Entre Hostie et Manne : Lembas ar Coimas

Didier Willis - 2002-2003
Article théoriqueArticles théoriques : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs.
Cet article prend ses origines dans des échanges entre plusieurs membres du forum JRRVF qui ont ici été compilés, repris et organisés sous une forme nouvelle. Outre le compilateur lui-même, sont intervenus dans ces discussions : Cathy, Cirdan, Lothiriel, Nikita, Silmo, Sosryko, Vinyamar — et probablement quelques autres intervenants dont les (sur)noms auront échappé à notre vigilance. La manière dont sont présentés les arguments relève de l’entière responsabilité du compilateur, ainsi que les éventuelles erreurs ou omissions.

Note liminaire

Tolkien ne cachait pas qu’il était catholique — ainsi, pour ne retenir ici qu’une citation, dans son interview pour la BBC Radio 4 en 1971, après qu’on lui eut demandé si Eru, l’Unique, représentait Dieu dans ses œuvres, il s’exclama, avec un enthousiasme notable1) : « Oh, je suis catholique. Un fervent catholique. »

Ses lecteurs comme ses commentateurs ultérieurs n’ont pas manqué de rechercher dans le Seigneur des Anneaux d’éventuelles allusions bibliques, quand bien même Tolkien les mettait en garde contre les interprétations simplistes et les allégories qu’il ne goûtait guère. Lorsqu’on lui suggéra que le personnage de Galadriel puisse contenir une imagerie inspirée par la Sainte Vierge, Tolkien ne rejeta pas l’idée et admit même explicitement que la comparaison puisse être possible, tout en la nuançant sérieusement et en précisant que Galadriel n’est pas une représentation de Marie, ni même une allusion volontaire2).

Lembas et hostie

Dans le même ordre d’idées, le lembas ou pain de route offert par Galadriel aux membres de la Compagnie de l’Anneau a suscité bien des rapprochements avec l’eucharistie chrétienne. Quelques années après la publication du Seigneur des Anneaux, Tolkien notait à ce sujet3) :

Un autre [critique] a vu dans le pain de route (lembas) = viaticum, et la référence au fait qu’il nourrit la volonté […] et est d’autant plus efficace lorsque l’on jeûne, un dérivé de l’Eucharistie. (C’est-à-dire : des choses bien plus importantes peuvent jouer dans notre esprit lorsqu’il s’occupe des choses secondaires du conte de fées.)

Sans s’opposer formellement à cette interprétation, sa précision — que de bien grands concepts viennent à l’esprit alors que l’on traite à la base de sujets aussi peu importants qu’un conte féerique — semble relever de la boutade amusée. On pourrait donc croire qu’il n’approuvait pas à la pertinence de ce rapprochement et ne lui accordait pas une bien grande valeur. Mais que penser cependant d’une telle lettre, où Tolkien enchaîne, immédiatement à la suite de cette mise au point, par un « Je suis en fait un Hobbit »4) qui ne manque pas d’humour ? De fait, cette lettre aurait pu donner l’occasion à Tolkien de rejeter l’analogie lembas vs. hostie ou de la reconnaître explicitement, mais il se contente simplement d’y relever l’opinion d’un critique du Seigneur des Anneaux, sans prendre véritablement parti.

Critiques et commentateurs n’en ont pas moins continué à opérer un rapprochement entre le lembas et l’hostie. On trouve ainsi de nombreux articles plus ou moins aboutis y faisant référence5). Il convient de rester circonspect devant le manque d’argumentation fouillée de certains de ces articles. Plus sérieusement, dans son essai « Le Seigneur des Anneaux : une vision catholique », Charles A. Coulombe insiste sur l’importance des Saints Sacrements pour Tolkien, catholique en pays anglican, et ajoute6) :

Ce dernier [= le Pain de Vie] trouve un écho dans le lembas, qui avait « un pouvoir qui s’accroissait quand les voyageurs s’en remettaient à lui seul, sans le mêler à d’autres aliments » et « nourrissait la volonté et donnait une force d’endurance » (livre VI, chapitre 3). C’est aussi une forte réminiscence de la vaste littérature relative aux miracles de l’Eucharistie, et d’individus comme St Lydwine, St Francis Borgia et Theresa Neumann, qui ne vivaient que par les Saints Sacrements.

Thomas Howard, professeur de littérature, converti au protestantisme évangélique, fut l’ami de C. S. Lewis et de Charles Williams, tous deux membres du cercle des Inklings auquel Tolkien appartenait. Interrogé, à la sortie de l’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux, sur la portée catholique du roman, il rappelle d’abord quelques analogies chrétiennes admises par Tolkien dans ses discussions avec Clyde Kilby ainsi que les réticences de l’auteur envers l’allégorie. Il aborde ensuite le thème du sacrifice7) :

La souffrance subie « à la place d’un autre » revêt une importance fondamentale dans la saga […]. Ceci préannonce les fondements de notre histoire, c’est à dire les souffrances de Notre Seigneur et celles des saints en faveur des pécheurs. […] Frodon n’est pas le Christ, ni Aragorn (le roi légitime et inconnu qui est sur le point de revenir). Galadriel, pour pure et aimable qu’elle puisse être, n’est pas une allégorie de la Vierge. Mais au bout du compte, on peut parler avec l’approbation de Tolkien de chef d’œuvre catholique. On pourrait mettre en post-scriptum le fait qu’aucun protestant n’aurait pu écrire cette saga car elle est profondément « sacramentelle ». En effet, le salut n’est atteint qu’au travers de moyens concrets et physiques (l’Incarnation, le Golgotha, la Résurrection et l’Ascension) ; l’histoire de Tolkien est parsemée d’objet « sacramentaux » : le lembas, l’athelas, la fiole de lumière de Galadriel, le mithril, etc.

