Le passé noldorin dans « Les Étymologies » : Une classification formelle

Quatre Anneaux
Carl Hostetter — Décembre 2003
traduit en français par David Giraudeau
Articles théoriques : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs.
Cet essai est issu du journal en ligne Tengwestië. Il fut publié le 4 décembre 2003. Il présente une étude des différentes formes du passé noldorin dans le chapitre « Les Étymologies » de la Route perdue (V.O. The Lost Road and Other Writings). Les éléments de cet essai sont issus d’une version plus succincte éditée dans le message no 464 de la liste de diffusion Lambengolmor, en date du 11 juillet 2003. Le traducteur remercie Carl Hostetter pour sa permission de traduire cet essai en français et de l’inclure sur ce site internet.

Cet essai est la propriété de Carl Hostetter. Les citations des travaux de J.R.R. ou Christopher Tolkien sont la propriété de leurs éditeurs et/ou de la Tolkien Estate et sont employées ici avec son aimable permission. Le mot TOLKIEN est une marque déposée par la J.R.R. Tolkien Estate Limited. Les caractères et les systèmes d’écriture des langues inventées par Tolkien et ses travaux dans ces langues sont la propriété de la Tolkien Estate.

Introduction

Depuis au moins la publication de The Lost Road en 1987, il a été largement reconnu que les langues eldarines, du moins telles que présentées depuis la deuxième moitié des années 30 jusqu’à la publication du Seigneur des Anneaux1), possèdent deux classes primaires de formation du passé, que nous pouvons nommer (en employant la propre terminologie de Tolkien dans « Quendi and Eldar », elle-même empruntée à la linguistique indo-européenne) : le passé fort (indiquant des modifications internes) et celui faible (indiquant des modifications par affixes).

Le passé fort, dont la classe inclut principalement des verbes directement issus de radicaux basiques (autrement dit, des radicaux verbaux directement issus de base avec un sens verbal, telles que KAT- « façonner », BAT- « marcher », SUK- « boire », etc.), est caractérisé par un allongement ou un affermissement de la syllabe radicale et une suffixation du * final original. Au sein même du passé fort, il existe deux moyens principaux d’affermissement radical : a) affermissement ou affermissement de la voyelle radicale et b) infixation nasale.

Le passé faible, dont la classe inclut majoritairement des verbes dérivés de radicaux verbaux (c’est-à-dire des radicaux verbaux formés à partir d’une racine par suffixation d’un élément de dérivation, tels que *-ā, *-, *-, etc.), est caractérisé par l’absence d’affermissement de la voyelle radicale et la suffixation d’un marqueur du passé, *-nē le plus souvent.

Ces deux classes principales sont nettement exemplifiées par les deux verbes qenya au passé apparaissant sous la base ONO- « engendrer » dans « Les Étymologies », óne (passé fort) et ontane (passé faible), le premier étant directement issu de la base tandis que le second vient du radical dérivé onta-.Dans le quenya du Seigneur des Anneaux, les mêmes mécanismes sont exemplifiés par les verbes au passé qui se trouvent dans la Lamentation de Galadriel qui incluent, d’une part, unduláve « sont plongés profondément »2), où -láve « léchés » est un verbe au passé fort formé à partir de LAB- « lécher », et, d’autre part, ortane « éleva », un verbe au passé faible (en -ne) basé sur le radical dérivé orta- « soulever » (cf. ORO-)3).

En partant de cette distinction formelle plus basique, nous pouvons classifier les verbes noldorins au passé dans « Les Étymologies » à la manière dont ils sont formés. Dès à présent, tous les mots sont noldorins et toutes les bases citées sont issues des « Étymologies » et/ou des « Addenda and Corrigenda to the Etymologies », à moins que cela ne soit explicitement indiqué.

Le passé fort

Passé fort I : allongement de la voyelle radicale ou infixation en A des radicaux basiques

Dans « Les Étymologies », tous les verbes au passé dans cette classe de formation sont directement issus de bases eldarines se terminant par une liquide (i.e., -L ou -R) ou une occlusive voisée (ici, seul -D apparaît).

