L’origine des Rohirrim

Elisa Bes — 2008

Introduction

L’histoire des Hommes de la terre du Milieu est plus difficile à reconstituer que celle des Elfes. Pour ces deux peuples, la grande majorité des récits a été conservée dans l’Ouest, et centrée sur l’Ouest : annales du Beleriand, puis de Númenor, rapportées en Terre du Milieu par les Númenoréens, et conservés en Arnor et au Gondor, récits gardés à Fondcombe et en Lorien. On sait peu de choses sur les Moriquendi car les Eldar s’y intéressèrent peu. Le problème est le même pour les hommes qui n’allèrent pas au Beleriand au Premier Âge et ne furent donc pas comptés parmi les Edain (ou Atani) : leur histoire est restée une tradition orale, peu connue des Edain eux-mêmes et des Eldar. En effet, ces derniers s’intéressèrent uniquement aux Edain qui avec qui ils avaient été en contact, et qui s’étaient battus pour leurs seigneurs durant les guerres contre Morgoth.

En conséquence, il est assez difficile de retracer la chronologie des peuplades humaines restées ancrées à l’est des Montagnes Bleues. Par intérêt personnel pour le peuple des Rohirrim, et parce que j’ai toujours regretté que les « hommes moindres » aussi bien que les Moriquendi soient oubliés des récits de gloire et des chansons, j’ai tenté de me pencher sur la question.

Le but de cette synthèse est d’essayer de reconstituer, malgré les vides historiques, une trame chronologique menant des premiers hommes de Hildorien aux Rohirrim du Troisième Âge, et à leurs cousins non Edain, dispersés un peu partout en Terre du Milieu au Troisième Âge. Bien entendu, cette synthèse ne prétend pas à l’exhaustivité, et pourrait être complétée par la lecture des HoME qui traitent des brouillons du Seigneur des Anneaux, et d’autres pièces inédites, diffusée par des canaux plus « spécialisés ». J’ai personnellement basé ma recherche sur des supports facilement accessibles sur le marché, à savoir : le Seigneur des Anneaux, les Contes et légendes inachevées (Troisième Âge) et les HoME X (Morgoth’s Ring) et XII (The Peoples of Middle-Earth). Les notes indiquent les pages de référence, avec le chapitre quand il s’agit d’un livre traduit où la numérotation varie en fonction des éditions, sans les chapitres quand il s’agit des HoME pour lesquels j’ai pris l’édition HarperCollins comme référence (les HoME n’avaient pas encore été traduites en français à l’époque de la rédaction du présent article, d’où peu de risques de confusion). Cette quantité limitée de sources sur les Rohirrim (contrairement aux sources sur les Elfes, où la matière abonde positivement), facilite la synthèse mais occasionne de grands « trous » dans la frise chronologique.

Avertissement : deux cartes axées sur les migrations accompagnent cet article. Elles reproduisent des extraits de l’Atlas de la Terre du Milieu de Karen Fonstad (HarperCollins) et de la Carte de la Terre du Milieu par John Howe (idem). Par souci de ne pas multiplier les emprunts non autorisés de cartes publiées, je n’en ai par fourni d’autres. Il est donc fortement recommandé de se munir d’un jeu de cartes de différentes époques pour faciliter la lecture. Avoir des cartes du Premier Âge est facultatif. En revanche, le lecteur pourra se reporter fréquemment aux cartes du Seigneur des Anneaux telles qu’on les trouve dans les livres de n’importe quelle édition. La carte dessinée par John Howe est d’une grande aide, car elle permet d’avoir toute la Terre du Milieu au Troisième Âge sous les yeux. Cependant, elle n’est pas précise au point de mentionner tous les lieux cités dans cet article (par exemple, Framsburg au confluent de la Greylin et de la Langwell). Pour une plus grande précision, se reporter à l’atlas de la Terre du milieu de Karen Wynn Fonstad.

Les Jours Anciens

Les Hommes s’éveillèrent à Hildorien dans l’Est, au premier lever du soleil (voir carte page, infra). À ce moment, les Noldor étaient déjà fraîchement revenus en Terre du Milieu, au premier passage de la lune. D’après l’atlas de Karen Wynn Fonstad1), Hildorien serait une zone proche de l’antique Cuiviénen, située entre le rivage est de la mer de Helcar et celui de la Mer de l’Est.2)

Cette période d’éveil reste très obscure, car les récits du Premier Âge s’intéressent principalement aux actions des Elfes. Les migrations vers l’Ouest des premiers Hommes sont à peine décrites et survivent seulement à travers leurs propres traditions orales, car les chroniques dressées par les Elfes à leur sujet ne commencent qu’après leur arrivée au Beleriand. Or, les hommes parvenus à l’Ouest rentrent de fait dans la catégorie des Edain. On trouve un récit de cette époque reculée dans l'Athrabeth Finrod ah Andreth3). Ce récit est issu d’une ancienne tradition d’hommes recueillie par Adanel de la maison de Hador, parente d’Andreth.

Quand les premiers hommes s’éveillèrent à Hildorien, il y avait une voix (sans doute celle d’Eru) pour les guider au début, mais Morgoth vint parmi eux sous une forme agréable, et les séduisit, ils tombèrent sous son emprise et furent réduits en esclavage, tuant les quelques fidèles qui avaient écouté la première voix. Certains d’entre eux purent cependant s’échapper et fuirent vers l’Ouest, où ils pensaient trouver l’espoir et échapper à l’Ennemi. De ceux-ci on sait peu de choses car le conte d’Andreth dit seulement qu’ils arrivèrent à la fin de la Terre face aux rivages de la Mer, mais que l’Ennemi était devant eux.

Le voyage vers l’Ouest n’avait finalement fait que rapprocher encore plus directement ces hommes de Morgoth, en guerre contre les seigneurs Elfes du Beleriand. Mais comme ils étaient fidèles et vaillants ils s’allièrent à eux contre l’ennemi d’antan. Les Hommes qui entreprirent le voyage vers le Beleriand, furent appelés Edain, de la même façon que les Elfes qui ont pris la Grande Marche sont appelés Eldar.4)

Mais il ne sera pas question ici de l’histoire de ceux qui atteignirent le Beleriand, largement détaillée dans le Silmarillion.

