Translations dans les traductions : Le Nicbriqueux fait « koube, sase »

Un Anneau
Arden R. Smith - Juillet 1993
traduit de l’anglais par Julien Mansencal
Notes de lectureNotes de lecture : En tant que présentations ou compilations, ces articles sont les plus accessibles à tous les lecteurs. Aucune connaissance sur J.R.R. Tolkien n’est requise.
Cet article est issu du journal linguistique Vinyar Tengwar no 30, daté de juillet 1993 et édité par Carl F. Hostetter. Le traducteur remercie chaleureusement Arden R. Smith et Carl F. Hostetter pour avoir autorisé la parution de cette traduction.

Qui se rappelle du « See and Say » ? Une version populaire de ce jouet parlant s’appelait (et s’appelle toujours) « The Farmer Says » [en France, la « Ferme savante », N.d.É.]. Il s’agit d’une roue avec des dessins d’animaux sur le bord. Lorsque l’enfant tourne la flèche vers un animal, par exemple la vache, et tire la ficelle (ou le levier dans les modèles plus récents), le jouet déclame : « La vache fait meuh. » Un détail intéressant concernant les bruits d’animaux que produit ce jouet est qu’ils varient d’une langue à l’autre. Là où un chien anglais fait « bow wow », « woof » ou « arf », un chien allemand dira « wau wau ». La version arménienne du cocorico est guguligu, et ainsi de suite.

Il m’a semblé amusant d’étudier un cas similaire de variation onomatopéique dans les traductions du Seigneur des Anneaux. En route vers Fondcombe, les Hobbits et Grands-Pas découvrent le neek-breek, breek-neek des « vilains parents du grillon » que Sam appelle « Neekerbreekers ». Voyons quels sons produisent ces insectes dans les diverses traductions, et comment leur nom a été rendu.

Certaines traductions suivent de près la version anglaise originale du son produit par ces insectes, avec des variations parfois considérables dans la formation du nom et l’orthographe du neek-breek. Les niikerbriikere danois d’Ida Nyrop Ludvigsen disent « niik-briik, briik-niik ». De Niekerbriekers de la traduction néerlandaise de Max Schuchart font « niek-briek, briek-niek ». Les Nicbriqueux de la traduction française de Francis Ledoux et los nique-brique de la traduction espagnole de Luis Domènech font le même bruit : « nic-bric, bric-nic ». La version grecque d’Eugenia Khatzethanase-Kollia apporte une petite modification : τα νίκι-μπρίκι disent « νικ-μπρικ, νικ-μπρικ » et pas « νικ-μπρικ, μπρικ-νικ ».

Aragorn et les Hobbits (© Anke Katrin Eissmann)

D’autres traductions proposent différentes interprétations du son que devrait produire le cousin maléfique du grillon. Die Zirperkirper de la version allemande de Margaret Carroux disent « Zirp-kirp, Kirp-zirp » : le verbe allemand utilisé pour la stridulation du grillon est zirpen. Les cipcirpek hongrois d’Árpád Göncz font logiquement un son « cip-cirip, cip-cirip », puisque le verbe hongrois correspondant est cirpel. Les skikirikittäjät finnois de la traduction de Kersti Juva et Eila Pennanen font entendre un « skiik-riik, skiik-riik » qui semble suggérer des termes finnois comme sirkka « grillon » et sirittää « striduler (comme un grillon) ».

Les variations sont également au rendez-vous au royaume des traductions russes. Natalia Grigoriyeva et Vladimir Grouchetski restent proches de l’anglais avec leurs никербрикеры qui disent « ниик-бриик, бриик-ниик ». En revanche, V. Muraviov appelle les créatures Кровопросцы et adapte leur cliquetis en « Крровочки! Крровочки! Крровочки! ». V.A.M. (Valeria Matorina) utilise le même nom, mais change leur cri en « Кр-р-ровицы-крр-р-крровицы ». Les formes employées par Muraviov et Matorina semblent avoir des accents sinistres ; il me semble qu’on ne peut connaître le russe et lire ces constructions onomatopéiques sans penser au mot кровь « sang ».

Pour rester dans les traductions aux accents sinistres, la version polonaise des neekerbreekers de Maria Skibniewska est un trait de génie. Elle appelle les insectes skręcikarki et rend leur bruit par « skręć-kark, skręć-kark », très stridulant et crissant, peut-être même encore plus aigre que « neek-breek ». Ce qui rend cette traduction brillante est le sens que cachent ces sons : skręcić kark signifie « briser la nuque » en polonais. Et comparez cela à l’anglais : « neek-breek, breek-neek » peut suggérer « neck-break, break-neck », « cou-casser, casser-cou ».

Néanmoins, l’équivalence la plus inhabituelle que j’aie pu voir est clairement celle de la traduction japonaise de Teiji Seta. Les insectes y sont appelés koubesase-mushi ou koubesase-chû (suivant la prononciation de l’idéogramme 虫) parce qu’ils font ce bruit : « koube, sase, koube, sase, sase, shimoto, sase ». Je ne saurais dire pourquoi ils font un tel bruit1).

Voir aussi

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1) N.d.É. : Il semblerait au final que le koube, sase japonais ait une signification similaire à la version polonaise. Koube (ou kōbe) signifie généralement « tête », mais peut aussi vouloir dire « cou » (= kubi), tandis que sase pourrait être la forme brusque de l’impératif sasu « percer, poignarder, empaler ». (Communication personnelle de l’auteur, 2010.)
 
langues/traductions/nicbriqueux_koube_sase.txt · Dernière modification: 06/04/2020 18:47 (modification externe)
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