Interview de Douglas Anderson et Verlyn Flieger

Interview réalisée le 6 juin 2008 par Pieter Collier (traduction de Julien Mansencal)

Douglas Anderson et Verlyn Flieger sont les auteurs de plusieurs livres sur l'œuvre de Tolkien. Avec Michael Drout, ils éditent depuis 2004 la revue universitaire Tolkien Studies. Cette interview a été réalisée à l'occasion de la sortie de leur ouvrage Tolkien On Fairy-Stories.

Q : Quelle est la différence majeure entre « Du conte de fées » par Tolkien et ce livre intitulé Tolkien On Fairy-stories ?

En termes de taille, l'essai de Tolkien « Du conte de fées » compte environ 18 000 mots et occupe 57 des 320 pages de Tolkien On Fairy-Stories. Les 260 autres pages comprennent notre introduction, nos annotations sur l'essai lui-même, une histoire de « Du conte de fées », ses origines et son évolution au fil des publications, deux compte-rendus de la conférence de 1939 parus dans des journaux, nos transcriptions des deux manuscrits olographes de la conférence/essai en développement (avec commentaire), deux bibliographies (notre propre bibliographie critique, ainsi qu'une bibliographie d'ouvrages consultés ou cités par Tolkien), et un index.

Q : Dans quelles circonstances Tolkien a-t-il commencé à écrire « Du conte de fées » ?

En octobre 1938, Tolkien s'est vu proposer de donner la conférence Andrew Lang à l'université St. Andrews l'année suivante. Son choix de sujet est libre, et ce n'est que le 1er février 1939 que Tolkien fixe la date de la conférence et informe St. Andrews que son sujet sera « les contes de fées ». La préposition dans le titre « Du conte de fées » est venue quelques années plus tard.

Q : Les brouillons originaux de la conférence de 1939 à l'université de St. Andrews existent-ils encore ?

Pour répondre à cette question, il faut clarifier un peu les termes employés. Aucune version ne subsiste de la conférence en elle-même telle qu'elle a été donnée en 1939. Toutefois, le tout premier brouillon du texte de la conférence existe encore. Nous l'appelons Manuscrit A, et notre ouvrage en inclut une transcription. Nous avons donné à l'étape suivante le nom de Manuscrit B. Tolkien y expose de manière bien plus détaillée ses idées, et l'essai publié est d'une certaine façon une forme condensée du Manuscrit B, qui est plus long. Ce manuscrit présente des traces de parties écrites pour un exposé oral (autrement dit, une conférence), et d'autres qui témoignent de l'évolution de la conférence en essai : Tolkien semble avoir travaillé et retravaillé ce brouillon, si bien qu'il est possible que ce qui a été la conférence subsiste encore, tel un palimpseste irrécupérable, sous les couches de corrections qui semblent dater en majeure partie de 1943. Notre ouvrage comprend également une transcription du Manuscrit B et des très nombreuses pages éparses qui lui sont associées. À ce stade, Tolkien a réalisé un troisième manuscrit, que nous appelons C, qui a lui-même servi de modèle au premier texte tapé. Le Manuscrit C et le texte tapé (réalisé en août 1943 par Margaret Douglas, amie et dactylographe de Charles Williams) sont très proches de la version de l'essai apparue dans le volume Essays Presented to Charles Williams (1947), édité par C. S. Lewis. Pour des raisons de place, nous n'avons pas inclus de transcription du Manuscrit C ou du texte tapé.

Q : Tolkien On Fairy-Stories inclut-il des inédits ?

Oui. Les manuscrits A (20 pages) et B (environ 45 pages), ainsi que les pages associées à ce dernier (environ 45 pages également), n'ont jamais été publiés auparavant. Dans ces textes, Tolkien étudie des aspects de son sujet qui n'étaient absolument pas couverts dans l'essai publié tel que nous le connaissons.

Q : Comment s'est déroulé le travail sur cette conférence, par rapport à The Annotated Hobbit ou l'édition augmentée de Smith of Wootton Major ?

