Diverses langues humaines : la tristesse des Hommes Mortels ?

Deux Anneaux
Helge Kåre Fauskanger
traduit de l’anglais par Damien Bador
Article de synthèseArticles de synthèse : Ces articles permettent d’avoir une vue d’ensemble du thème traité mais ils nécessitent une bonne connaissance des principales œuvres de J.R.R. Tolkien.

Plusieurs langues humaines sont mentionnées dans les œuvres de Tolkien, mais sauf pour l’adûnaïque, nos connaissances à leur sujet sont fragmentaires. Concernant l’histoire linguistique ancienne des Hommes, voir les paragraphes d’ouverture de l’article sur l’adûnaïque. De nombreuses langues humaines furent influencées par l’elfique. Si Felagund put comprendre aussi rapidement le parler de Bëor et de ses hommes, c’était en partie dû au fait que « ces Hommes avaient longtemps été en contact avec les Elfes Sombres à l’Est des montagnes, et d’eux avaient appris une grande part de leur parler ; et puisque toutes les langues des Quendi avaient la même origine, celle de Bëor et de son peuple ressemblait à la langue elfique par beaucoup de ses mots et tournures. »1).

Le rohirrique

Dans le Seigneur des Anneaux (Livre III chap. 6), alors qu’Aragorn et Legolas approchaient de la Maison Dorée de Rohan, Aragorn récita un poème dans une langue étrangère. « C’est là, je suppose, la langue des Rohirrim, » commenta l’Elfe, « car elle ressemble à ce pays même : tantôt riche et onduleuse, tantôt dure et sévère comme les montagnes. Mais je ne saurais dire ce que signifie ce chant, sinon qu’il est chargé de la tristesse des Hommes Mortels. »

Nous ne connaissons pas beaucoup de rohirrique authentique, car dans le SdA Tolkien utilisa le vieil anglais pour le représenter : il s’efforça de reproduire pour les lecteurs anglais la saveur archaïque qu’il avait pour les locuteurs du parler commun (lui-même représenté par l’anglais moderne – mais il faut cependant comprendre que le rohirrique n’était pas un ancêtre du parler commun de la même façon que le vieil anglais l’est pour l’anglais moderne). Ainsi, des noms comme Éomer et des expressions comme ferthu Théoden hál ne sont pas des transcriptions d’authentiques mots utilisés au Troisième Âge. Néanmoins, quelques mots de rohirrique authentique ont été publiés. L’Appendice F nous informe que trahan signifie “fouir”, correspondant au hobbitique véritable trân “smial” ; à un moment donné de son histoire, la langue des Hobbits avait été influencée par le rohirrique ou un parler lui étant étroitement apparenté. Un autre exemple est le hobbitique kast “mathom”, correspondant au rohirrique kastu. Le mot hobbit lui-même représente le véritable terme du Troisième Âge kuduk, une forme hobbite abâtardie du rohirrique kûd-dûkan “habitant d’un trou” – lui-même représenté par le vieil anglais holbytla dans le SdA.

Depuis la publication de The Peoples of Middle-earth, nous disposons de quelques mots supplémentaires. D’après PM (p. 53), l’élément fréquent éo- “cheval” (dans Éowyn, Éomer, etc.) représente le rohirrique authentique loho-, lô-, évidemment apparenté aux termes elfiques pour « cheval » (cf. quenya rocco, sindarin roch) – démontrant l’influence de l’elfique sur les langues humaines. Éothéod « Peuple du cheval » ou « Terre des chevaux » est une traduction du vrai terme rohirrique Lohtûr. Le nom sindarin Rohan correspond au mot indigène Lôgrad (dans sa version vieil anglaise Éo-marc, la « Marche des chevaux »). Théoden représente tûrac-, un vieux terme pour « roi » (cf. le radical elfique TUR- faisant référence au pouvoir et à la maîtrise ; RP, p. 454). D’après UT (p. 387), le véritable terme rohirrique pour « wose » (homme sauvage) était róg, pl. rógin. (La terminaison plurielle -in est aussi attestée en doriathrin, ce qui pourrait donc constituer une nouvelle preuve de l’influence elfique sur les langues humaines.) Se référer aussi à Nóm, pl. Nómin dans la langue du peuple de Bëor (Silm., chap. 17 ; voir ci-dessous).