Quant aux hommes qui n’entreprirent pas du tout le voyage vers l’Ouest, il est possible d’imaginer qu’ils ont pu devenir ceux des « hommes moindres » ou des « mauvais hommes » qui se sont alliés à Morgoth au Premier Âge contre les Edain et les Elfes. Cependant les hommes nommés « Orientaux » des récits du Premier Âge ne peuvent pas être les mêmes que les « Easterlings » que l’on voit à la bataille des Champs du Pelennor. En effet, les peuples « orientaux » auxquels Bor et Ulfang appartiennent (au Premier Âge) ont traversé toute la Terre du Milieu, franchissant Vertbois, l’Anduin, les Monts Brumeux et enfin les Montagnes Bleues avant de venir au Beleriand. Les « Easterlings » du Seigneur des Anneaux proviennent des terres à l’est de Vertbois au Troisième Âge. Il n’est pas exclu que les deux peuples d’orientaux viennent d’une même souche, restée à l’Est pendant trois âges du monde, et ayant essaimé de façon inconnue pendant ce laps de temps.

Il est difficile de conjecturer sur les « mauvais hommes » (selon l’expression du Seigneur des Anneaux), cependant il semble clair qu’ils n’ont entrepris le voyage vers l’Ouest que largement après les Edain, et dans un but unique de conquête (les « cousins d’Edain », eux, s’étant égarés et arrêtés sur le chemin, à la manière des Sindar, branche telerine qui s’est « arrêtée en route »).

Les Haradrim, par exemple, pourraient être une peuplade qui aurait voyagé non pas vers l’ouest mais vers le sud, (il est impossible de savoir à quelle période). Il serait facile d’expliquer l’hostilité de ces Hommes envers les Edain5), par les conditions difficiles auxquelles ils ont du survivre sous la coupe de Morgoth dans l’Est. Dans le chapitre « Of Dwarves and Men »6), on trouve une confirmation de cette hypothèse. Il est question des luttes des hommes du Rhovanion avec non seulement les Orcs mais aussi de « mauvais hommes de race étrangère » :

« Car Sauron avait acquis la domination de nombreuses tribus sauvages dans l’Est, qui par le
passé avaient été corrompues par Morgoth, et les poussait à présent à chercher des terres et
du butin à l’Ouest. »7)

Qu’ils soient originaires de l’Est ou du Sud, ces hommes sont considérés comme des ennemis par les Númenoréens ou leurs descendants : c’est le cas des Haradrim, des Orientaux, des Gens des Chariots, des Variags de Khand.

Pour retrouver les ancêtres des Rohirrim, et probablement de la majorité des hommes d’origine non númenoréenne vivant en terre du Milieu au Troisième Âge, il faut s’intéresser à ceux des voyageurs du Premier Âge qui n’atteignirent pas le Beleriand. On ignore si le départ d’Hildorien se fit sous la forme d’une seule tribu qui se dispersa ensuite en plusieurs groupes, ou sous la forme de départs successifs de plusieurs tribus. Mais cela n’a pas d’importance dans la mesure où l’on sait que trois peuples distincts d’Hommes arrivèrent au Beleriand les uns après les autres, ce qui nous apprend qu’il y a bien eu séparation à un moment où à un autre. Il faut donc tenter de savoir à quel moment (ou plutôt à quel endroit) se séparèrent des trois Tribus les Hommes qui allaient peupler toutes les terres à l’est des Montagnes Bleues.

Sur le chemin qui mena les fugitifs de l’Est vers le Beleriand, on trouve une indication dans la note 13 de « The problem of Ros » de HoME XII8) : elle provient des légendes du peuple de Hador, conservées sans doute par tradition orale. Pendant sa migration vers l’Ouest, ce peuple aurait longtemps vécu près du rivage d’une mer trop large pour être traversée « qui n’avait pas de marées, mais était agitée de fortes tempêtes ». Il semblerait que celle-ci soit la mer de Rhûn, effectivement bordée au nord-est par des terres boisées, et au sud-ouest par des collines. Le fait qu’elle ait constitué un obstacle assez sérieux pour entraver la marche est assez étonnant, puisqu’il suffisait de la contourner par le nord, le Rhûn étant plus un vaste lac salé qu’une véritable mer. Pourtant Christopher Tolkien indique que les dimensions et la géographie sont en accord avec une carte publiée dans HoME VII. On peut se demander si dans l’esprit de Tolkien, à ce stade, la mer de Rhûn n’avait pas encore les dimensions de la mer de Helcar.9)

Quand ils eurent appris à fabriquer des bateaux pour traverser cette mer, ces hommes découvrirent qu’une partie de leur troupe, dont ils avaient été séparés en route, avait atteint cette mer avant eux. Ceci suggère l’idée d’un départ groupé sous la forme d’une seule tribu. Les hommes arrivés les premiers avaient vécu au pied de hautes collines au sud-ouest de la mer, alors que ceux du peuple de Hador s’étaient installés dans les terres boisées au nord-est. Les deux peuplades étaient alors séparées par deux cent miles par voie d’eau, et leurs langues avaient déjà divergé.

Avant cette découverte, les hommes du « deuxième groupe » ne savaient pas qu’une petite partie du grand peuple des hommes éveillés à l’Est, fuyant les serviteurs de Morgoth et partie vers l’Ouest pendant qu’eux-mêmes vivaient cachés dans les bois, avait déjà atteint le Beleriand sous la conduite de leur chef Beör longtemps avant eux.

La question est maintenant de savoir à quel moment se séparèrent les hommes qui devaient peupler le Rhovanion de ceux qui allaient continuer jusqu’à l’Eriador, puis passer dans le Beleriand en franchissant les Montagnes Bleues.

Le chapitre « Relations of the Longbeard Dwarves and Men »10) nous apprend que même si au début seul un petit nombre d’hommes avait atteint le Beleriand, leurs royaumes d’Eriador et de Rhovanion occupaient déjà certainement la plus grande part de ces terres. Tolkien rapporte que « les relations entre les Hommes et les Nains Barbes-Longues ont du commencer tôt »11).

Les Nains utilisaient les Hommes pour leur procurer des objets du quotidien et des denrées alimentaires qui demandaient une grande peine pour leur production, et les hommes les regardaient avec une certaine révérence. En échange, les Nains leurs fournissaient le produit de leur travail, surtout des objets issus de la forge et leur habileté en ce qu’on appellerait aujourd’hui le « génie civil » (construction de bâtiments, ponts et routes, travail de la mine).

Le même chapitre de HoME XII nous apprend que les Nains se sont unis avec des hommes apparentés au peuple de Hador pour lutter contre les invasions d’orcs livrés à eux-mêmes après la destruction d’Angband, au début du Second Âge. Le trajet de ces hommes apparentés à Hador est assez clairement décrit par le texte : ils étaient venus de l’Est jusqu’à être face à Vertbois et là, se divisèrent en plusieurs groupes. Grâce à cette indication, nous pouvons enfin faire le raccord avec la traversée (ou le contournement) de la mer de Rhûn du peuple de Hador, ayant fraîchement découvert des traces du passage de leurs cousins.