  • †daul *« cacha, dissimula » (s.v. DUL- « cacher, dissimuler »). Cette forme est listée comme le passé poétique de deux verbes dérivés : dœlio/delio (apparemment < *dolyā- < *dul-yā-) et doltha (apparemment < *doltā < *dul-tā). Cependant, la forme au passé elle-même présente une dérivation directement depuis la base, probablement par infixation en A, d’où < *d-a-ul-ē < DUL-.
  • haul *« se souleva » (passé de heli « se soulever » < KHAL2- « élever »). L’allongement de la voyelle radicale peut ici être dû à une infixation en A ou simplement à un allongement, puisque tous deux donneraient le même résultat, , qui dipthongue en *au (et demeure une dipthongue dans les monosyllabes accentués ; cf. nold. bauð « jugement » < bād- < BAD-), d’où < *khāl-ē < KHAL2-.
  • †trenor *« raconta, conta jusqu’à la fin » (passé de treneri *« il raconte, conte jusqu’à la fin » < NAR2- « conter, relater »). Le préfixe tre- « à travers » (< TER-, q.v.) n’est pas en relation avec la formation du passé, qui ne concerne que l’élément verbal -nor. Dans les syllabes finales non-accentuées, le o nold. peut résulter, inter alia, d’un long original, ce qui doit probablement être le cas ici compte tenu de la forme de la base. L’allongement de la voyelle radicale peut encore une fois être dû à une infixation en A ou simplement à un allongement, d’où < *nār-ē < NAR2-.
  • nîð « blessa, meurtrit » (s.v. NID[2]- « blesser, nuire »), présenté comme < v.nold. nīde, lui-même apparemment < *nīd-ē < NID[2]-4).

Passé fort II : infixation nasale

Cette formation était majoritairement appliquée aux radicaux basiques, mais il existe également une petit classe de radicaux dérivés qui semblent présenter une infixation nasale.

A. Radicaux basiques

Dans « Les Étymologies », tous les verbes au passé dans cette classe de formation sont directement issus de bases eldarines se terminant par une occlusive (qu’elle soit sourde – nous observons ici -P, -T et -K – ou bien voisée – ici, uniquement -D) ou une nasale (ici, uniquement -M). Sans surprise, à partir de la forme de l’infixation nasale, chacune de ces sous-classes de bases eldarines donnent naissance à des sous-classes de développement légèrement différentes.

i. Radicaux basiques se terminant par une consonne occlusive

  • trevant *« traversa » (passé de trevedi *« traverser » < BAT- « marcher »). Là encore, le préfixe tre- « à travers » (< TER-, q.v.) n’est pas en relation avec la formation du passé, nous laissant l’élément verbal -vant. Il semble que le développement se fasse par lénition de *bant < *ba-n-t-ē par infixation nasale < BAT-.
  • echant *« façonna, forma » (passé de echedi « façonner, former » et présenté comme < *et-kat- < KAT- « façonner », avec le contact *-t-k- donnant -ch- en noldorin). La propre note étymologique de Tolkien montre que la formation contient le préfixe adverbial original *et -(< ET- « hors, en avant », q.v.), ce qui nous laisse l’élément verbal *cant, apparemment < ka-n-t-ē par infixation nasale < KAT-.
  • hant *« s’assit » (passé de hað- *« s’asseoir » < KHAD- « s’asseoir »), apparemment < *ha-n-d-ē par infixation nasale < KHAD-.
  • hant *« jeta » (passé de hedi « jeter » < KHAT- « jeter »), apparemment < *ha-n-t-ē par infixation nasale < KHAT-.
  • [†eglent] *« alla en exil » (passé de egledhi ou egle[d]hio « aller en exil » < LED- « aller, s’en aller, voyager ») qui présente à nouveau le préfixe adverbial *et- (< ET- « hors, en avant ») avec le développement régulier du contact *-t-l- > -gl-, ce qui nous laisse l’élément verbal *lent, apparemment < *le-n-d-ē par infixation nasale < LED-5).
  • adlenc *« relâcha, libéra » (passé de †adlegi < LEK- « lâcher, laisser aller, relâcher »). Le préfixe noldorin ad- « à nouveau, encore, re- » est donné sous la base AT(AT)- « encore, à nouveau ». Nous pouvons donc isoler l’élément verbal -lenc, qui peut être expliqué comme < *le-n-k-ē par infixation nasale < LEK-.
  • danc *« tua » (passé de degi « tuer » < NDAK- « tuer »), apparemment < *nda-n-k-ē par infixation nasale < NDAK-.
  • rhimp *« se précipita, vola, se jeta » (apparemment le passé de rhib- < RIP- « se précipiter, voler, se jeter »), apparemment < *rhi-m-p-ē par infixation nasale < RIP-.
  • nestanc *« inséra, poussa dans » (donné à la fois sous NĒ- *« dans, à l’intérieur » et STAK- « fendre, insérer », passé de nestegi « insérer, pousser dans », qui est présenté sous la première base comme dérivé de *ne-stak- « insérer, pousser dans, piquer »). Le préfixe ne- *« dans » n’est pas une partie de la formation du passé, aussi peut-on isoler l’élément verbal -stanc et l’expliquer comme < *sta-n-k-ē par infixation nasale < STAK-.
  • sunc *« but » (passé de sogo « boire » < SUK- « boire »), apparemment < *su-n-k-ē par infixation nasale < SUK-.
  • gwend (également gwenn) *« lia » (passé de gwedi < WED- « lier »), apparemment < *we-n-d-ē par infixation nasale < WED-.

