La carte du Rohan, du Gondor et du Mordor (Compléments)

Simon Ayrinhac (30/06/23)

Ce complément prolonge l’article « La carte du Rohan, du Gondor et du Mordor » publié dans l’Arc et le Heaume n°8. La plupart des cartes mentionnées ici figurent dans les ouvrages The Art of the Lord of the Rings (AotLotR)1) et Tolkien — Créateur de la Terre du Milieu (TCTM)2) ; et bien évidemment dans le Tolkien Art Index (TAI)3) qui répertorie l’ensemble de la production artistique de Tolkien.

1- Généalogie de la carte du Rohan, du Gondor et du Mordor (RGM) publiée dans le Retour du Roi

On peut faire remonter la généalogie de la carte RGM jusqu’à la « carte du fleuve Anduin »4) (voir Fig. A1 ci-dessous), une esquisse faite par Tolkien d’une large zone de la Terre du Milieu sur une feuille de papier millimétré. Bien que la carte soit largement à l’état d’ébauche, les grandes structures topographiques sont déjà présentes et organisées à l’intérieur d’un carroyage qui perdurera entre les versions (voir Fig. A2 ci-après), dans lequel chaque grand carreau mesure 100 milles (160 km) de côté. Ce carroyage a probablement permis à Tolkien de recopier fidèlement la carte d’un support à un autre5). Sur cette carte, les Montagnes Blanches étaient moins larges dans leur dimension nord-sud, et un repentir montre que la côte du Lebennin était à l’origine 100 milles plus au nord (voir A2.a).

Figure A1. Généalogie complète de la carte RGM.

Figure A2. Carroyage associé à la carte RGM, et issu des cartes préliminaires. Les coordonnées lettres-chiffres figurent sur la plupart des cartes générales préliminaires dessinées par Tolkien. Les changements remarquables opérés par Tolkien au fil des cartes sont indiqués par des lettres minuscules et expliqués dans le texte.

Cette « carte du fleuve Anduin » est suivie par « la “Première carte” de la Terre du Milieu »6), un document composite constitué de plusieurs feuilles collées, et qui montre d’un seul tenant tout l’Ouest de la Terre du Milieu, incluant notamment des zones géographiques « inédites » comme la côte au nord de la Baie de Forochel. La dimension des carreaux représente une distance de 100 milles (161 km). L’Anduin se dote d’affluents qui coulent du sud des Montagnes Blanches dans le Lebennin, connue comme la « région des cinq rivières ». Cette carte est demeurée la carte de travail de Tolkien durant une longue période.

En 1943, Christopher réalise une copie de cette carte en introduisant le fameux style pictural si reconnaissable, mais celle-ci n’a jamais été publiée. Tolkien travaille alors sur les deux cartes en même temps, modifiant l’une et l’autre.

En octobre 1944, Tolkien dessine une carte de la région du Gondor et du Mordor pour accompagner une esquisse de récit7), probablement de mémoire, car sa topographie présente des anomalies par rapport à la Première Carte8). Cette carte est cependant sur certains points très semblable à la Première Carte, mais elle est manifestement antérieure à la Seconde Carte (voir ci-après) car les Emyn Arnen n’y figurent pas. Il existe une deuxième carte très semblable, et souffrant des mêmes défauts9).

Vient ensuite « la “Deuxième carte” de la Terre du Milieu »10), qui montre la partie sud de l’Ouest de la Terre du Milieu, du Gondor au Mordor. Minas Tirith (et les Rammas Echor) est au centre de la case [L12], position qu’elle gardera désormais. Le cours du fleuve Anduin est dévié par le massif des Emyn Arnen11) qui fait son apparition au sud-est de la case [L12] (Voir A2.b).

