Les Fragments de Pryftan

Deux Anneaux
Vivien Stocker — Avril 2009
Articles de synthèseArticles de synthèse : Ces articles permettent d’avoir une vue d’ensemble du thème traité mais ils nécessitent une bonne connaissance des principales œuvres de J.R.R Tolkien.

Introduction

Dans les récentes publications concernant le monde de Tolkien, il en est une, concernant The Hobbit, qui n’a pu passer inaperçue. Il s’agit bien évidemment de The History of the Hobbit, édité par John D. Rateliff, qui présente les manuscrits dudit roman, à la manière des très connus History of the Middle-earth. Dans cet ouvrage, on découvre notamment le premier jet du chapitre d’ouverture du Hobbit, nommé « The Pryftan Fragment »1), du nom que possédait alors le dragon Smaug. Cependant, Rateliff ne donne aucune signification ni aucune piste concernant le nom Pryftan. Néanmoins on trouve sur Internet quelques axes de réflexion tout à fait intéressants, que je développe ici.

L’hypothèse d’une origine interne

Par origine interne, on entend un nom provenant d’une des langues imaginées par Tolkien et non d’une langue réelle. Cette hypothèse intervient devant le fait que dans le « The Prytan Fragment », le nom du futur magicien Gandalf était Bladorthin. On s’accorde à dire que ce nom est noldorin, et donc il serait tentant de supposer que Pryftan soit aussi construit dans cette langue2). Dans la liste de diffusion Elfling, Andrew Higgins donne le résultat de ses propres recherches dans le « Gnomish Lexicon »3) (PE 11) que je traduis ici :

« Dans le Gnomish lexicon (PE 11), il est fait mention de :
tan = feu de bois
tag = une flamme, un éclair
tanfa = le plus bas de tous les airs — l’air chaud des lieux profonds
[…]
Alors on peut conjecturer (avec beaucoup d’excitation) que la seconde partie du nom pourrait avoir un lien avec le feu — ce qui est sensé pour un dragon.
»

Malheureusement, Andrew Higgins n’a pas trouvé de racines pertinentes concernant la première partie, pryf. Des recherches effectuées dans les PE 11, PE 13 et « Les Étymologies » n’ont pas plus abouties. Il faut donc se tourner vers la seconde hypothèse, celle d’une origine externe.

L’hypothèse d’une origine externe

Il s’agit ici de rechercher dans les langues réelles connues par Tolkien, s’il existe des éléments pouvant nous mettre sur la voie. Ce serait d’autant plus plausible car dans « The Pryftan Fragment » le nom des nains sont issus de légendes en vieux norrois, et donc on peut supposer que le nom Pryftan soit lui aussi issu d’une langue réelle.

La première supposition que l’on peut faire est que Pryftan soit en vieux norrois également du fait de la proximité avec les noms des treize nains, tous issus de la légende norroise, la Dvergatal. Andrew Higgins propose un mot en vieux norrois, pryfthi, qui signifie ornement, que l’on trouve sous la forme prydnad en suédois moderne4). La ressemblance avec Pryftan est troublante, mais la signification n’a pas grand-chose à voir avec un dragon. La thèse du vieux norrois n’ayant, semble-t-il, pas porté ses fruits, on doit se tourner vers une autre langue.

Dans son message, Andrew Higgins met en avant un mot gallois tan qui signifie feu. Une recherche5) sur les racines tân, tan et pryf donne :

  • tân
    a) feu, incendie, feu de joie, flamme, flammèche, lueur (d’une cigarette par exemple), allumette ; forte température causée par la fièvre, etc.
    b) l’un des quatre (parfois sept) éléments (selon la physique médiévale)
  • tan
    sous, dessous
  • pryf
    a) insecte, en particulier mouche domestique.
    b) larve de divers insectes, ver de terre.
    c) larve, ver de terre, animal qui dévore les corps dans un cimetière ou en enfer.
    d) larve ou ver engendré par le corps, provoquant des maladies ; larve, ligament sous la langue d’un chien dont au croyait autrefois qu’il donnait la rage.
    e) reptile, serpent, dragon.
    f) (petit) animal sauvage, bête, créature, animal qui est chassé, vermine

La définition e) pour pryf saute littéralement aux yeux. Cette racine possède la signification de dragon et de ver en gallois n’est pas sans rappeler la dénomination de Ver qu’utilise Tolkien pour ses Dragons.