Comme nous pouvons le voir, dans cette classe, tous les verbes au passé se terminent par une combinaison consonantique sur le modèle nasale homorganique + occlusive, et tous sauf un possèdent plus spécifiquement le modèle nasale homorganique + occlusive sourde (-nt ou -nc). Ce dernier modèle semble prévaloir tout particulièrement et peut expliquer pourquoi nous avons gwend < WED- mais hant < KHAD- et eglent < LED- : alors que par développement phonologique régulier nous devrions avoir -nd dans tous les cas, nous voyons que dans hant et eglent l’occlusive finale est dévoisée du fait de l’influence analogique des autres verbes au passé de ce modèle.

ii. Radicaux basiques se terminant par une consonne nasale

  • †dramp *« coupa » (passé de dravo *« couper » < DARÁM- « frapper, couper »).
  • hamp *« s’assit » (passé de haf- *« s’asseoir » < KHAM- « s’asseoir »).

Les deux verbes attestés dans cette classe sont issus de bases se terminant par -M et possèdent la terminaison -mp. Ce -p final est intéressant, car il ne peut être expliqué par le développement phonologique régulier d’un infixe nasal quelconque avec la consonne basique -M, qui aurait plutôt dû donner -mm (comme par exemple dans les formes suivantes données par Tolkien et apparemment à la première personne du singulier du passé : drammen et hemmin, respectivement). À moins que ces verbes ne reflètent une autre formation non-attestée du passé faible avec *-pV suffixé (où V représente une voyelle à présent disparue), ce qui paraît improbable, et il semblerait plutôt que -mp survienne d’une manière différente d’un développement phonologique régulier.

Si l’on s’intéresse à nouveau au modèle de terminaison nasale homorganique + occlusive sourde largement majoritaire dans la classe précédente, il est significatif que dans cette classe, la terminaison -mp perpétue ce modèle. Il semblerait qu’ici -mp soit en fait une reformation analogique de la terminaison historique attendue -mm du fait de l’influence prédominante du modèle nasale homorganique + occlusive sourde, avec le *-m final (une nasale bilabiale voisée) dévoisée et stoppée pour devenir -p (une occlusive bilabiale sourde). Il est également important de noter que le nom apparenté à dravo, nold. ex. dramb, dram(m) « un grand coup, un choc », présente une dérivation de la base probablement issue du suffixe *-bā, avec une occlusive additionnelle. Peut-être que l’occlusive de cette forme influença la formation du nom de la même manière.

B. Radicaux dérivés en -tā

Pour finir, il existe une petite classe de verbes forts à infixation nasale, qui sont néanmoins des radicaux en *-tā dérivés et qui incluent :

  • lhimmint *« mouilla » (passé de lhimmid « mouiller » < LINKWI- *« mouiller »), apparemment < *linkwi-n-t-ē < *linkwi-tā < LINKWI-.
  • nimmint *« blanchit » (passé de nimmid « blanchir » < NIK-W-), apparemment < *ninkwi-n-t-ē < *ninkwi-tā < NIK-W-.
  • †sint *« posséda du savoir » (passé de isto « avoir/posséder du savoir » (intransitif) < IS- *« savoir »), apparemment < *sintē < *isintē, qui survient visiblement par résolution de la nasale syllabique < *is-n-t-ē < *is-tā)6).

