Noldorin

« Alors après de longs âges de paix, comme le relate le Quenta Noldorion, il advint que les Noldor, qui étaient de toutes les familles des Eldar la plus douée pour les techniques et le savoir, quittèrent Valinor en tant qu’exilés et retournèrent en Terre du Milieu, cherchant les Grands Joyaux, les Silmarilli, que Fëanor chef de tous leurs artisans avait fabriqué. Leur langue, le noldorin, qui au départ différait peu du lindarin ou quenya, devint à leur retour en Terre du Milieu sujette au changement, dont ici souffrent même les choses conçues par les Elfes, et avec le passage du temps elle vint à différer en tous points du quenya de Valinor, langue que les exilés gardèrent toujours en mémoire cependant, une langue de savoir, de chant et de courtoisie. »1)
The Peoples of Middle-earth — Partie I — Chapitre 2 « L’Appendice des langues »

Celebrimbor (© Catherine Chmiel)

Conceptuellement, le noldorin est le prédécesseur du sindarin dans la création linguistique de Tolkien, avant que celui-ci ne décide de modifier l’histoire de ses langues elfiques. Structurellement, cette langue est extrêmement proche du sindarin, au point que la majorité des mots noldorins pourraient être repris tels quels en sindarin. La différence principale tient à l’origine de cette langue, car le noldorin était supposé être la langue des Ñoldor, distincte du qenya, qui aurait évolué de manière à se rapprocher de l’ilkorin après l’arrivée de ceux-ci en Beleriand.

Les dialectes du noldorin

Le noldorin de Mithrim

Seul le « Lhammas » mentionne le noldorin de Mithrim, précisant qu’il fait partie des dialectes qui « disparurent dans les guerres du Nord »2). Il est toutefois sous-entendu que quelques traces de celui-ci se retrouvaient en fëanorien tardif3). S’il est précisé que les différents dialectes noldorins ne différaient les uns des autres que de façon modeste4), on ne sait quelles étaient les éléments divergents, Tolkien n’ayant pas exploré le sujet plus avant. Néanmoins, le noldorin de Mithrim est l’ancêtre conceptuel du mithrimin, une langue sindarine ayant considérablement divergé du falathrin et des autres variétés du sindarin méridional. Chose intéressante, Tolkien précisa qu’une partie significative des Mithrim était apparemment d’extraction ñoldorine. Certains Elfes du Deuxième Clan auraient en effet refusé de s’embarquer pour Valinor ou se seraient aventurés trop loin vers le Nord pour répondre à l’appel d’Ulmo5).

Le fëanorien

Le fëanorien était le dialecte noldorin parlé à Himring et dans le Beleriand oriental, peuplé par les Fils de Fëanor et leurs suivants6). Il ne divergeait que sur des points mineurs des dialectes de Hithlum, des Falas et de Nargothrond7). Contrairement à ces derniers, il ne disparut qu’à la toute fin des guerres de Beleriand. Il vint cependant à s’abâtardir sous l’influence des autres dialectes noldorins, de l’ossiriandrin et des langues humaines8), ce qui est certainement dû à l’alliance entre les Fils de Fëanor et les Orientaux de Bór et Ulfang9), ainsi qu’au rassemblement d’une grande partie des Noldor survivants sous leur bannière après le massacre des Havres du Sirion10). Parmi les Fils de Fëanor seul le nom Maidhros fut précisé être fëanorien, dans une entrée rejetée des Étym.11)

Le gondolindren

Le gondolindren ou gondolique, encore appelé moyen noldorin, était la variété de noldorin parlée dans la cité cachée de Gondolin. L’isolement que maintinrent les habitants de Gondolin permit de préserver la pureté de l’« ancienne langue » des Noldor. Bien que les différentes branches du noldorin n’aient pas divergé de façon majeure12), le conservatisme du gondolindren l’isola sensiblement des autres dialectes13). Le gondolindren fut l’une des deux seules variantes du noldorin à survivre aux guerres de Beleriand. Après la chute de Gondolin, les survivants partirent s’établir aux Havres du Sirion. Le gondolindren devint ainsi la langue des derniers Elfes libres en lutte contre Morgoth. Il subit alors une influence du doriathrin, ainsi que du falassien et de l’ossiriandique, dans une moindre mesure14). C’est de ce dialecte mélangé que proviennent la langue parlée à Tol Eressëa et le parler elfique des Atani et de leurs descendants15).

