Commentaire sur l'essai : Utilisation d’un thème mythologique dans « Le Seigneur des Anneaux »

Introduction

« la strate païenne [...] se déploie à partir de sa propre logique basée sur un affrontement entre forces du bien et puissances du mal en vue d’une victoire heureuse »

Commentaire de Damien Bador : Pourtant de tels affrontements sont également le thème des grandes épopées chrétiennes.

La symbolique de l’Anneau

« l’anneau des Nibelungen, « chargé », en quelque sorte, négativement et qui rend invisible son porteur. »

Commentaire de Damien Bador : A priori, dans le Niebelungenlied, c'est un manteau qui rend Siegfried invisible ; dans la Tétralogie, c'est un casque, le Tarnhelm (Tarnkappe dans certaines versions des Eddas).

« interpréterait le roman de Tolkien comme une réécriture des événements liés à la seconde guerre mondiale »

Commentaire de Damien Bador : Cependant Tolkien rejetait cette interprétation ; et celle-ci est chronologiquement impossible par rapport aux phases d'écriture du SdA.

Le mytho-cycle héroïque dans Le Seigneur des Anneaux

« groupe d’Elfes, d’Hommes, de Hobbits et de Nains »

Commentaire de Damien Bador : Les pluriels « Elfes » et « Nains » sont évidemment inadaptés, car la communauté ne contient qu'un individu de chaque peuple.

« montrer, par exemple, comment, dans Le Seigneur des Anneaux, les Elfes sont des êtres quasi divins qui ignorent les passions humaines »

Commentaire de Damien Bador : Pas vraiment. Les Elfes du SdA sont certes capables de surmonter leurs passions, mais cela ne signifie pas qu'ils n'en ont pas (cf. les exigences d'Elrond quant au mariage de sa fille, qui ne sont pas sans rapport avec celles de Thingol 7000 ans plus tôt, ou la tentation de Galadriel quand Frodo lui propose l'Anneau).

« Frodon et Sam feront le sacrifice de leur vie pour leur patrie, leur « chère Comté », et pour eux, plus rien ne sera comme avant. Il n’y aura pas de retour à la normale. »

Commentaire de Damien Bador : Il est justement intéressant d'observer qu'il y a un retour à la normale pour Sam (pas Frodo) après la quête, même si HoMe IX montre bien que Tolkien concevait cette normalité retrouvée comme temporaire.

« Des talismans sont envoyés au futur roi pour le soutenir dans son juste combat, telle l’épée appelée « Narsil », puis « Anduril » »

Commentaire de Damien Bador : Dire qu'Andúril est « envoyée » à Aragorn me semble être une vue plus influencée par le film que par le livre. En effet Aragorn est en possession de Narsil dès sa première apparition à Bree, dans la Communauté de l'Anneau, où il montre la lame brisée aux Hobbits.

« Aucune idée de rédemption n’apparaît ici » »

Commentaire de Damien Bador : C'est peut-être oublier Isildur un peu vite. En effet la quête d'Aragorn s'inscrit (aussi) dans le devoir de rédemption à l'égard de la faute de son ancêtre Isildur, ainsi qu'il le montre notamment lors du conseil des Capitaines à Minas Tirith. Il n'hésite pas à se sacrifier en menant l'attaque contre le Mordor afin de donner à Frodo l'opportunité de détruire l'Anneau, ce que son ancêtre avait été incapable d'accomplir.

« Sauron ne revêt pas les habits du diable mais ceux d’un être démoniaque, proche des Titans s’opposant aux hommes et aux dieux lumineux, et usant, dans les combats, de magie et de formules sacrées. »

Commentaire de Damien Bador : On notera que ce n'est pas Sauron qui en use mais ses sbires donc cette proposition ne tient pas vraiment. En outre, l'absence physique de celui-ci le rapproche justement plus du diable que des Titans, fils de la Terre.

« cette quête est une reconquête qui se place sous des auspices royaux. »

Commentaire de Damien Bador : C'est oublier qu'Aragorn n'est couronné qu'après la chute de Sauron ; et que l'ensemble de ces combats n'ont pour but principal que d'attirer l'attention de Sauron ailleurs qu'en Mordor.

