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Le nevbosh : le « nouveau non-sens »

 Trois Anneaux
Helge Kåre Fauskanger
traduit de l’anglais par Vivien Stocker
Notes de lecture : En tant que présentations ou compilations, ces articles sont les plus accessibles à tous les lecteurs. Aucune connaissance sur J.R.R. Tolkien n’est requise.

La grossière langue animalique semble être morte quand l’une de ces inventrices, Marjorie Incledon, y perdit tout intérêt. Cependant, sa sœur Marie et quelques autres enfants s’engagèrent dans la construction d’une nouvelle langue. Elle fut appelée nevbosh, ce qui est le terme nevbosh pour « nouveau non-sens » - nouveau dans le sens où elle remplaçait l’animalique, le vieux non-sens. Toutefois, celle-ci était nettement moins absurde que l’animalique. « J’étais un membre du monde où se parlait le nevbosh », reconnait fièrement Tolkien1).

Quelles ont été les contributions adolescentes de Tolkien au nevbosh ? Selon Humphrey Carpenter dans J.R.R Tolkien - Une biographie, chapitre 3, lui et Mary « collaborèrent à l’invention de [cette] nouvelle langue plus sophistiquée ». Toutefois, ce n’est pas l’histoire racontée par Tolkien lui-même dans les Monstres et les critiques, p. 252. Selon ce document, le rôle de Tolkien dans la construction du nevbosh a été plus humble : il contribua simplement au vocabulaire et influença l’orthographe.

Dans tout les cas, le nevbosh fut la première langue inventée relativement sophistiquée avec laquelle Tolkien entra en contact, bien qu’il ait déjà débuté lui-même dans ce genre d’inventions (M&C p. 252 : « j’avais plus d’ancienneté dans ce vice secret […] que l’inventeur du nevbosh »2)). Mais le seul texte de nevbosh survivant, sans compter les quelques mots isolés mentionnés par Tolkien, est le poème donné dans la biographie de Carpenter et dans M&C, p. 253 :

Poème original En anglais En français
Dar fys ma vel gom co palt « hoc
pys go iskili far maino woc ?
Pro si go fys do roc de
Do cat ym maino bocte
De volt fac soc ma taimful gyróc ! »
There was an old man who said « how
can I possibly carry my cow?
For if I was to ask it
to get in my pocket
it would make such a fearful row. »
Il y avait un vieil homme qui disait « Comment
pourrais-je porter ma vache ?
Si je lui demandois
d’entrer dans ma poche
Ça ferait vraiment un barouf effrayant ! »

La traduction donnée par Carpenter substitue « basket » (fr. « panier ») par « pocket » (fr. « poche »), mais à l’évidence, il s’agit seulement de préserver la rime avec « ask it » : bocte signifie « pocket », tout comme le nom anglais dont il est une distorsion.) Concernant les sources du vocabulaire, voir le lexique ci-dessous. Anglais, français et latin sont les ingrédients principaux.

Tolkien note que les enfants, quand ils distordaient des mots connus, montraient une compréhension intuitive de la phonétique élémentaire - ils estimaient que certains sons étaient « similaires ». Ils pouvaient transformer des sons voisés en sons sourds (« get » > cat) ou vice-versa (« to » > do), tourner des spirantes en plosives (« there » > dar) ou alterner entre différentes nasales (« in » > ym). Une telle « règle phonétique primitive et arbitraire »3) était de remplacer le -ow final des mots natifs par -oc : « how » > hoc, « row » > gyróc (mais d’où venait le gy ?).

Avec le recul, l’adulte Tolkien considérait le nevbosh plutôt comme un code que comme une langue. Ce qu’il trouvait le plus intéressant était le peu de mots qui n’étaient pas de simples distorsions de mots existants, comme iski-li « possiblement » ou lint « vif, habile, agile »4). La fusion des sons et des significations de façon à satisfaire simplement l’inventeur fut le principe suivant lequel il construisit ensuite ses propres langues - le plus ancien exemple conservé étant le naffarin.

Lexique nevbosh

J’ai ajouté à cette liste quelques commentaires intéressants que j’ai reçu de Daniel Dawson concernant l’« étymologie » de certains mots nevbosh.

[Daniel Dawson commente : « Bosh est un mot familier en anglais signifiant « non-sens » (et qui, selon mon dictionnaire, dérive du turc !). Principalement britannique, je crois. »]

[Daniel Dawson commente : « Le gy- de gyróc est probablement lié au germanique Ge-, dont je sais qu’au moins en germ[anique] et en anglo-saxon il servait à rendre un nom collectif, ou quelque chose dans ce sens. Ceci est d’autant plus plausible qu’un mot allemand pour « bruit » est (das) Geräusch ou, dans un sens technique, (das) Rauschen, qui sont similaires à gyróc. En outre, mon dictionnaire suggère que l’anglais « row » (dans le sens de bruit - tout à fait britannique, là encore) pourrait être un néologisme formé sur rouse, qui est extrêmement similaire à Rauschen. »]

[Daniel Dawson commente : « Maino semble venir d’un simple parallèle avec l’all. mein (et peut-être en anglo-saxon ?), plutôt qu’une distorsion de “my” / ”mine”. »]

[Daniel Dawson commente : « Ym - je ne suis pas sûr de celui-ci, mais il ressemble à l’all. im (= in dem, « dans le », pour [les noms] masc. / neut.). »]

Voir aussi

Sur Tolkiendil

Sur le net

1) M&C, p. 252 (VF) ; MC p. 203 (VO).
2) Version originale : « I was older in the secret vice […] than the Nevbosh originator » MC p. 203.
3) Version originale : « primitive and arbitrary sound-law ».
4) M&C p. 255 (VF) ; MC p. 205-206 (VO).
5) N.d.T. : Absente en français.
6) M&C p. 256 (VF) ; MC p. 206 (VO).
7) N.d.T : MC p. 205
8) N.d.T. : Christine Laferrière, la traductrice française des Monstres et les critiques, traduit erronément ce terme par « rangée », autre signification possible de l’anglais row, mais inappropriée ici.
9) , 10) M&C p. 255 (VF) ; MC p. 205 (VO).