L’analogie entre le lembas et les sacrements fait sens pour Coulombe, et Howard y voit une évocation des sacramentaux8) de la foi catholique. La relation, en dépit des réserves prudents de Tolkien, serait-elle justifiée ? Reprenons le dossier à sa base en repartant du texte, dont Coulombe a cité un passage et sur lequel tous ces commentateurs se basent9) :

Le lembas possédait une vertu sans laquelle ils se seraient depuis longtemps couchés pour mourir. […] Ce pain de voyage des Elfes avait cependant un pouvoir qui s’accroissait quand les voyageurs s’en remettaient à lui seul, sans le mêler à d’autres aliments. Il nourrissait la volonté et donnait une force d’endurance, ainsi qu’une maîtrise des nerfs et des membres dépassant celle des simples mortels.

Nous avons mis l’emphase sur plusieurs éléments du texte qui suscitent une discussion.

(1) Il est d’abord annoncé que le lembas possède un pouvoir, une vertu inhabituelle qui confère à ceux qui le mangent une force dépassant celle d’un simple mortel. Ses propriétés tiennent ainsi du surnaturel ; son effet a quelque chose de « magique », de transcendant.

(2) Par cette vertu, le lembas éloigne son consommateur de tout danger de mort. Toutes proportions gardées, il est tentant de rapprocher cette mention des paroles de Jésus dans l’Évangile :

Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ramènerai de la mort à la vie au dernier jour. Car ma chair est la vraie nourriture […] Celui qui mange ce pain vivra pour toujours. (Jean, 6, 54-58)

Ne faisons pas dire au texte ce qu’il ne dit pas : il y a évidemment un écart indéniable entre le salut apporté par le lembas à Frodon et Sam dans leur périple et la vie éternelle promise par la communion. Toutefois, l’histoire hagiographique de l’Église nous rapporte des témoignages d’hommes et de femmes qui ont miraculeusement survécu en se nourrissant exclusivement d’hostie. La tradition populaire qui découle de l’Évangile, ainsi que le notait Charles A. Coulombe, trouve un écho certain dans le lembas.

(3) Le lembas ne se mêle surtout pas avec d’autres aliments, mais se suffit à lui seul. Ce n’est pas un aliment ordinaire que l’on peut prendre à côté d’un autre repas. Il contient en lui la seule et vraie nourriture qui fait se passer des autres…

Voici le pain descendu du ciel : il n’est pas comme celui qu’ont mangé vos ancêtres, qui sont morts. (Jean, 6, 58)

Là encore, la comparaison a ses limites et appelle un bémol. Le lembas n’a pas le caractère divin de l’hostie, puisqu’il est fabriqué par les Elfes. Il n’empêche que l’analogie reste partiellement valable.

(4) Il ne nourrit pas seulement le corps mais aussi la volonté : il fournit une force morale et redonne l’espérance. De même que le véritable sens de la communion n’est pas de nourrir le corps mais l’esprit : « L’homme ne se nourrit pas seulement de pain… » nous disent aussi les Évangiles, même si les précautions sont toujours de mises (« … mais de la parole de Dieu » — ce qui ne trouve évidemment pas sa place dans le texte cité).

(5) Un peu plus tôt dans le roman10), une autre « propriété » du lembas est reprise par Sam, lorsqu’il évoque l’aversion qu’en ont les serviteurs de Sauron, ainsi que Gollum :

J’ai retrouvé mon sac à vivres dans un tas de chiffons par terre. Ils [= Les Orques de Cirith Ungol] y ont farfouillé, naturellement. Mais je pense qu’ils ont eu pour l’aspect même du lembas une aversion encore pire que celle de Gollum.

Ce comportement n’est pas sans rappeler les superstitions rattachées à l’hostie et à l’eau bénite11), qui repousseraient les vampires et les créatures du Malin. Ces superstitions dérivent sans doute, indirectement, d’un autre passage de l’Évangile :

C’est pourquoi, si quelqu’un mange le pain du Seigneur ou boit de sa coupe d’une façon indigne, il se rend coupable de péché envers le corps et le sang du Seigneur. […] C’est pour cette raison que beaucoup d’entre vous sont malades et faibles, et que plusieurs sont morts. (1Cor, 11, 27-30)

Les croyances populaires ont tôt fait d’entourer l’hostie d’une aura « magique », la considérant comme un véritable « objet » sacré par lui-même, en oubliant, comme aurait pu le dire Mircea Eliade, la dialectique de l’hiérophanie (« Un objet devient sacré tout en restant soi-même »12)). On peut en donner pour exemple la tradition qui consiste à communier directement avec la bouche (donc sans prendre l’hostie dans ses mains) qui n’a pas le sens qu’on lui confère ordinairement : l’hostie serait trop « sacrée » pour être touchée. Cette pratique est née plus prosaïquement d’une certaine dérive dans nos campagnes lointaines : les paysans ne mangeaient pas l’hostie mais la gardaient dans leur poche pour la donner à leurs bêtes malades en espérant qu’elles trouvent ainsi la guérison…

(6) Enfin, nous pouvons noter que le lembas fait fréquemment l’objet d’un partage entre Sam et Frodon. Par exemple13) :

Tout en mâchant du mieux que leur permettaient leurs bouches desséchées une gaufrette de lembas qu’ils avaient partagée, Frodon et Sam poursuivirent leur marche pénible.

Lembas partagé comme l’hostie l’est lors de la Consécration et de la Communion : ce nouveau rapprochement est sans aucun doute exagéré et bien au-delà de ce que le texte suggère. Mais il participe d’une accumulation de détails, qui, ainsi que nous l’avons vu, rend possible une identification partielle de lembas à l’hostie.