Associé à la signification première de tân, feu/flamme, cela donne pour Pryftan la signification suivante : Dragon de feu. Ce serait alors plutôt une description qu’un nom à proprement parler. Toutefois, on peut aller plus loin dans les suppositions. Le dragon fut renommé plus tard Smaug et Tolkien dit à propos de ce nom qu’il vient du germanique smugan qui signifie « se glisser dans un trou ». Si on revient sur la racine tan, qui signifie dessous, plutôt que sur tân, on aurait alors la signification : Dragon du dessous, Dragon des profondeurs, qui s’approche de celle du nom Smaug.

Smaug (© John Howe)

Cette signification pourrait trouver également un écho dans un manuscrit médiéval écrit en vieux gallois, Triads, the « Three Fortunate Concealments of Britain », un roman arthurien qui décrit le combat entre deux dragons. Selon la légende, Vortigern, le roi de Grande-Bretagne, tenta de construire une tour au sommet du Mont Snowdon. Cependant, les matériaux nécessaires à sa construction sont à peine installés sur le chantier qu’ils disparaissent à la faveur de la nuit. Ce prodige se répète trois fois, jusqu’à ce que le roi Vortigen demande conseil à ses Sages. Ceux-ci lui disent de trouver un enfant sans père et de mélanger son sang aux fondations. L’enfant sans père est finalement trouvé, en la personne de Merlin enfant. Arrivé sur les lieux, Merlin affirma que verser son sang serait inutile car les fondations s’écroulaient à cause de deux Dragons qui étaient enterrés là. Les hommes creusèrent alors et découvrirent un Dragon Blanc et un Dragon Rouge. Aussitôt libérés, les deux Dragons se jetèrent l’un sur l’autre. La bataille dura pendant deux jours. Au début le Dragon rouge paru avoir le dessus mais le Blanc qui était plus jeune et plus agile finit par l’emporter. Cet épisode prophétise la venue d’Uther Pendragon père du roi Arthur, représenté par le Dragon Blanc, victorieux de Vortigern représenté par le Dragon Rouge. La suite de la légende raconte que le Dragon Blanc mourut peu après le combat6).

Dans ce manuscrit, le mot pryf est utilisé pour dragon. En gallois médiéval, le mot pryf signifie vermine (cf. la définition f) ci-dessus). Ce mot traduit en latin par vermis est l’équivalent du mot allemand worm pour dragon7).

Conclusion

Au final, il est plus vraisemblable que le nom Pryftan soit d’origine galloise plutôt que noldorine. En effet, en noldorin, aucune racine ne semble exister pour justifier le pryf. Au contraire, le gallois possède les deux racines pryf et tân et leurs significations concordent parfaitement avec le nom du dragon, Dragon de feu8). L’alternative avec la racine tan, qui donnerait la signification Dragon des profondeurs, semble toutefois moins vraisemblable, mais on peut envisager que Tolkien ait pu jouer sur un double sens.

Références

Voir aussi sur Tolkiendil

1) L’italique est mienne.
3) Dans cet article, on assimilera les langues gnomique (goldogrin) et noldorine qui sont une seule et même langue mais à un stade différent de la vie de Tolkien.
8) Mise à jour, juillet 2012 : Mark T. Hooker, dans son ouvrage Tolkien and Welsh p. 40, penche également pour cette solution.
 
langues/textes/fragments_pryftan.txt · Dernière modification: 01/05/2021 16:00 par Elendil
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