« victoire finale après un combat aussi grandiose que décisif »

Commentaire de Damien Bador : De quel combat est-il question? S'il s'agit de la bataille du Pelennor celle-ci n'est pas décisive et celle du Morannon n'est gagnée que par la destruction de l'Anneau, involontairement accomplie par Gollum. À moins qu'il ne s'agisse de celle du Gouffre de Helm?

Christianisme et paganisme dans Le Seigneur des Anneaux

« les candidats à la sainteté que sont Frodon et les Hobbits - êtres à peine dégrossis, pleins de naïveté et d’esprit simpliste qui sont des caractéristiques qui correspondent parfaitement à une description de type évangélique -, répondent les qualités héroïques et sublimes d’Aragorn et de ses compagnons »

Commentaire de Damien Bador : Cette opposition est quelque peu artificielle, Merry et Pippin se distinguant justement par le même type d'action héroïques qu'Aragorn ou Gimli.

« Pour l’autre groupe, en revanche, l’itinéraire est tracé d’avance, avec les obstacles qui le ponctuent graduellement »

Commentaire de Damien Bador : C'est oublier les rencontres inopinées (Fangorn, Gandalf le Blanc), les hésitations (Aragorn a l'idée de passer par les Chemins des Morts), les changements de plans (après l'avertissement de Ceorl, grâce à l'aide de Ghân-buri-Ghân), les affrontements entre personnages (Théoden refusant l'aide de Merry ou Éowyn).

Si je reconnais la justesse des arguments de l'auteur quant à la quête de Frodo, je me trouve toutefois en désaccord avec lui quant à son interprétation de celle d'Aragorn et de ses compagnons. L'auteur argumente longuement qu'il n'y a pas sursomption de la trame mythologique dans la dimension chrétienne, mais le raisonnement utilisé manque de force, et certains arguments me paraissent clairement en erreur.

Le thème de l’Aurore

« une figure divine particulière qui n’existe dans aucune autre religion. Cette divinité est celle de l’Aurore. »

Commentaire de Damien Bador : A nuancer par la présence de Thesan chez les Étrusques, un peuple qui n'est certainement pas indo-européen.

« véritable héros du roman, à savoir le futur roi Aragorn. »

Commentaire de Damien Bador : À nuancer également à la vue des explications de Tolkien, désignant Sam comme étant le véritable héros du SdA.

L’Aurore et les héroïnes du Seigneur des Anneaux : Arwen et Éowyn

« Eowyn, ensuite, parce qu’elle occupe la place de la princesse captive, en son château, offrant à Aragorn l’occasion de prouver son courage et sa vaillance au combat. »

Commentaire de Damien Bador : Il semble que cette affirmation soit un léger contre-sens car comme on le voit plus tard, Éowyn devient une princesse guerrière et Aragorn ne se bat jamais pour elle.

« une sorte de Vénus adulte »

Commentaire de Damien Bador : Comparaison bizarre, vu que Vénus est toujours représentée comme étant blonde (sans oublier que Vénus adulte serait nécessairement mariée et mère d'Eros ainsi que de plusieurs héros mythologiques, notamment Énée).

La bataille du Gouffre de Helm : les forces en présence

« Deux noms retiennent ici particulièrement l’attention : celui du Château d’Or et celui de Grima, dit « Langue-de-Serpent ». En effet, le château contient bien quelque chose d’extraordinaire que son nom indique clairement. Car que représente exactement cet or, celui que l’on retrouve symbolisé par ailleurs par la couleur des cheveux d’Éowyn que même son oncle n’a pu défendre contre les puissances du mal, sinon la princesse elle-même ? »

Commentaire de Éric Flieller Si l'on cherche absolument à trouver un symbolisme à la dorure du toit de Meduseld, peut-être faut-il alors le chercher du côté du motif de la lumière (« sous les cieux », « éclat », « resplendissant ») utilisé dans la description d'Heorot, dans Beowulf. Tout comme le hall de Hrothgar (perçu comme « centre du cosmos » ou « imago mundi ») est cerné par la menace de Grendel puis par celle de sa mère, Meduseld est entouré par les ténèbres (la menace des armées de Saruman et, au-delà, de celles de Sauron). La dorure du toit du hall de Théoden soulignerait-elle alors les quelques feux dont il luit encore avant que l'ombre de la mort ne s'abatte sur les Rohirrim ?