Le noldorin de Nargothrond

Du noldorin de Nargothrond, on connaît fort peu de choses. Ce dialecte était parlé par les gens de Felagund et de ses frères16). Il était assez proche de ceux de Hithlum, des Falas et du Beleriand oriental17), bien qu’on ignore sur quels points il divergeait de ceux-ci. Comme la plupart des variétés de noldorin, il disparut au cours de la guerre des Joyaux18). Encore que Tolkien ne le précise pas, il est probable qu’il périt après le sac de Nargothrond et le massacre de la quasi-totalité des survivants par les Orques lors de la tentative de sauvetage menée par le peuple de Haleth19). Il est possible que les noms des habitants de Nargothrond que nous connaissons (et notamment ceux de Felagund et ses frères Orodreth, Angrod et Egnor) appartiennent à ce dialecte. Cela n’est toutefois pas précisé, et les noms attestés ont des éléments identiques à ceux d’autres dialectes, ce qui plaide en défaveur de cette hypothèse.

Après le changement conceptuel qui vit le noldorin devenir la langue maternelle des Elfes-gris, Tolkien continua à envisager que le sindarin de Nargothrond ait été différent de celui des gens de Fingon et Turgon. Il revint plus tard sur cette idée et décréta que le sindarin occidental, à l’origine du sindarin commun des âges ultérieurs, était la langue gris-elfique parlée par tous les Ñoldor, à l’exception des Fëanoriens20). Quelques tournures et termes du mithrimin furent cependant « incorporées dans le sindarin du Sirion »21), la langue parlée à Minas Tirith. Il est donc probable que le parler des gens de Finrod Felagund ait conservé quelques particularismes.

Le mólanoldorin

L’un des deux seuls dialectes du noldorin à avoir survécu aux guerres de Beleriand était le mólanoldorin, la langue corrompue des Noldor-esclaves sous le joug de Morgoth22). Ce nom vient du q. mól « esclave, captif », dérivé de MŌ- par l’intermédiaire du mot primitif *mōl-23). Le premier manuscrit du « Lhammas » précise que la voix des Noldor-esclaves « ne s’entendait pas seulement à Angband, mais plus tard aussi en Mithrim et dans bien d’autres lieux. »24) Cela rejoint les textes des Contes perdus, qui dépeignent non seulement les Noldoli-esclaves qui « œuvraient avec peine sous la coupe des Orques et des gobelins des collines »25) dans les cavernes de Morgoth, mais signalent que d’autres travaillaient à Hisilómë après la conquête de ce pays26) :

« D’autres Noldoli encore étaient sous les enchantements maléfiques de Melko et erraient comme dans un rêve empli de peur, obéissant à ses demandes néfastes, car le sort de terreur incommensurable était sur eux et ils sentaient les yeux de Melko les brûler de loin. »27)

Comme de juste, cette langue servait à répandre la trahison et le chaos chez les ennemis de Morgoth. Des Gnomes-esclaves et des « créatures ayant pris forme elfique » répandaient « les mauvais augures et les soupçons de traîtrise chez tous ceux qui leur prêtaient l’oreille. »28) De la sorte, les Noldor se mirent à craindre la traîtrise de tous ceux qui avaient été prisonniers à Angband : « même s’ils s’échappaient et revenaient parmi leur peuple, ils n’étaient guère les bienvenus et erraient souvent dans un exil et un désespoir misérables. »29)

Le « Qenya Lexicon » est le seul texte à donner des précisions sur la phonologie de la langue des Gnomes-esclaves, du fait même que dans ce manuscrit, il s’agissait du seul dialecte noldorin à avoir survécu. Il y est précisé que c’était la seule langue elfique à avoir développé des occlusives initiales à partir de spirantes voisées, ainsi que des plosives médiales voisées à partir d’occlusives médiales sourdes simples30). Seul le noldorin avait fait fusionner l’ensemble des groupes consonne + semi-voyelle avec les consonnes simples qui leur étaient associés31). On ignore évidemment si ces éléments étaient toujours supposés être caractéristiques du mólanoldorin à l’époque où Tolkien rédigea le « Lhammas », mais il est permis d’en douter, vu l’évolution externe du noldorin sur les quinze à vingt ans qui séparent ces deux textes.