Le texte de « Relations of the Longbeard Dwarves and Men » indique les étapes suivantes du voyage de ces Hommes : certains atteignirent probablement l’Anduin et de là se dirigèrent vers le nord en remontant le Val d’Anduin, d’autres passèrent entre l’orée nord de la forêt et l’Ered Mithrim. Seulement une petite partie de ce peuple, déjà nombreux et divisé en plusieurs tribus, atteignit l’Eriador et passa les Montagnes Bleues pour arriver au Beleriand. La plus grande partie resta à l’est de ces monts et n’atteignit jamais la grande mer. On peut donc penser que tous les Hommes qui entreprirent le voyage vers l’Ouest (achevé ou non) étaient les descendants des peuples qui durant les âges sombres avaient résisté à Morgoth.

Quand le premier âge s’acheva avec la submersion du Beleriand, la plupart des Edain qui y survécurent s’embarquèrent pour Númenor, et les rares qui ne le firent pas retraversèrent les Montagnes Bleues pour rentrer en Eriador. A ce moment, les royaumes de leurs cousins restés en Terre du Milieu au premier âge étaient « soit en Eriador, certains établis, d’autres toujours errant, soit de l’autre côté des Monts Brumeux, qu’il ne franchirent jamais . Ils étaient dispersés dans les terres entre les Monts de Fer et la mer de Rhûn à l’est de Vertbois. Près des bordures de la forêt, au nord et à l’est beaucoup étaient déjà installés »12)

Figure 1 : Carte des migrations des Hommes au Premier Âge (extrait adapté de The Atlas of Middle-earth de Karen Wynn Fonstad, p. 4-5)

Le Deuxième Âge

Rappelons qu’au début du Deuxième Âge, les Hommes du Rhovanion s’étaient alliés avec les Nains pour défendre leurs villages contres les orcs issus de la chute d’Angband, sans maître et toujours aussi avides de butin. Les Nains habitaient alors les vallées est des Monts Brumeux, le long du Val d’Anduin et avaient fait de Khazad-dûm leur plus grande capitale. Mais ils vivaient aussi dans les Monts de Fer et les Ered Mithrim (Montagnes Grises). Les Hommes alliés aux Nains étaient pour la plupart apparentés au peuple de Hador, et avaient les cheveux blonds comme leurs ancêtres. Il s’agit de deux qui colonisèrent les abords de Vertbois et le Val d’Anduin comme il a été dit plus haut13).

En échange de la protection des Nains, et de leur habileté à la forge, les hommes servaient d’éclaireurs et surveillaient les mouvements de l’ennemi. Ils savaient apprivoiser bêtes et chevaux et étaient d’intrépides cavaliers. Nains et Hommes grandirent en bonne amitié. Les Nains utilisaient la langue de leurs alliés, adoptant des noms à la façon des hommes pour leur usage extérieur : Durin étant certainement un nom humain signifiant « roi »14).

La fin de l’alliance entre ces hommes et les Nains survint vers le milieu du Deuxième Âge, quand Sauron attaqua l’Eregion et que la Moria fut fermée. Les Hommes durent combattre non seulement les orcs de Sauron mais aussi des hordes d’hommes de l’Est. Quand la tempête fut passée, ils étaient dispersés et amoindris, vivant dans des cavernes et en bordure de Vertbois15).

Après ces évènements le fil de l’histoire des hommes de Rhovanion se perd : ils ne réapparaissent que dans les écrits qu’au Troisième Âge.

On a d’ailleurs peu de traces des Hommes vivant à l’est des Montagnes Bleues au Deuxième Âge dans les écrits de Tolkien : l’histoire de Tal Elmar, racontée dans HoME XII16) montre seulement l’arrivée de Númenoréens sur les côtes sud (probablement le delta de l’Anduin et le Longestrand selon Christopher Tolkien) et leur premier contact (fortement inamical) avec les autochtones, visiblement assez primitifs (entre autres ils ne possèdent pas d’arcs) et affectés par l’ombre de Sauron. Les Númenoréens les chassent sans merci en s’emparent de leurs terres. On retrouve aussi à cette époque l’énigme des hommes des Montagnes Blanches qui construisirent le Chemin des Morts et son temple souterrain, pour un culte « païen » probablement tourné vers la vénération de Morgoth ou Sauron, ou de puissances telluriques antérieures à l’arrivée des Valar sur Arda.

On ne sait donc pas grand-chose de l’évolution du peuple du Rhovanion pendant la fin du Second Âge. Mais il est dit dans HoME XII que, quand les premiers Númenoréens s’installèrent en terre du Milieu, fuyant la persécution dont les Fidèles étaient victimes, ils trouvèrent de nombreuses sortes d’Hommes en Eriador et au Rhovanion, la plupart vivant loin des côtes. Mais il s’écoula beaucoup de temps avant que les Númenoréens ne s’aventurent au nord de Perlargir pour prendre contact avec les hommes qui vivaient dans les vallées des deux versants des Montagnes Blanches. Ils trouvèrent aussi des hommes d’Eriador qui étaient amicaux envers les elfes de Gil Galad.

« À cette époque ils étaient nombreux en Eriador,
principalement apparentés au peuple de Beör, bien que certains fussent parents du peuple de
Hador. Ils vivaient autour du lac Evendim, sur les Hauts du Nord et les Collines du Temps et
dans les terres jusqu’au Brandevin, à l’est duquel ils s’aventuraient souvent, bien qu’ils n’y
vécussent pas […] et leurs ancêtres pourraient bien être des fugitifs parmi les Atani qui ne
quittèrent pas la Terre du Milieu à la ruine du Beleriand mais fuirent vers l’Est »17)

Le Troisième Âge et l’avènement des Northmen

Il semblerait que les hommes du Rhovanion et du Val d’Anduin aient eu le temps de reconstituer leurs forces après la première chute de Sauron, et se seraient de nouveau multipliés. On ne trouve pas de texte les mentionnant avant l’histoire de Vidugavia, le « roi du Rhovanion », mais en revanche, on peut deviner leur prospérité par les indications livrées sur les Hobbits. Ceux-ci vivaient aux abords de l’Anduin, visiblement en bonne intelligence avec des hommes de plus grande stature : « Mais il semblerait que les Hobbits aient en vérité aimé vivre avec, ou auprès de Grandes Gens amicales, qui, avec leur plus grande force, les protégeaient de nombreux dangers »18).

