Villes et territoires urbains dans Le Seigneur des Anneaux

Damien Blanchard et Stéphane Partiot - 2009
Articles théoriquesArticles théoriques : Ces articles permettent d'avoir une vue d'ensemble du thème traité mais ils nécessitent une bonne connaissance des principales œuvres de J.R.R Tolkien.
« Les mythes que nous tissons, même s'ils renferment des erreurs, reflètent inévitablement un fragment de la vraie lumière […] » J.R.R Tolkien

« Fournir une Mythologie à l'Angleterre ». Tel était le projet de John Ronald Reuel Tolkien lorsque, reclus dans son bureau de linguiste à l'université d'Oxford, il faisait surgir, sous sa plume, les nombreux personnages destinés à peupler l'univers qu'il avait inventé, et qu'il simulait une mythologie rêvée, fondant par là le genre de la fantasy. C'est ce que confesse Tolkien en 1951 dans une lettre adressée à Milton Wadman :

« J'ai été très tôt attristé par la pauvreté de mon propre pays bien-aimé : il n'avait aucune histoire propre (étroitement liée à sa langue et à son sol), en tout cas pas de la nature que je recherchais et trouvais (comme ingrédient) dans les légendes d'autres contrées. »

Ainsi donc, bien avant d'être nourri par des représentations historiques datées, le monde créé par Tolkien s'enracine dans un terreau mythique dense et pluriel, au point qu'il porte en lui-même sa propre temporalité, comme en témoigne la longue chronologie fournie par l'auteur en appendice du Seigneur des Anneaux. Cet univers qui n'est pas seulement historique ou mythologique mais aussi géographique, cet espace physique, avec ses montagnes, ses fleuves, ses forêts, ses vastes plaines, il l'appelle : la Terre du Milieu. La toponymie de cet espace est elle aussi construite de toute pièce et repose sur une vaste entreprise philologique, qui tisse des résonances complexes sur un canevas de dialectes imaginaires. Il n'est donc pas jusqu'au nom même des villes et des lieux-dits que traversent, tout au long du livre, les personnages tolkieniens, qui ne participe à un certain « dépaysement ».

Pour toutes ces raisons, la Terre du Milieu est un espace fictif et imaginaire ; et sa spatialité demeure toute littéraire. Peut-on dire pour autant que l'univers du Seigneur des Anneaux, en sa qualité d'« espace mythique », résiste à toute approche géographique frontale ? L'important travail géographique mené par Tolkien lui-même, qui désirait, en véritable pionnier, proposer un support cartographique à son récit, nous interdit de le penser. Le professeur de linguistique et de littérature anglaise ne pouvait ignorer les contingences liées à l'organisation de l'espace, et, plus particulièrement, celles liées à l'organisation de l'espace urbain. Bien plus, son scrupule en matière de cartographie était aussi grand qu'en matière de philologie ou d'écriture. Il tenait à ce que ses récits, bien que fantastiques, soient marqués du sceau du réalisme, et que cette fiction ait, dans ses aspects quotidiens et familiers, l'air de la réalité. Dans une lettre de 1955 adressée à Rayner Unwin, son éditeur, avant la publication de l'ouvrage, il écrit dans l'urgence :

« The map is a hell ! I have not been careful as I should in keeping track of distances. I think a large scale map simply reveals all the chinks in the armour - besides being obliged to differ somewhat from the printed small scale version, which was semi-pictorial. May have to abandon it for this trip!1) » (nous soulignons.)

C'est donc l'hypothèse de l'existence d'un contenu géographique réel dans l'Œuvre de Tolkien que nous chercherons à approfondir tout au long de notre étude, qui sera consacrée aux réalités urbaines de l'espace mythique mis en récit dans Le Seigneur des Anneaux. La Communauté de l'Anneau, qui parcourt la Terre du Milieu avec pour objectif la destruction de l'anneau au Mordor, est d'ailleurs composée de membres dont la diversité est à l'image de ce vaste espace géographique. Quand l'Elfe Legolas côtoie le Nain Gimli, ce sont deux approches culturelles mais aussi géographiques qui se rencontrent : l'un vit dans des « villes-forêts », l'autre au sein de villes creusées dans les profondeurs rocheuses de la terre. Chaque race possède une organisation spatiale différente, et au sein même de ces identités, des différences peuvent surgir. Les réalités urbaines multiples de cet espace géographique suscitent d'ailleurs la comparaison quand des d'individus aux identités diverses se rencontrent. Peut-on d'ailleurs dire qu'un regroupement de population dans une forêt (la Lorien), sous terre (la Moria), ou dans le bocage (la Comté) constitue à une ville à part entière ? Quels autres éléments permettent de la constituer, voire de la reconstituer après la guerre ?

