Nomenclature of The Lord of the Rings

Lucas Zembrzuski — Mai 2021

Le texte Nomenclature of The Lord of the Rings (Nomenclature du Seigneur des Anneaux) fut écrit par Tolkien en 1966–1967 afin de guider les traducteurs étrangers dans leurs choix de traduction des noms dans le Seigneur des Anneaux. Le document leur était photocopié et envoyé. Ayant travaillé avec minutie l’onomastique de son œuvre, pour la rendre d’autant plus vraisemblable, Tolkien souhaitait que les traducteurs y attachent un minimum d’importance afin de conserver cet aspect, d’où l’écriture de la Nomenclature du Seigneur des Anneaux qui avait pour objectif de les aider à adapter la nomenclature à leur langue.

Concernant le contenu du document, il est composé d’une introduction, expliquant l'objectif du texte, suivit par une liste de noms classés en trois catégories (Personnes, Peuples, Créateurs ; Lieux ; Choses) où Tolkien développe la logique avec laquelle il a construit ses mots. En effet, il explique dans l'introduction :

Les noms qui sont donnés en anglais moderne représentent les noms en parler commun, souvent, mais pas toujours, des traductions d'anciens noms dans d'autres langues, en particulier le sindarin (gris elfique). La langue de traduction remplace donc l'anglais comme l'équivalent du parler commun, les noms de forme anglaise devant ainsi être traduits dans d'autres langues en accord avec leur signification (aussi étroitement que possible)1).

Cela, afin de préserver au mieux une des intentions que Tolkien avait en écrivant le Seigneur des Anneaux, celle de lui donner un semblant d'historicité (anglaise) en présentant « la matière du Livre Rouge dans une langue que les gens peuvent comprendre aujourd’hui2)».

Il fut publié pour la première fois en 1975 dans A Tolkien Compass par Jared Lobdell, sous le nom Guide to the Names in The Lord of the Rings (Guide des Noms dans le Seigneur des Anneaux). Christopher Tolkien s'occupa d’éditer le texte de façon posthume. Ensuite, en 2005, Wayne G. Hammond et Christina Scull publièrent à nouveau le texte dans The Lord of the Rings, A Reader's Companion, rétablissant son titre original : Nomenclature du Seigneur des Anneaux.

Histoire du texte

L’origine du texte est la réaction négative de Tolkien et ses objections face aux altérations des noms dans les premières traductions du Seigneur des Anneaux : néerlandaise (1956–1957) et suédoise (1959–1961).

Ayant été particulièrement agacé par les libertés prisent dans la traduction suédoise du Hobbit de 1947, sans être consulté avant la publication, Tolkien prit les devants à la suite des propositions de traductions néerlandaise (avril 1956) et suédoise (juillet 1956) du Seigneur des Anneaux. Il correspondit dès le début avec les éditeurs et traducteurs et ce jusqu’aux parutions afin de faire valoir ses souhaits. La volonté initiale de Tolkien était que les traducteurs ne traduisent pas les noms, comme il l'explique dans une lettre à son éditeur Rayner Unwin en juillet 1956 :

En principe, je m’oppose aussi fermement que possible à toute “traduction” de la nomenclature (même si on la confiait à une personne compétente). Je demande pourquoi un traducteur pourrait croire qu’il est amené ou autorisé à faire une telle chose. Que ce soit un monde “imaginaire” ne lui donne aucun droit de le remodeler à sa guise, même s’il était capable de créer en quelques mois une nouvelle structure cohérente, qu’il m’a fallu à moi des années pour mettre au point3).

À la place de la traduction de la nomenclature, il préférait voir dans les versions étrangères du Seigneur des Anneaux un glossaire « donnant le sens des noms, mais pas les pages »4) qui remplacerait un ou plusieurs appendices. Notons que Tolkien, philologue et passionné des langues, prenait très à cœur le sujet de la traduction de son œuvre, comme il l’exprime à la fin de la lettre : « Si vous trouvez que je suis ridicule, cela me peinera beaucoup mais, j’en ai peur, ne changera rien à mon point de vue. […] je suis en effet vraiment très en colère. » Il montra rapidement son désir d’être « consulté dès le début » lorsque « de nouvelles traductions seront négociées »5).