Si l’on note que, sans exception, chacune des autres classes de formation du passé fort identifiées ci- dessus inclut uniquement des radicaux basiques, il est alors intéressant d’observer qu’une infixation nasale est également appliquée à ces radicaux dérivés. D’où la question : pourquoi ces radicaux dérivés en *-tā ne forment-ils pas plutôt le passé comme tous les autres radicaux dérivés attestés, sc. en tant que verbes faibles prenant divers suffixes du passé (voir plus bas) ? Une réponse possible à cette question pourrait venir de la considération de la nature sémantique des verbes de cette classe, par comparaison avec la classe des verbes intransitifs faibles avec un passé en -as. Tout d’abord, notons que isto est explicitement désigné comme verbe intransitif. Ensuite, à la lumière de la relation sémantique inhérente des verbes intransitifs avec ceux inchoatifs – ces deux types désignant un concept verbal qui décrit ou affecte le sujet du verbe – il n’est pas surprenant que la classe comprenne d’autres verbes dérivés qui sont potentiellement au moins en partie inchoatifs et de fait au moins en partie intransitif : ainsi, nimmid « blanchir », indique peut-être tout à la fois le sens causatif et transitif *« blanchir (quelque chose), rendre quelque (plus) blanc » et celui inchoatif et intransitif *« devenir (plus) blanc ». De même avec lhimmid « mouiller », peut-être tout à la fois causatif et transitif *« mouiller (quelque chose), rendre quelque chose (plus) humide » et inchoatif et transitif *« être (plus) mouillé/humide ». Finalement, notons que †sint, un verbe intransitif au passé fort en -nt, possède aussi un équivalent intransitif au passé faible en -as, sc. istas (voir le chapitre Passé faible II, plus bas). À partir de ces informations, il semble évident que cette classe représente la formation du passé fort des verbes intransitifs et inchoatifs, et ainsi elle représente le pendant fort à la formation faible en -as des verbes intransitifs.

Interlude : deux verbes archaïques/poétiques au passé en -nte

Avant de continuer, intéressons-nous à deux verbes poétiques au passé et dont les formes semblent, d’un point de vue phonétique, assez archaïques :

  • †narante *« conta » (passé de †naro « conter » < NAR2- « conter, relater »).
  • †oronte « s’éleva » (apparemment le passé original de erio « se lever » < ORO-).

À la manière dont ils sont présentés, ils semble que ces deux verbes représentent des formes poétiques/archaïques mais néanmoins spécifiquement en noldorin, et non en vieux noldorin. La première caractéristique notable de ces formes est la présence d’une voyelle finale, qui devrait avoir été perdue comme toutes les voyelles finales dans la transition entre le vieux noldorin et le noldorin. Il semblerait que ces formes soient essentiellement des fossiles linguistiques dont les formes furent préservées depuis le vieux noldorin (peut-être tardif) et conservées comme des reliques historiques. Mais dans le cadre de cet essai, l’élément le plus intéressant est le fait que ces verbes présentent la terminaison du passé -nte, apparemment fossilisée, qui pourrait être ajoutée à la fois aux radicaux basiques terminés par une voyelle, apparemment comme dans †oronte < ORO-, ainsi qu’aux radicaux dérivés, apparemment comme dans †narante < NAR2-7). Du fait que par développement phonologique régulier, la terminaison du passé -nte en noldorin archaïque/vieux noldorin donne -nt en noldorin, cette ancienne terminaison sous-tend certainement le suffixe -(a)nt du passé dans l’ensemble de la classe majeure de formation suivante.

Le passé faible

Passé faible I : suffixation de -(a)nt

A. Radicaux basiques

Dans cette classe se trouvent les verbes construits directement à partir d’une base inchangée ainsi que ceux construits à partir d’un radical basique et présentant une affection interne en i.

i. Radicaux inchangés

  • hadhant *« s’assit » (passé de hað- *« s’asseoir » < KHAD- « s’asseoir »).
  • hafant *« s’assit » (passé de haf- *« s’asseoir » < KHAM- « s’asseoir »).

ii. Radicaux avec affection en i interne

  • trenerant *« raconta, conta jusqu’à la fin » (passé de treneri *« il raconte, conte jusqu’à la fin » < NAR2- « conter, relater »)8).
  • degant *« tua » (passé de degi « tuer » < NDAK- « tuer »).
  • gwedhant *« lia » (passé de gwedi *« lier » < WED- « lier »)9).