Les langues nordiques

Dans le texte du SdA, les prénoms de Gollum et de son ami sont Sméagol et Déagol. D’après une note de bas de page de l’Appendice F du Seigneur des Anneaux, il s’agit de « noms […] issus d’une langue d’Hommes, parlée dans la région de la Rivière aux Flambes. » Cependant, plus loin dans cet Appendice, il est expliqué qu’il ne s’agissait pas de leurs vrais noms, mais « des équivalents inventés selon le même principe pour les noms Trahald “chose qui fouit, se faufile” et Nahald “secret” des langues du Nord. » L’expression « selon le même principe » se réfère à la substitution des formes en vieil anglais aux véritables formes rohirriques effectuée par Tolkien ; les noms Sméagol et Déagol sont de même fabriqués à partir d’éléments vieil anglais pour servir « d’équivalents » aux véritables noms archaïques de Terre du Milieu que sont Trahald et Nahald.

Dans le brouillon de Tolkien pour l’Appendice F (où les « vrais » noms apparaissaient comme étant Trahand et Nahand), ceux-ci étaient respectivement traduits par « apte à ramper dans un trou » et « apte à se cacher, de caractère secret »2). Dans la même source, Tolkien ajouta que « Smaug, le nom du Dragon, est une représentation similaire, dans ce cas d’un caractère plus scandinave, du nom dalien Trâgu, qui était probablement apparenté au radical en trah- de la Marche et de la Comté. » Ainsi, les noms inventés Sméagol (pseudo-vieil anglais) et Smaug (pseudo-scandinave) contiennent le même radical originel, représentant la relation existant entre les noms authentiques de Terre du Milieu Trahald et Trâgu. Puisque Trahald est dit signifier « chose qui fouit, se faufile » ou « apte à ramper dans un trou », il est intéressant de noter que Tolkien affirma que le nom Smaug (représentant Trâgu) est « le passé simple du verbe germanique primitif Smugan, se faufiler dans un trou »3).

Le dunlandais

Lorsqu’il défendait la Ferté-au-Cor, Éomer ne pouvait comprendre ce que les assaillants hurlaient. Gamling expliqua qu’« ils sont nombreux à crier dans la langue de Dunlande […] Je la connais. C’est un ancien parler des hommes, autrefois usité dans plusieurs vallées de l’ouest de la Marche. […] Ils crient […] “Mort aux Forgoil ! Mort aux Têtes-de-Paille ! […]” Ce sont les noms qu’ils nous donnent. »4). L’Appendice F mentionne forgoil “Têtes-de-paille” comme le seul terme dunlandais qui apparaît dans le SdA : peut-être for-go-il “paille-tête-pluriel” ? La terminaison -il pourrait avoir été prise de l’elfique et être apparentée au final avec la terminaison plurielle partitive quenya -li5).

Concernant la langue ancêtre du dunlandais, voir ci-dessous.

Les langues du Harad et de Khand

Sur la langue des Haradrim, loin dans le Sud, il n’y a pas grand-chose à dire. Certain magicien affirma jadis que « J’ai reçu maints noms dans maints pays […] Mithrandir chez les Elfes, Tharkûn pour les Nains ; Olórin j’étais dans l’Ouest, dans ma jeunesse qui est oubliée, Incánus dans le Sud, Gandalf dans le Nord ; dans l’Est, je ne vais point. »6) D’après UT (p. 399-402), Incánus ou Inkâ-nus, Inkâ-nush est un mot de la langue des Haradrim signifiant « Espion du Nord ». Mais Tolkien n’était pas tout à fait sûr à ce sujet ; il se demandait si Incánus ne pourrait pas plutôt être le quenya pour « Esprit-meneur ». – D’après PM (p. 79), Tolkien affirma que les noms Khand (la terre au sud-est de Mordor) et Variag (les Variags étant le peuple vivant en Khand) étaient des exemples du « parler des Hommes de l’Est, alliés de Sauron ». Un autre mot khandien est mûmak, pl. mûmakil “éléphant”. La terminaison plurielle -il est-elle apparentée à celle qui apparaît peut-être dans Forgoil ou est-ce un emprunt indépendant à l’elfique ?