Les Hobbits sont bien des Hommes : « ils étaient sous presque tous aspects des hommes ordinaires, mais de très courte stature »19). Ils ne peuvent donc être issus que d’Hommes restés à l’est des Monts Brumeux au Premier Âge, puisque l’on sait qu’ils ne sont pas originaires d’Eriador (donc d’hommes ayant fait le voyage depuis l’Est jusqu’en Eriador dès le premier Âge).

Comme les Hobbits ont vécu très isolément dans la Comté, j’en déduis que les contacts amicaux avec les Hommes mentionnés plus haut se sont donc fait dans le premiers tiers du Troisième Âge alors qu’ils vivaient près de l’Anduin. Il est dit qu’ils n’entreprirent de passer les Monts Brumeux qu’à la suite de la multiplication des Hommes « sur leurs terres », et là encore, HoME XII20) nous apprend qu’il ne s’agissait pas de la population normale de cette région, mais des envahisseurs venus de l’Est. C’est aussi à cette époque qu’ils perçurent les ténèbres de Sauron tombant sur Vertbois. La chronologie des appendices du Seigneur des Anneaux21) situe cette période vers 1050 (comput de Gondor). Ce n’est que cinquante ans plus tard que les Istari découvrirent le pouvoir maléfique de Dol Guldur, que les Hobbits avaient sentis à l’aide de la simple sensibilité de cette race toujours proche de la terre où elle vit.

Le Seigneur des Anneaux nous confirme plus ou moins l’hypothèse que les Hobbits auraient vécu en compagnie d’Hommes au début du Troisième Âge. Lors de la rencontre de Théoden avec Merry et Pippin qui fument sur les ruines d’Orthanc, le roi de Rohan les interpelle ainsi : « Et voici que se tiennent devant mes yeux d’autres héros de légende. Ne sont-ce pas là des Semi-Hommes, que certains d’entre nous appellent Holbbytlan ? » et Pippin de rectifier « Hobbits s’il vous plait, seigneur », ce à quoi Théoden répond « Hobbits ? Votre langue a étrangement changé, mais le nom ne paraît pas inapproprié ainsi […] les miens sont venus du Nord il y a très longtemps. Mais je ne veux pas vous tromper, nous ne connaissons aucune histoire sur les Hobbits. Tout ce que l’on raconte chez nous, c’est que très loin au-delà de maintes collines et rivières, vivent les Semi-Hommes qui demeurent dans des trous dans les dunes de sable »22).

Théoden ne semble pas se souvenir d’aucune « histoire de Hobbits », mais s’il affirme que la langue des Hobbits a changé, c’est probablement parce qu’à une époque reculée, les hommes vivant dans le Rhovanion et les ancêtres des Hobbits de la Rivière aux Iris ont parlé plus ou moins la même langue. Le fait qu’il précise que cela fait longtemps que les Rohirrim ont quitté le Nord concorde assez bien : les ancêtres des Eothéod ont du rencontrer les Hobbits dans leur progression vers le nord (j’y inclus l’installation dans le Val d’Anduin), et leur séparation a duré depuis qu’Eorl a installé son peuple au Calenardhon.

Les Contes et Légendes Inachevés mentionnent les Eothéod comme « les derniers de ces Northmen qui avaient formé par le passé une populeuse et puissante confédération dans les vastes plaines qui se déploient entre la forêt de Mirkwood et la Rivière Courante (Rivière Vive dans le texte), grands éleveurs de chevaux et cavaliers réputés pour leur habileté et leur endurance, bien qu’ils se soient fixés en lisière de la forêt et plus particulièrement dans la Brèche Est qu’ils avaient eux même largement contribué à ouvrir par leurs défrichements »23).

L’étape qui suit chronologiquement mon hypothèse sur les relations des hommes du Rhovanion avec les Hobbits est celle des peuples du Rhovanion vivant en « puissante confédération ». Hélas la mention suivante sur les Northmen apparaît deux cent ans après le départ des Hobbits pour l’Eriador. Il est dit que sous le règne du roi Rómendacil II (1240-1304), les Northmen prospérèrent grâce à la paix maintenue par le Gondor (contre les envahisseurs de l’Est). Ils avaient la faveur des rois de Gondor, étant d’une race d’Hommes proche des Edain. Le roi leur octroya les terres au-delà de l’Anduin, au sud de Vertbois, pour qu’il la défendent contre les envahisseurs venus de l’Est. En effet, par le passé leurs attaques venaient principalement par la plaine entre la mer de Rhûn et les Monts Cendrés. Parfois, les Northmen n’étaient pas fidèles au Gondor, et certains d’entre eux se joignaient aux Orientaux, par cupidité ou à cause d’alliances entre leurs princes24).

À la suite de quoi Rómendacil fortifia la rive ouest de l’Anduin jusqu’au confluent de la Limeclair et bâtit l’Argonath. Mais comme il souhaitait renforcer les liens entre le Gondor et les Northmen, il en prit à son service et leur donna de hauts rangs dans son armée. En retour il envoya son fils Valacar parmi les gens de Vidugavia qui se faisait lui-même appeler le « roi du Rhovanion », et qui était en effet le plus puissant de leurs princes. Son royaume s’étendait entre Mirkwood et la Rivière Courante. Là-bas, Valacar épousa Vidumavi, fille de Vidugavia. Ce mariage causa bien des murmures au Gondor, mais Romendacil était obligé d’y consentir, sans quoi il aurait encouru l’inimité de Vidugavia. Les Gondoréens redoutaient la rupture dans la pureté du sang, bien qu’Eldacar, le fils de Valacar ne montrât aucun signe de vieillissement prématuré et fut aussi fort et vaillant que son père25).

À partir de ce point, la chronologie des mouvements des Northmen et de leurs descendants devient très facile à suivre, car l’appendice A du Seigneur des Anneaux raconte en détail l’évolution des relations du Gondor avec les Northmen26).

Peu après le mariage de son fils avec Vidumavi, Rómendacil le rappela au Gondor avec sa famille. Vidumavi adopta les usages du Gondor et se fit appeler Galadwen, leur fils Vinitharya prit définitivement le nom d’Eldacar. Valacar reçut de son père la couronne en 1366 mais sous son règne commença la Lutte Fratricide dont les graines avaient germé depuis son mariage. Cette rébellion mena plus tard à la destitution d’Eldacar, roi légitime au profit de l’usurpateur Castamir, prince du sang. Il est à noter c’est pendant la résistance d’Eldacar contre les usurpateurs à Osgiliath que la tour qui abritait le palantir de la ville fut détruite et que la que la pierre disparut dans le cours de l’Anduin. Mais Eldacar s’échappa et retourna au Rhovanion où non seulement son peuple de Northmen mais aussi certains Dunedain du Nord se joignirent à lui, par haine de Castamir. Malheureusement, l’usurpateur avait déjà fait assassiner Ornendil, fils d’Eldacar. Finalement, Eldacar put reprendre son trône et tuer Castamir. Les fils de l’usurpateur fuirent vers Umbar et les Gondoréens ennemis du roi vinrent s’y regrouper. De là naquit l’hostilité des corsaires d’Umbar à l’égard du Gondor.