Comme nous pouvons aisément le constater, chacun de ces verbes au passé présente la même voyelle que celle de l’infinitif correspondant avec affection en i (la voyelle radicale -e- de gwedhant reste inchangée, n’étant pas sensible à cette affection en i). Cela suggère fortement que cette formation ne survient uniquement qu’après le phénomène d’affection en i interne, elle-même exprimée dans l’infinitif, et donc relativement récente dans le développement du noldorin. D’autre part, il est intéressant de constater que chacun de ces verbes possède également une forme au passé fort (†trenor, danc et gwend, respectivement). De même, il est probable que cette formation survienne comme le passé faible analogique tardif des verbes basiques.

B. Radicaux dérivés

Dans cette classe sont représentés les verbes avec radicaux en *-ā-, *-bā-, *-tā- et *-yā-.

i. Radicaux en *-ā-

  • dravant *« coupa » (passé de dravo « couper » < DARÁM- « frapper, couper »).
  • garant *« détint, posséda » (passé de garo *« détenir, posséder » < GAR- « détenir, posséder »).
  • melant *« aima » (passé de melo *« aimer » < MEL- « aimer (comme un ami) »).
  • sogant *« but » (passé de sogo *« boire » < SUK- « boire »).

ii. Radicaux en *-bā-

  • dammant *« martela » (passé de damma « marteler » < NDAM- « marteler, frapper »)10).

iii. Radicaux en *-tā-

  • orthant *« leva » (passé de ortho « lever » < ORO- « vers le haut ; se lever ; haut »).

iv. Radicaux en *-yā-

  • diliant *« stoppa » (passé de dilio « stopper » < DIL- « boucher, remplir un trou »).
  • deliant *« cacher, dissimuler » (passé de doelio^ (doltho) *« cacher, dissimuler » < DUL- « cacher, dissimuler » (première version au stylo)).
  • tiriant *« surveilla, garda » (passé de tiri ou tirio < TIR- « surveiller, garder »).

À noter que la terminaison dérivée -io issue de -yā provoque une affection en i des voyelles radicales qui lui sont sensibles.

Il demeure un dernier verbe au passé en -(a)nt qui n’appartient clairement à aucune de ces classes de formation :

  • †eglant *« alla en exil » (passé de egledhi ou egle[d]hio < LED- « aller, s’en aller, voyager »)11).

Cette forme est bien curieuse. À supposer qu’il ne s’agisse pas d’une faute pour la forme *†egleðant — qui appartiendrait probablement aux verbes de la partie Passé Faible I, section A, sous-section i, formés par suffixation de -(a)nt au radical modifié par affection interne en i – il semble représenter une formation analogique du fait de la structure en deux syllabes (radical + -ant) de la quasi-totalité des autres verbes terminés par -ant. Nous pourrions assiter à une telle reformation si, dans ce verbe, le préfixe eg- < *et- < ET- « hors, en avant » (avec développement régulier en -gl- à partir du contact *-t-l-) avait cessé d’être considéré comme tel du fait de son altération phonologique, produisant ainsi la combinaison egl- avec un sens verbal, i.e. comme si egl- signifiait *« aller hors de, aller en avant ». Dans ce cas précis, ce genre de reformulation serait étayée par la forme et la signification du passé fort trevant *« traversa » (voir le chapitre Passé fort II, section A, sous-section i) ainsi que par l’aspect de certaines formes avec un adverbe préfixé telles que echant ou nestanc, toutes ayant pu contribuer à attirer le verbe fort issu de LED- dans cette classe. À cette explication, nous pouvons néanmoins objecter qu’aucune reformation de ce genre ne s’observe dans la forme au passé apparentée et équivalente egleðas.

Passé faible II : suffixation de -(a)s

  • istas *« possédait du savoir » (passé de isto « posséder du savoir’< IS- « savoir »).
  • egleðas *« alla en exil » (passé de egledhi ou egle[d]hio < LED- « aller, s’en aller, voyager »).
  • mudas *« travailla, besogna » (passé de mudo « travailler, besogner » < -),
  • erias *« se leva » (passé de erio « se lever » < ORO- « vers le haut ; lever ; haut ; etc. »).

