Interview de Wayne Hammond et Christina Scull

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L'Arc et le Heaume n°3 - Númenor.

L'Arc et le Heaume n°3 - Númenor

Interview réalisée par Pieter Collier en 2007 et actualisée en 2012 par Damien Bador & Vivien Stocker, traduction de Romain Paulino

En fin d’année 2011, l’éditeur HarperCollins a publié plusieurs ouvrages pour célébrer le soixante-quinzième anniversaire de la première parution du Hobbit, dont un nouvel ouvrage de Christina Scull et Wayne G. Hammond, The Art of The Hobbit by J.R.R. Tolkien. Ce dernier offre un panorama de l’ensemble des illustrations réalisées par Tolkien pour le Hobbit. Hammond et Scull sont deux universitaires spécialistes de Tolkien, qui ont plusieurs fois travaillé en collaboration avec le Tolkien Estate. Leurs ouvrages les plus connus sont J.R.R. Tolkien : Artiste et Illustrateur, The Lord of the Rings: A Reader’s Companion, et surtout The J.R.R. Tolkien Companion and Guide, un ouvrage bibliographique de référence sur Tolkien. Aussi, nous vous proposons de découvrir la traduction d’une interview de ces deux auteurs menée en 2007 par Pieter Collier, webmestre du site Tolkien Library, lors de la parution de leur excellent et très ambitieux ouvrage The J.R.R. Tolkien Companion and Guide. Cette interview a été actualisée par nos soins, afin d’en savoir plus sur leurs travaux en cours.

Comment en êtes-vous venus à vous intéresser aux travaux du Professeur Tolkien ?

Christina Scull : Mes parents m’ont permis d’utiliser leurs cartes de bibliothèque pour que je puisse avoir accès à la section « adulte » de la bibliothèque du quartier. Au début de l’année 1955, une jeune bibliothécaire, qui venait probablement elle-même de découvrir le Seigneur des Anneaux, a suggéré que je pourrais aimer le livre. J’ai alors lu les deux premiers tomes, et j’ai fait partie de ceux qui ont attendu impatiemment la publication du dernier volume. Je me souviens m’être inquiétée du fait que Tolkien puisse mourir avant de finir le livre et que je ne puisse pas savoir ce qui se passait à la fin ! Bien sûr, j’ai appris plus tard que le texte lui-même était déjà terminé, mais que la publication était retardée car Tolkien travaillait sur les appendices. J’ai lu et relu l’œuvre, empruntant les livres à la bibliothèque, jusqu’à ce qu’au début de l’automne, en 1956, alors que j’étais encore au milieu du Retour du Roi, je ne puisse plus renouveler mon prêt à la bibliothèque car quelqu’un d’autre avait demandé à emprunter le livre. J’avais alors accumulé tout juste assez d’argent de poche pour aller m’acheter mon propre exemplaire. Bien sûr, je voulais alors aussi avoir en ma possession les autres tomes, qui coûtaient 21 shillings chacun. Mon père me donnait 5 shillings d’argent de poche par semaine, mais il me donnait 10 shillings supplémentaires si j’obtenais un A- à mon bulletin scolaire mensuel. J’ai donc travaillé dur à l’école cet automne-là et en un peu plus de deux mois, j’avais les trois volumes. Puis, j’ai acheté et lu le Hobbit, et j’ai fait l’acquisition des autres travaux de Tolkien au fur et à mesure de leur publication.
Wayne Hammond : J’ai découvert Tolkien pour la première fois en 1970, pendant ma dernière année de lycée. À cette époque, on trouvait des livres de poche, et j’ai repéré les Deux Tours et le Retour du Roi dans un magasin de décoration intérieure. C’était l’édition originale Ballantine, avec les couvertures de Barbara Remington que certains trouvent horribles, mais dont je trouvais l’esthétique intrigante. J’ai acheté les deux volumes sur un coup de tête, et ensuite, évidemment, j’ai dû acheter la Communauté de l’Anneau, que j’ai trouvé dans un supermarché. Pendant que je le cherchais, j’ai découvert le Hobbit, qui était, selon les éditions Ballantine, « le merveilleux antépisode du Seigneur des Anneaux », et j’ai pensé qu’il valait mieux que je l’aie également. Je les ai lus immédiatement, et j’ai accroché. Un peu plus tard, j’ai été l’objet de taquineries de la part de mes camarades de classe, parce que j’aimais Tolkien à un moment où nous, qui allions entrer à l’université, étions supposés lire des auteurs « sérieux » comme Kafka. Bon, j’ai lu Kafka aussi, mais j’ai préféré Tolkien, et je savais que ses livres étaient aussi sérieux que le reste. Et en effet, ils m’ont amené à faire des études médiévales et à découvrir la littérature anglaise primitive que j’aurais pu ne jamais explorer sinon.