Sous le règne de Telemnar, petit-fils d’Eldacar, s’abattit la Grande Peste, aussi bien sur le Gondor que sur le Rhovanion, faisant des ravages jusqu’en Eriador. Cette calamité, à laquelle s’ajoutèrent les rigueurs de l’Hiver Terrible décimèrent les gens de Rhovanion, tuant la moitié du peuple et de ses chevaux. Une centaine d’années plus tard survint la première invasion des Gens des Chariots. Le roi Narmacil II fit appel aux Northmen comme par le passé, et les rallia en chevauchant jusqu’à la moitié de Mirkwood. Mais il fut vaincu et ses troupes battirent en retraite jusqu’à Dagorlad, car seule l’Ithilien restait défendue. Le Gondor renonça à toutes les terres à l’est de l’Anduin, mais une note nous apprend que si l’armée ne fut pas entièrement défaite, ce fut grâce à Marhari, descendant de Vidugavia, qui commandait l’arrière-garde.

Après ces évènements, le Rhovanion, laissé sans défense par le Gondor, vit sa population se disperser. Certains traversèrent la Rivière Courante (Celduin) pour rejoindre Dale et Erebor (les peuples de ces villes étaient apparentés aux Northmen, précise le récit), d’autres partirent pour le Gondor. Marwhini, le fils de Marhari (qui fut tué au combat) mena une partie de son peuple dans le Val d’Anduin, passant entre la forêt et le fleuve (sans doute par le sud). Plus tard, d’autres fugitifs le rejoignirent en passant par la forêt. Cette migration marque le début de l’Eothéod (vers 1860). Le peuple s’installa dans la zone entre la Rivière aux Iris et le Carrock. Mais ceux des Northmen qui étaient restés à l’est de Mirkwood furent réduits en esclavage par les Gens des Chariots27).

Sous Narmacil II, Marwhini empêcha une invasion du Calenardhon, pourchassa les ennemis jusqu’au Dagorlad où la victoire fut écrasante. Comme le Gondor laissait les fugitifs à leur sort, les Eothéod les poursuivirent jusqu’au Rhovanion. Là, les esclaves Northmen s’étaient révoltés, mais la plupart avaient péri dans la tentative, et Marwhini dut retourner dans ses terres de l’Anduin. Il est dit que par la suite, les Northmen de sa race ne retrouvèrent plus jamais leur pays d’antan28).

Forthwini, fils de Marwhini s’illustra lors d’une autre invasion de Gens des Chariots en 1944, mais le Gondor subit de lourdes pertes et le roi Ondoher et ses deux fils Faramir et Artamir furent tués. Le royaume du Sud se retrouva sans héritier pour le trône et Arvedui, alors roi d’Arnor vint réclamer la couronne. Mais elle lui fut refusée et c’est Eärnil, le général victorieux qui prit la succession du roi. Il est dit dans les Contes et légendes inachevées que son fils Eärnur fut le dernier roi de Gondor avant le retour d’Aragorn Elessar29), mais la chronologie des rois du Seigneur des Anneaux intercale entre eux un Eärnil II dont le règne aurait commencé en 204330).

Figure 2 : Migrations des Northmen –> Eothéod –> Rohirrim (image tirée de la Carte de la Terre du Milieu illustrée par John Howe)

L’Eothéod

Nous n’avons pas d’autre mention sur le peuple des Northmen, jusqu’à ce que l’ombre de Dol Guldur se fasse ressentir de nouveau. À ce moment, Frumgar, le chef des Eothéod vivant dans le Val d’Anduin conduisit son peuple vers le Nord (1977), car ils se sentaient à l’étroit dans leur territoire, leur population augmentant. Ils avaient eu vent de la chute d’Angmar, et ne redoutaient plus les terres hantées du Nord. Chassant devant eux les autochtones qui habitaient les versants des Monts Brumeux, ils s’établirent au nord de Mirkwood, entre les montagnes et la Rivière de la Forêt, au sud jusqu’au confluent des rivières Greylin et Langwell31).

Je trouve personnellement assez surprenant que les Eothéod soient allés s’installer dans un territoire aussi exigu alors que les Contes et Légendes Inachevés expliquent leur migration par la croissance de leur population En effet, il pouvait difficilement s’étendre au-delà de l’Ered Mithrim, car au-delà était le Désert du Nord, terre peu accueillante, et accessoirement infestée de dragons. C’est dans les années qui suivirent leur établissement que Fram, fils de Frumgar tua Scatha le dragon de l’Ered Mithrim. En son honneur fut fondée Framsburg sur la Langwell32). Il est dit dans les appendices du Seigneur des Anneaux que grâce au trésor du dragon il devint riche. Mais refusant de le céder aux Nains qui le revendiquaient, il leur offrit les dents de Scatha montées en collier, les raillant pour leur cupidité. Par vengeance il fut tué par les Nains33).

De ce trésor fut rapporté en Calenardhon le cor d’argent qu’Eowyn offrit à Meriadoc34).

Le dernier évènement notable, avant la bataille des Champs du Celebrant où s’illustra Eorl le Jeune, répondant à l’appel du Gondor, est la soumission du meara Felaróf par Eorl. Ce cheval, capturé alors qu’il n’était qu’un poulain, avait été élevé par Léod, le père d’Eorl, mais nul n’osait le monter tant il était fougueux et rétif. Quand Léod l’enfourcha il s’emballa jusqu’à le jeter à terre et il mourut sur le coup. Ayant fait serment de venger son père, Eorl dompta le cheval et exigea comme prix du sang qu’il abandonne sa liberté jusqu’à sa mort. Il le nomma Felaróf et il lui fut toujours fidèle. C’est monté sur lui qu’il chevaucha à la bataille des Champs du Celebrant. Et ainsi firent tous ses descendants, ne se laissant monter que par le roi ou ses fils. Parmi les Eothéod, on pense que les mearas descendent de Nahar, l’étalon magique de Béma (Oromë), venu de Valinor35).