Quand bien même Tolkien n’aurait pas pensé consciemment à l’hostie lorsqu’il inventa le pain de route des Elfes, c’est tout un réseau de convergences qui se déploie dans le texte et qui justifie les analogies remarquées par ses commentateurs. Peut-on pour autant, en nous appuyant sur les citations étudiées ci-dessus, convenir avec eux que le lembas du Seigneur des Anneaux emprunte certains de ses traits à l’hostie ?

Pour avancer sur le sujet, nous disposons d’un autre texte, écrit plus tard par J. R. R. Tolkien et rarement utilisé par les critiques, qui n’en connaissaient pas toujours l’existence. Tolkien devait, en effet, revenir sur le lembas dans un bref essai intitulé « Du Lembas », appartenant aux « Enseignements de Pengolodh » et publié à titre posthume14). Ce texte apporte de nombreuses précisions sur la nature et la fabrication du lembas. Sa datation précise n’est pas aisée15), mais selon la date de sa rédaction, il se peut fort bien que Tolkien ait eu à l’esprit les remarques des critiques16) :

Lembas est son nom en sindarin, dérivant de la forme plus ancienne lenn-mbass « pain de route ». En quenya, il était le plus souvent nommé coimas, c’est-à-dire « pain de vie ».

Deux noms sont à présent donnés au pain elfique : c’est à la fois pain de route et un pain de vie. Mais pourquoi ces deux sens ? Parce que sa fabrication relève de deux objectifs17) :

Seuls les Eldar savaient faire cet aliment. Il était préparé pour le confort de ceux qui avaient à entreprendre un long voyage dans les terres sauvages, ou pour les blessures de ceux dont la vie était en péril. Ceux-là seulement étaient autorisés à l’utiliser. Les Eldar ne le donnaient pas aux Hommes, sauf à quelques-uns qu’ils aimaient, s’ils en avaient grand besoin.

La nouvelle dénomination, coimas, et la fonction de viatique conférée à ce pain que l’on donne aux voyageurs et que l’on administre aussi au seuil de la mort, comme à l’extrême-onction, seraient de nouveaux éléments à rapprocher du « Pain de la Vie Éternelle » qu’est l’hostie. Cependant, une nuance vient immédiatement en contrepoint : le lembas est par principe interdit aux hommes,18)

parce que les Eldar avaient reçu l’ordre de conserver ce don en leur seul pouvoir, et de ne pas le distribuer aux habitants des terres mortelles. Car il était dit que, si des mortels mangeaient souvent de ce pain, ils deviendraient las de leur mortalité et désireraient habiter parmi les Elfes et se languiraient des contrées d’Aman, où ils ne peuvent se rendre.

Dans le Silmarillion, Túrin Turambar s’est aussi vu offrir de ce pain de route par son ami Beleg, par faveur spéciale de Melian (voir infra, « Lembas et sacralisation », sur le rôle de la Reine) sans que son funeste destin en soit pour autant changé, ni qu’aucune grâce particulière ne lui soit accordée en conséquence.

Le lembas ne confère donc aucune sorte d’immortalité — mais, en revanche, en consommer en trop grande quantité ferait faussement espérer aux hommes une vie à l’égal de celle des Elfes et placerait dans leurs cœurs le désir de s’opposer à leur destin naturel, contre lequel ils ne peuvent aller : la mort, don d’Eru dans la cosmogonie tolkienienne. La consommation répétée de lembas par les mortels, loin d’être salvatrice, s’avère nocive. Assimiler pleinement le lembas à l’hostie, comme l’ont trop souvent fait les commentateurs, est donc un contresens.

Lembas et manne

Tolkien prend ainsi, dans ce texte, ses distances avec l’équation « lembas = hostie », qu’il serait vain de trop vouloir forcer. Mais le texte appelle un autre commentaire : tandis que l’hostie est à la base un simple pain, fait par la main de l’homme, et qui est ensuite (et seulement) investi de son sens lors de la Consécration, le lembas, préparé par les Elfes, découle d’une farine spéciale, provenant du pays béni d’Aman19) :

Car il était fait de graines céréalières spéciales que Yavanna faisait croître dans les champs d’Aman, et dont elle leur [= aux Elfes] en envoya quelques-unes par l’entremise d’Oromë pour leur venir en secours pendant leur longue marche.

Ce blé ou maïs transmis aux elfes par les Valar, puissances angéliques de la Terre du Milieu, posséde des propriétés telles qu’il peut résister aux intempéries et qu’il ne craint aucune corruption20) :

aucun ver ni aucun rongeur n’auraient pu toucher cette paille brillante, et ni la décomposition, ni la pourriture, ni les autres maux de la Terre du Milieu ne pouvaient l’affecter.

Nous sommes dès lors beaucoup plus proches de la manne miraculeuse de l’Ancien Testament, accordée par Dieu au peuple d’Israël lors de sa traversée du désert. Dans l’Exode, cette manne divine est « était blanche, et avait le goût d’une galette au miel » (Ex, 16, 31) ; dans les Nombres, elle est préparée en gâteaux ou galettes :

Le peuple se dispersait pour la ramasser ; il la broyait avec des meules, ou la pilait dans un mortier ; il la cuisait au pot, et en faisait des galettes. Elle avait le goût d’un gâteau à l’huile. (Nb, 11, 8)

Si, dans l’Exode, la manne est doublée de cailles envoyées par Dieu, elle se suffit néanmoins pour nourrir le peuple : dans la tradition plus dure et plus complexe des Nombres, où ceux qui s’adonnent à la fringale sont ensuite punis par Dieu, c’est uniquement la lassitude qui fera demander aux Hébreux de la viande, en simple complément à l’aliment miraculeux.