Comment vous êtes-vous rencontrés ? À travers Tolkien ?

Comme nous étions tous deux des fans absolus, nous avons rejoint la Tolkien Society, à travers laquelle nous nous sommes rencontrés en 1983 à une réunion du smial de Londres, pendant la première visite de Wayne en Angleterre. Nous étions également de sérieux collectionneurs et nous avons commencé à nous aider l’un l’autre à acquérir des livres publiés de l’autre côté de l’Atlantique. Quelques années plus tard, notre relation était devenue sérieuse, elle aussi. Nous avons annoncé nos fiançailles en 1992, à la cérémonie de clôture de la Tolkien Centenary Conference, à Oxford. Nous nous sommes mariés en décembre 1994, mais, à cause de longs retards dans le traitement de la demande d’immigration de Christina, elle n’a pas pu rejoindre Wayne aux États-Unis avant octobre 1995.

J’aimerais vous parler de votre nouveau livre en deux volumes, The J.R.R. Tolkien Companion and Guide. Les gens confondent parfois The J.R.R. Tolkien Companion and Guide avec The Lord of the Rings: A Reader’s Companion. Pouvez-vous tout d’abord nous dire de quoi parle le Reader’s Companion ?

En 1996, alors que nous discutions de ce que nous pourrions faire après notre J.R.R. Tolkien : Artiste et Illustrateur (1995), nous avons fait remarquer à David Brawn de HarperCollins que le cinquantième anniversaire de la publication du Seigneur des Anneaux en 1954–1955 était dans moins d’une décennie, et que ce serait alors le bon moment pour publier une édition annotée du livre de Tolkien, qui inclurait les corrections supplémentaires qui pourraient s’avérer nécessaires. Quatre ans plus tard environ, HarperCollins et le Tolkien Estate nous ont demandé si nous serions intéressés à leur soumettre un travail. Évidemment, nous étions ravis de le faire. Nous avons donc longuement réfléchi à la forme qu’un tel livre devrait avoir : si nous avions décidé de reproduire le format du Hobbit annoté, avec des entrées en marge du texte, il aurait fallu probablement six ou sept volumes folio pour le Seigneur des Anneaux, et tout comme l’éditeur, nous avions des doutes quant à l’attrait d’un tel produit, à cause de sa taille et de son prix, mais aussi parce que la plupart des acheteurs potentiels possèderaient probablement déjà au moins un exemplaire du Seigneur des Anneaux. Nous avons donc décidé que la meilleure approche serait de préparer un livre d’annotations qui ne contiendrait pas le texte lui-même, mais qui ferait référence à une nouvelle édition pour le cinquantenaire du livre de Tolkien, ainsi qu’à l’édition standard reliée publiée vers 1990. HarperCollins et le Tolkien Estate nous ont fait l’honneur d’imprimer leur symbole Tolkien sur la couverture et de sortir notre livre en coffret avec les trois tomes du Seigneur des Anneaux.

Comment vous êtes-vous retrouvés à aussi éditer la nouvelle édition du Seigneur des Anneaux ?