Le Rohan et la Marche

Avant d’enchaîner sur l’étape chronologique suivante, commençons par présenter les fiers Hommes qui furent pour moi l’origine de cette petite réflexion. Les Rohirrim, ou Seigneurs des Chevaux ont été connus sous ce nom après leur installation dans le Calenardhon, au Troisième Âge. Dans une lettre de 1954 à Naomi Mitchison Tolkien nous apprend que le mot « Rohirrim » est dérivé de « roch » (du quenya « rokko »), cheval, et de la racine elfique « kher »- « posséder ». Le sindarin « rochir » signifie « seigneur des chevaux », et « rochir-rim », « le peuple des seigneurs des chevaux ». Dans la prononciation du Gondor le « ch » (comme en allemand, en gallois, etc.) a été adouci en un « h » aspiré, comme dans « Rochann », « pays des chevaux » — Rohan . En effet, longtemps avant leur arrivée au Calenardhon, qui prit le nom de Rohan, les Hommes du Rhovanion étaient déjà « de grands dresseurs de bêtes » et très habiles à élever et à monter les chevaux. Là où l’herbe est grasse et abondante, comme en Calenardhon, les chevaux avaient tout pour devenir particulièrement beaux, rapides et intelligents. Mais dès le début de l’Eothéod, le peuple qui allait devenir les Rohirrim était composé de cavaliers réputés. Le mot « Eothéod » signifie lui-même « gens de cheval »36).

Voilà qui nous éclaire un peu sur le caractère de ce peuple. Retournons maintenant à notre chronologie.

(Le paragraphe qui suit provient entièrement de « Cirion et Eorl » des Contes et légendes inachevées.)

En 2510 le Gondor fut pris d’assaut et le Rhovanion fut envahi par les Balchoth venus de l’Est
qui dévalèrent le long des Terres Brunes et passèrent l’Anduin. De l’autre côté les Orcs
descendirent des Monts Brumeux et le Calenardhon tomba rapidement. Cirion, l’intendant de
Gondor appela Eorl à son secours, en souvenir de l’ancienne amitié de leurs peuples. Le
message fut lent à lui parvenir, car le Val d’Anduin n’était plus guère habité, et pendant ce
temps les ennemis avaient défait l’armée de Cirion sur le Wold, et les chassaient au nord,
entre la Limeclair et l’Anduin. Mais enfin arriva Eorl, chevauchant avec l’Eothéod, qui
repoussa les envahisseurs loin au sud de la Limeclair et les pourchassa jusque dans les plaines
du Calenardhon.
En récompense, et pour fortifier les liens entre le Gondor et l’Eothéod, Cirion offrit à Eorl le
Calenardhon, de l’Anduin à l’Isen et jusqu’aux Montagnes Blanches au sud. Ils prêtèrent
serment sur la tombe d’Elendil sur Halifirien et se promirent leur amitié en prenant Iluvatar à
témoin.
La province du Calenardhon prit alors au Gondor le nom de Rohan, la terre des seigneurs des
chevaux, et ses habitants furent nommés les Rohirrim. Mais eux-mêmes s’appelaient
Eorlingas, et baptisèrent leur nouvelle terre du nom de Marche ou Riddermark.

Après Eorl suivirent ensuite les rois de la Marche comme ils sont nommés dans l’appendice A Annales des rois et des seigneurs souverains, partie 2 La maison d’Eorl.

Première lignée
2485-2545 Eorl le Jeune
2512-2570 Brego
2544-2645 Aldor l’Ancien
2570-2659 Fréa
2594-2680 Fréawine
2619-2699 Goldwine
2644-2718 Déor
2666-2741 Gram
2691-2759 Helm
Deuxième lignée
2726-2798 Fréaláf Hildeson, neveu de Helm
2752-2842 Bryta Léofa
2780-2851 Folca
2830-2903 Folcwine
2870-2953 Fengel
2905-2980 Thengel
2948-3019 Théoden
Troisième lignée
2991-3084 Eomer Eadig, neveu de Théoden (par la sœur de celui-ci, Théodwyn)
?-? Elfwine le Blond, fils d’Eomer et de Lothíriel de Dol Amroth

Il est à noter que le mariage d’Eowyn (2995-?), sœur d’Eomer, avec Faramir, fils du dernier intendant du Gondor ouvre probablement une nouvelle lignée : celle des princes d’Emyn Arnen, province offerte par Aragorn à Eowyn et Faramir. Ce mariage, et le renouvellement des serments de Cirion et Eorl entre Aragorn et Eomer, scelle à nouveau les liens d’amitié entre Gondor et Rohan.

Figure 3 : Frise chronologique des évènements du Troisième Âge

Conclusion : des Middle-Men

Maintenant que l’on a pu retracer une chronologie à peu près suivie pour les Rohirrim et leurs ancêtres hommes de Rhovanion, reste la question des hommes vivant dispersés en Terre du Milieu au Troisième Âge. Que sait-on de leurs migrations, de leurs origines ? Sont-ils eux aussi issus des cousins des trois Maisons (Bëor, Hador et Haleth) qui ne parvinrent jamais au Beleriand ? On peut retrouver quelques traces à travers les textes traitant des « Middle-men ».

A l’arrivée des Númenoréens sur les côtes de la Terre du Milieu au Deuxième Âge, le terme « Middle-men » était appliqué aux hommes d’Eriador, le peuple d’hommes vivant le plus à l’ouest au Second Âge, et qui étaient connus des elfes du royaume de Gil Galad. HoME XII nous livre un passage intéressant :

“A ce moment, ils étaient nombreux en Eriador, principalement – à ce qu’il semble -

apparentés à l’origine au peuple de Bëor, bien que certains furent proches du peuple de Hador. Ils vivaient aux abords du lac Evendim, dans les Hauts du Nord et les Collines du Temps, et dans les terres intermédiaires jusqu’au Brandevin, à l’ouest duquel ils s’aventuraient souvent, bien qu’ils n’y habitassent pas[…] et certains de leurs ancêtres peuvent en effet avoir été des fugitifs des Atani qui ne quittèrent pas la Terre du Milieu [pour aller à Númenor], mais fuirent vers l’Est.”37)

Faramir, dans le refuge d’Henneth Annûn parle des Rohirrim comme « les fières gens du Nord, qui nous avaient souvent attaqués, hommes d’une ardente vaillance, mais qui avaient avec nous une certaine parenté […] nos maîtres en traditions disent qu’en fait ils ont avec nous cette affinité qu’ils viennent des trois maisons d’hommes qu’étaient les Númenoréens au début, peut être pas de Hador aux Cheveux d’Or, l’ami des elfes, mais de ses fils et sujets qui, refusant l’appel, ne traversèrent pas la mer vers l’Ouest »38).