Dans un souci de précision, nous avons pris le parti de resserrer notre analyse autour de deux figures explicitement distinctes de la ville : la ville hobbite d'une part, principalement décrite dans le Prologue ainsi que dans le Livre Premier, et la ville humaine d'autre part, qui trouve sa plus large expression au début du livre V à travers la découverte de Minas Tirith par le Hobbit Pippin (Peregrïn Touque). L'analyse successive de ces deux formes de territorialisation urbaine sera l'occasion d'employer, dans un contexte nouveau, les outils multiscalaires de l'analyse géographique. Après avoir décrit les différentes formes de territorialisation urbaine ainsi que les deux identités auxquelles elles renvoient dans la géographie imaginée par Tolkien, nous étudierons la confrontation entre deux manières différentes d'habiter la ville ― la citadinité hobbite et la citadinité humaine ― afin de dégager ce qui pourrait être une pratique de la rencontre et une invitation au nomadisme citadin.

Organisation et pratiques du « bourg » hobbit

La Comté : des spécialisations régionales au sein d'un réseau équilibré

La Comté (en anglais : the Shire), territoire libre des Hobbits, est divisée en quatre unités administratives qui prennent le nom de « quartier », et qui présentent des réalités diverses. Le Quartier du Nord (« North Farthing »), par exemple, semble être le moins urbanisé de tous puisqu'il est presque entièrement recouvert par le massif forestier de Bindbole. À l'inverse, le Quartier de l'Ouest, principalement composé de collines dispersées, contient trois des plus grandes « villes » hobbites : Hobbitebourg, « capitale » administrative — toute théorique — de la Comté, Bourg de Touque, et enfin, aux confins occidentaux du territoire hobbit, la ville de Grand'Cave sur les Hauts Blancs.

Le Quartier du Sud est quant à lui un espace de bocage, ainsi que peut le laisser penser la présence de haies2), probablement destinées à « briser » le flux d'ouest3) qui semble décidément souffler très fort4) en ces contrées soumises à l'influence de la Grande Mer (Belegaer) — hypothèse d'un climat océanique que vient corroborer la présence de la végétation naturelle du domaine océanique : hêtres, ormes, frênes, chênes5), bouleaux6), etc. Bocage, donc, pour le Quartier du Sud, où l'élevage — probablement sur des pacages qui sont des terres en jachère (optimisation du saltus) — et la polyculture maraîchère bien irriguée7), quoique sans doute peu mécanisée8), côtoie des cultures plus spécialisées comme celle des meilleures variétés d'herbe à pipe9), aux plants jalousement gardés. À cette exploitation de l'ager, il faut ajouter celle de l'espace forestier (ou silva), à des fins de menuiserie ou de construction10). Enfin, on peut supposer que la forme d'habitat dominante dans cet espace de bocage est celle de l'habitat dispersé. Ceci expliquerait l'absence de véritable pôle urbain dans le Quartier du Sud — à l'exception notable de Longoulet qui joue un rôle central dans le commerce intérieur et extérieur de l'herbe à pipe produite sur son propre finage.

On s'arrêtera enfin sur le cas du quartier de l'Est, à l'habitat plus groupé et resserré autour des rives du fleuve Brandevin11). Malgré la grande « haie », qui borde la Vieille Forêt, réputée maléfique, l'extrême est ce quartier, souvent nommé « Pays de Bouc », est ouvert sur l'extérieur par la Route de l'Est, qui franchit le Pont du Brandevin. Une telle ouverture témoigne de la tradition commerciale de ce peuple, et rappelle l'importance du pont dans la connexion interurbaine, en ce qu'il permet, au même titre que le gué mais en autorisant le passage des charrettes, de franchir une véritable frontière physique. Ce pont peut être en pierre, comme sur le Brandevin, ou bien en bois12) mais il témoigne toujours d'une volonté d'aménager l'espace physique, au même titre que la plantation de saulées et d'aulnées13) le long des berges (rangées d’arbres au système racinaire profond et au chevelu bien développé, aussi nommées « ripisylves » par les biogéographes), afin d'en assurer la stabilité et empêcher la formation de fondrières. On voit, par cet exemple de l'extraversion du Quartier de l'Est, que la colonisation hobbite ne s'est pas tant réalisée par un marquage physique du territoire ou par un contrôle des frontières — de fait : il y a en tout et pour tout14) « shirrifs » affectés à la surveillance des frontières15) — que par une forme de mise en valeur plurielle et non prédatrice. C'est que l'urbanisation de la Comté, telle qu’elle nous est décrite en l'an 3018 du Tiers Âge (TA), répond à une genèse complexe que seule une démarche géohistorique permet de retracer.