HarperCollins avait spécifié dans notre contrat pour le livre d’annotations que nous devions aussi éditer le Seigneur des Anneaux pour corriger les erreurs typographiques et résoudre les principales contradictions. Le fait que les notes soient liées à un texte cohérent était un pré-requis essentiel. Il nous a fallu plusieurs mois pour compiler une liste complète des changements effectués au cours de l’histoire du texte du Seigneur des Anneaux (erreurs, corrections, etc.), puis de les vérifier en les comparant avec les nombreuses éditions et impressions de notre propre bibliothèque Tolkien. En plus de cela, nous avons lu la plus récente édition du Seigneur des Anneaux de HarperCollins, puisqu’ils voulaient réviser cette composition pour les impressions à venir. Nous avons trouvé nombre d’erreurs introduites dans cette édition, ainsi que quelques-unes vieilles d’une cinquantaine d’années. Christopher Tolkien accepta presque toutes nos suggestions de modification ou de maintien du texte — comme ce fut parfois le cas. L’étude et la lecture minutieuses de tout ceci nous assurèrent que le Seigneur des Anneaux était bien présent dans notre esprit quand nous avons commencé à écrire nos annotations.

Revenons maintenant à The J.R.R. Tolkien Companion and Guide. Pourriez-vous nous expliquer en quelques mots de quoi parle le Companion and Guide ?

Le Companion and Guide est censé constituer un ouvrage de référence pour étudier et appréhender l’œuvre de J.R.R.Tolkien. Il ne remplace pas les autres livres, mais il constitue peut-être la source que le lecteur pourrait consulter en premier. Le premier des deux volumes contient une vaste chronologie de la vie de Tolkien et de ses œuvres, ainsi que des arbres généalogiques et des listes des travaux publiés de Tolkien, de ses œuvres d’art, de ses poèmes et des traductions de ses travaux. À certains endroits, la chronologie est précise au jour près, dressant « le portrait d’un homme extraordinairement occupé », comme nous l’écrivons dans notre préface : « Tolkien l’érudit, Tolkien le professeur et l’administrateur, Tolkien le mari et le père, Tolkien le créateur de la Terre du Milieu ». Le second volume est une longue encyclopédie, qui contient des articles sur les écrits de Tolkien, sur les principaux personnages, lieux et institutions en rapport avec sa vie, sur le monde académique de Leeds et d’Oxford, et sur des thèmes et idées contenus dans ses travaux, tels que l’allégorie, le libre-arbitre et le destin, l’environnement, les femmes, la guerre. Chacun des deux volumes se partage une liste des travaux consultés, et un index exhaustif.

Le Companion and Guide est censé constituer un ouvrage de référence pour étudier et appréhender l’œuvre de J.R.R.Tolkien. Il ne remplace pas les autres livres, mais il constitue peut-être la source que le lecteur pourrait consulter en premier.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

Après en avoir terminé avec Artiste et Illustrateur, Rayner Unwin nous a encouragés à suggérer d’autres livres en lien avec Tolkien pour une publication éventuelle. Parmi ceux-là il y avait, pour n’en citer que deux, le Seigneur des Anneaux annoté dont nous avons parlé, et une édition augmentée des Lettres, que HarperCollins et le Tolkien Estate ont choisi de refuser. Cependant, quand nous sommes allés dans les bureaux de HarperCollins à Londres, David Brawn nous a montré le livre de Walter Hooper, C.S. Lewis: A Companion and Guide, qui venait de sortir. Il nous a demandé si nous aimerions rédiger quelque chose de similaire sur Tolkien. Il nous fit remarquer que cela nous donnerait l’occasion d’y inclure des extraits de lettres restées inédites jusque-là et d’autres matériaux, ce qui compenserait en quelque sorte l’absence d’une nouvelle édition des Lettres à ce moment. Cela nous a en effet intéressé, et nous avons accepté de soumettre une proposition. En l’occurrence, nous ne l’avons pas fait tout de suite, car HarperCollins était intéressé en premier lieu par notre édition de Roverandom, le conte pour enfants, qui était encore inédit (1998), ainsi que par l’édition du cinquantième anniversaire du Fermier Gilles de Ham (1949). Mais alors même que nous travaillions sur ces volumes à Oxford et à l’Université de Marquette, nous avons également trouvé le temps de commencer notre recherche pour le Companion and Guide. HarperCollins a en fin de compte accepté notre proposition pour celui-ci et nous avons signé un contrat en 1999.

