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Nivellement analogique dans les composés (et mots préfixés) en quenya

Trois Anneaux
Thorsten Renk
traduit de l’anglais par Damien Bador
Article de synthèseArticles de synthèse : Ces articles permettent d’avoir une vue d’ensemble du thème traité mais ils nécessitent une bonne connaissance des principales œuvres de J.R.R Tolkien.
Dans cet article, les entrées des « Étymologies » sont référencées par leurs racines eldarines communes.

Comme Helge Fauskanger l’indique dans l’appendice de son cours de quenya,

« des caractéristiques apparemment “irrégulières” de la langue sont très souvent justifiées par la longue évolution historique qu’envisageait Tolkien. Par exemple, si le nom talan “sol” possède la forme plurielle talami plutôt que #talani, cela découle du fait que la base originelle en elfique primitif possédait la forme TALAM : alors que les caractéristiques distinctives de la phonologie du quenya évoluaient, la finale -m ne fut plus tolérée et fut modifiée pour produire le plus proche son “admissible” : -n. Ainsi, l’ancien *talam apparaît comme talan lorsque le terme est dépourvu de terminaison. Mais si des terminaisons sont ajoutées et qu’une voyelle suit le -m, celui-ci n’est plus final et n’a donc pas à être modifié. D’où la forme plurielle talami “[des] sols”. »

En conséquence, beaucoup de choses sont susceptibles d’arriver lorsqu’un mot est préfixé ou devient le deuxième élément d’un composé et que sa syllabe initiale ne subit plus les changements applicables aux sons en début de mot. De fait, c’est probablement la raison des fréquentes mutations consonantiques rencontrées dans les mots composés en sindarin. Pour citer à nouveau le cours de Helge Fauskanger :

« Pourtant, on pourrait plausiblement arguer que le parfait de lanta- devrait en fait être #arantië ! »

Alors qu’en est-il du quenya, le scénario défini ci-dessus est-il plausible ? Le fait que ces changements pouvaient advenir n’implique pas que c’était le cas – le nivellement analogique pouvait simplement forcer les composés à se comporter comme des mots simples, i.e. empêcher que les changements surviennent. Pour comprendre si dominent les développements historiques ou les nivellement analogiques dans les composés, il nous faut examiner tous les composés concernés, i.e. tous ceux pour lesquels les changements étaient susceptibles d’intervenir.

Le groupe « -mar »

L’élément -mar est dérivé de MBAR, par conséquent le -mb- était susceptible d’être préservé lorsque ce son est placé à l’intérieur d’un composé, voir a-mbar dérivé par extension de la racine. Cependant, cela n’arrive pas dans tous les composés :

Noter qu’il existe un mot mar indépendant, cf. Mar-nu-Falmar « Maison sous les Vagues »1), qui peut déclencher ce processus de nivellement analogique.

Le groupe « -mando »

Ces mots découlent de la fusion des racines MANAD et MBAD et ne peuvent donc redonner -mb- lorsqu’ils sont composés :

Noter qu’il existe de même un mot indépendant mando « garde, sauvegarde, protection »2), qui peut déclencher un nivellement analogique.

Le groupe « -lant »

La fusion de DAT et de TALÁT donne un groupe de mots qui présentent toujours un comportement analogique dans les composés, l’initiale l- étant toujours préservée :

Le groupe « -n(d)or(ë) »

Ce groupe étant dérivé de NDOR, nous pourrions nous attendre à voir -ndore réapparaître dans les composés, bien que le mot complet nórë présente l’initiale n < nd. Ce groupe possède une grande variété. Dans deux cas, la confusion avec nórë « clan », dérivé de , ONO est explicitement identifiée comme la raison des nivellement analogiques ultérieurs :

et

Après une voyelle, -nor(ë) est systématiquement préservé :

Finalement, en particulier après -n, une dissimilarité probablement intentionnelle donne -nd- et conduit à une absence de formes analogiques :

Le groupe « -ndil »

En dépit du fait que NDIL génère des mots comme nilmë ou nildo, où nous pouvons voir nd > n dans l’initiale des mots, les termes utilisant cet affixe ne sont habituellement pas sujets au nivellement analogique mais préservent -ndil. Cependant, puisqu’il n’existe en fait pas de mot indépendant #nil, il ne semble pas raisonnable de traiter ce groupe comme des mots composés, et peut-être devrait-on plutôt les considérer comme ayant un affixe -ndil. Ainsi, lorsque le premier mot se termine par une voyelle, l’affixe complet -ndil apparaît :

Lorsque le premier mot se termine en -n, la contractions -n-ndil > -ndil est directe (noter qu’une contraction doit avoir lieu, puisque les groupes triconsonantiques ne sont pas autorisés) :

Finalement, lorsqu’il n’existe aucune contraction directe préservant -ndil, une contraction produisant le suffixe réduit -dil apparaît pour éviter la création du groupe triconsonantique -rnd- (i.e. ni l’analogique -nil ni l’historique -ndil n’apparaissent) :

Le groupe « -ndur »

Semblable au groupe en -ndil, celui-ci semble être dérivé de NDUR sans qu’il y ait de mot indépendant. Par conséquence, il n’y a pas de raison de s’attendre à un nivellement analogique, et celui-ci ne s’observe effectivement pas :

Une fois de plus, nous pouvons observer une réduction en -dur pour éviter la formation d’un groupe triconsonantique :

