Michael Keegan — Octobre 2003 traduit de l’anglais par Damien Bador |
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Articles de synthèse : Ces articles permettent d’avoir une vue d’ensemble du thème traité mais ils nécessitent une bonne connaissance des principales œuvres de J.R.R. Tolkien. |
e nombreux fans du Seigneur des Anneaux ont aussi lu le Silmarillion, ce qui les rend douloureusement familiers avec les hauts faits de Fëanor, le plus grand des Premiers-Nés. Pour important à l’histoire que soit Fëanor, Tolkien laisse plus de choses dans l’ombre au sujet de son caractère et de son histoire que ne l’auraient préféré nombre de fans.
Pour les linguistes qui passent leur temps à étudier les langues du vaste mythe tolkienien, le nom de Fëanor est un curieux fatras étymologique. Alors qu’il s’agit de son nom habituel dans tous les récits, celui-ci n’est ni sindarin (gris-elfique) ni quenya (haut-elfique). Il s’agit en fait d’un amalgame des deux langues, ce qui semble un véritable blasphème au vu des agissements des fondateurs de The Grey Company, qui ont mélangé sans gêne aucune ces deux langues essentiellement incompatibles pour former un « pseudo-elfique » ridicule qu’ils nomment collectivement l’elfique gris (angl. Grey elven). Mais je digresse.
En dépit de l’abâtardissement susmentionné de la linguistique tolkienienne, Tolkien ne cherchait pas à mélanger le sindarin et le quenya dans le nom de Fëanor. En fait, en essayant de traduire son nom quenya Fëanáro, Tolkien obtint une forme « sindarisée » qui donna le nom que nous connaissons aujourd’hui. Nombreux ont cru qu’il s’agissait de son nom définitif et l’utilisèrent librement dans des traductions tant en sindarin qu’en quenya. Ce dont il faut nous souvenir est que s’il semble être l’usage à privilégier dans les versions anglaises des histoires, Fëanor pourrait ne pas être adapté à des textes entièrement en sindarin ou en quenya.
L’étymologie complète de son nom est souvent supposé être Fëanáro > Fëanor > Faenor, principalement parce que Tolkien « sindarisa » de nombreux noms quenyarins, mais cela pourrait être inexact. Ce qu’il faut nous souvenir à propos de Tolkien est qu’il appréciait les étrangetés étymologiques, et cette situation pourrait simplement en être une qu’il choisit d’inclure dans l’histoire de son personnage le plus ardent.
a vraie forme sindarine de Fëanor était Faenor, comme l’indique la notation étymologique, et le nom Fëanor « apparut probablement au travers d’une confusion scribale, en particulier dans des documents écrits en quenya, dans lequel ea était fréquent, mais ae n’apparaissait normalement pas »1). Cette citation nous conduit à penser deux choses qui sont contradictoires concernant l’étymologie supposée du nom de Fëanor :
Si Tolkien ne nous a pas laissé d’exemple des noms de Fëanor dans une traduction3), nous pouvons examiner le nom du Maia Sauron (avec lequel tous les lecteurs sont familiers). Dans toutes les histoires, on se réfère à lui par son nom quenya Sauron, et Gorthaur (son nom sindarin) ou Annatar (le nom quenya qu’il s’était lui-même donné) ne sont mentionnés que dans les Appendices ; de plus, son nom n’était certainement pas un amalgame comme celui de Fëanor. Par conséquent, dans des traductions telles que « l’Œil de Sauron » il semble plus approprié que les Sindar aient employé son nom sindarin plutôt que son nom quenya, bien qu’on se réfère systématiquement à lui en usant du second. Par conséquent, Hen Gorthaur est préférable en sindarin, tandis que Hen Saurondo l’est en quenya.
ourtant, on pourrait arguer qu’employer Fëanor est plus exact, puisque les récits emploient ce terme, mais je pense que l’existence d’un nom sindarin suggère le contraire. Pourquoi les Sindar donneraient-ils à Sauron un nom dans leur langue et ne l’utiliseraient-ils pas ? Pourquoi en attribueraient-ils un à Fëanor ? Peut-on déterminer si Fëanor ne doit jamais être utilisé dans les traductions elfiques ? Il se pourrait que nous ne le sachions jamais. Il semble que les noms qui devinrent habituels dans les récits ne dépendaient que de la personne qui les écrivait. Naturellement, Fëanor est devenu habituel suite à une « erreur scribale », tandis que Sauron l’est devenu parce que la plupart de ses contacts avec les Elfes eurent lieu avec les Noldor d’Eregion, qui utilisaient le quenya à l’écrit et dans les occasions solennelles4).
Ce débat est nécessairement ambigu, mais j’espère que cet article saura convaincre les lecteurs. Bien que je sois certain qu’aucun membre enragé de la Tolkien Society ne vous pourchassera pour avoir utilisé l’alias « sindarisé » Fëanor dans une traduction purement sindarine ou quenya, je ne recommenderais pas son utilisation. Après tout, choisiriez-vous d’employer un mot semi-anglais et semi-allemand alors que vous discourez en bon anglais, s’il existait un mot anglais correct qui puisse être utilisé ? Je ne le crois pas5).