Cette « Seconde carte » est suivie d’une série de trois « Cartes tardives » - selon la dénomination de Hammond & Scull - exécutées en 1948. Christopher Tolkien quant à lui évoque une « Troisième carte de la Terre du Milieu», mais sans préciser quelles cartes exactement cela désigne. Cette « Troisième carte » est probablement constituée de deux cartes12), qui montrent la partie nord de l’Ouest de la Terre du Milieu (sans la Mer de Rhûn) et la partie sud. Dans celle-ci, la rivière Poros [K13-L13] a été globalement déplacée 50 milles plus au sud et coïncide avec la frontière sud de la carte RGM (voir A2.c). Cette carte montre aussi un affluent de l’Anduin (case [L13]), au sud des Emyn Arnen et au nord des Gués du Poros, qui n’apparaît sur aucune autre carte (A2.d).

Pendant qu’il écrit le livre V du SdA, Tolkien utilise la « Troisième carte »13) pour créer une carte à petite échelle de la région du Gondor et du Mordor14) que l’on peut appeler « la carte RGM originale ». Selon Stentor Danielson15), deux cartes préliminaires lui ont servi de base : « La Vallée des Fardiers et Minas Tirith »16) (1946 environ) et la « carte de Minas Morghul et de la croisée des chemins »17) (mai 1944). On peut noter que dans cette carte RGM originale, la mer côtière en [J13-J14] contenait des lignes de contour qui suivaient la côte (que l’on pourrait appeler des « lignes de houle »). On peut aussi noter qu’un bout de mer qui apparaissait en [I14] sur cette carte a disparu de la carte publiée (voir A2.e).

En 1953, la carte générale de l’Ouest de la Terre du Milieu est redessinée par Christopher et envoyée à l’éditeur. Sur les épreuves de la carte, un carroyage a été tracé au crayon à papier dans la région du Rohan, Gondor et Mordor, et selon Hammond & Scull, « vraisemblablement comme un repère pour la carte de cette région faite plus tard par Christopher Tolkien pour le Retour du Roi18). » Ces traits ont peut-être servi à Tolkien à redimensionner sa carte. En effet, probablement pour satisfaire aux standards de l’éditeur Allen&Unwin, on constate une réduction de taille de 17% environ entre la carte RGM tracée par Tolkien et celle qui a été publiée. À partir de la carte redimensionnée par Tolkien père, Christopher finalise la carte RGM pour publication.

La persistance d’un carroyage identique nous permet de comparer la carte générale avec la carte RGM. On constate que dans la carte RGM, le Mordor a globalement été déplacé vers l’ouest par rapport à la carte générale, et ce déplacement atteint jusqu’à 50 milles (80,5 km) au nord des Montagnes de l’Ombre au niveau de l’Udûn (voir A2.f). Cela a pour conséquence de rendre la distance Minas Morgul – Minas Tirith plus courte. Cette différence importante dans la topographie n’a pas d’origine évidente. Elle démontre cependant l’imprécision de la carte générale, voire son inexactitude, car, dans le cadre d’une cartographie non scientifique mais raisonnée, le processus de « généralisation cartographique » qui prévaut lorsqu’on passe d’une échelle à une autre — et que l’on pourrait résumer par « simplifier pour clarifier19)» — ne peut expliquer cette différence. Dans la carte RGM, Osgiliath et Minas Morgul (case [L12]) sont clairement au nord-est de Minas Tirith, tandis qu’ils figurent plein est sur la carte générale20) (voir A2.g). On peut noter aussi la courbure progressive vers l’est de la chaîne de montagnes des Ephel Dúath, au sud de la carte [M13-M14], courbure bien reproduite par K.W. Fonstad dans son Atlas21), tandis que la carte générale montre une chaîne de montagnes faisant littéralement un angle droit.

Enfin, pour des éditions plus récentes en livre de poche, la carte RGM a été redessinée par l’artiste Stephen Raw (pour plus de détails, voir la Section 3 ci-après).