En décembre 1957, alors que la traduction suédoise est en préparation et que jusqu’à maintenant les traducteurs n’ont pas suivi assidûment les indications de Tolkien, ce dernier proposa à Rayner Unwin une autre solution : « Si j’avais un index des noms (même s’il ne comportait que les références au volume et au chapitre, sans la page), ce serait en comparaison chose facile d’indiquer directement tous les noms susceptibles d'être traduits (étant eux-mêmes, d’après la fiction, “traduit” en anglais) et d’ajouter en même temps quelques remarques sur les points où (je le sais désormais) les traducteurs achopperont certainement6). » S’il semble que Tolkien n’avait plus espoir que les noms propres conservent leur anglicité originelle dans les traductions du Seigneur des Anneaux, il décida qu’ils devaient au moins être traduits correctement. Un index fut alors réalisé par Nancy Smith en 1958.

En septembre 1959, c’est la traduction polonaise de Mme Skibniewska qui rencontra des difficultés, car « Comme elle l’a senti, ce livre est anglais et son anglicité ne doit pas être supprimée. » Tolkien campait sur ses positions : que les noms soit le moins possible traduits ou modifiés et que « La manière de faire appropriée est, je pense, d’établir une liste de ceux qui possèdent un sens en anglais et de la donner à la fin, en la glosant ou en l’expliquant en polonais7). » Tolkien demanda alors à son éditeur une copie de l’index des noms afin d’y annoter tous ceux n’étant pas anglais et donc ne nécessitant pas de traduction.

Ensuite, il semble que rien de plus ne se soit passé pendant plus de cinq ans avant que le document Nomenclature du Seigneur des Anneaux soit réalisé entre octobre 1966 et janvier 1967, basé sur l’index. Dans cette liste annotée, il indiqua les noms qui devaient rester inchangés et ceux qu’il « était souhaitable de rendre dans la langue de traduction » accompagnés de conseils sur la manière de procéder8). On ne sait pas exactement quand Tolkien changea complètement d’avis concernant la traduction de la nomenclature mais il était désormais clair qu’il souhaitait que la plupart des noms propres soient traduits, contrairement à sa volonté initiale en 1956.

Ainsi, en janvier 1967, une copie dactylographiée fut faite, qui était par la suite photocopiée et transmise aux différents traducteurs du Seigneur des Anneaux.

Concernant la première traduction française du Seigneur des Anneaux (1972–1973), le traducteur Francis Ledoux n’a pas toujours respecté les indications de la Nomenclature. L'hypothèse la plus probable est qu’il avait le texte en sa possession, mais qu’il ait parfois omis de s’y référer. Il a pu également se tromper par endroits, prenant un nom anglais (à traduire) pour un nom elfique (à ne pas traduire). Peut-être s’est-il aussi permis quelques libertés ou que d’autres personnes soient intervenues dans certains choix, comme par exemple avec les francisations de Bilbo et Frodo en Bilbon et Frodon9). De plus, il aurait dit à l’éditeur, Christian Bourgois, avoir eu connaissance de la Nomenclature mais préféra ne pas la suivre, sauf sur quelques points, et avoir correspondu avec Tolkien lui-même (ce qui n’est pas confirmé à ce jour)10).

Dans sa traduction de 2014–2016, Daniel Lauzon intègre systématiquement les indications de la Nomenclature, tout en rationalisant son usage au-delà des entrées du guide (incomplètes et parfois incohérentes).