En effet, les Rohirrim sont considérés par les Gondoriens comme des « Middle-men » c’est à dire moindres par rapport aux Númenoréens, mais amis et alliés.

« Par hommes du Milieu, Faramir désignait surtout les Rohirrim, le seul peuple de cette sorte
qui fût bien connu au Gondor à cette époque, et leur attribue réellement une descendance
directe du peuple de Hador au Premier Âge. C’était une croyance répandue à cette époque, et
elle était maintenue pour expliquer (pour ménager l’orgueil númenoréen) l’abandon d’une si
grande part du royaume en faveur du peuple d’Eorl »39).

Selon cette hypothèse, les Rohirrim seraient en fait des descendants d’Edain qui auraient vécu au Beleriand et refusèrent le départ vers Númenor, et non des hommes dispersés sur le chemin vers l’Ouest.

En fait parmi les « Middle-men » on peut compter les hommes d’Eriador, mais aussi ceux de Dale, les bûcherons de Vertbois, les Beorning, tous apparentés aux Rohirrim, sans doute car étant des « tribus » ou peuplades issues de la grande colonisation de Rhovanion au Premier Âge, et du redéploiement des Northmen après la défaite de Narmacil II. Les Hobbits et les hommes de Drûg d’où descend Ghân Buri Ghân font également partie de ces Middle Men. Selon HoME XII, « ainsi le terme númenoréen “homme du Milieu” avait une utilisation assez confuse. Le principal critère était la disposition amicale envers l’Ouest, mais en réalité il était souvent appliqué à des hommes dont la stature et l’apparence étaient similaires à celles de Númenoréens, bien que cette distinction de “disposition amicale” ne soit pas historiquement confinée à des peuples d’une seule appartenance raciale. Elle était la marque de tous les peuples d’Hommes descendants de ceux qui avaient rejeté l’ombre de Morgoth et avaient erré vers l’Ouest pour lui échapper – et incluait certainement aussi les races de petite stature comme les Drûg ou les Hobbits »40).

Les Númenoréens s’attirèrent l’inimité de plusieurs peuplades autochtones de la Terre du Milieu, notamment les habitants des terres boisées des côtes au sud de l’Ered Luin et particulièrement le Minhiriath, que les historiens reconnurent plus tard comme des restes du peuple de Haleth, à cause de la destruction des forêts pour la construction de leurs navires. Au Troisième Âge les descendants de ce peuple décimé étaient connus en Rohan sous le nom de Dunlendings41), et considérés par les hommes de Gondor (et les Rohirrim qui les chassèrent de leurs terres pour s’y établir) comme des Hommes Moindres. Ces Dunlending, d’après les appendices du Seigneur des Anneaux étaient apparentés aux Hommes Morts de Dunharrow, eux-mêmes appartenant aux peuplades des Montagnes Blanches. Par ailleurs, certains de ces Hommes des Montagnes Blanches vinrent se réfugier dans les vallons sud des Monts Brumeux (près du pays de Dun) pendant les Années Sombres et de là quelques uns avaient gagné les terres inhabitées des Hautes Brandes (c'est-à-dire Tyrn Gorthad, les Hauts des Galgals). Plus tard ils devinrent les hommes de Bree, parlant westron et reconnaissant le roi d’Arnor, donc considérés comme des Middle-Men42).

Face aux informations livrées par Faramir, il est difficile d’adopter une position tranchée, aussi bien sur les Rohirrim que sur les peuples de « Middle-Men » de la Terre du Milieu au Troisième Âge (Beornings, hommes de Dale, hommes de l’Eriador, etc.). Sont-ils de simples cousins des hommes des Trois Maisons qui ne seraient jamais parvenus au Beleriand mais auraient essaimé dans toute la Terre du Milieu ? (hypothèse 1) Sont-ils issus, au contraire, d’hommes des Trois Maisons qui auraient refusé l’appel vers Númenor ? (hypothèse 2)

La réponse la plus probable est « les deux ». Il parait impossible qu’il n’y ait pas eu brassage en Eriador entre les peuples installés sur place au Premier Âge (et qui y seraient restés de tout temps), et des débris des Trois Maisons, repassés à l’est des Montagnes Bleues après la submersion du Beleriand. Jusqu’où ces hommes « nobles » ont-ils émigré à l’est ? Nous ne le saurons probablement jamais. Sont-ils retournés au Rhovanion où ils ont retrouvé les descendants de leurs cousins, restés sur place depuis le Premier Âge ? Personnellement, il me semblerait plus logique que les Rohirrim soient issus de cousins de la maison de Hador restés au Rhovanion durant les trois Âges. En effet, leur chronologie est nettement tracée depuis le règne de Vidugavia et de la « grande confédération » du Rhovanion, qui s’étendait des berges de l’Anduin à l’est de Vertbois. Rien n’indique clairement (à part la croyance gondorienne destinée à ménager leur sensibilité) que les Northmen soient spécifiquement des Edain ayant refusé le voyage vers Númenor. Cependant, les deux hypothèses sont réalistes, et chacune mérite l’attention.

Quoi qu’il en soit, l’hypothèse 1 n’enlève rien à la noblesse de l’ascendance des Northmen (et des autres Middle-Men), puisque, selon celle-ci, ils descendent tout de même d’hommes ayant entrepris le voyage vers l’Ouest, et qui faisaient très probablement partie des suites de Bëor, Hador et Haleth.

On retrouve ici le même schéma que chez les Elfes : un vaste peuple part vers l’Ouest, trois peuplades y parviennent et sont bénies (par un séjour à Valinor/Númenor). Les troupes des égarés qui se perdent en route sont considérées comme moins nobles mais alliées et amies (les Sindar, Nandor, Laiquendi / Rohirrim, Beornings, hommes de Dale, hommes d’Eriador). Enfin, ceux qui n’ont pas entrepris le voyage sont considérés comme moindres (Moriquendi / Orientaux, Suderons, Gens des Chariots).

Remerciements

Je remercie… Anne Savigny et Agnès de Lil pour leur bêta-lecture aussi efficace que drôle. Jérôme Sainton pour son dessin, présenté en page de garde (et dont il ne se doutait pas qu’il finirait ainsi !). Rebeca Shütz et de nouveau Jérôme Sainton pour ce que l’on pourrait appeler une bêta-écoute de cet article (qui à l’époque était encore en travaux) en septembre 2005. Benjamin Babut, pour le prêt de son Index des HoME.

Quelques remerciements d’ordre moins sérieux pour… Van Morisson et les Chieftains pour avoir fourni la musique qui a aidé mes derniers efforts sur ce travail resté en chantier depuis trop longtemps.