Le premier nom elfique que Tolkien donna à cette langue était múlanoldorin32), faisant vraisemblablement dériver ce terme du noldorin mûl plutôt que du qenya mól33). Dans les tous premiers textes du « Qenya Lexicon », ce parler était nommé « noldo-esclave » et c’était le seul dialecte du noldorin à avoir survécu, le « libre noldo de Gondolin » ayant péri pendant les guerres34).

On peut aussi noter que l’un des derniers textes mentionnant le noldorin, la « Tengwesta Qenderinwa », ne mentionne plus le mólanoldorin parmi les dialectes des Noldor en exil, aussi Tolkien avait-il peut-être fini par décider que les Gnomes-esclaves ne parlaient pas une variété spécifique de noldorin35).

Le toleresséen

Le terme de tol-eresséen figure dans l’aperçu historique de la « Qenya Phonology », où il désigne manifestement la lingua franca commune à tous les Elfes vivant sur l’île de Tol Eressëa à l’époque où Eriol les rencontre. Cette langue descend du qenya mais a été largement influencée par le telerin36). On ne sait cependant pas quels sont les points sur lesquels ce dialecte diverge du qenya standard.

Bien plus tard, Tolkien a réutilisé ce terme, désormais orthographié toleresséen, mais dans une optique toute différente. Dans la description de « L’Usage beleriandique ou exilique » de l’alphabet fëanorien, il vient en effet à désigner le dialecte noldorin en usage sur Tol Eressëa après le retour vers les Terres Immortelles des Noldor exilés. On y glane quelques informations phonologique à son sujet, comme le fait que lth y soit devenu un ll sourd ou que mm ait été raccourci en m à l’oral. Certaines notations divergent aussi du noldorin standard37). Ce même emploi se retrouve dans la première version de l’essai « Ælfwine », où Tolkien note que le son [χ] du noldorin se prononce [h] à Tol Eressëa et que les [ð] et [ƀ] finaux y sont respectivement devenus [þ] et [f]38).

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Une phrase elfique dans « J. R. R. Tolkien, Artist & Illustrator »

Lire l’article « Une phrase elfique dans “J. R. R. Tolkien, Artist & Illustrator” »  Article théorique  Article théorique Didier Willis — 1999–2000
La carte de Thror, dans le Hobbit, a été dessinée avec le plus grand soin par J. R. R. Tolkien. Un brouillon préliminaire de cette illustration est publié dans l’ouvrage de Wayne G. Hammond et Christina Scull, J. R. R. Tolkien, Artist & Illustrator. Quelques mots en langue elfique y ont rapidement été griffonnés au crayon par l’auteur, et sont discutés dans la note 6, p. 150. Il s’agit d’une inscription dans une langue inventée par Tolkien, qu’il appelait alors « noldorin ».
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Les pluriels noldorins dans « Les Étymologies »

Lire l’article « Les pluriels noldorins dans “Les Étymologies” »  Article théorique  Article théorique  Article théorique  Article théorique Bertrand Bellet — Mars 2005
Le noldorin était conçu comme la langue natale des Noldor, développée au cours de leur exil en Terre du Milieu à partir de la langue qu’ils parlaient anciennement à Valinor, appelée vieux noldorin dans « Les Étymologies » et korolambë ou kornoldorin dans le Lhammas. Celle-ci est à l’évidence très proche du sindarin ultérieur, mais il existe certaines différences, particulièrement pour le développement de certaines consonnes et, plus important pour nous ici, dans la manière de former le pluriel des noms.
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Préfixes intensifs dans « Les Étymologies »

Lire l’article « Préfixes intensifs dans “Les Étymologies” »  Article théorique  Article théorique  Article théorique  Article théorique Thorsten Renk
Les Étymologies » contiennent plusieurs exemples de formes que Tolkien nota être « intensives », dont certaines se forment au moyen d’un préfixe. L’entrée A- du VT 45, p. 5, est peut-être le meilleur point de départ pour les classifier. Nous est présenté un préfixe intensif a- « d’origine distincte, quoique de fonction similaire à la préfixation de la voyelle de base […] il pouvait être appliqué à des mots formés à part entière. »
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Le passé du noldorin premier