2 - Description de la carte originale dessinée par J.R.R. Tolkien

La carte originale de Tolkien résulte du collage de 4 feuilles (de dimensions 19,3 cm par 24,9 cm chacune) pour une taille totale22) de 385 x 491 mm, et un espace quadrillé de 14 par 18 carreaux. La carte présente des « repentirs » car il semblerait que Tolkien ait recollé localement des carreaux pour redessiner dessus, notamment dans les zones de Durthang et de Dagorlad. Elle a été tracée sur du papier millimétré23) au stylo à bille bleu pour les reliefs (courbes de niveau) et rose pour certains parcours. Chaque petit carreau de 10 lignes de côté mesure 1 pouce (25,4 mm) de côté, donc chaque ligne mesure 1/10e de pouce, soit 2,54 mm. Par-dessus les carreaux imprimés, ont été tracés des carrés plus grands de 4×4 carreaux, donc de 101.6 mm x 101.6 mm. Ces grands carreaux correspondent en fait au carroyage des cartes préliminaires à petites échelle de la Terre du Milieu. En effet, dans la marge de la carte originale, en haut à gauche, Tolkien a indiqué l’échelle de la carte :

« Les grand carreaux bleus (plus sombres) font 25 mm. |Les plus petits carreaux font 2 ½ mm. | Les carreaux rouges font : 100 mm = 100 milles = 1 carreau de l’échelle de la carte plus ancienne24) »

où « la carte la plus ancienne » correspond aux brouillons de Tolkien de la carte générale de la Terre du Milieu. Autrement dit 100 mm égale 100 milles soit 160,9 km, ce qui équivaut à une échelle de 1 :1 609 000, qui est grosso modo l’échelle d’une carte routière dans laquelle n’apparaissent que les grands axes et les villes importantes.

Sur sa carte, Tolkien a représenté d’un trait continu au stylo noir les déplacements de Frodo et de Sam, depuis l’éclatement de la Fraternité de l’Anneau dans les Emyn Muil jusqu’au Mont Destin du 26 février au 7 mars25). La première partie du périple, jusqu’à la Morannon, a fait l’objet d’une carte redessinée par C. Tolkien et intitulée « Voyage de Frodo dans le Morannon » (voir Fig. A1). Pour la fin du périple, on constate de fortes hésitations sur la position de l’Orodruin26).

Dans un petit encart en haut à droite de la carte originale (voir Fig. A3 ci-dessous), Tolkien a redessiné à l’échelle une portion de la carte : il s’agit de la Croisée des Routes (on distingue le mot « crossroads » ), Minas Morgul (noté « mm ») puis Cirith Ungol (ou Kirith Ungol, désigné « k.u. ») au bout d’un segment de « 13 m » soit probablement 13 milles (21 km) à vol d’oiseau entre Minas Morgul et Cirith Ungol.

Figure A3. Encart de la carte originale montrant schématiquement le col de Cirith Ungol.

3 - À propos de la carte RGM redessinée par Stephen Raw

Quoique la carte de Stephen Raw soit extrêmement fidèle à la carte de Christopher, on peut noter de petites différences :

  • elle est en noir et blanc. Cependant le noir et blanc n’est pas sans poser de problèmes : les lettres noires de toponymes régionaux (« GONDOR » ou « ROHAN ») étant larges et couvrantes, l’artiste a parfois choisi de les inscrire en-dessous des traits topographiques (comme les rivières), ce qui est assez inhabituel ;
  • les points cardinaux ont été remplacés par une rose des vents stylisée (surmontée de la lettre « N » pour « nord ») ;
  • certains toponymes sont dans des cartouches (notamment les noms des feux d’alarme du Gondor) ;
  • l’échelle graphique (de 50 milles) est plus conforme aux standards modernes ;
  • les chemins sont indiqués par un double trait plutôt que par des pointillés ;
  • la lisibilité des reliefs est améliorée par la diminution du nombre de lignes de niveau (environ 1 sur 2), quoique certains reliefs très étendus conservent toutes leurs lignes comme en Ithilien du Nord. Cela démontre que le choix des lignes de niveau est guidé par un critère esthétique plus que de vraisemblance scientifique (mais c’était aussi probablement le cas pour Christopher, comme le démontre la comparaison des altitudes presque identiques des Emyn Muil et des Montagnes Blanches27) ). 