Hormis qu’elle tombe du ciel et se fige en rosée granuleuse « comme du givre sur le sol » (Ex, 16, 14), la nature de la manne n’est pas précisée :

Les enfants d’Israël regardèrent et ils se dirent l’un à l’autre : Qu’est-ce que cela ? car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : C’est le pain que L’Éternel vous donne pour nourriture. (Ex, 16, 15)
La maison d’Israël donna à cette nourriture le nom de manne. (Ex 16, 31)

« Qu’est-ce que cela ? » de l’Exode 15 correspond à l’interrogation « Mân hou ? » dans le texte hébreu, et c’est apparemment l’étymologie populaire avancée pour le mot « manne » (latin écclésiastique manna, hébreu man d’après le Petit Robert, 1971). Nous pourrions effectuer un nouveau rapprochement avec le texte « Du Lembas », dont le sous-titre elfique est « Mana i·Coimas Eldaron ? », soit « Qu’est-ce que le pain de vie des Elfes ? ». La ressemblance dans la formulation de la question, après tout ce que nous avons vu, n’est peut-être pas complètement anodine. On notera aussi la ressemblance, de manière probablement fortuite, entre « manne » et le pronom interrogatif elfique mana « what ? » — L’interrogatif ma- et ses dérivés apparaissaient déjà dans une ancienne grammaire qenya inédite conservée à l’université Marquette (donc un état de langue bien antérieur à la rédaction du Seigneur des Anneaux). Bien que la forme mana ne soit attesté que dans ce texte-ci, on peut parler de coïncidence, encore qu’il serait tentant d’y voir un jeu de mots.

Lembas et galette d’Élie

Le lembas, don des Puissances d’Arda comme l’est « le pain descendu du ciel », partage avec la manne son origine divine et sa capacité à suffire comme seule nourriture. La ressemblance ne saurait être poussée plus loin, mais il existe dans l’Ancien Testament une autre mention d’un aliment aux vertus énergétiques miraculeuses — ce qui n’était pas le cas de la manne envoyée par Dieu chaque matin. Il s’agit de la galette donnée au prophète Élie dans les Rois, durant la marche au terme de laquelle Dieu se révéla à lui :

3 Élie […] 4 alla dans le désert où, après une journée de marche, il s’assit sous un genêt, et demanda la mort, en disant, C’est assez ! Maintenant, Éternel, prends mon âme, car je ne suis pas meilleur que mes pères. 5 Il se coucha et s’endormit sous un genêt. Et voici, un ange le toucha, et lui dit, Lève-toi, mange. 6 Il regarda, et il y avait à son chevet un gâteau cuit sur des pierres chauffées et une cruche d’eau. Il mangea et but, puis se recoucha. 7 L’ange de l’Éternel vint une seconde fois, le toucha, et dit, Lève-toi, mange, car le chemin est trop long pour toi. 8 Il se leva, mangea et but ; et avec la force que lui donna cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à la montagne de Dieu, à Horeb. (1R, 19, 3–8)

Pour les Chrétiens, cette galette préfigure l’hostie — comme Élie préfigure lui-même le Christ et sa tentation de quarante jours dans le désert21). Or nous retrouvons là toutes les caractéristiques du lembas, et ce sans avoir à forcer le texte plus qu’il n’est nécessaire :

  • Un être extra-ordinaire en est le fournisseur : un ange dans la Bible ; un Elfe chez Tolkien, qui précise que seules les reines, comme Galadriel dans le Seigneur des Anneaux ont le pouvoir et le droit d’offrir le lembas.
  • Celui qui le reçoit est un serviteur (Élie/Frodon) qui doit faire un « long chemin », trop long pour ses propres forces.
  • Le lembas et la nourriture de l’ange se présentent comme un pain en forme de gâteau (la Bible de Jérusalem traduit aussi « galette cuite »). C’est le premier sens du mot elfique, lenn-mbas « pain de route » (journey-bread, way-bread) qui prime ici et qui aurait pu attirer l’attention des commentateurs et des critiques n’ayant vu dans le lembas qu’une image de l’hostie.
  • Ce pain de route est extraordinaire au point d’en être miraculeux : Élie marche 40 journées d’affilées. Le chiffre 40 dans la Bible ressort d’une intense préparation spirituelle, associée à l’extrême limite de l’épreuve physique (voir par exemple Ex 34, 28, Dt 9, 9–11, Mc 1, 13 sq.). Le parallèle entre la longue marche d’Élie et la longue marche de Frodon vers la Montagne du Destin s’en trouve renforcé, d’autant que cette nourriture miraculeuse donnée aux membres de la Compagnie de l’Anneau par Galadriel, et qui va être si importante pour Frodon, vient alors renforcer l’aspect christique de Frodon noté par d’autres commentateurs. Grâce au lembas, Frodon est rendu capable de dépasser ses limites physiques et spirituelles dans cette traversée du désert qui le conduit à la tentation ultime, dans les mains de Sauron, le Satan du Seigneur des Anneaux.22)

Lembas et sacralisation

Dans les Rois (1R 17, 11–13), un peu plus tôt pendant son périple, Élie, guidé par Dieu, se fait préparer une autre galette par une veuve qui l’héberge. Cette galette miraculeuse23) n’est certes pas celle de (1R, 19, 6) — mais c’était sans doute dans les attributions générales des femmes de préparer le pain et la nourriture.

Par ailleurs, il est dans les fonctions des Lévites servant le Temple de Yavhé de s’occuper des galettes sans levain :

Ils sont aussi chargés du pain à disposer en rangées, de la fleur de farine destinée à l’oblation, des galettes sans levain, de celles qui étaient préparées à la plaque ou sous forme de mixture… (1Ch, 23, 29)

Chez Tolkien, toujours en suivant « Du Lembas », le lembas, nourriture « sacrée » par sa provenance des terres bénies d’Aman, n’est préparé que par les Yavannildi, les jeunes filles initiées au secret de sa fabrication, et — pourrions nous-dire à leur titre — initiées aux mystères de Yavanna. Seule une reine, ou la plus noble des femmes elfiques d’une peuplade, en est alors dépositaire et décide seule à qui l’attribuer, raison pour laquelle on la nomme la Dame, ou la Donneuse de Pain24).

