de la forme correcte). Deuxièmement, elle nous indique que ned n’est pas seulement employé pour les questions temporelles, mais a aussi une signification spatiale. Cependant, du fait des références à ne-stak- et à ses dérivés, il est probable que ce mot signifiait « vers l’intérieur » plutôt qu’un simple « dans ».

Sam combat Arachne (© John Howe)

Que pouvons-nous alors faire de tout ceci ? Avec tous ces différents choix, quels termes devrions-nous employer ? Voici une liste de ces quatre mots dans l’ordre que je recommanderais pour leur utilisation (je répète : ce n’est qu’une recommandation) :

  1. mi
    • Pour : ce mot possède un équivalent quenya bien attesté, ainsi qu’une attestation claire de sa signification.
    • Contre : on ne sait pas vraiment s’il s’agit de la forme réelle de ce terme.
  2. di
    • Pour : preuve que ce mot noldorin fut conservé en sindarin.
    • Contre : la signification exacte de celui-ci n’est pas claire.
  3. vi
    • Pour : preuve manifeste que ce terme signifie « dans » ; une chaîne de changements possible – bien qu’elle peu probable – aboutissant à sa forme finale (imi > #ivi parallèlement à mi > vi).
    • Contre : il n’est pas certain qu’il s’agisse de la forme finale du mot.
  4. ned
    • Pour : possède clairement une signification spatiale ; plusieurs spécialistes notables étudiant les langues de Tolkien (David Salo, Ryszard Derdziński) l’ont employé.
    • Contre : signification incertaine du mot en tant que tel ; pourrait causer une « mutation occlusive », un type de mutation moins bien compris que la lénition, la mutation que les autres formes déclencheraient probablement.

Voir aussi sur Tolkiendil

1) Vinyar Tengwar 44, p. 22-23.
2) N.d.T. : Comme le Parma Eldalamberon 18 l’explique en p. 90-91, il faut probablement voir là un « groupement homorganique » résultant d’une « variation dynamique » du radical primitif.
3) Vinyar Tengwar 44, p. 21, 23.
4) N.d.T. : Le terme gorgoroth signifie plutôt « terrible horreur » et n’est pas directement en rapport avec la mort. Il ne saurait à proprement s’agir d’une dissimilation, puisque ce mot ne possède aucun autre th et n’est donc pas comparable à uthaeth à ce titre.
 
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