En raison de sa longueur et de sa complexité, il a été beaucoup plus difficile de travailler sur Tolkien On Fairy-Stories que sur Smith of Wootton Major. Ce livre est comparable à The Annotated Hobbit en termes de taille et de visée, mais la grande différence est qu'avec Tolkien On Fairy-Stories, nous ne travaillions pas uniquement sur un texte achevé et indépendant, à savoir l'essai « Du conte de fées », mais aussi sur les notes de Tolkien et les brouillons de la conférence/essai en développement. Et puisqu'il ne s'agit pas d'une œuvre de fiction, on y trouve des liens concrets avec ce que lisait Tolkien et ses réactions telles qu'elles sont exprimées dans ses brouillons de la conférence/essai. Par exemple, Tolkien a écrit le tout premier brouillon peu après avoir lu The Coloured Lands (1938), un recueil posthume de contes de fées, de poèmes satiriques, d'images et de commentaires de G. K. Chesterton, et l'influence de Chesterton est bien plus présente dans ce premier brouillon que dans l'essai finalement publié. Mais la différence majeure entre ce livre et sur Smith of Wootton Major ou The Annotated Hobbit aura été de devoir déchiffrer les notes les plus hâtives de Tolkien (pour Smith of Wootton Major, il s'agissait essentiellement de textes tapés). Tolkien écrivait ses brouillons initiaux au crayon, très rapidement, et repassait très vite à l'encre dessus ; il remplissait ses pages de ratures, de corrections, d'ajouts et de notes dans la marge, alors que lorsque le lecteur regarde les transcriptions imprimées, tout semble mesuré et pour l'essentiel clair.

Q : Quel est l'objectif de ce livre ?

Donner aux lecteurs et aux étudiants de Tolkien une vision aussi précise que possible du développement de cet essai important, et un aperçu des idées les plus réfléchies de Tolkien à ce sujet.

Q : « Du conte de fées » est peut-être l'essai de Tolkien le plus cité. Pourquoi, selon vous ?

C'est son essai le plus théorique, et celui qui correspond le mieux à l'ensemble de son œuvre créatrice. « Du conte de fées » est essentiel à la compréhension des écrits de Tolkien lui-même, et il pose bon nombre de ses principes créateurs, parmi lesquels la sous-création, le concept de Faërie et la valeur de la fantasy.

Q : « Feuille, de Niggle » sera-t-il également inclus dans ce livre ? Existe-t-il aussi d'autres versions de ce conte, et les commenterez-vous ?

Non, « Feuille, de Niggle », ne relevait pas de ce projet. Sa publication avec « Du conte de fées » dans le recueil Tree and Leaf lui a conféré une parenté particulière avec l'essai, mais selon nous, les idéaux exprimés par Tolkien dans l'essai sont mieux intégrés dans Smith of Wootton Major. Évidemment, Tolkien n'avait pas encore écrit Smith au moment de la publication de Tree and Leaf, en 1964. Mais la réflexion entreprise par Tolkien pour la révision de « Du conte de fées » pour ce volume se poursuivait encore de toute évidence lorsqu'il s'est attelé à l'écriture de Smith, et le résultat est fascinant.

Q : Comment s'est passée votre collaboration sur ce projet ?

Nous avons déjà travaillé ensemble sur les cinq volumes de Tolkien Studies que nous co-éditons (avec Mike Drout) : il s'agissait donc en de nombreux points d'étendre un processus familier. Jour après jour, négocier avec l'emploi du temps de l'autre, lui mailer ses découvertes, échanger brouillons et transcriptions, parvenir à résoudre des lectures ou des perspectives difficiles, tout cela est très plaisant. Chacun de nous a apporté des qualités différentes au projet, et le résultat final est sans doute meilleur que ce que l'un ou l'autre aurait pu faire de son côté.

Q : Dans un entretien avec Alan Lee, j'évoquais l'opinion de Tolkien sur l'usage de « cadres ». Il semble que de nos jours, cette idée soit plus ou moins abandonnée. Ne s'agit-il que d'une question de goût, ou bien la vision de la « faerie » dans la société moderne a-t-elle changé ?

Selon Tolkien, le début et la fin traditionnels des contes de fées, « Il était une fois » et « Ils vécurent heureux à jamais », étaient artificiels parce qu'ils ne tenaient aucunement compte de la nature continue non seulement des histoires, mais aussi de la vie elle-même. (Voir aussi Sam et Frodo dans les escaliers de Cirith Ungol sur ce sujet.) Mais il reconnaissait également que toute œuvre d'art doit commencer et s'achever quelque part, que sa définition exige la présence d'une bordure, d'une ligne qui l'entoure. Ses propres histoires ont clairement des débuts et des fins définis, bien qu'elles fassent également allusion à une histoire continue. Nous ne sommes pas convaincus que cette idée ait été abandonnée, ni que la société moderne ait changé de point de vue sur la faërie, si tant est qu'elle en ait jamais eu un.

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