«
Mais à la fin du Troisième Âge, une variété de trolls n’ayant encore jamais été vue apparut au sud de Mirkwood et dans les montagnes aux frontières du Mordor. Olog-hai étaient-ils appelés en parler noir. Que Sauron les ait élevés nul n’en doutait, bien que l’on ne sût pas leur race d’origine. Certains estimaient qu’il ne s’agissait pas de Trolls mais d’Orques gigantesques ; mais le corps et l’esprit des Olog-hai étaient façonnés fort différemment des Orques, même les plus grands, qu’ils surpassaient de loin, en taille comme en puissance. C’étaient des Trolls, mais remplis de l’esprit malin de leur maître : une race terrible, forte, agile, féroce et rusée, mais plus dure que la pierre. Contrairement à l’ancienne race du Crépuscule ils pouvaient endurer le Soleil, tant que la volonté de Sauron les tenait sous son emprise. Ils parlaient peu et la seule langue qu’ils connaissaient était le parler noir de Barad-dûr.»
1)
l’origine, les Orques au service de Morgoth « n’avaient pas de parler qui leur soit propre, mais qu’ils prenaient ce qu’ils pouvaient des autres langues et le pervertissait à leur contentement ; pourtant ils ne créèrent que des jargons brutaux, à peine suffisants même pour leurs propres besoins »2). Aussi Sauron créa-t-il le parler noir au cours des Années Sombres du Deuxième Âge3) afin de « servir de lingua franca pour ses sujets »4) Son entreprise ne semble pas avoir été couronnée de succès. Après la chute de Barad-dûr, en l’an 3441 DA, il fut oublié de tous sauf des Nazgûl5). Les langues en usage parmi les Orques dégénérèrent à nouveau, bien qu’elles aient conservées de nombreux termes tirés du parler noir, comme ghâsh « feu ». Le parler noir regagna en puissance après le retour de Sauron au Mordor, en 2951 TA : il redevint la langue de Barad-dûr et des capitaines du Pays sombre. Les Olog-hai, une race de Trolls « remplie de l’esprit malin » de Sauron étant apparue vers la fin du Troisième Âge, ne savaient s’exprimer que dans cette même langue6). Il semble que le parler noir ait été un parfait véhicule pour les influences maléfiques, vu qu’au moment où Gandalf prononça l’inscription figurant sur l’Anneau une « ombre sembla s’interposer devant le soleil de midi, et le porche s’obscurcit pendant un instant »7)
Le parler noir comportait des mots empruntés aux langues elfiques, comme uruk8)9), qui semble être dérivé d’un terme descendant du radical ÓROK10), bien qu’il n’ait été utilisé que pour désigner les « grands soldats orques qui étaient issus de Mordor et d’Isengard à cette époque. Les races moindres étaient appelées snaga « esclave », en particulier par les Uruk-hai. »11) D’autres mots pourraient avoir été empruntés au valarin, comme le terme nazg « anneau », proche du valarin #naškad, tiré de Mâchananaškad « Anneau du Jugement »12). (Du point de vue externe, Tolkien reconnaît que ce mot doit avoir été inspiré par le gaélique nasc « anneau », appartenant à une langue que Tolkien n’appréciait guère. Chose intéressante, ce nom semble anciennement avoir eu les significations « lien, obligation » et prend la forme nasg en gaélique écossais13)).
On ne connaît (heureusement ?) que peu de mots du parler noir, essentiellement le distique figurant sur l’Anneau Unique. Même les paroles de l’Orque du Mordor au chapitre « Les Uruk-hai » du SdA14) sont en fait dans une forme orquienne corrompue15). Sa phonologie semble être extrêmement déplaisante pour les Elfes, qui se bouchèrent les oreilles lorsque Gandalf prononça les paroles gravées sur l’Anneau16). On sait qu’il comportait la spirante postérieure gh, absente des langues eldarines contemporaines, que l’on retrouve dans les termes ghâsh et agh17). La copie carbone d’une lettre datée du 13-15 juin 1964, adressée à W. R. Matthews et publiée dans le PE 17, p. 11-12, présente le parler noir un peu plus en détail :
« Le parler noir n’a pas été intentionnellement modelé sur quelque style que ce soit, mais était supposé être intrinsèquement homogène, très différent de l’anglais, mais organisé et expressif, comme on s’y attendrait d’une création de Sauron antérieure à sa complète corruption. Il s’agissait à l’évidence d’une langue agglutinative, et le système verbal doit avoir inclus des suffixes pronominaux exprimant l’objet, ainsi que ceux indiquant le sujet :
-ul est un pl. objet, traduit par “les”, et
-ûk un élément signifiant “le tout, tous” […] Le radical
burz “sombre” se retrouve plus loin dans
Lugbûrz =
Barad-dûr ; dans l’archaïque inscription de l’anneau
burzumishi est à l’évidence composé de ce radical _ un suffixe ou “article” particularisant
um et une “préposition” enclitique
ishi “dans, dedans”. La forme dégradée du n. par. qui ne survécut au Troisième Âge que dans la Tour Sombre se voit dans quelques noms (comme
Uruk-hai “peuple orque”) et le fragment de vitupération proféré par l’un des compagnions de Grishnakh, émissaires de Sauron. J’ai essayé de jouer franc-jeu linguistiquement ; et il est supposé avoir une signification et ne pas être un simple regroupement fortuit de bruits désagréables, quoiqu’une traduction exacte ne serait même aujourd’hui imprimable que dans les formes élevées et artistiquement avancées de la littérature. À mon goût, il est préférable de laisser ces choses aux Orques, anciens ou modernes. »
18)
Timothée Masurel — Mai 2021
Le parler noir utilisé dans les films consacrés par Peter Jackson à la Terre du Milieu, notamment dans la trilogie le Hobbit, a suscité un large intérêt pour cette langue chez les spectateurs. Cependant la continuation du parler noir effectuée pour les films est loin de constituer le seul parler noir reconstruit et étendu après la mort de Tolkien. Si son corpus original se limite à quelques dizaines de formes, le parler noir a aussi eu une vie après Tolkien, et à la hauteur de sa vocation semble-t-il.
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