Remerciements bien sincères à… Vous ! Lecteurs (j’espère ne pas utiliser indûment le pluriel) qui êtes arrivés jusqu’à ces remerciements, signe que vous avez lu jusqu’au bout, bravo !

Voir aussi sur Tolkiendil

1) The Atlas of Middle-Earth, p. 4–5, HarperCollins, edition “paperback” de 1994
2) The Atlas of Middle-Earth, p. 4–5
3) Morgoth’s Ring p. 345
4) The Peoples of Middle-Earth p. 306
5) Hostilité somme toute relative : qui est plus hostile entre un Númenoréen qui part en conquête et un Haradrimqui défend ses terres ?
6) , 15) The Peoples of Middle-Earth p. 305
7) “For Sauron had acquired dominion of many savage tribes in the East of old corrupted by Morgoth and now > urged them to seek land and booty in the West” The Peoples of Middle-Earth p. 305
8) The Peoples of Middle-Earth p. 373
9) Sur les correspondances Rhûn/Helcar, voir l’article de Didier Willis dans Façonnement d'un monde vol.2, “Du Beleriand aux confins de Rhûn”, p. 197-230
10) , 13) The Peoples of Middle-Earth p. 303
11) “There, dealings between Men and the Longbeards must soon have begun” HoME XII The People of Middle Earth p. 302
12) “Their laggard kindred were in Eriador, some settled, some still wandering, or else had never passed the Misty Mountains and were scattered in the lands between the Iron Hills and the Sea of Rhûn eastward and the Great Forest, in the borders of which, northward and eastward, many were already settled.” The Peoples of Middle-Earth p. 306
14) The Peoples of Middle-Earth p. 304
16) The Peoples of Middle-Earth p. 422–43
17) The Peoples of Middle-Earth p. 313
18) “ But it would seem that actually Hobbits had liked to live with or near to Big Folk of friendly kind, who with their greater strength protected them from many dangers.” The Peoples of Middle-Earth p. 310–311
19) “they were in nearly all respects normal men, but of very short stature”
20) The Peoples of Middle-Earth p. 311
21) Le Seigneur des Anneaux, app. B « Chronologie des Terres Anciennes », Le Troisième Âge, p. 1164 de l’édition compacte de Christian Bourgois
22) Le Seigneur des Anneaux, les Deux Tours, « La route de l’Isengard » p. 600 de l’édition compacte de Christian Bourgois
23) Contes et légendes inachevées, vol. 3 (Le Troisième Âge), « Cirion et Eörl et l’amitié du pays Gondor et du pays Rohan » p. 685 de l’édition Christian Bourgois
24) The Peoples of Middle-Earth p. 258–259
25) Le Seigneur des Anneaux, app. A.i « Annales des rois et des seigneurs souverains », §1 « Les rois Númenoréens », p. 1118 de l’édition compacte de Christian Bourgois
26) Le Seigneur des Anneaux, app. A « Annales des rois et des seigneurs souverains », p. 1117–1122 de l’édition compacte de Christian Bourgois
27) Contes et légendes inachevées, vol. 3 (Le Troisième Âge), « Cirion et Eörl et l’amitié du pays Gondor et du pays Rohan » p. 686 de l’édition Christian Bourgois
28) Contes et légendes inachevées, vol. 3 (Le Troisième Âge), « Cirion et Eörl et l’amitié du pays Gondor et du pays Rohan » p. 687 de l’édition Christian Bourgois
29) Contes et légendes inachevées, vol. 3 (Le Troisième Âge), « Cirion et Eörl et l’amitié du pays Gondor et du pays Rohan » p. 693 de l’édition Christian Bourgois
30) Le Seigneur des Anneaux, app. A « Annales des rois et des seigneurs souverains », p. 1110 de l’édition compacte de Christian Bourgois
31) Contes et légendes inachevées, vol. 3 (Le Troisième Âge), « Cirion et Eörl et l’amitié du pays Gondor et du pays Rohan », p. 693 de l’édition Christian Bourgois
32) Figurant sur la carte de Pauline Baynes
33) Le Seigneur des Anneaux, app. A, « Annales des rois et des seigneurs souverains », §2 « La maison d’ Eorl » p. 1138 de l’édition compacte de Christian Bourgois
34) Le Seigneur des Anneaux, le Retour du Roi, « Nombreuses Séparation » p. 1042 de l’édition compacte de Christian Bourgois
35) Le Seigneur des Anneaux, app. A, « Annales des rois et des seigneurs souverains » p. 1138–1139 de l’édition compacte de Christian Bourgois
36) Contes et légendes inachevées, vol. 3 (Le Troisième Âge), « Cirion et Eörl et l’amitié du pays Gondor et du pays Rohan » p. 710 de l’édition Christian Bourgois
37) “At that time there were many in Eriador, mainly it would seem in origin kin of the folk of Beör, thought some were kin of the folk of Hador. They dwelt about Lake Evendim, in the North downs and the Weather Hills and in the lands between as far as the Brandywine, west of which they often wandered thought they did not dwell there […] and some of their ancestors may indeed have been fugitives from the Atani who did not leave Middle Earth but fled eastward” The Peoples of Middle-Earth p. 313
38) Le Seigneur des Anneaux, les Deux Tours, « La fenêtre sur l’Ouest » p. 727–728 de l’édition compacte de Christian Bourgois
39) “With regard of Middle-Men, Faramir spoke mainly of the Rohirrim, the only people of this sort well-known in Gondor at this time, and attributed them actual direct descent from the folk of Hador in the First Age. This was a general belief in Gondor at this time, and that was held to explain (to the comfort of númenórean pride) the surrender of so large a part of the kingdom to the people of Eorl.” The Peoples of Middle-Earth p. 312
40) “Thus it comes that the numenorean term « middle » was confused in its application. Its chief tests was friendliness to the West, but it was actually applied usually to men whose stature and looks were similar to those of the numenorean although this distinction of friendliness was not historically confined to the people of one racial kind. It was a mark of all kinds of Men who were descendants of those who had abjured the shadow of Morgoth and wandered westward to escape it – and certainly included both of the races of small stature : Drûgs and Hobbits” The Peoples of Middle-Earth p. 313
41) The Peoples of Middle-Earth p. 329
42) Le Seigneur des Anneaux, appendice F « Langues et peuples du Troisième Âge » p. 1124 de l’édition compacte de Christian Bourgois
 
essais/peuples/origines_rohirrim.txt · Dernière modification: 25/04/2021 12:09 par Forfirith
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