Est-ce que l’idée était dès le départ de faire un livre en deux tomes ?

Non, notre contrat était pour un seul tome, qui devait être de la même longueur que le Companion and Guide sur Lewis de Hooper (qui compte 940 pages). Ce dernier est divisé en une biographie de 120 pages, une chronologie de 6 pages, une liste des écrits de Lewis (subdivisée en différentes catégories : pour enfants, poésie, autobiographie, romans, fictions théologiques, théologie, les Chroniques de Narnia et la critique littéraire), les idées-clés, un « Qui ? », un « Quoi ? » (qui comprend tout le reste, y compris les lieux, les enregistrements, les associations sur Lewis et leurs publications), et une bibliographie de Lewis. C’était notre modèle de départ. Mais assez rapidement, nous avons pris deux décisions. La première était que nous ne voulions pas suivre la même organisation que celle du livre de Hooper, que nous trouvions lourde comparée à la simple liste alphabétique que nous avons décidé d’adopter. Deuxièmement, comme nous ne voulions pas écrire une énième version simplifiée de la biographie de référence de Tolkien (de Humphrey Carpenter), nous avons décidé qu’à la place de la biographie et de la chronologie de Hooper, nous n’aurions qu’une chronologie, dans laquelle nous pourrions mettre tous les événements de la vie de Tolkien sans avoir à interpréter ses actions. Au minimum, cela nous permettrait de présenter du matériau connu suivant une forme nouvelle et différente. Nous étions presque sûrs que nous serions capable de découvrir des matériaux nouveaux et cette chronologie s’avéra être bien plus importante que ce à quoi nous nous attendions, à tel point que, tapée, elle aurait été presque aussi longue que la totalité du volume prévu. Heureusement, en 2002, HarperCollins accepta de diviser notre travail en deux volumes pour ne pas avoir à omettre ou à couper la moitié ou plus des informations que nous avions rassemblées.

Est-ce vous qui avez choisi les noms des deux volumes ?

Le titre global de départ, pour un seul volume, était : J.R.R. Tolkien: A Companion and Guide, d’après le titre du livre de Hooper. Deux ans avant la publication de nos travaux, l’intérêt des gens pour Tolkien (conséquence de la sortie des films) provoqua la publication d’un flot de livres, dont la plupart ne faisait pas grand-chose de plus que de réarranger ou régurgiter des informations déjà publiées auparavant. Puisque le titre de certains d’entre eux comprenait les mots guide ou companion, HarperCollins décida que notre travail de recherche, bien plus long et plus approfondi en comparaison, devrait être intitulé The J.R.R. Tolkien Companion and Guide [N.d.T. : The « le » au lieu de A « un ».], le the suggérant la suprématie d’un livre sur Tolkien publié par sa maison d’édition officielle. Quand notre travail fut divisé en deux volumes, Chronology était une description directe de la première partie. Pour la seconde, il n’y avait pas de choix évident, et nous avons décidé que Reader’s Guide, qui reprendrait le Guide du titre global, ferait l’affaire.

Quelles sont vos qualités singulières pour écrire le Companion and Guide ? Qu’est-ce qui vous rend différents de vos collègues ?

