Hobbitique

« Or, l’idiome du Comté avait ceci de particulier que les formes « polies » étaient sortis de l’usage courant. On ne les entendait plus que chez les villageois, en particulier dans le Quartier Ouest, pour qui elles avaient valeur hypocoristique. C’est là un point qui revenait souvent, quand les gens du Gondor évoquaient la tournure étrange du parler des Hobbits. »1)
Le Seigneur des Anneaux — Appendice F — II. De la traduction

Aragorn et les Hobbits (© John Howe)

Si l’on se fie à la Lettre nº 25, « La langue des hobbits était remarquablement semblable à l’anglais, comme on pourrait s’y attendre […] Leurs noms de famille demeurent pour la plupart aussi connus et justement respectés dans cette île [la Grande-Bretagne] qu’ils l’étaient à Hobbitebourg et Lézeau. »2) On pourrait alors se demander en quoi consiste réellement le « hobbitique » s’il était si proche de l’anglais moderne et s’étonner qu’ait existé une telle langue à une époque supposée préhistorique. Il ne s’agit toutefois que d’une apparence, ainsi que Tolkien le précise dans la Lettre nº 217 :

« Que les Hobbits aient en fait parlé une langue ancienne qui leur était propre est bien sûr une assertion pseudo-historique rendue nécessaire par la nature du conte. Je pourrait fournir ou inventer la forme que prennent dans la langue hobbite originelle tous les noms apparaissant en anglais, comme Baggins [Sacquet] ou Shire [Comté], mais cela n’aurait guère de sens. »3)

Il faut donc distinguer la véritable langue des Hobbits, dont quelques exemples sont donnés dans l’Appendice F du SdA des formes qu’a employées Tolkien dans le fil de la narration pour représenter celle-ci. De même, lorsque l’étymologie des noms spécifiques au hobbitique était considérée, Tolkien fit souvent appel au vieil anglais pour représenter la langue des Rohirrim, apparentée à l’occidentalien, mais de structure plus archaïque. Ainsi, lorsqu’il est dit que « Hobbit apparaît être une “corruption” ou un abrégement de l’ancien holbytla “habitant d’un trou” »4), nom par lequel ils étaient connus dans les légendes du Rohan, il ne s’agit que d’une étymologie fictionnelle employant le vieil anglais pour expliquer le nom hobbit. Comme le précise Tolkien dans l’Appendice F :

« Hobbit est une invention. En occidentalien, le mot employé, lorsque l’on faisait même mention de ce peuple, était banakil “semi-homme”. Mais à cette époque, les gens de la Comté et de Bree usaient du mot kuduk, inconnu ailleurs. Cependant, Meriadoc rapporte que le Roi de Rohan utilisait en pratique le mot kûd-dûkan “habitant d’un trou”. Puisque les Hobbits avaient jadis parlé une langue étroitement apparentée à celle des Rohirrim, comme on l’a noté, il semble probable que kuduk ait été une forme corrompue de kûd-dûkan. Comme je l’ai expliqué, j’ai traduit ce dernier par holbytla ; et hobbit constitue un mot qui pourrait bien être une forme corrompue de holbytla si ce nom avait existé dans notre ancienne langue. »5)

La majorité des Hobbits croit désormais que leur peuple parlait à l’origine une langue qui lui était propre, une opinion renforcée par leur dégoût croissant envers les Hommes et par le fait qu’ils parlent désormais une langue à part, quoiqu’il semble simplement s’agir du dernier descendant survivant de l’ancien parler commun6). Toutefois, comme les plus érudits d’entre les Hobbits le reconnaissent, il n’existe aucune trace d’une langue propre à leur peuple : « Aux jours anciens, ils semblent avoir toujours employé les langues des Hommes près desquels ou parmi lesquels ils vivaient. »7) Lorsque les Hobbits vivaient dans la haute vallée de l’Anduin à proximité des Champs d’Iris, il semble qu’ils aient parlé une langue très proche du parler ancestral des Rohirrim, lui-même apparenté aux langues de Dale et des Beornides du Val d’Anduin. Par la suite, quand les Hobbits passèrent en Eriador à cause de l’ombre tombée sur Vertbois-le-Grand, ils adoptèrent bientôt l’occidentalien, lui-même un lointain parent de leur ancienne langue. Les Forts qui émigrèrent dans l’Angle entre Mitheithel et Bruinen adoptèrent un temps une langue apparentée au dunlandais avant de revenir à l’occidentalien lorsqu’ils partirent s’établir dans la Comté. La langue ancestrale des Hobbits tombait déjà dans l’oubli lorsque la majorité d’entre eux s’établit à Bree et que certains des Forts décident de retourner en Rhovanion.8) C’est à cette même époque que les Hobbits apprirent l’art de l’écriture, adoptant les usages des Dúnedain9), bien que les habitants les plus rustiques de la Comté considérassent toujours cette science avec suspicion à l’époque de la guerre de l’Anneau, quelques 1 700 ans plus tard10).