Il n’est évidemment pas utile ici de déifier Yavanna ou de supposer un quelconque culte aux Valar : comme Tolkien s’en explique ailleurs, les Valar ne sont au plus que des « archanges » intérmédiaires entre Eru et sa création. Mais il n’en reste pas moins vrai que Tolkien sacralise dans ce passage la fabrication du lembas. On touche presque à une forme de rituel ici, aux mains d’initiées seules dépositaires du savoir25) (cf. le prêtre-chamane chez Mircea Eliade). Les effets du lembas sont autres que la seule préparation à la grâce : il y a réellement une grâce accordée.

Lembas et symbolisme

Les arguments que nous avons assemblés dans cet essai témoignent, encore une fois, qu’il est difficile de trouver une analogie point-à-point entre le merveilleux tolkienien et un élément mythologique ou religieux donné. Il serait vain de suivre les commentateurs qui n’ont vu dans le lembas uniquement qu’un reflet de l’hostie — ou, ainsi que nous l’avons montré, de la manne, et plus encore de la galette d’Élie, qui contient bien plus de points communs avec le lembas que tout autre aliment dans la Bible.

Faut-il, dès lors, chercher une vérité dans les rapprochements effectués jusqu’ici ? Se peut-il, par exemple, que Tolkien ait consciemment pensé aux galettes d’Élie en inventant le lembas, introduisant volontairement de nombreux recoupements dans son roman ? Cela pourrait expliquer sa réticence à reconnaître l’analogie entre lembas et hostie perçue par ses commentateurs, sans lui attribuer une quelconque mauvaise foi : on pense plus facilement à l’hostie qu’au gâteau d’Élie, mais Tolkien n’aurait pas souhaité dévoiler ses sources et briser la magie du récit. Ou se peut-il qu’il y ait songé inconsciemment, et que mis devant le fait, il n’ait pas souhaité se rétracter — mais n’ait pas cherché non plus à abonder dans ce sens, jugeant le sujet blasphématoire ?

En fait, le problème doit être présenté autrement. Tolkien n’aurait probablement pas apprécié l’idée que le lembas puisse être simplement comparé à l’hostie. Ce qu’il disait de Gandalf dans ses lettres reste applicable ici26) :

Ainsi Gandalf a affronté la mort, et l’a subie ; et il est revenu, ou a été renvoyé, comme il le dit, avec un plus grand pouvoir. Mais bien que cela puisse rappeler les Évangiles, ce n’est en réalité pas du pareil. L’Incarnation de Dieu est chose infiniment plus grande que tout ce que je pourrais oser écrire. Ici, je ne m’intéresse qu’à la Mort en tant que partie de la nature, physique et spirituelle, de l’Homme, ainsi qu’à l’Espoir en l’absence de certitudes.

Le Seigneur des Anneaux ne saurait être une allégorie biblique, même si l’on ne doit pas se fermer à des inspirations catholiques. Le fait que Tolkien ne rejette pas la suggestion que le lembas puisse évoquer l’hostie, tout en restant silencieux — ou plutôt distant — devant l’idée, est peut-être davantage significatif. Pain de route, pain de vie, secret protégé des Elfes et viatique miraculeux : la symbolique du lembas se rattache finalement à ces « histoires humaines des elfes [qui] sont sans nul doute emplies de l’Evasion de l’Immortalité […] Peu de leçons y sont davantage enseignées que le fardeau de cette sorte d’immortalité ou plus exactement de cette vie de série assez interminable vers laquelle le « fugitif » voudrait s’enfuir » (Tolkien, Faërie). C’est alors plutôt sous l’angle d’un syncrétisme mythologique27) qu’il faudrait considérer la question, en écho avec les propos de Mircea Eliade28) reprenant L. Beirnaert :

[…] même si les images et le symbolisme du sacramentalisme chrétien ne renvoient pas le croyant « d’abord à des mythes et à des archétypes immanents, mais à l’intervention de la Puissance divine dans l’histoire, ce sens nouveau ne doit pas faire méconnaître la permanence du sens ancien. En reprenant les grandes figures et les symbolisations de l’homme religieux naturel, le christianisme a repris aussi leurs virtualités et leurs puissances sur la psyché profonde. La dimension mythique et archétypique, pour être désormais subordonnée à une autre, n’en reste pas moins réelle.

Au-delà de la simple — mais importante — analogie avec le gâteau d’Élie, l’hostie ou la manne, le lembas renvoie plus largement à un symbolisme antérieur, repris et réinterprété par la culture judéo-chrétienne. Tout en concédant que « c’est l’Image comme telle, en tant que faisceau de significations, qui est vraie, et non pas une seule de ses significations ou un seul de ses nombreux plans de référence » 29), nous pouvons nous pencher sur le symbolique, plus générale, du pain.

Suivant le Dictionnaire des symboles de Chevalier et Gheerbrant30), le pain est le symbole de nourriture essentielle (a contrario, le lembas n’a que des propriétés nutritives exceptionnelles). S’il est vrai que l’homme ne vit pas seulement de pain, c’est encore le nom de pain que l’on donne à sa nourriture spirituelle, ainsi qu’au Christ eucharistique, le pain de vie. C’est le pain sacré de la vie éternelle dont parle la liturgie (si coimas signifie aussi pain de vie, c’est essentiellement pour ses pouvoirs guérisseurs, à nuancer comme nous l’avons précedemment vu). Les pains de proposition des Hébreux n’avaient pas eux-mêmes une signification différente. Et le pain azyme — dont l’hostie est aujourd’hui composée — représente à la fois, dit Saint Martin, l’affliction de la privation, la préparation à la purification et la memoire des origines. Le pain — sous les espèces eucharistiques — se rapporte traditionnellement à la vie active, et le vin à la vie contemplative.