4 - Sur les courbes de niveau

Christopher Tolkien a redessiné la carte originale de son père très fidèlement, mais il a aussi parfois inventé des tracés lorsque cela s’avérait nécessaire. Cependant en certains endroits il a introduit des « impossibilités topographiques » (voir Fig. A4 ci-dessous). En effet les lignes de niveau représentent les lignes de même altitude d’un relief et elles obéissent à des règles mathématiques rigoureuses. On constate notamment :

  • des fusions de lignes de niveau (au nord du Col de Tarlang) ;
  • des arrêts de lignes (à l’ouest de la Vallée des Fardiers) ;
  • des disparitions de lignes (par exemple dans la cartouche de Minas Morgul).

Figure A4. a) Fusion de lignes de niveau, au nord du col de Tarlang, en [J11]. b) Arrêt de lignes à l’ouest de la Vallée des Fardiers, au sud de la colline d’alarme Nardol, en [K12]. c) Disparition d’une ligne de niveau dans le cartouche de « Minas Morgul », en [L12].

Ces erreurs entraînent des incohérences et des impossibilités dans les reliefs des Montagnes Blanches, au nord de l’Ephel Dúath (et la chaîne du Morgai) ainsi que dans l’Ered Lithui qui apparaîtrait comme un système de « canaux » si l’on suivait rigoureusement les lignes de niveau. Tolkien lui-même était beaucoup plus évasif sur les courbes de niveau, voire carrément impressionniste. On constate d’ailleurs sur la carte originale des sommets au stylo tracés « en spirale » depuis le sommet jusqu’à la base.

On constate aussi que Christopher, outre l’invention de lignes, en a parfois oublié ou omises certaines. On trouve des exemples :

  • en Anórien, où deux lignes signalent un pays en pente douce entre l’Ered Nimrais et l’Anduin (en [K11]) ;
  • autour de la rivière Entévière où les lignes signalent un large bassin versant (en [J11]) ;
  • ou encore la ligne qui signale le plateau de Gorgoroth (case [N12]).

Ces spécificités, ainsi que le rendu global de la carte, détaillé sans être surchargé, sont à mettre au crédit de Christopher. Même si Christopher a suivi aussi fidèlement que possible les indications de son père, il est bien le co-créateur de la Terre du Milieu telle que nous la connaissons.

Usuellement, les courbes de niveau sont associées à des altitudes, ce qui n’est pas le cas ici. Pouvons-nous tout de même le faire ? Là-aussi les informations convoyées par la carte ne sont pas exemptes d’incohérences. On notera déjà que les Montagnes Blanches, qui, vu leur couverture neigeuse à ces latitudes devraient avoir au moins 9500 pieds28), semblent à peine plus élevées que les Emyn Muil et les Ephel Dúath29). Nous pouvons cependant glaner quelques indices qui peuvent nous permettre d’associer les courbes de niveau à des altitudes :

  • le volcan Orodruin en Mordor mesure 4500 pieds30), et Christopher a associé au cône volcanique 2 lignes de niveau ;
  • de même, on sait que le col de Cirith Ungol se trouve 3000 pieds au-dessus de la Croisée de Routes31), et tous les deux sont séparés par 2 lignes de niveau.

Ces indices laissent à penser que chaque courbe de niveau pourrait représenter 1000 à 2000 pieds (soit 300 à 600 mètres) d’altitude environ.

5 - Le profil altimétrique des Montagnes Blanches

Le profil altimétrique des Montagnes Blanches, en suivant la ligne de crête de la façon la plus rectiligne possible, a été extrait des lignes de niveau qui figurent sur la carte RGM dessinée par Christopher Tolkien (voir figure A5 ci-dessous).

Figure A5. Profil altimétrique des Montagnes Blanches, d’est en ouest, d’après les courbes de niveau de la carte RGM de Christopher. Le kilométrage 0 est situé en bord gauche de carte. On a superposé (en bleu) le profil altimétrique des Pyrénées d’est en ouest (source : Geoportail).