Le drúedainique

Les Hommes Sauvages de la Forêt de Drúadan utilisaient une langue complètement étrangère au parler commun. Dans les temps anciens, leur race était appelée Drûg par le Peuple de Haleth, « ce qui était un mot de leur propre langue »7). En drúedainique, la forme qu’il prend en fait, citée dans UT (p. 385), est Drughu (« dans lequel le gh représente un son fricatif »). Leurs voix étaient « profondes et gutturales »8) ; en effet, la voix de Ghân-buri-Ghân est ainsi décrite, alors même qu’il parlait westron9). Il utilisa à maintes reprises le mot gorgûn, signifiant à l’évidence « Orques »10).

Le taliska

Une ancienne langue humaine appelée taliska est mentionnée en RP (p. 207) ; c’était la langue du peuple de Bëor11), l’ancêtre de l’adûnaïque. Elle fut influencée par le vert-elfique (nandorin). « Il existe une grammaire historique du taliska » nous informe Christopher Tolkien12). Il y a plusieurs années, Vinyar Tengwar rapporta qu’un membre de l’Équipe éditoriale préparait une édition de la grammaire taliska, et Carl F. Hostetter confirme qu’elle sera publiée… un jour. Dans l’intervalle, seuls quelques mots des anciennes langues humaines sont connus. Dans WJ (p. 238, 270, 309), nous trouvons bar “homme”, dar “maîtrise, seigneurie”, hal “tête, chef”, halbar “chef de clan”, hal(a) “surveiller, garder”, halad, pl. haladin “gardien”, haldad “chien de garde”, bor “pierre” (composé dans les termes Talbor “pierre dressée”, Angbor “Pierre du Jugement”, apparemment aussi dans Halabor – signifiant peut-être « Roc-garde »). On peut remarquer que les mots cités dans WJ (p. 309) viennent d’un « feuillet isolé » qui incluait des changements de noms qui ne furent pas mis en œuvre dans le texte narratif associé : comme souvent, il serait difficile de déterminer fermement quels mots et idées Tolkien aurait « finalement » considéré valides.

Dans le Silmarillion (chap. 17), il est marqué que le peuple de Bëor appelait le Roi-elfe Felagund Nóm “Sagesse”, et qu’ils appelaient son peuple Nómin, “les Sages”. Ainsi, leur langue semblerait avoir une terminaison plurielle en -in, que l’on retrouve en rohirrique (et en doriathrin). Comparer avec haladin ci-dessus.

Les idées de Tolkien au sujet du taliska et de son histoire semblent avoir changées au cours du temps. Ellen Schousboe note (dans une communication privée, reproduite ici avec sa permission) :