Toutefois, même si l'on admet que Tolkien se soit servi de cette image dans une telle perspective symbolique, ce serait certainement pour mieux la détourner. À leur arrivée à Meduseld, Gandalf et les autres membres de la Communauté découvrent en effet l'intérieur du hall plongé dans l'obscurité, son roi étant sous l'emprise du séide de Saruman - alors que resplendit le festin donné par Hrothgar à Heorot (qui fait d'ailleurs sortir le monstre de son antre)…

Elle fait plutôt référence au passage de Beowulf où ce dernier et ses compagnons d'armes approchent du hall de Hrothgar (v. 306-313, trad. A. Crépin) :

« Les hommes se hâtaient, ensemble s'avançaient, jusqu'à ce qu'ils aperçoivent couvert d'ornements et d'or l'édifice savamment construit. C'était chez les peuples de la terre le plus célèbre des bâtiments dressés sous les cieux. Y résidait le maître. Son éclat se répandait sur maintes régions. Alors le guerrier leur indiqua le château resplendissant (…). »

A ce sujet, lire l'article de M. R. Kightley, Heorot or Meduseld?: Tolkien's use of Beowulf in "The King of the Golden Hall"

« Enfin, dans l’Antiquité, l’or ne servait pas de monnaie d’échange, mais il était un métal réservé aux œuvres cultuelles, religieuses, destinées aux défunts et aux dieux. »

Commentaire de Damien Bador : Cette généralisation est abusive : l'or servait de monnaie d'échange (et n'avait pas grand chose de sacré) chez les Grecs, les Phrygiens, les Mèdes, les Perses, les Romains, etc.

« les Anneaux forgés le furent dans l’or ? »

Commentaire de Damien Bador : Il n'est pas prouvé que ça a été le cas pour tous les Anneaux : Nenya était très probablement en mithril ou en argent.

La bataille du Gouffre de Helm : le conflit mythique pour la royauté

« les deux rois qui conjuguent leurs forces pour lutter contre les armées du Mordor et de l’Isengard symboliseraient aussi le conflit rituel que se livraient annuellement ou régulièrement les prétendants au trône, dans les royautés antiques »

Commentaire de Damien Bador : C'est une généralisation d'un phénomène purement celtique (et peut-être même uniquement irlandais). Ensuite, présenter Aragorn comme succédant à Théoden en temps que figure royale est une simplification un peu outrancière. Leurs royautés ne se situent pas sur le même plan. Et Théoden était déjà un allié vassal de Denethor, bien que ce dernier n'ait pas eu titre de roi.

« Theoden est un roi vieillissant [...] et sans héritier. »

Commentaire de Damien Bador : Cette mention est à nuancer. Théoden possédant un héritier en la personne d'Éomer mais pas (plus) de descendance.

« Eowyn pour prendre sa place après son départ pour le Gouffre de Helm»

Commentaire de Damien Bador : Uniquement à titre de « lieutenant ».

« De plus, lorsque Theoden part pour le Gouffre de Helm, la direction qu’il prend n’est pas l’est, où point normalement le soleil levant, mais l’ouest, là où il se couche, comme si cela signifiait la fin de sa vie, qu’il pressent »

Commentaire de Damien Bador : Accorder une importance à ce fait est quelque peu abusif, puisque Théoden ne meurt pas à Helm mais au Pelennor, après avoir chevauché vers l'Est (et le Sud).

« Aragorn demande à Legolas de tourner son regard d’Elfe vers cette direction néfaste »

Commentaire de Damien Bador : Il y a ici une erreur d'interprétation semble-t-il. Chez Tolkien, la valeur des directions cardinales est inversée par rapport à ce qu'elle est dans la plupart des mythologies chrétiennes : l'Ouest est nettement perçu comme positif, et l'Est comme négatif. Un « vent d'Ouest » (cf. p. 20) serait donc un vent d'espoir, non un vent de mort (cf. les nombreuses mentions du vent dans le SdA, en particulier dans l'élégie de Boromir).