Lire l’article « Le passé du noldorin premier »  Article théorique  Article théorique  Article théorique  Article théorique Roman Rausch — Juin 2010
En qenya de l’EQG, le passé s’obtient par ajout des suffixes ye,ie,ne. Le plus commun est –ie, qui est « normalement accompagné d’un affermissement du radical consistant en (1) infixation en a (2) infixation en n (3) allongement vocalique ». La situation n’est guère différente en noldorin. Le passé fort s’obtient par infixation nasale et mutation en i dans l’ensemble du mot, laquelle est apparemment causée par le suffixe –ye.
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Le passé noldorin dans « Les Étymologies » : Une classification formelle

Lire l’article « Le passé noldorin dans « Les Étymologies » : Une classification formelle »  Article théorique  Article théorique  Article théorique  Article théorique Carl Hostetter — Décembre 2003
Depuis au moins la publication de The Lost Road en 1987, il a été largement reconnu que les langues eldarines, du moins telles que présentées depuis la deuxième moitié des années 30 jusqu’à la publication du Seigneur des Anneaux, possèdent deux classes primaires de formation du passé, que nous pouvons nommer (en employant la propre terminologie de Tolkien dans « Quendi and Eldar », elle-même empruntée à la linguistique indo-européenne) : le passé fort (indiquant des modifications internes) et celui faible (indiquant des modifications par affixes).
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Phonologies historiques de l’ilkorin, du telerin et du noldorin aux environs de 1923

Lire l’article « Phonologies historiques de l’ilkorin, du telerin et du noldorin aux environs de 1923 »  Article théorique  Article théorique  Article théorique  Article théorique  Article théorique Roman Rausch — Avril 2008
Après l’écriture des « Gnomish Lexicon » et « Qenya Lexicon », l’étape suivante de la création linguistique de Tolkien fut les « Early Qenya Grammar » et « Early Noldorin Grammar », rédigées aux environs de 1923. Une nouvelle caractéristique de cette étape est l’introduction de langues mineures : l’ilkorin de style germanique et le telerin de style roman-latin (en plus du noldorin de style celtique-gallois et du qenya de style finnois).
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Blason

1) Version originale : « Now after long ages of peace it came to pass, as is related in the Quenta Noldorion, that the Noldor, who were of all the kindreds of the Eldar the most skilled in crafts and lore, departed as exiles from Valinor and returned to Middle-earth, seeking the Great Jewels, the Silmarilli, which Fëanor chief of all their craftsmen had made. Their language, Noldorin, that at first differed little from the Lindarin or Quenya, became on their return to Middle-earth subject to the change which even things devised by the Elves here suffer, and in the passing of time it grew wholly unlike to the Quenya of Valinor, which tongue the exiles nonetheless retained always in memory as a language of lore and song and courtesy. »
2) Le « Lhammas A » précisait même qu’il fut le premier dialecte à disparaître, ajoutant qu’il s’agissait d’une langue pure, « hormis quelque influence négligeable des Hommes de la maison de Hádor » ; RP, p. 218.
3) , 12) , 14) , 22) , 32) RP, p. 205
4) , 7) , 17) , 35) PE 18, p. 26, 76
5) , 21) PE 17, p. 134
6) , 8) , 16) , 18) LRW, p. 177
9) LRW, p. 286–287
10) LRW, p. 143
11) VT 45, p. 30
13) PE 18, p. 26
15) PE 18, p. 76–77 ; cf. RP, p. 205–206, 223
19) SM, p. 153
20) PE 17, p. 133
23) , 33) RP, p. 425
24) Version originale : « was heard not only in Angband, but later in Mithrim and widely elsewhere. » LRW, p. 189
25) LT2, p. 31
26) LT2, p. 10
27) Version originale : « Noldoli too there were who were under the evil enchantments of Melko and wandered as in a dream of fear, doing his ill bidding, for the spell of bottomless dread was on them and they felt the eyes of Melko burn them from afar. » LT2, p. 77
28) RP, p. 346 ; cf. SM, p. 141, 145
29) Version originale : « even if they escaped and came back to their people little welcome they had, and wandered often in miserable exile and despair. » SM, p. 130
30) PE 12, p. 17
31) PE 12, p. 16-17
34) PE 12, p. 2
36) PE 14, p. 60
37) PE 22, p. 32–33, 35–36
38) PE 22, p. 68
 
langues/langues_elfiques/noldorin.txt · Dernière modification: 14/03/2022 15:52 par Elendil
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