Nous lisons et étudions tous deux Tolkien depuis des décennies. Nous sommes donc suffisamment âgés pour avoir absorbé les nouveaux travaux de Tolkien et sur Tolkien, au moment de leur première publication. Par exemple, tant le Seigneur des Anneaux que le Silmarillion étaient fermement ancrés dans nos esprits avant que les Contes et légendes inachevés et les volumes de l’Histoire de la Terre du Milieu ne soient publiés. (Nous avons du mal à imaginer ce que ça doit être pour les lecteurs qui ont découvert Tolkien plus tard, et qui ont dû faire face à toute cette variété d’écrits, si complexes et difficiles à aborder). Nous avons beaucoup écrit sur Tolkien, à la fois ensemble et séparément, et nous avons édité certaines de ses œuvres. Wayne a écrit une bibliographie descriptive standard, pour laquelle on lui a permis de lire la correspondance entre Tolkien et son éditeur George Allen & Unwin, et Christina a produit, entre autres choses, une série de longues critiques des volumes de l’Histoire de la Terre du Milieu pour Beyond Bree. De tels travaux, auxquels s’ajoute notre expertise en histoire de l’art, ont amené Christopher Tolkien à nous demander de créer J.R.R. Tolkien : Artiste et Illustrateur, notre première publication commune. Travailler dans de nombreuses bibliothèques et archives différentes pour le Companion and Guide, rédiger un ouvrage de référence, tout nous a immédiatement semblé naturel. Nous avons pour notre part une collection significative de travaux de et sur Tolkien, ainsi que des livres et magazines sur le sujet, sur lesquels une grande partie du Reader’s Companion et du Companion and Guide sont fondés.

Vous dites que ce sont les faits qui vous intéressent. Cela veut-il dire que vous évitez de spéculer ?

Pas complètement. Mais nous essayons d’éviter les théories sur des sujets comme « Qui est Tom Bombadil ? », auxquels il ne pourrait y avoir une réponse définitive seulement si une lettre ou un document inédit de Tolkien venait à apparaître. Dans le Companion and Guide, comme ailleurs, nous nous intéressons plutôt aux « Études sur Tolkien » qu’aux « Études sur la Terre du Milieu », pour utiliser la distinction de John Ellison. Nous évitons des présupposés tels que « Tolkien a lu ceci » ou « doit avoir lu ceci, ce qui a donc influencé un aspect particulier de ses écrits ». Souvent, les gens qui font de tels présupposés n’explorent pas d’exemples similaires, ou ne considèrent même pas qu’une idée ait pu naître d’elle-même dans l’esprit de Tolkien. Nous essayons de ne pas affirmer quelque chose de façon sûre sans que les preuves en soient claires, et dans les cas où il n’y a pas de preuves, ou quand les preuves se contredisent, mais qu’il faut tout de même conclure, nous essayons de faire part d’un maximum de preuves allant dans les deux sens. (Il y a de bons exemples de cela dans notre article du Companion and Guide sur le Hobbit.) Nous sommes donc devenus plus précautionneux au fur et à mesure que notre travail avançait et que nous trouvions des choses écrites récemment qui contredisaient certains souvenirs. Même Tolkien lui-même s’est parfois trompé en tentant de se souvenir d’événements ou de dates. Par exemple, il y a une erreur assez remarquable dans l’Avant-Propos de la seconde édition du Seigneur des Anneaux : Tolkien y écrit que l’origine de ce livre est antérieure à la publication du Hobbit.

Avez-vous travaillé seuls ou avez-vous reçu de l’aide d’autres personnes pour rédiger ces deux volumes ?

Nous avons tout rédigé nous-mêmes, mais avons reçu de l’aide de beaucoup de gens. Il y a une longue liste de remerciements au début de chacun des volumes. Par exemple, nous nous sommes entretenus avec Douglas Anderson à propos des poésies de Tolkien, et John Garth nous a donné des références pertinentes vers des documents des National Archives (anciennement le Public Record Office). Arden Smith, un linguiste spécialiste de Tolkien, a gentiment accepté de lire tout le brouillon de notre livre et a fait des commentaires utiles. Et bien sûr, nous avons reçu une aide incommensurable de Christopher et Priscilla Tolkien, ainsi que d’autres membres de la famille Tolkien.

Où est-ce que vous avez rassemblé vos informations ? Comment avez-vous fait pour vous assurer que toutes les informations sont correctes ?