Dans cette catégorie, il est intéressant de noter que nous trouvons à la fois des radicaux basiques (egleðas) et dérivés (radicaux en *-tā- de istas et mudas et radical en *-yā- de erias). Le point commun le plus flagrant des verbes de cette classe est qu’ils sont tous intransitifs, tandis que dans les autres classes de formation du passé présentées ici, les verbes sont principalement ou complètement transitifs, à l’exception des verbes intransitifs/inchoatifs de la classe Passé fort II-B et de hant *« s’assit » (passé de hað- *« s’asseoir » < KHAD- « s’asseoir ») et hamp *« s’assit » (passé de haf- *« s’asseoir » < KHAM- « s’asseoir »). Il semble que la présente classe représente la principale formation du passé des verbes intransitifs faibles, avec la classe Passé fort II-B comme équivalent fort, tandis que les autres classes de formation faibles et fortes s’appliquent principalement aux verbes transitifs. Le suffixe -(a)s doit être issu d’une forme plus ancienne possédant une consonne double, comme un *-s final original, ou un *-s issu de la perte d’une voyelle originale serait perdu de manière régulière en noldorin. Cette forme plus ancienne pourrait avoir été *ssV, où V représente une voyelle quelconque. Mais étant donné la fréquence des combinaisons comprenant une nasale homorganique dans les classes de formation du passé, il semble plus probable que cette forme plus ancienne ait été plutôt *-nsV qui, par développement régulier, donnerait > *-ssV > -s (« régulier » si le développement du s. Arassuil < *aran-suil (App. A, p. 1038 {App. A VF, p. 1109} ; PM, p. 196 & 211) peut être appliqué au noldorin des « Étymologies », et il ne semble y avoir aucun contre-exemple à ce développement). S’il s’agit de la bonne dérivation, cela forme un parallèle appréciable avec le *-nt- de la première classe de formation faible.

Distribution des formations

Le tableau 1 ci-dessous fournit une présentation de toutes les formations attestées, groupées par base puis selon les quatres principales catégories de formation précédemment identifiées.

Table 1 : formations attestées par bases

Base Passé fort I Passé fort II Passé faible I Passé faible II
BAT- trevant
DARÁM- dramp dravant
DIL- diliant
DUL- daul deliant
GAR- garant
IS- sint istas
KAT- echant
KHAD- hant | hadhant
KHAL2- haul
KHAM- hamp | hafant
KHAT- hant
LED- [?† eglant/eglent] egleðas
LEK- adlenc
LINKWI- lhimmint
MEL- melant
MŌ- mudas
NAR2- trenor trenerant
NDAK- danc degant
NDAM- dammant
NID[2]- [? nîð]
NIK-W- nimmint
ORO- orthant erias
RIP- rhimp
STAK- nestanc
SUK- sunc sogant
TIR- tiriant
WED- gwend gwedhant

Observations

A partir de ce tableau, nous pouvons facilement observer que les verbes au passé dérivés d’une base possèdent très souvent plus d’une forme, le plus souvent dans les deux formations (passés faible et fort). Dans la moitié de ces cas seulement, la forme forte est désignée comme poétique, suggérant que les deux formes étaient pareillement courantes pour bon nombre de ces verbes. Aussi, il semble qu’il puisse exister plus d’une forme du passé pour chaque verbe noldorin. Nous pouvons également voir que, à la seule exception de nîð (quelque peu équivoque), dans le Passé fort I et le Passé fort II il y a une division stricte selon la classe phonétique de la consonne basique finale : tous les verbes issus d’une base se terminant par une consonne liquide (en l’occurrence nous observons -L et -R) forment leur passé fort par un affermissement de la voyelle radicale ou une infixation en A (Passé fort I), tandis que, à une exception possible près, tous les verbes issus d’une base se terminant par une consonne occlusive ou nasale (en l’occurrence -P, -T, -K, -D et -M) forment leur passé fort par une infixation nasale (Passé fort II). Cela suggère, inter alia, que le passé fort de verbes tels que garo (< GAR-) et melo (< MEL-), si jamais ils disposaient de telles formes, serait un Passé fort I, soit : *gaur < *gār-ē et *mêl < *mēl-ē. De plus, notons que l’on n’observe aucun verbe issu d’une base terminée par une consonne liquide former un passé par simple suffixation de -n (i.e. en employant la terminaison du passé faible *-ne présente dans des verbes quenya au passé faible tels que ortane « éleva » ; LotR, p. 377 {SdA, II/8, p. 412}). Et de fait nous n’observons aucune preuve de formations du passé telles que *garn, *tirn ou *mell. Pour finir, il est intéressant de noter que le petit corpus de verbes sindarins trouvés dans le Seigneur des Anneaux présente trois des quatre mécanismes principaux de formation du passé que nous avons identifiés pour le noldorin, à savoir :

Passé fort I : allongement de la voyelle ou infixation en A du radical basique

  • ónen « j’ai donné » (App. A, p. 1061 {App. A VF, p. 1134}) ; retirer ce qui est apparemment la terminaison de la première personne du singulier -n « je » permet d’isoler le radical passé óne-, probablement < *ān-ē- < ANA1- *« donner »12).