Les dérivés de DOMO / DO3

La fusion de ces racines donne lómë « nuit » et des dérivés ayant le sens de « crépuscule ». Après la consonne -n (et peut-être d’autres) le -d- original est recouvré dans les composés :

Cependant, après une voyelle, l- demeure :

Affermissement de certaines formes

De même que les racines eld. com. peuvent être affermies par préfixation de la voyelle radicale, un préfixe intensif peut affermir un mot plus tardif. L’affermissement de la racine eldarine commune place toujours le son initial à l’intérieur du mot, et la forme historiquement justifiée est le résultat. L’affermissement par un préfixe suit une structure spéciale de développement analogiques (fusions avec A-, N- et um) et apporte des nasales par analogie à des formes qui ne les posséderaient pas par développement historique ; voir amparka “très sec” au lieu de #apparka3). On retrouve probablement des racines eld. com. affermies dans :

Noter que SKAT mène à un développement différent avec un préfixe (par opposition à l’affermissement supposé de la racine eld. com.), comme on peut le voir dans :

qui ne devient pas ##tereskat- (l’agglomérat rsk serait bien sûr impossible).

Nous pouvons probablement voir un affermissement par un préfixe avec une consonne initiale affermie similaire à VT 45, p. 5, dans :

On peut supposer que ces formes affermies mènent par analogie à :

où un inhabituel développement historique apparaît (les mots préfixés se terminent par une voyelle), mais cf. :

où un nivellement analogique advient pour la même racine.

Formes préfixées et composés divers

Dans la plupart des formes préfixées et des autres composés connus, le développement analogique persiste :

Nous ne connaissons pas la racine – si elle est proche de SKAT ou SKAR, il est alors instructif de voir que nous n’obtenons pas ##alaskasta, et que nous pouvons voir une forme analogique au lieu d’une historique. Cependant, il est possible que la forme soit dérivée d’une racine en #KH-, ce qui ne nous apprendrait pas grand chose dans ce cas.

Ici, nous avons une preuve directe d’un remplacement analogique, puisque le composé eld. com. *andambundâ est donné, prouvant que le mot était historiquement un composé mais que le développement eut lieu séparément pour les deux éléments, conduisant à mb > m à l’intérieur du mot.

Ici, le préfixe ne conduit pas à une réapparition de -w- comme dans #enwinyatar, à la place, l’agglomérat nv qui ne fait pas partie des groupes autorisés en quenya dans les mots simples est conservé pour préserver la forme de l’élément vinya.

À la suite du préfixe, -ph- > -p- pourrait advenir, et en effet, une forme ilpirin est listée par Tolkien, mais marquée comme obsolète – la forme valide est l’analogique ilfirin.

De pirya, eld. com. *pisjâ, nous pouvons déterminer que -sj- à l’intérieur d’un mot se développerait en -ry-. Cependant, dans ce composé, le développement initial du mot sj- > hy- est clairement préservé par nivellement analogique.

Suderon (© John Howe)

Cependant, un développement historique a lieu pour quelques cas :

Ici, l’initial D- du radical eld. com. conduit à un n- comme dans norno « chêne », mais dans la version composée, le -d- originel réapparaît. Cela est en fait cohérent avec la réapparition du -d- après une consonne qui donne un l- initial ; cf. Les dérivés de DOMO / DO3 ci-dessus.

Dans ce nom, nous pouvons probablement déceler une version abrégé de nóla “tête ronde, monticule, petite colline” (NDOL). Cependant, comme dans le cas de nildo / -ndil, nous pouvons observer que si un composé n’est pas créé à partir du mot complet, mais d’un affixe abrégé, le nivellement analogique n’a que peu de chances d’avoir lieu, et nous voyons le développement historique préserver -nd- à l’intérieur du composé, en dépit du fait que le mot préfixé se termine par une voyelle.

Le dernier élément est clairement hrívë « hiver ». Puisque le premier élément du composé se termine par une consonne, le nivellement analogique ne peut persister (une forme comme ##Norhrívë serait clairement un non-sens) et une contraction a lieu. Cependant, cf. :

où un simple préfixe vocalique autorise le -hl- analogique à devenir un (inhabituel) groupe biconsonantique.

Conclusions

Le problème semble bien défini dans la plupart des cas. La règle générale est :

Les exceptions aux règles générales sont :

Ainsi, un préfixe ou un mot préfixé se terminant par une voyelle conduit presque toujours à un nivellement analogique, ce qui constitue un argument très fort contre l’idée que l’augment du parfait serait capable de déclencher un développement historique et de produire une forme comme ##arantië à partir de lanta-. Il n’y a qu’une exception dans la liste ci-dessus, Lambengolmo, et il peut se comprendre comme une analogie avec le groupe autour de la forme affermie ingolë. L’affermissement de la racine eld. com. est un mécanisme différent de la préfixation ou de la création de mots composés en quenya, et ne doit pas être traitée de la même manière. Dès lors, à l’exception de quelques cas, le scéario difficile de formes historiquement justifiées réapparaissant avec les préfixes, les augments et dans les composés ne semble pas se réaliser en quenya.

Remerciements

Je souhaite remercier Helge Fauskanger pour les intéressantes discussions qui m’ont conduit à écrire cet article.

Voir aussi

Sur Tolkiendil

Sur le net

1) Silm., Akallabêth
2) MR, p. 350
3) VT 45, p. 5