Notre principale source de matériaux primaires a été la Bodleian Library d’Oxford. Puisque le Companion and Guide a été écrit sous les auspices du Tolkien Estate, nous avons eu accès à des extraits des archives de Tolkien, qui ne sont en général pas accessibles aux chercheurs. Nous avons également écumé des collections comme celles de la Marquette University du Wisconsin, du Marion E. Wade Center au Wheaton College de l’Illinois, de la British Library, du BBC Written Archives Centre, de l’Université de Reading, des archives de l’Université d’Oxford et de l’Oxford University Press, ainsi que d’autres collections d’Oxford. Nous avons également eu accès à des collections privées, comme les archives de la photographe Pamela Chandler, et encore une fois nous avons analysé la correspondance entre Tolkien et Allen & Unwin, qui est maintenant chez HarperCollins. Nous avons lu toutes les lettres de Tolkien (ou qui lui étaient adressées) que nous pouvions trouver, y compris certaines qui étaient vendues aux enchères. Pour un travail comme le Companion and Guide, il convient de balayer large pour trouver des sources primaires, et de comparer toutes les preuves disponibles, publiées ou non, pour obtenir une précision maximale. Bien sûr, on ne peut éviter que des erreurs se glissent dans un travail aussi long et complexe. En effet, depuis la publication, nous avons trouvé (ou l’on nous a signalé) quelques fautes de frappe. Parfois, des erreurs ou des conclusions erronées sont le fruit d’un manque d’information ou d’une trop grande confiance en ce qui semble être des sources d’autorité. Par exemple, nous avons récemment appris bien plus de choses à propos de Jane Neave, la tante de Tolkien, et nous espérons en faire état sous peu sur notre site internet.

Avez-vous vous aussi appris de nouvelles choses sur Tolkien ?

Bien sûr ! Même après de nombreuses années d’étude, alors que nous pensions qu’il ne restait que peu de choses à apprendre, nous avons découvert beaucoup d’informations, ce qui explique pourquoi le Companion and Guide a atteint une telle longueur. Par exemple, nous avons été fascinés par les détails du service de guerre de Tolkien, que nous avons découverts nous-mêmes dans les National Archives et à la Bodleian Library. Nous avons aussi été surpris de voir que Tolkien a travaillé pendant de nombreuses années sur une édition de Chaucer pour Clarendon Press. Nous n’avions pas entendu la moindre rumeur à propos du « Clarendon Chaucer », qui fut finalement abandonné. En écrivant les entrées « Université d’Oxford » et « Oxford English School », nous avons beaucoup appris sur la façon dont ces institutions fonctionnaient du temps de Tolkien, chose qui n’est pas toujours comprise de ses lecteurs (ni de ceux qui écrivent sur lui). Nous avons également été ravis de lire le journal intime de Tolkien, qu’il a écrit durant son voyage en Italie avec sa fille Priscilla. Nous en incluons des extraits dans le Companion and Guide, ainsi que ce qu’il reste de sa correspondance avec ses amis du T.C.B.S, qui nous était également inconnue, puisque nous l’avons consultée avant que John Garth ne l’utilise pour son livre Tolkien and the Great War

Nous avons également été ravis de lire le journal intime de Tolkien, qu’il a écrit durant son voyage en Italie avec sa fille Priscilla.

J’aimerais vous parler un peu du processus d’écriture lui-même. Quand avez-vous commencé cette étude, comment l’avez-vous approchée ?

Quand Christina, qui était bibliothécaire à Londres, a pris sa retraite, son intention était d’avoir au moins un travail à temps partiel, mais il est devenu clair assez rapidement que nos contrats tolkieniens permettraient, ou même exigeraient, qu’elle devienne écrivain à plein temps. Puisque Wayne est bibliothécaire à temps complet, il écrit le soir et les weekends. Christina a pu commencer à travailler sur le Companion and Guide avant Wayne, puisque ce dernier devait tout d’abord finir de travailler sur sa bibliographie d’Arthur Ransome (publiée en 2000). Elle a commencé par mettre en place une chronologie des événements de la vie de Tolkien, ainsi qu’une autre vouée à ses écrits, puisque notre idée de départ était de publier deux chronologies en parallèle. Nous avons rapidement abandonné cette idée — qui aurait été ingérable à l’impression — mais elle fut très utile pour collecter les faits. Christina étudia les livres de Humphrey Carpenter (la biographie et les Inklings), les Lettres, The Tolkien Family Album, divers souvenirs et interviews, etc., pour ce qui est de la vie de Tolkien, et tout ceci plus les volumes de l’Histoire de la Terre du Milieu, pour ce qui est de ses écrits. Nous avons mis en place au brouillon une liste d’entrées pour le deuxième volume, et Christina a jeté un œil à ces mêmes volumes, recopiant toute information pertinente. Suivit une phase de recherche de toute information intéressante dans les livres sur Tolkien, dans notre collection de fanzines et de journaux sur Tolkien, dans les coupures de presse et les photocopies, en particulier dans les albums compilés il y a longtemps par Christina, et ce en partie à partir de coupures issues d’Allen & Unwin. À chacune de nos visites à Oxford, Londres, Marquette, etc., nous rajoutions de nouvelles informations aux dossiers.