Passé fort II-A-i : infixation nasale du radical basique se terminant par une consonne occlusive

  • echant « fis » (dans la phrase « Im, Narvi, […] echant », « Moi, Narvi, […] fis » ; LotR, p. 305—306 {SdA, II/4, p. 335—336}), probablement comme le verbe noldorin < *et-kant- < *et-ka-n-t- par infixation nasale < KAT- « façonner »13).

Passé faible I-B-iii : suffixation de -(a)nt au radical dérivé en -tā-

  • teithant « grava » (dans la phrase « Celebrimbor […] teithant », « Celebrimbor […] grava » ; LotR, p. 305—306 {SdA, II/4, p. 335—336}), apparemment < *tek-ta-ntē < TEK- « faire une marque, écrire ou dessiner (des signes ou des lettres) »14).

Il ne manque que le Passé faible II (suffixation en -(a)s). Bien entendu, aucun des verbes au passé du Seigneur des Anneaux n’est intransitif, aussi cette absence n’est-elle pas une surprise, et ne suggère ni ne désapprouve le fait que la classe ait existé en sindarin durant cette période conceptuelle. Cependant, le sindarin d’une période conceptuelle un peu plus tardive possède une classe de formation du passé inconnue des « Étymologies », observée dans l’essai « Quendi and Eldar » c. 1959- (WJ, p. 415) :

  • agor *« fabriqua, fit » < *akāra < KAR-.

Tolkien décrit cette formation comme caractérisée par « « l’augment », ou voyelle basique redoublée, et la voyelle radicale longue ». Ainsi, elle combine les caractéristiques de la formation du Passé fort I noldorin observé plus haut, avec une formation faible, sc. une préfixation de la sundóma. De plus, elle partage deux des trois caractéristiques de la formation du parfait eldarin (voir la note de bas de page no 8) — probablement à dessein. Tolkien décrit ensuite cette formation comme « habituelle pour les verbes sindarins « forts » ou primaires », semblant désigner ce que nous avons défini ici comme un verbe basique. Mais comme cette formation n’apparaît pas même dans les nombreux verbes noldorins basiques des « Étymologies », il est probable que cette formation du passé fut ajoutée par Tolkien dans sa conception plus tardive du sindarin – ou plutôt, fut restaurée, puisque cette même formation se trouve dans le noldorin de l’époque de Leeds, par exemple dans la forme au passé agor (PE 13, p. 161 s.v. cara).

Bibliographie

  • Hostetter, Carl & Patrick H. Wynne. « Addenda and Corrigenda to the Etymologies – Part One ». Publié dans le Vinyar Tengwar 45, novembre 2003.
  • Hostetter, Carl & Patrick H. Wynne. « Addenda and Corrigenda to the Etymologies – Part Two ». Publié dans le Vinyar Tengwar 46, juillet 2004.