Miruvor et ambroisie

Evoquant le vin eucharistique, il serait logique, après ces longs développements sur le lembas, de nous pencher sur un autre élément du merveilleux tolkienien avec lequel il présente quelques similitudes : l’hydromel des Valar et des Elfes. Commençons par rappeler ce que Tolkien disait du miruvórë31) :

Si l’on en croit les Eldar, un mot dérivant de la langue des Valar ; le nom qu’ils donnaient à la boisson servie lors de leurs fêtes. Sa fabrication et le sens de son nom n’étaient pas connus avec précision, mais les Eldar pensaient qu’il était fabriqué à partir du miel des fleurs immortelles des jardins de Yavanna, bien qu’il eût été clair et translucide. [À comparer avec le nêktar des dieux de l’Olympe. Mais le rapport entre ce mot et ‘miel’ est principalement dû aux botanistes modernes (bien qu’Euripide emploie nêktar melissân ‘boisson divine des abeilles’ comme métaphore poétique pour ‘miel’). Une étymologie plus probable pour nêktar est ‘qui vainc la mort’ (cf. ambrosia ‘immortalité’, la nourriture des dieux)].

L’origine valarine (V. mirubhôzê-) est confirmée par The War of the Jewels32), sans plus de précision sur le sens, si ce n’est que mirub- signifie « vin ». Le miruvor, comme la farine servant à la fabrication du lembas, s’avère donc :

  • Venir du pays d’Aman — là-aussi par le biais de Yavanna — sa recette exacte restant secrète. Dans le Seigneur des Anneaux, Frodon et ses compagnons goûtent une liqueur elfique claire comme de l’eau33). Cette boisson, tonique et stimulante, n’est pas clairement nommée, mais plus tard, Gandalf dispose d’une fiole de miruvor ou « Cordial d’Imladris » que lui a donnée Elrond — Que le miruvórë soit par essence la boisson des Valar dans le chant de Galadriel n’empêche pas les Elfes d’Imladris d’avoir une liqueur semblable, aux propriétés similaires mais avec un degré moindre, en souvenir de celle qu’il ont pu boire en Aman.
  • Procéder, sans pour autant l’accorder, d’un rapport à l’immortalité.

Reprenons le Dictionnaire des symboles précédemment évoqué, et prolongeons la réflexion :

  • L’ambroisie, aliment d’immortalité, est, avec le nectar, un privilège de l’Olympe. Dieux, déesses et héros s’en nourrissent, ils vont jusqu’à en offrir à leurs chevaux. Ses qualités merveilleuses en font aussi un baume qui panse toute plaie, et appliqué sur le corps des morts protège ceux-ci de la corruption. Mais malheur à l’humain qui goûterait à l’ambroisie sans y être invité : il risque le châtiment de Tantale. Les dieux du Veda sont moins jaloux et le mortel qui goûte au soma (la sève, le miel d’immortalité) peut, par ce moyen, gagner le ciel : « on devient ce mystère, présent en toutes les créatures ». L’être devient ce qu’il consomme. Ce sens sera repris dans la mystique chrétienne : l’ambroisie devient l’eucharistie, le corps du dieu sauveur, « vrai pain des anges ». En revanche, l’ambroisie, dont les propriétés merveilleuses ne vont pas sans évoquer celles du lembas, est, comme ce dernier, interdite aux hommes. L’expression « supplice de Tantale » est passée en proverbe pour parler de l’état d’une personne qui voit sans cesse lui échapper ce qu’elle désire et croit l’avoir à sa portée : toutes proportions gardées (puisque le châtiment est ici imposé par les dieux à Tantale pour son insolence), la consommation excessive de lembas produit un effet similaire chez les mortels, chez qui elle provoque sans espoir de guérison une insatisfaction permanente vis-à-vis leur mortalité.
  • Chez les Celtes, l’hydromel est la boisson d’immortalité. Par opposition à la bière, qui est la boisson des guerriers, l’hydromel est, en mode celtique, la boisson des dieux de l’autre monde (ou des elfes).
  • Chez les anciens scandinaves, la boisson sacrée, qui était la bière, était cultivée, récoltée, préparée et servie uniquement par des femmes (appelées les déesses de la bière). Les hommes s’occupaient des autres boissons34). Nous avons déjà noté que la fabrication du lembas, chez les Elfes, est l’apanage des femmes, tandis que les hommes s’occupent de la nourriture quotidienne.
  • Le vin, très généralement associé au sang, tant par la couleur que par son caractère d’essence de la plante, est en conséquence le breuvage de vie ou d’immortalité (dans la Grèce ancienne le vin se substituait au sang de Dionysos, et figurait le breuvage d’immortalité). Mais il est aussi signe et symbole de joie (Psaumes 104, 15 ; Ecclésiaste 9, 7) autant que porteur d’ivresse (Jérémie 25, 15–17 et 27–28), et ce sont ces aspects que l’on retrouve plutôt dans le légendaire tolkienien (boisson préférée de Gandalf et des Elfes de la Forêt Noire, en la présence du « vin capiteux » de Dorwinion aussi mentionné dans les festins qui avaient lieu à la cour de Thingol).

En guise d’épilogue

En conclusion, il ne s’agirait surtout pas ici de comparer le miruvórë au vin eucharistique, sang du Christ, ni même de surenchérir sur les différents symboles résumés ci-dessus. Comme pour le lembas, les précautions sont de mises. Car au final, c’est à nouveau tout un réseau de symboles universels, entre le pain et le vin, qui viennent nuancer par petites touches le tableau que nous avons dressé.