Comment vous êtes-vous partagé le travail ?

Christina a écrit les brouillons des chronologies, ainsi que, pour le Reader’s Guide, la plupart des entrées concernant les lieux, les éléments divers du Silmarillion, le Silmarillion publié et les chapitres du Silmarillion (qui traitent elles-mêmes de l’évolution des contes), « Du conte de fées », les entrées sur les auteurs tels que Chesterton, Haggard, MacDonald et Morris, sur les sources (classiques, celtiques, historiques, nordiques, arthuriennes) et le Kalevala, sur les thèmes comme la lumière, la pitié et la miséricorde, le libre-arbitre, le destin, le Bien et le Mal, la mort et l’immortalité, les préjugés et le racisme, celles sur les enfants, les Inklings, l’Oxford English School, l’Université d’Oxford, Reading, la religion, le T.C.B.S, les traductions, la guerre, les femmes, etc. Wayne les a relues, et Christina acceptait ou refusait ses modifications. Parfois, les entrées sont allées de l’un à l’autre plusieurs fois. Pour sa part, Wayne établit les brouillons des entrées sur les différents membres des Inklings, sur les nombreux collègues, membres de la famille, et contemporains de Tolkien, sur des auteurs associés comme Kenneth Graham et Arthur Ransome, sur le Hobbit, le Seigneur des Anneaux et toutes les autres œuvres littéraires ou académiques qui ne sont pas liées au Silmarillion, y compris tous les poèmes de Tolkien autres que ceux des Lais de Beleriand, sur les langues, les systèmes d’écriture, la calligraphie, l’art, les adaptations, l’affaire Ace, les bibliographies, les biographies, les fandoms, etc. Christina lisait alors ces brouillons et les commentait, et de la même manière, elle et Wayne ne tombaient d’accord qu’après de longues discussions. Wayne a alors saisi à l’ordinateur les deux livres, ce qui représente plus de 2 000 pages. Et nous avons compilé l’index ensemble.

À ma première lecture du livre, j’ai immédiatement pensé que la numérisation lui conviendrait parfaitement ; si l’on en faisait un site internet, ce serait alors la meilleure ressource sur Tolkien en ligne. Y avez-vous jamais réfléchi ?

Nous n’aurons jamais à y réfléchir, à cause des restrictions sur les publications en ligne des écrits de Tolkien. Le Companion and Guide, tout comme nos autres livres sur Tolkien, contient une grande quantité de matériau écrit par Tolkien, dont une partie (au moins une centaine de pages en tout) n’a jamais été publiée auparavant. Il y a aussi l’aspect financier du problème, puisque nous comptons sur les droits d’auteurs du Companion and Guide pour payer nos dépenses liées aux voyages et aux recherches sans lesquels nous n’aurions pas pu l’écrire.

Votre dernier projet, intitulé The Art of The Hobbit by J.R.R. Tolkien, contient de nombreux inédits : des dessins de J.R.R. Tolkien qui illustrent le Hobbit, ou qu’il avait créés dans d’autres buts et qu’il a réutilisés comme source d’inspiration pour ses illustrations. N’aviez-vous pas accès à ces illustrations quand vous avez publié J.R.R. Tolkien : Artiste et Illustrateur en 1995, ou n’y avait-il simplement pas assez de place pour inclure tout ce que vous auriez aimé publier ?