Bilbo (© John Howe)

Le dialecte du parler commun que parlaient les Hobbits était généralement considéré comme relâché et rustique, par comparaison avec la langue parlée au Gondor ou par les Elfes11). La principale particularité grammaticale du hobbitique tenait au fait que la différence (indépendante du nombre) que faisait l’occidentalien entre les formes familières et respectueuses des pronoms à la deuxième personne n’existait presque plus dans la langue quotidienne. Chez les Hobbits, les formes respectueuses avaient disparu de la langue parlée et seuls les villageois du Quartier Ouest les conservaient en tant que termes affectueux12). Bon nombre des mots spécifiques à la langue hobbite de la fin du Troisième Âge étaient des résidus de leur parler ancestral, comme kast, apparenté au rohanais kastu (rendu par mathom dans le texte du SdA, de l’ancien anglais máthm13) ou máthum « trésor, riche présent »14)). Bien que de nombreux toponymes aient partagé la même origine, un certain nombre étaient parfaitement compréhensibles en occidentalien, comme le nom que les Hobbits donnaient au Baranduin, Branda-nîn « Eau frontalière », également surnommé Bralda-hîm « Bière enivrante » du fait de sa couleur15).

Les noms propres étaient un domaine où l’usage hobbit se distinguait nettement de celui des autres Peuples libres. En effet, ils semblent avoir été les seuls à employer de véritables noms de famille, une tradition qui s’était établie « quelques siècles » avant la guerre de l’Anneau et était probablement liée à leur passion pour la généalogie. Pour la plupart, ces noms étaient transparents en occidentalien. Ainsi Hlothram « Chaumine » semble avoir été une simple adaptation du w. hlothram(a) « habitant d’une chaumière ». Il subsistait toutefois quelques noms dont la signification s’était perdue, comme Tûk (dont les adaptations phonétiques ont donné Took en anglais et Touque selon la traduction française) ou Bophîn (idem : angl. Boffin, fr. Bophin). La plupart des prénoms masculins, comme Bilba (Bilbo dans le SdA, car la terminaison –a était masculine, tandis que –o et –e étaient féminins chez les Hobbits), et un certain nombre de prénoms féminins étaient dénués de toute signification, mais la majorité des hobbites portaient habituellement un nom de fleur ou de pierre précieuse. Dans certaines familles, il était fréquent d’attribuer aux enfants d’anciens surnoms sortis de l’usage courant, comme Banazîr « demi-sage, simple d’esprit », rendu en anglais par Samwise (fr. Samsagace), dérivé du v. angl. samwîs. Quelques vieilles familles, surtout d’origine Pâle, comme les Touque et les Bolger, avaient coutume d’employer des noms plus nobles, dont la signification s’était entièrement perdue, qui étaient « tirés des légendes du passé des Hommes aussi bien que des Hobbits », mais rarement d’origine elfique16). La signification de Maura « Frodo » avait ainsi été oubliée depuis longtemps, mais il existait en rohanais un adjectif †maur-, signifiant « sage, expérimenté »17). Les habitants du Pays de Bouc et du Maresque avaient des noms spécifiques, de sonorité étrange, hérités du dialecte dunlandais que parlaient les Forts de l’Angle. Tel était le véritable nom de Merry, Kalimac, dont l’abréviation Kali avait aussi la signification « joyeux, gai » en occidentalien18).

Bien que les explications concernant l’origine et le développement du parler des Hobbits semblent avoir été fixées dès les premiers brouillons de l’Appendice sur les langues, les formes hobbitiques réelles de certains mots ont souvent été révisées à plusieurs reprises. Avant d’arriver à la forme définitive kuduk, Tolkien imaginait initialement que le nom par lequel se désignaient les Hobbits était kubud, dérivé d’un mot occidentalien archaïque kubud(u)r « habitant d’un trou », apparenté au rohanais kugbadru. Ces formes furent ensuite modifiées, le mot hobbitique devenant cubut pl. cubudil, dérivé du w. cubadul, le terme employé par Théoden étant cugbadul19).

Lors d’une nouvelle réécriture, le hobbitique donna cūbug, pl. [cūgacūbugen →] cūbugin « habitant d’un trou », la forme rohanaise équivalente étant [cūgbagul →] cūgbagu, considéré comme ancêtre direct du terme hobbit, par l’intermédiaire de la forme [cūbugl →] cūbug(u). Ce dernier nom était aussi supposé être le dernier terme survivant de la langue hobbite originelle selon certains historiens de la Comté, une hypothèse récusée par la linguistique20), que Tolkien ne conserva d’ailleurs pas dans la version finale de l’Appendice E. Les brouillons de cet appendice fournissent aussi des explications alternatives pour la rivière Brandevin21) et d’autres noms propres, comme celui de Merry22), de Pippin23), de Sam24), des familles Gamegie et Chaumine25), etc.