Extraits

Afin d'avoir un aperçu des règles que Tolkien proposa dans son guide Nomenclature du Seigneur des Anneaux11), voici l'introduction suivie de quelques entrées :

Tous les noms absents de la liste suivante doivent être laissés entièrement inchangés dans toute langue utilisée en traduction, excepté pour les -s, -es infléchis qui doivent être rendus en accord avec la grammaire de la langue. Il est nécessaire que le traducteur lise l'Appendice F dans le volume III du Seigneur des Anneaux et suive la théorie qui y est évoquée. Dans le texte original, l'anglais représente le parler commun de la période supposée. Les noms qui sont donnés en anglais moderne représentent les noms en parler commun, souvent, mais par toujours, des traductions d'anciens noms dans d'autres langues, en particulier le sindarin (gris elfique). La langue de traduction remplace donc l'anglais comme l'équivalent du parler commun, les noms de forme anglaise devant ainsi être traduits dans d'autres langues en accord avec leur signification (aussi étroitement que possible).

La plupart des noms de ce type ne présenteront pas de difficulté au traducteur, en particulier à ceux utilisant une langue d'origine germanique, apparentée à l'anglais : néerlandais, allemand et les langues scandinaves ; par exemple Black Country, Battle Plain, Dead Marshes, Snow-mane12). Quelques noms, cependant, pourront s'avérer moins simples. Dans quelques cas, l'auteur, agissant comme le traducteur de noms elfiques déjà créés et utilisées dans ce livre et ailleurs, a pris la peine de produire un nom en parler commun qui soit à la fois une traduction et aussi (aux oreilles anglaises) un nom euphonique d'un style anglais familier, même s'il n’apparaît pas en Angleterre. Rivendell13) est un exemple couronné de succès, comme la traduction du gris-elfique Imladris « Glen-of-the-Cleft »14). Il est nécessaire de traduire de tels noms, puisque les laisser inchangés dérangerait le schéma de nomenclature soigneusement inventé et introduirait un élément inexpliqué n'ayant pas sa place dans l'histoire linguistique inventée pour cette période. Mais évidemment, le traducteur est libre d'inventer un nom dans une autre langue qui soit adapté au sens et/ou à la topographie, les noms en parler commun n'étant pas tous des traductions précises de ceux des autres langues.

Une difficulté supplémentaire émerge dans quelques cas. Des noms (de lieux ou personnes) apparaissent, en particulier en Comté, qui ne sont pas « dénués de sens », mais sont anglais dans leur forme (c'est-à-dire, en théorie, des traductions de l'auteur des noms en parler commun), contenant des éléments qui sont dans le langage actuel obsolètes ou dialectaux, ou sont éculés et de forme obscure. (Voir l'Appendice F) Du point de vue de l'auteur, il est nécessaire que les traducteurs aient quelque connaissance de la nomenclature de personnes et lieux dans les langues utilisées en traduction, et des mots qui y apparaissent qui sont obsolètes dans les formes actuelles de ces langues, ou seulement préservées localement. Les notes que j'offre sont destinées à aider le traducteur à distinguer les « inventions », faites d'éléments courants en anglais moderne, tels que Rivendell, Snow-mane, de noms véritablement utilisés en Angleterre, indépendamment de cette histoire, et également d'éléments de la langue anglaise moderne qu'il est nécessaire de faire coïncider par des équivalents dans la langue de traduction, en respectant leur signification originale et aussi, lorsque c'est faisable, en respectant leur forme archaïque ou altérée. J'ai parfois fait référence à d'anciens mots obsolètes ou dialectaux dans les langues scandinaves et germaniques qui pourront éventuellement être utilisés comme équivalents des éléments similaires dans les noms anglais trouvés dans le texte. J'espère que ces références s’avéreront quelques fois utiles, sans que cela suggère que j'ai quelque compétence dans ces langues modernes hormis un intérêt pour leur histoire antique15).

Butterbur16). Pour autant que je sache, on ne le trouve pas comme nom en Angleterre. Bien que Butter est ainsi utilisé, ainsi que des combinaisons (dans les noms de lieux d'origine) telles que Butterfield. Ceux-ci ont été modifiés dans le conte, pour correspondre aux noms généralement botaniques de Bree17), au nom de plante butterbur18) (Petasites vulgaris). Si le nom populaire de cette plante contient un équivalent de « butter »19), c'est tant mieux. Sinon, utilisez un autre nom de plante contenant le mot « butter » (comme Butterblume en allemand, Butterbaum en néerlandais, boterbloeme en néerlandais) ou faisant référence à une plante épaisse et grasse. (La pétasite est une plante charnue avec un gros capitule sur une tige épaisse, et de très grandes feuilles.) Le prénom Barliman20) de Butterbur est simplement une orthographe modifiée de barley21) et man22) (convenant à un aubergiste et à un brasseur de bière), et devrait être traduit.