On constate que de puissants massifs montagneux (qui se déploient en une dimension équivalente à celle d’un département français) sont séparés par de profonds cols. Ces cols devraient être peu praticables, sinon Aragorn ne serait pas passé par les Chemins des Morts32). En comparaison, les Pyrénées mesurent environ 430 km d’est en ouest et comptent une cinquantaine de pics d’importance et plus de trois cent cols. Le Starkhorn, décrit dans le texte comme un pic puissant « rayonn[ant] loin au-dessus du monde »33) semble plus petit que certains pics situés au centre de la chaîne (par exemple aux kilomètres 250 ou 350).

Le problème semble venir du fait que Christopher n’a dessiné qu’une seule ligne de crête, ce qui l’a obligé à combler l’espace avec plus de lignes de niveaux concentriques et provoqué l’augmentation mécanique de l’altitude. Cependant Tolkien avait dessiné deux ou plusieurs lignes de crête (on peut le constater au sud de Min Rimmon sur la carte originale). D’ailleurs dans son Atlas, K.W. Fonstad a dessiné 2 lignes de crête, représentées par deux lignes noires sur les Montagnes Blanches34).

6 - Position topographique de la forteresse de Durthang

Frodo et Sam, lors de leur périple en Mordor, passent non loin de la forteresse orque de Durthang. Or la position géographique de la forteresse sur la carte RGM semble en désaccord avec celle évoquée dans le texte.

Dans le roman, « juché dans l’angle entre l’éperon ouest et la chaîne principale, se trouvait l’ancien château de Durthang, devenu l’une des nombreuses forteresses orques concentrées autour de la vallée de l’Udûn35).» La « chaîne principale » dont il est question ici est l’Ephel Dúath, et « l’éperon ouest » est « un haut contrefort nu, dressé comme un mur en direction de l’est36) » et qui va rejoindre la brèche de Gueule-de-Fer. Durthang semble donc surveiller la vallée de l’Udûn, mais aussi le plateau de Gorgoroth via la route sinueuse qui en descend. Cependant, dans la carte RGM, 8 lignes de niveau séparent Durthang de la vallée d’Udûn, mais seulement 2 lignes la séparent de Gorgoroth. Une interprétation simple et rationnelle des lignes37) montre que Durthang est situé bas sur les contreforts de l’Ephel Dúath, et n’a donc plus d’accès à Udûn (voir Fig. A6.a ci-dessous).

Figure A6. (a) Région de la forteresse de Durthang, d’après la carte RGM. Les traits rouges montrent les modifications nécessaires pour rendre le relief cohérent. (b) Lignes de niveau de la même région, d’après la carte originale. © Essai de reconstitution des lignes de niveau, où la Morgai devient un simple replat à mesure que les hobbits progressent vers le nord, et où la route descend vers Gueule-de-Fer à flanc de falaise.

Cette interprétation a été suivie par d’autres cartographes. C’est le cas du site Encyclopedia of Arda38), dont le cartographe Mark Fisher a interprété les lignes de niveau de la même manière. De même dans l’Atlas de la Terre du Milieu de K.W.Fonstad39), Durthang est profondément enfoncée dans l’angle de l’Ephel Dúath et de l’éperon ouest, sans aucun accès vers l’Udûn.

Si on se tourne vers la carte RGM originale de Tolkien, la situation semble bien différente (voir Fig.A6.b). Elle semble juchée sur un sommet situé à la rencontre de l’éperon ouest et de l’Ephel Dúath. Les lignes de niveau sont jute esquissées, et parfois enchevêtrées. On comprend aisément que cela ait induit Christopher en erreur lorsqu’il a redessiné la carte. Essayons de confirmer cette interprétation à l’aide d’autres dessins de Tolkien. Sur une esquisse en vue aérienne de la partie nord-ouest du Mordor40), Tolkien a placé Durthang haut sur le relief. La forteresse semble jouir d’une position idéale : juchée sur une ligne de crête surplombant autant l’Ithilien que l’Udûn, elle semble aussi surveiller la vallée du Morgai et l’entrée dans le Gorgoroth. Sur la carte du Jeu de Rôles des Terre du Milieu41), Pete Fenlon a placé de la même manière Durthang sur une ligne de crête, très en retrait par rapport au Gorgoroth.