« L’arrivée au Gouffre de Helm, dont le nom signifie déjà son caractère sombre »

Commentaire de Damien Bador : Le nom anglais « Helm's Deep » ne véhicule pas nécessairement ce sous-entendu.

Symbolique de la bataille et métamorphose des héros : le cas de Gandalf

« Gandalf fait dorénavant partie du monde des êtres de lumière à l’instar des Elfes »

Commentaire de Damien Bador : La suggestion qu'auparavant il n'en faisait pas partie est discréditée dès lors qu'on a lu les CLI. Gandalf est par nature un être angélique, venu en Terre du Milieu pour assister les Peuples Libres dans leur combat contre Sauron.

« Certes, la bataille du Gouffre de Helm s’engagera pour des raisons qui rappelleront plutôt les grandes guerres du XXe siècle »

Commentaire de Damien Bador : C'est oublier les guerres médiques, la lutte entre Grecs et Puniques en Sicile, entre Grecs et Romains en Italie, etc.

« Eowyn, figure proche d’Hélène »

Commentaire de Damien Bador : Ce rapprochement est un peu rapide. Éowyn n'étant ni prisonnière ni cause de la guerre, et Hélène n'ayant certes pas le courage d'Éowyn.

« un rapprochement entre Ulysse et Aragorn nous semble possible »

Commentaire de Damien Bador : Là encore, l'identification est assez superficielle, d'autant plus que ce n'est pas grâce à Aragorn que la guerre est gagnée, contrairement à Ulysse. De plus, Aragorn tirera de grands biens de la victoire, à l'opposé d'Ulysse, qui ne retrouvera même pas la paix au foyer, et devra encore accomplir un pèlerinage expiatoire après son retour à Ithaque.

Récapitulation et Conclusion

« Le combat illustre bien cet enjeu, que l’on peut comparer aux grands conflits qui se déroulèrent au XXe siècle. Avec, cependant, une fin qui n’est pas identique à ce qui est advenu historiquement. Ici, Tolkien affirme son opinion politique dans son roman, puisque c’est la monarchie, celle d’Aragorn notamment, qui l’emporte sur la dictature ou le système totalitaire imposé par Sauron et Saroumane, et non la démocratie »

Commentaire de Damien Bador : cf ce commentaire.

« Une apocalypse, au sens étymologique, a lieu ici même. »

Commentaire de Damien Bador : Ici serait utile de mentionner le terme « eucatastrophe ».

« Retenue prisonnière dans un château puis dans une forteresse assiégée, sous sa forme humaine de princesse »

Commentaire de Damien Bador : Éowyn ne mettra pas les pieds au Hornburg mais restera à Dunharrow, qui n'est jamais assiégé. Cette interprétation omet évidemment l'action d'Éowyn au Pelennor, action qui est plutôt antithétique avec l'interprétation proposée ici.

« c’est l’étonnante absence des Dieux »

Commentaire de Damien Bador : Assertion étonnante si l'on regarde Sauron, Mithrandir (Gandalf), Radagast et Curunír (Saruman), qui sont des Maiar.

« surtout l’absence évidente de Dieu, c’est-à-dire du Dieu chrétien, unique et transcendant, et qui n’est peut-être pas autre chose qu’une concession accordée par l’auteur aux questions posées par la modernité. Ce vide religieux ne serait alors que la face contemporaine du roman, celle qui traverse toute son œuvre et dans laquelle le lecteur peut se retrouver plus aisément. »

Commentaire de Damien Bador : Et pourtant il existe de nombreuses allusions à la Providence qui parsèment le SdA, des interventions « miraculeuses » de certains personnages ou créatures (les Elfes au chap. I/3), des « prières » ou supplications en elfique de Sam et Frodo à Torech Ungol, et le rite númenórien observé par Faramir au début du repas à Enneth Annûn.

Supposer que Tolkien aurait créé un vide religieux pour que le lecteur puisse se retrouver plus aisément ne fait que révéler une ignorance quant aux motifs qui poussèrent Tolkien à éviter toute référence religieuse explicite dans le SdA et son désir de ne pas créer une « parodie du christianisme »1) et un parti pris quant au « nécessaire » agnosticisme d'un lecteur moderne.

1) cf. MR, p. 3554
 
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