Tolkien devait connaître la saveur et le sens de ce symbolisme d’immortalité, déjà présent dans les mythologies anciennes et que le christianisme a ensuite utilisé et élargi. « Je suis en fait un Hobbit », disait-il avec ce ton ironique, plein de modestie, qui lui est propre, après avoir commenté le rapide « lembas ~ hostie » d’un critique : c’est probablement qu’il avait dû être amusé qu’on puisse aboutir à une pareille conclusion tranchée, sachant tout à la fois que son roman ne s’arrête pas à une seule interprétation consciente… mais aussi qu’elle le dépasse lui-même, comme toute œuvre d’une vie passée à étudier le langage et les ressorts de la mythologie.

Voir aussi sur Tolkiendil

1) Interview de Tolkien par Denis Gerrolt, january 1971, programme program « Now Read On… » sur la BBC Radio 4 : « I’m a Roman Catholic. Devout Roman Catholic. »
2) Cf. notamment The Letters of J.R.R. Tolkien, n° 320, p. 407 (trad. fr. Lettres, p. 569).
3) Letters, op. cit., n° 213, p. 288 (trad. fr. Lettres, p. 406) : « Another [critic] saw in waybread (lembas) = viaticum and the reference to its feeding the will (Vol. 3 p. 213) and being more potent when fasting, a derivation from the Eucharist. (That is: far greater things may colour the mind in dealing with the lesser things of a fairy-story.) »
4) Ibid. : « I am in fact a Hobbit. »
5) Par exemple sur Internet, « The Christian Gifts of J.R.R. Tolkien » par Bradley J. Birzer, professeur d’Histoire, qui, en dépit d’une certaine bonne volonté, se contente simplement de considérer le rapprochement comme évident et acquis : « Take, for example, that the lembas, the bread of the elves which sustains the ring (cross) bearer Frodo as he ventures into Sauron’s realm of Mordor (Hell), can be translated as the “bread of life. ” It is, in essence, the Blessed Eucharist. » (<www.newoxfordreview.org/nov01/bradleyjbirzer.html>) ; on pourra aussi se référer à « Spiritual Waybread: Tolkien and the Eucharist » (<keller.clarke.edu/~english/writing/lfischer/schneider2.html>), un travail d’étudiant dirigé par Katherine Fisher, professeur d’anglais ; ou encore l’article « Tolkien’s Catholic imagination » de Jason Boffeti pour le magazine Crisis (Politics, Culture & the Church) de novembre 2001 : « Nor could Tolkien deny that the Holy Eucharist appears in The Lord of the Rings as the waybread (lembas) […]. So in The Lord of the Rings the Blessed Virgin Mary and the Eucharist appear shrouded in the mysterious elements of Middle-earth » (<www.crisismagazine.com/november2001/feature7.htm>) — une affirmation exagérée, bien péremptoire et non exempte de prosélytisme même si l’auteur la nuance ensuite en considérant ces rapprochements comme des « accidents » littéraires plus qu’une volonté consciente de Tolkien.
6) Charles A. Coulombe, « The Lord of the Rings: a Catholic view » in Tolkien: A Celebration, dir. Joseph Pearce, 1999, p. 57, nous traduisons : « This one [= the Bread of Life] finds echoed in the lembas, which “had a potency that increased as travellers relied on it alone, and did not mingle it with other goods. It fed the will, and it gave strength to endure” (Vol. 3, p. 262). This is all very reminiscent of the large literature of Eucharistic miracles, and of such people as St Lydwine, St Francis Borgia, and Theresa Neumann, who lived off only the Blessed Sacrement. »
7) Entrevue réalisée par Michael Waldstein et Fabrizio Begoss pour la revue Traces, litterae communionis n° 2, février 2002, exemplaire disponible en ligne (<www.traces-cl.com/feb02/inmiddle.html>), nous traduisons : « “Vicarious” suffering is also, of course, central to the saga, as it is for Catholicism […]. This bespeaks what is central to our own story, namely Our Lord’s suffering, and that of the saints, on behalf of fallen humanity. […]. Frodo is not Christ, nor is Aragorn (the unknown, but legitimate, returning king). Galadriel is not an allegory for Our Lady, pure and lovely though she may be. But, at the end of the day, we may, with Tolkien’s approval, speak of the saga as a Catholic masterpiece. A postscript to this might be the observation that no Protestant could conceivably have written this saga, since it is profoundly “sacramental.” That is, redemption is achieved wholly via physical means – cf The Incarnation, Golgotha, the Resurrection, and the Ascension – and the tale is sprinkled with “sacramentals,” such as lembas, athelas, Galadriel’s phial of light, mithril, etc. »
8) Sur la différence entre sacrements et sacrementaux : « Les sacramentaux ne confèrent pas la grâce de l’Esprit-Saint à la manière des sacrements, mais par la prière de l’Église ils préparent à recevoir la grâce et disposent à y coopérer » (CEC 1670).
9) Le Seigneur des Anneaux, livre VI, chapitre 3.
10) Ibid., livre VI, chapitre 1.
11) Ces traditions, qui tiennent généralement d’une confusion entre ce qui est bénit et ce qui est consacré. L’hostie consacrée, dans les siècles antérieurs, avait valeur de relique, indépendamment de son rôle strictement sacramentel passant fondamentalement par la manducation. Cf. aussi supra, en notre 4, la différence entre sacrements et sacramentaux. Cela « fonctionnait » aussi avec l’eau bénite : les catégories savantes de la théologie résistent mal à la culture populaire.
12) Mircea Eliade, Images et symboles, Gallimard, 1952 (nouvelle édition en 1980), p. 235.
13) Le Seigneur des Anneaux, livre VI, chapitre 2.
14) « Of Lembas » in The Peoples of Middle-earth.
15) Ibid., p. 403 : entre 1951 et 1959.
16) Ibid., nous traduisons : « Lembas is the Sindarin name, and comes from the older form lenn-mbass ‘journey-bread’. In Quenya it was most often named coimas which is ‘life-bread’. »