« Concernant l’histoire externe du taliska, telle que je l’ai découverte dans les HdtM : si haladin sonne comme un mot familier, c’est parce qu’il l’est… ! À l’époque où Tolkien écrivit les mots actuellement connus du taliska, il le concevait comme la langue du Peuple de Bëor et du Peuple de Haleth.
« À l’origine, il n’y avait que deux Maisons des Edain : le Peuple de Bëor et le Peuple de Hador. La « Maison de Haleth » était juste un sous-groupe des Hadoriens. Je ne sais pas quelle était la situation linguistique à ce moment et si le taliska avait déjà été conçu sous quelque forme que ce soit.
« Plus tard, la Troisième Maison devint distincte, sous « Haleth le Chasseur » et plus tard Dame Haleth. […] La Maison de Hador parlait une langue, qui fut finalement conçue comme étant l’adûnaïque. Les Bëoriens et les Halethiens, quant à eux, parlaient tous deux la langue taliskane. Telle était la situation lorsque Tolkien créa les mots de taliska que vous avez listés.
« De plus, dans le texte de The War of the Jewels, Tolkien décida que Haladin se référait seulement à la Maison de Haleth (les chefs descendant de son frère) et non pas à tout le Peuple.
« Mais des années plus tard, il changea la situation à nouveau (et cette version altérée fut intégrée au Silmarillion « publié ». Dans The Peoples of Middle-earth se trouve un texte appelé « Des Nains et des Hommes » (c. 1969), qui inclut des informations linguistiques. D’après celui-ci, les Bëoriens et les Halethiens ne parlaient pas du tout la même langue, ni même des dialectes apparentées ! Les Hadoriens parlaient l’ancien adûnaïque et les Bëoriens avaient une langue très voisine, mais avaient adoptés divers « mots et tournures » venant de langues humaines étrangères, ce pourquoi leur langue semblait un peu étrange aux oreilles hadoriennes.
« Les Halethiens, pendant ce temps, parlaient une langue complètement distincte. Celle-ci était cependant apparentée au dunlandais ; en fait, c’était son ancêtre. Les Dunlandais descendaient du restant des Halethiens qui ne passèrent jamais en Beleriand. Le « pré-númenórien » était également apparenté d’une certaine manière à la langue halethienne. C’est la langue qui était parlée en Gondor avant que les Númenóriens le colonisent et n’en chassent les anciens habitants13).
« Dans cette conception linguistique, Nóm et Nómin seraient des mots bëoriens, mais tous les autres termes (bor et talbor et tous les mots commençant par hal- seraient des mots des Hommes des Bois de Brethil, et seraient donc halethiens. Je ne sais pas ce qu’il adviendrait du nom « taliska » lui-même dans cette conception tardive.
« Il semble effectivement bizarre que deux langues supposément sans lien eussent la même formation plurielle en -in, mais à moins que la grammaire taliska soit postérieure à 1968, je suppose que c’est ce à quoi il nous faut nous résigner ! Ou peut-être vous pourriez le concevoir comme l’une des « tournures » que les Bëoriens empruntèrent aux langues étrangères. »

Ainsi même dans le cas des langues « mineures » du Légendaire de Tolkien, l’évolution des conceptions de ce dernier peut compliquer les choses !

Voir aussi

Sur Tolkiendil

Sur le net

2) PM, p. 54
3) L, p. 31
4) SdA, Livre III, chap. 7
5) RP, p. 419
6) SdA, Livre IV, chap. 5
7) UT, p. 377
8) UT, p. 378
9) SdA, Livre V, chap. 5
10) voir WJ, p. 391
11) N.d.T. : En réalité, le taliska est dit être « la langue des gens de Bëor, Haleth et Hador » en RP, p. 207. Il fut dès l’origine spécifiquement associé à la Maison de Hador, puisqu’il était dit que « cette langue était encore connue de Tuor, fils de Huor, fils de Gumlin, fils de Hador » (ibid.).
12) RP, p. 220, note
13) N.d.T. : il semblerait plutôt que les Númenóriens se soient mélangés aux habitants qui habitaient antérieurement le Gondor, voir notamment SdA, Livre V, chap. 1 ; VT 42, p. 5-31.
 
langues/langues_humaines/divers/diverses_langues_humaines.txt · Dernière modification: 06/04/2020 18:47 (modification externe)
Nous rejoindre sur https://discord.gg/cafByTS https://www.facebook.com/Tolkiendil https://www.twitter.com/TolkiendilFR https://www.instagram.com/Tolkiendil http://www.youtube.com/user/AssoTolkiendil
Tolkiendil - https://www.tolkiendil.com - Tous droits réservés © 1996-2024