Voir aussi

Sur Tolkiendil

1) N.d.T. : Dont le premier volume parut pour la première fois le 21 juillet 1954.
2) N.d.T. : La VO possède la version littérale « down-licked » qui pourrait se traduire mot-à-mot par « bas-léchés ».
3) N.d.A. : Afin d’illustrer le rôle joué par la variation contrastive de l’affermissement de la voyelle radicale (ou son absence) dans la formation des temps eldarins en conjonction avec la suffixation d’une voyelle caractéristique, il est intéressant de noter que le présent eldarin se caractérise par un affermissement de la voyelle radicale, mais avec suffixation de * : d’où le q. síla « brille, est en train de briller » (LotR, p. 81 {SdA, I/4, p. 99, VF erronée}), tandis que l’aoriste est caractérisé par l’absence d’affermissement et la suffixation de *-i : d’où le q. sile « brille » (RS, p. 280 & 325) et le parfait est caractérisé par un allongement de la voyelle radicale de pair avec une préfixation de la voyelle radicale et la suffixation d’une terminaison qui donne -ie en quenya : d’où le q. u-túv -ie -nye -s « Je l’ai trouvé » (LotR, p. 971 {SdA VI/5, p. 1036, VF erronée}).
4) N.d.A. : Cette analyse suppose que le nold. nîð « blessa, meurtrit » < v.nold. nīde soit un verbe et non un adjectif. Tolkien ne l’indique pas explicitement dans le texte et la glose qu’il fournit {« hurt, bruised » en VO qui peut tout aussi bien être traduit par « blessa, meurtrit » ou « blessé, meurtri » en français} est ambiguë. Cependant, le fait que Tolkien donne plus clairement la forme adjectivale noldorine neðw « balafré, meurtri », dérivée du v.nold. nidwe, nidwa et apparentée au q. nirwa « balafré », laisse à penser que le nold. nîð n’est pas une autre forme adjectivale, mais plutôt un verbe au passé. Dans tous les cas, il semble intéressant de l’inclure ici.
5) N.d.A. : Cette analyse suppose que la lecture correcte de ce verbe au passé soit bien eglent, comme suggéré par Helge Fauskanger (voir la liste de diffusion Lambengolmor, message 728 du 30 août 2004, <http://tech.groups.yahoo.com/group/lambengolmor/message/728>). Au sujet de la forme primitive *lendē, cf. le q. lende « alla, partit » (LRW, p. 47, 56 & 368 s.v. LED-). Pour une analyse de la forme alternative eglant, voir le chapitre Passé faible I-B.
6) N.d.A. : L’existence de la forme intermédiaire *sintē est également accréditée par la forme qenya au passé sinte clairement apparentée et également donnée s.v. IS-.
7) N.d.A. : Cela peut ne pas être le moyen historique de dérivation. Par exemple, comme avec †sint < is -n -t (voir plus haut), il semble possible que †narante puisse survenir par résolution de la nasale syllabique d’une forme infixée telle que *nar-n-t-ē. Mais même dans ce cas, à partir de ces deux exemples, il semble clair que, tout du moins à la fin de la période du vieux noldorin, le suffixe du passé -nte était apparu et qu’il pouvait être directement ajouté à la fois aux radicaux basiques et à ceux dérivés.
8) N.d.A. : La forme trenerant dérive de mon interprétation du fait que Tolkien inscrivit sur les formes originales nennar-, nennarant les formes trenor, trener. Dans le manuscrit, les dernières lettres ant de nennarant ne sont pas masquées et suivent immédiatement la forme de remplacement trener. J’interprète cela comme une intention de Tolkien de créer les formes du passé trenor (fort) et trenerant (faible).
9) N.d.A. : L’infinitif gwedi qui correspond au passé gwedhant est remarquable car il ne présente pas le développement du *d intervocalique original > ð / dh comme cela s’observe ailleurs, et comme l’on pourrait s’y attendre en voyant gwedhant. Mais les deux formes, l’infinitif et le passé, sont toutes deux clairement écrites dans le manuscrit et aucun doute n’est possible.
10) N.d.A. : Cette clasification prend en compte le verbe qenya namba- comme révélateur de la dérivation du verbe noldorin. Cependant, cela dépend du fait que dammant soit bien la bonne forme, et non dammint, comme suggéré dans les « Addenda and Corrigenda to the Etymologies ». Mais si la lecture correcte est dammint, cette forme pourrait alors s’expliquer comme une formation analogique dûe à l’influence d’autres verbes dérivés avec un passé en -mmint, tels qu’exemplifiés dans « Les Étymologies » avec lhimmint et nimmint.
11) N.d.A. : Pour une analyse de la lecture alternative eglent, voir plus haut, Passé fort II, section A, sous-section i.
12) N.d.A. : Le ó long initial du verbe est en accord avec les anciennes éditions et impressions du Seigneur des Anneaux. Dans les impressions plus récentes, l’accent a disparu – très probablement par inadvertance selon Douglas Anderson (par communication privée) {cette erreur se retrouve également dans la version française. Elle fut, comme beaucoup d’autres, rectifiée dans l’édition du 50ème anniversaire qui fut publiée un an après cet article, en 2004}.
13) N.d.T. : Cf. aussi les propres informations de Tolkien concernant ce verbe (PE 17, p. 42) : « echant, façonna et fit, littéralement « façonna hors de » < et-kantē, passé de et-kat- « façonner hors de, former », s. echad-.
14) N.d.T. : Cf. aussi les propres informations de Tolkien concernant ce verbe (PE 17, p. 43) : « teithant, tekta-nt, traça, écrivit.
 
langues/langues_elfiques/noldorin/passe_noldorin_etymologies.txt · Dernière modification: 08/07/2021 15:28 par Elendil
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