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Introduction au hobbitique

Le hobbitique

Lire l’article « Le hobbitique »  Article de synthèse  Article de synthèse  Article de synthèse David Giraudeau — Septembre 2005
Cet article présente le dialecte des Hobbits, le hobbitique, et détaille les particularités du calendrier, des noms de famille et des toponymes de la Comté. À l’époque de l’écriture du Seigneur des Anneaux, Tolkien imagina d’abord les Hobbits comme parlant une langue propre, différente du parler commun, une sorte de « hobbitique ».
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Analyse de noms, termes et expressions en hobbitique

Les noms de mois dans la Comté

Lire l’article « Les noms de mois dans la Comté »  Note de lecture  Note de lecture  Note de lecture Arden R. Smith — Juin 1997
Yule est un terme apparenté au mot scandinave pour Noël, jul, la forme islandaise étant jól. Le mot est à l’origine associé à la période scandinave de festins entourant le solstice d’hiver. Yule est toujours utilisé en anglais, mais son usage est principalement archaïque et poétique.
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Bombadil dans la Comté

Lire l’article « Bombadil dans la Comté »  Article de synthèse  Article de synthèse Andreas Möhn — Novembre 2000
On oublie souvent que le poème « Bombadil en bateau » [angl. « Bombadil goes boating »] des Aventures de Tom Bombadil nous donne de nombreux détails géographiques sur la Vieille Forêt et la Comté. Examinons les étapes du voyage à la rame de Tom.
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Mots et motifs : « Il y a des fées au fond de notre jardin ! »

Lire l’article « Mots et motifs : “Il y a des fées au fond de notre jardin !” »  Article théorique  Article théorique  Article théorique  Article théorique Carl Hostetter et Patrick Wynne — Novembre 1993
Alors que la Compagnie de l’Anneau se prépare à descendre l’Anduin depuis la Lothlórien, ils rejoignent Galadriel et Celeborn sur un appontement au confluent du Cours d’Argent et du Grand Fleuve pour un banquet de départ « à la dernière pointe d’Egladil sur l’herbe verte ». Après le repas, le Seigneur et la Dame des Galadhrim présentent à chacun des membres de la Communauté un présent en souvenir du Bois Doré. Lorsque Galadriel s’adresse à Samsagace, elle lui dit : « Pour vous, petit jardinier et amateur d’arbres, […] je n’ai qu’un petit cadeau. »
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Blason

1) Version originale : « It was, however, one of the peculiarities of Shire-usage that the deferential forms had gone out of colloquial use. They lingered only among the villagers, especially of the Westfarthing, who used them as endearments. This was one of the things referred to when people of Gondor spoke of the strangeness of Hobbit-speech. »
2) Version originale : « The language of hobbits was remarkably like English, as one would expect […] Their family names remain for the most part as well known and justly respected in this island as they were in Hobbiton and Bywater. »
3) Version originale : « That the Hobbits actually spoke an ancient language of their own is of course a pseudo-historical assertion made necessary by the nature of the narrative. I could provide or invent the original Hobbit language form of all the names that appear in English, like Baggins or Shire, but this would be quite pointless. »
4) Version originale : « Hobbit appears to be a ‘corruption’ or shortening of older holbytla ‘hole dweller’. » PM, p. 10 ; cf. SdA App. F (i).
5) Version originale : « Hobbit is an invention. In the Westron the word used, when this people was referred to at all, was banakil ‘halfling’. But at this date the folk of the Shire and of Bree used the work kuduk, which was not found elsewhere. Meriadoc, however, actually records that the King of Rohan used the word kûd-dûkan ‘hole-dweller’. Since, as has been noted, the Hobbits had once spoken a language closely related to that of the Rohirrim, it seems likely that kuduk was a worn-down form of kûd-dûkan. The latter I have translated, for reasons explained, by holbytla; and hobbit provides a word that might well be a worn-down form of holbytla, if that name had occurred in our own ancient language. »
6) PM, p. 37-38
7) Version originale : « In ancient days they seem always to have used the languages of Men near whom, or among whom, they lived. » SdA, App. F (i) ; cf. Prologue (1).
8) SdA, App. F (i) ; cf. PM, p. 10, 37-38, 57, 311.
9) SdA, Prologue (1).
10) SdA, livre I chap. 1 ; cf. App. B
11) , 16) SdA, App. F
12) , 13) , 15) , 18) SdA, App. F (ii).
14) PM, p. 39
17) PM, p. 50
19) PM, p. 59 n. 31
20) PM, p. 49-50, 59 n. 31
21) PM, p. 39-40, 72
22) PM, p. 50, 59 n. 34
23) PM, p. 59 n. 35
24) PM, p. 51, 59 n. 36
25) PM, p. 48-49, 59 n. 30
 
langues/langues_humaines/hobbitique.txt · Dernière modification: 10/02/2024 14:53 par Loye Othelorn
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