En fait, il y avait une limite au nombre de dessins que nous avions le droit de reproduire dans Artiste et Illustrateur. Cette limite était d’environ deux cents dessins seulement, la moitié d’entre eux pouvant être en couleur. Nous avions déjà connaissance de ces autres illustrations de le Hobbit à l’époque.

Les dessins de J.R.R. Tolkien pour le Hobbit constituent de remarquables aperçus du voyage de Bilbo. À votre avis, dans quelle mesure les talents de Tolkien en matière d’illustration et de cartographie l’ont-il influencé dans l’écriture de son roman ?

Comme tous les écrivains, Tolkien avait bien en tête les images de ses personnages et de ses paysages pendant qu’il écrivait. Ses capacités en peinture et en dessin lui ont parfois permis de retranscrire ses visions autant en images qu’en mots. Parfois, il s’aidait de ses dessins — en particulier les cartes — pour préciser certains points de l’histoire. Mais il était tout d’abord un écrivain, avant d’être un artiste. Néanmoins, quelques-unes de ses illustrations de le Hobbit ont eu une influence sur l’écriture du Seigneur des Anneaux, puisqu’il avait dessiné certains détails de Hobbitebourg et de Fondcombe, par exemple, sans que ces représentations soient décrites dans le texte du Hobbit. De cette façon, ces détails furent incorporés dans le Seigneur des Anneaux.

Apparemment, J.R.R. Tolkien a fait bien moins de dessins pour le Seigneur des Anneaux que pour le Hobbit. Cela est-il dû à la différence de caractère entre les deux livres, ou aux contraintes liées à la rédaction d’un ouvrage bien plus élaboré et ambitieux que le Hobbit ?

Tolkien a écrit le Hobbit en premier lieu pour ses enfants (ainsi que pour lui-même), et avait le loisir, dans son manuscrit personnel, d’accompagner le texte d’illustrations. Quand le roman fut en passe d’être publié, il était prévu dès le départ que le livre contiendrait des cartes, mais Tolkien avait l’habitude qu’il y ait aussi des images, et réussit à convaincre Allen & Unwin d’ajouter des illustrations. Ce n’était en fait pas inhabituel qu’un livre destiné à un jeune public contienne des images, et la maison d’édition s’est probablement rendu compte que l’art de Tolkien était une valeur ajoutée. En revanche, le Seigneur des Anneaux n’était pas destiné aux enfants, et le texte, en trois volumes, était si long et coûteux à l’impression qu’il était hors de question d’y ajouter tout une panoplie d’illustrations. De plus, bien que Tolkien eût fait quelques dessins pour son plaisir pour le Seigneur des Anneaux — notamment quand il travaillait à établir certains détails de l’histoire — il préférait désormais que ses livres fussent illustrés par Pauline Baynes.

The J.R.R. Tolkien Companion and Guide et The Lord of the Rings: A Reader’s Companion sont tous deux considérés comme des ouvrages de référence dans la communauté anglophone des études tolkieniennes. Une traduction en français est-elle envisagée ? Qu’en est-il de The Art of The Hobbit by J.R.R. Tolkien ?

Nous serions ravis que le Companion and Guide et le Reader’s Companion soient traduits en français. Personne ne les a traduits en aucune langue, pour le moment ! Bien sûr, pour cela, il faudrait tout d’ abord obtenir une licence officielle de HarperCollins. Nous ignorons si des accords furent conclus afin de traduire The Art of The Hobbit by J.R.R. Tolkien.

Maintenant que The Art of The Hobbit by J.R.R. Tolkien est publié, avez-vous d’autres projets en rapport avec Tolkien auxquels vous pensez vous attaquer ?

Nous avons une ou deux idées que nous espérons pouvoir développer avec HarperCollins et le Tolkien Estate, mais nous ne pouvons pas encore en parler. Wayne a commencé à travailler sur la deuxième édition de son livre J.R.R. Tolkien: A Descriptive Bibliography. En outre, nous travaillons en ce moment sur une bibliographie des travaux de Pauline Baynes.

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