Évoquons pour finir la route qui longe l’éperon ouest de Gueule-de-Fer. Dans le roman, la route empruntée par les hobbits descend vers Gorgoroth à flanc de falaise, depuis le point où la route « bifurque vers l’est » pendant « une douzaine de milles » au moins42). Elle devrait donc croiser plusieurs lignes de niveau pour indiquer le fait qu’elle descend progressivement à flanc de montagne (voir Fig.A6.c) Or la route, sur la carte RGM, longe la ligne de niveau la plus basse - ce qui améliore la lisibilité mais ne correspond pas tout à fait au texte. En revanche sur la carte RGM originale, la route court à flanc de l’éperon entre deux lignes de niveau, avant de redescendre peu avant Gueule-de-Fer.

Ces exemples – ainsi que les difficultés rencontrées pour les rendre cohérentes – montrent que les lignes de niveau ne doivent pas être interprétées trop strictement comme des lignes d’altitude constante, mais plutôt comme une évocation de massifs ou de chaînes de montagnes.

7 - Vues tridimensionnelles de la carte RGM

Des artistes cartographes ont, à partir des courbes de niveau, proposé des vues tridimensionnelles de la carte RGM. Pour être exploitables, les courbes de niveau doivent cependant être préalablement corrigées, comme nous l’avons vu dans la Section 4 ci-avant. Nous pouvons citer à notre connaissance :