[…]

Hobbit. Ne pas traduire, puisque le nom est supposé ne plus avoir eu de signification reconnue dans le Comté et est supposé ne pas avoir été dérivé du parler commun (= anglais ou langue de traduction).

[…]

Barrow-downs23). Traduire par le sens : collines basses sans arbres sur lesquelles on trouve de nombreux « barrows »24), i.e. tumulus et autres tertres funéraires préhistoriques. Ce barrow n'est pas apparenté au barrow moderne « un outil à roue » ; il s'agit d'une adoption récente par les archéologues du barrow dialectal (< berrow, < OE25) beorg, berg « hill, mound26)»)27).

Ouvrages

Seule la première édition de A Tolkien Compass (1975) contient le Guide to the Names in The Lord of the Rings.
Dans le Lord of the Rings, A Reader's Companion, Hammond et Scull proposent une version nouvellement transcrite, à partir de la copie dactylographiée corrigée par Tolkien. On trouve également, dans le texte et l’ouvrage entier, des références à une version antérieure du texte (manuscrite et dactylographiée) ainsi que des notes retirées de la version finale du document.



  •  A Tolkien Compass style=
    Auteur(s) :
    Tom Shippey (préface), Jared Lobdell (sous la direction de)
    Éditeur :
    Open Court Pub Co
    Langue :
    anglais
    Date :
    1975 juin
    Pages :
    201
    ISBN-13 :
    9780875483160

1) The Lord of the Rings, A Reader's Companion, 2014, p. 751.
2) Le Seigneur des Anneaux, App. F. Pour rappel, le parler commun (ou occidentalien) est la langue parlée par les personnages du Seigneur des Anneaux ; celle dans laquelle fut rédigé le Livre Rouge à l’origine. Tolkien se voyait comme un traducteur de ce livre et décida de traduire également les noms propres occidentalien en anglais. Pour plus de détails sur sa démarche, voir l’Appendice F partie II : Des questions de traduction.
3) Lettres, n° 190 ; The Lord of the Rings, A Reader's Companion, 2014, p. 750.
4) Lettres, n° 190.
5) Lettres n° 204.
6) Lettres, n° 204.
7) Lettres, n° 217.
8) The J.R.R. Tolkien Companion and Guide : Reader's Guide, 2017, p. 856.
9) Correspondance avec Daniel Lauzon.
10) Témoignage de Vincent Ferré, par correspondance.
11) The Lord of the Rings, A Reader's Companion, 2014, p. 750-782.
12) VF 1 [Ledoux] : Pays Noir, Plaine de la Bataille, Marais des Morts, Nivacrin ; VF 2 [Lauzon] : Pays Noir, Plaine de la Bataille, Marais Morts, Snawmana (ou Crins-de-Neige).
13) VF 1 : FondCombre ; VF 2 : Fendeval.
14) Traduction littérale : « Vallon de la Fente ».
15) The Lord of the Rings, A Reader's Companion, 2014, p. 751-752. Traduit par Vivien Stocker.
16) VF 1 : Poiredebeurré ; VF 2 : Fleurdebeurre.
17) VF 1 : Bree ; VF 2 : Brie.
18) Petasites commune.
19) « beurre ».
20) VF 1 : Prosper ; VF 2 : Filibert.
21) « orge ».
22) « homme ».
23) VF 1 : Hauts de Galgals ; VF 2 : Coteaux des Tertres.
24) « tumulus ».
25) « Old English » = « vieil anglais ».
26) colline, monticule.
27) Ma traduction des trois extraits.
 
tolkien/etudes/nomenclature_seigneur_des_anneaux.txt · Dernière modification: 13/08/2023 14:34 par Leaf
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