17) Ibid. : « This food the Eldar alone knew how to make. It was made for the comfort of those who had need to go upon a long journey in the wild, or of the hurt whose life was in peril. Only these were permitted to use it. The Eldar did not give it to Men, save only to a few whom they loved, if they were in great need. »
18) Ibid. : « because the Eldar had been commanded to keep this gift in their own power, and not to make it common to the dwellers in mortal lands. For it is said that, if mortals eat often of this bread, they become weary of their mortality, desiring to abide among the Elves, and longing for the fields of Aman, to which they cannot come. »
19) Ibid. : « For it was made of a kind of corn which Yavanna brought forth in the fields of Aman, and some she sent to them [= the Elves] by the hand of Oromë for their succour upon the long march. »
20) Ibid. : « no worm or gnawing beast would touch that gleaming straw, and rot and mould and other evils of Middle-earth did not assail it. »
21) Ce texte de l’Ancien Testament possède son analogue dans le Nouveau Testament dans un passage concernant Jésus, celui-ci étant comparé parfois au nouvel Élie : « Et aussitôt, l’Esprit le pousse au désert. Et il était dans le désert durant quarante jours, tenté par Satan. Et il était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient. » (Marc 1, 12–13). Nombreux sont les commentateurs qui voient dans le service des anges auprès de Jésus une allusion à la tentation d’Élie au désert (avec comme autre parallèle possible le service des anges auprès d’Adam et Ève, que l’on retrouve dans Sanhédrin 59b du Talmud de Babylone). Les quarante jours d’épreuve, qui le préparent à son ministère, viennent confirmer cela.
22) L’analogie entre Melkor et Satan n’est pas forcée, cf. la lettre de Tolkien mise aux enchères par Sotheby’s sous la référence L02307–538, où Tolkien note à propos de Satan : « Sauron was one of the lesser spirits who had at one time served him » ; cf. aussi la lettre n° 156 p. 202 « the absolute Satanic rebellion and evil of Morgoth and his satellite Sauron » (trad. fr. p. 288) ; la lettre n° 183 p. 243 pour un autre parallèle Satan – Morgoth/Sauron (trad. fr. p. 344-345) ; « the Diabolus Morgoth », lettre n° 153 p. 195 (trad. fr. p. 278) ; « the Diabolos of these tales », lettre n° 211 p. 283 (trad. fr. p. 398).
23) « La jarre de farine ne s’épuisa pas et la cruche d’huile ne se vida pas, selon la parole que Yahvé avait dite par le ministre Élie. » (1R, 17, 16) ; plus loin on assiste à la résurrection du fils de la veuve par Élie. Le miracle ici n’est pas tant dans la galette que dans la parole que Yavhé avait dite par le ministère d’Élie.
24) Peoples, op. cit. : « for which reason she was called […] the Lady, or breadgiver ». On la nomme « La Dame » : Christopher Tolkien rappelle qu’il s’agit d’ailleurs du sens étymologique des mots anglais « lady » et « lord », respectivement celle qui malaxe le pain et celui qui le garde.
25) Caractère exceptionnel encore renforcé quand on sait qu’à l’exception du lembas, la cuisine ressort généralement des attributions du sexe masculin chez les Elfes, ainsi qu’un autre texte le précise : « Among the Noldor it may be seen that the making of bread is done mostly by women; and the making of the lembas is by ancient law reserved to them. Yet the cooking and preparing of other food is generally a task and pleasure of men. » (Laws and customs among the Eldar, in Morgoth’s Ring p. 214).
26) Letters, op. cit., n° 181 p. 237 (trad. fr. Lettres, p. 336) : « Thus Gandalf faced and suffered death; and came back or was sent back, as he says, with enhanced power. But though one may be in this reminded of the Gospels, it is not really the same thing at all. The Incarnation of God is an infinitely greater thing than anything I would dare to write. Here I am only concerned with Death as part of the nature, physical and spiritual, of Man, and with Hope without guarantees. »
27) Sur la question du syncrétisme, cf. notamment l’article « Le Silmarillion, mythologie ou chrétienté ? » de Cédric Fockeu sur JRRVF (<http://www.jrrvf.com/essais/mythologie_chretiente.html>).
28) Mircea Eliade, Images et symboles, op. cit., p. 211 « Images archétypales et symbolisme chrétien » (nous soulignons).
29) Ibid., p. 17–18
30) Aux éditions Robert Laffont / Jupiter.
31) The Road Goes Ever On, p. 69, nous traduisons : « According to the Eldar, a word derived from the language of the Valar; the name that they gave to the drink poured out at their festivals. Its making and the meaning of its name were not known for certain, but the Eldar believed it to be made from the honey of the undying flowers in the gardens of Yavanna, though it was clear and transluscent. [Compare the néktar of the Olympian gods. But the connection of this word with ‘honey’ is mainly due to modern botanists (though Euripides used néktar melissân, ‘divine drink of bees,’ as a poetic periphrasis for ‘honey’). A probable etymological meaning of néktar is ‘death-defeater’ (cf. ambrosía ‘immortality,’ the food of the gods)] »
32) The War of the Jewels, p. 399 : « a special wine or cordial ».
33) « filled with a fragrant draught, cool as a clear fountain, golden as a summer afternoon »
34) L’aspect sacré des boissons alcoolisées n’est pas propre à la Scandinavie ancienne. Si la légende de Kvasir dans la Skáldskaparmál montre l’importance religieuse de l’ivresse dans cette société, il en va de même chez les égyptiens de l’Antiquité, où l’on priait la déesse de la bière, Ninkasi. Les brasseurs étaient, là aussi, exclusivement des femmes qui utilisaient l’orge à la fois pour la boisson sacrée (l’eau du Nil étant la cause de nombreux décès, l’aspect bénéfique d’une boisson fermentée en sortait sans doute rehaussé) et pour un pain d’orge qui était alors la base de l’alimentation.
 
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