  • Alain Lefevre, dans son article « Imagination & visualisation », Fées, navigateurs & autres miscellanées en Terre du Milieu, Collectif, Dragon de Brume, 2017, p.65-68. L’auteur propose le champ de hauteur et le modèle numérique de terrain créé à partir de la carte de Christopher qui permettent la restitution de paysages de la Terre du Milieu comme s’ils étaient vus du ciel.
  • Simon Ayrinhac, « La représentation cartographique chez J.R.R. Tolkien », op.cit., Fig.6, p.64. Figure en dégradés de gris montrant les courbes de niveau des Montagnes Blanches d’est en ouest.
  • Simon Ayrinhac, « Le Col de Tarlang », calendrier Tolkiendil 201943). Il s’agit d’une vue tridimensionnelle des Montagnes Blanches centrée sur le Col de Tarlang, où le relief est dessiné à partir d’une restitution 3D des courbes de niveau et rehaussé de teintes hypsométriques.
1) W.G. Hammond & C. Scull, The Art of the Lord of the Rings, HarperCollins, 2015.
2) C. McIlwaine, Tolkien — Créateur de la Terre du Milieu, trad. F. Canepa, Hoëbeke, Gallimard, 2019.
4) TAI#390 ; AotLotR Fig.69.
5) C'est d’ailleurs une méthode simple conseillée dans les manuels militaires de formation aux transmissions pendant la Première Guerre Mondiale, à laquelle Tolkien fut soumis. Voir l’addendum de l'article suivant : <https://www.tolkiendil.com/tolkien/etudes/representation_cartographique>
6) TAI#152 ; AotLotR Fig.70.
7) Notée (VI), The War of the Ring, p.262.
8) Voir The War of the Ring, p.268 ; TAI#419 ; AotLotR Fig.131-132.
9) TAI#420 ; AotLotR Fig.133.
10) TAI#186 ; AotLotR Fig.104.
11) Voir D. Willis, « Du détail géographique : Les Emyn Arnen », Tolkiendil, 2001. <https://www.tolkiendil.com/essais/geographie/emyn_arnen> Cet article dévoile un changement d’apparence des collines entre la carte du Seigneur des Anneaux et celle des Contes et Légendes Inachevés.
12) TAI#443 ; AotLotR Fig.157-158.
13) Voir la note géographique de Christopher Tolkien au bas de la p.34 dans Sauron Defeated (The History of Middle-Earth vol.9).
14) TAI#443 ; AotLotR Fig.158.
15) Stentor Danielson, “Military Cartography’s Influence on Tolkien’s Maps of Middle-earth”, Journal of Tolkien Research, vol. 11, n°2, 2020.
16) TAI#422 ; AotLotR Fig.136. Cette carte figure dans TCTM p.389 sous le titre « carte d’une partie du Gondor ».
17) TAI#169 ; AotLotR Fig.91.
18) AotLotR Fig.160.
19) Mark Monmonier, Comment faire mentir les cartes, trad. D.-A. Canal, Autrement, 2019, p.49-72.
20) Voir The War of the Ring, HoMe 8, p.270, 438.
21) Voir Karen W. Fonstad, L'Atlas de la Terre du Milieu, trad. Daniel Lauzon, illus. Stéphane Arson, Bragelonne, 2022, p.106-107.
22) Les dimensions sont données dans TCTM, p.394.
23) Une feuille entière est montrée dans AotLotR Fig.69.
24) W.G. Hammond & C. Scull, op. cit., 2015, p.205.
25) TCTM, p. 394.
26) Voir discussion de W.G. Hammond & C. Scull, op. cit., 2015, p. 182-183.
27) Selon K.W. Fonstad : « Les courbes de niveau, sur la carte du Retour du Roi, donnent l’impression que le Mont Mindolluin et le Starkhorn sont à peine plus élevés que les hauteurs des Emyn Muil ou de l’Ephel Duath, alors que contrairement à ces dernières, leurs sommets sont couverts de neige. » Voir Karen W. Fonstad, L'Atlas de la Terre du Milieu, op.cit., p.100.
28) Atlas de la Terre du Milieu, op.cit, p.100.
29) Selon K.W. Fonstad : « Les courbes de niveau, sur la carte du Retour du Roi, donnent l’impression que le Mont Mindolluin et le Starkhorn sont à peine plus élevés que les hauteurs des Emyn Muil ou de l’Ephel Duath, alors que contrairement à ces dernières, leurs sommets sont couverts de neige. » Karen W. Fonstad, Atlas de la Terre du Milieu, op.cit., p.100.
30) Atlas de la Terre du Milieu, op.cit., p.105, et p.160.
31) Atlas de la Terre du Milieu, op.cit., p.104.
32) Voir K.W. Fonstad, Atlas de la Terre du Milieu, op.cit., p.100.
33) Le Seigneur des Anneaux, livre V, chapitre 3.
34) K.W. Fonstad, The Atlas of Middle-Earth – revised edition, Houghton Mifflin, 1991, p.181. La carte figure aussi p.195 de la version française, mais toutes les lignes de crête de l’édition originale n’ont pas été reprises par l’illustrateur Stéphane Arson.
35) J.R.R. Tolkien, Le Retour du Roi, trad. Daniel Lauzon, Bourgois, 2016, p.242.
36) Le Retour du Roi, op.cit., p.241.
37) On suppose que la ligne de niveau la plus basse représente la même altitude à l’ouest et à l’est de l’Ephel Dúath, et que Christopher a omis de dessiner les lignes de niveau associées à la vaste dépression d’Udûn et au plateau de Gorgoroth.
39) Karen W. Fonstad, L'Atlas de la Terre du Milieu, op.cit., p.106.
40) TAI#428 ; AotLotR Fig.143.
41) Jeu de Rôles des Terre du Milieu (JRTM), Hexagonal, 1986 ; traduction de Middle-Earth Role Playing (MERP) game, Iron Crown Entreprises, 1984.
42) Le Retour du Roi, op.cit., p.244.
43) L’illustration est visible à cette page : <www.tolkiendil.com/galerie/ayrinhac_simon/carte_du_col_de_tarlang>
 
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