Cul de Sac (© John Howe)

Quelques remarques d'ordre historique permettent d'éclairer cette carte : les premiers Hobbits à s'être installés en Eriador provenaient d'une contrée située loin vers l'Est, derrière les Monts Brumeux, sur les rives du grand fleuve Anduin. C'est du moins ce que racontent les légendes hobbites que Tolkien semble accréditer : l'auteur date la création de la Comté au moment du passage du fleuve Brandevin par les premiers colons16) (en 1150 TA selon la datation commune), qui étaient de la branche hobbite des « Pâles » (par opposition aux « Pâles » et aux « Pieds velus »). Peu à peu, ils abandonnèrent les rives du Brandevin pour pousser plus avant l'expédition jusqu'à atteindre le coteau de Touque, à l'Est du Pays de la Colline Verte, dans l'actuel Quartier de l'Ouest. L'audace, la vaillance au combat et la longévité des « Pâles » leur conféra une aura singulière qui se retrouve encore dans leur identité communautaire forte17) et dans l'indépendance administrative de Bourg de Touque, acquise de longue date. La région du Brandevin fut peuplée par des « Forts », race célèbre pour son goût, étrange aux yeux des autres Hobbits, pour la navigation fluviale. Enfin, une troisième race de Hobbits devait s'arrêter parmi les collines qui bordent « l'Eau » (the Water), ce cours d'eau légèrement encaissé. Il s'agit des « Pieds velus ». Le chapelet de villes égrainé le long de cette toute petite rivière qui traverse la Comté d'Ouest en Est révèle la progression par stades du front pionnier.

Mais au delà de toutes les spécialisations régionales, il faut souligner l'équilibre et l'homogénéité de ce territoire urbain. La carte de Christopher Tolkien révèle, à ce titre, l'existence d'un semis urbain plutôt homogène, caractérisé par l'absence d'un hypercentre organisateur et par un réseau de routes multiples, qui semble assurer à tous ces bourgs une desserte honorable, sans que l'un ou l'autre polarise les voies de circulation. En termes de logique des réseaux urbains, il s'agirait donc ici, à première vue, d'un réseau équilibré, structuré par des villes d'importances comparables telles que Bourg de Touque, Chateau- Brande et Stock. Il importe cependant de nuancer une telle affirmation, du moins pour ce qui concerne le réseau « routier » effectif : en effet, la carte de Christopher Tolkien, en sa précision toute schématique, ne nous renseigne en rien sur la nature des différentes routes ; telle route trans-sylvestre qui semble relier Hobbitebourg à Bout-des-Bois peut se révéler n'être qu'à peine un sentier mal battu18). Quoiqu'il en soit, l'équilibre de ce réseau multipolaire, en même temps que l'absence de métropole réelle — ce que nous apprend l'analyse géohistorique, — pourrait bien remettre en cause la qualité de « ville » effective de ces « bourgs » hobbits : on a vu, en effet, combien l'activité agricole19) constituait encore leur principale activité… Afin de déterminer la nature exacte de ces groupements de populations et d'habitations, il nous faut réduire l'échelle de notre analyse et déterminer si, oui ou non, le « bourg » hobbit peut être défini comme une ville.

Hobbitebourg : entre ruralité et urbanité

On peut s'interroger sur la véritable urbanité de la ville hobbite dès lors que Tolkien lui-même décrit la Comté comme un espace essentiellement rural : dès la première page du Prologue, elle est croquée comme une « campagne bien ordonnée et bien mise en valeur »20). Bien plus, tout porte à croire21) que Tolkien se soit inspiré de la campagne anglaise d'avant-guerre dans laquelle il a grandi, à Sarehole, près de Birmingham. Et pourtant, force est de constater que des formes d'habitat groupé se sont développées dans les différents quartiers de la Comté, le long des grands axes de communication. Cela n'en fait pas pour autant des villes, si l'on prend du moins pour étalon la définition de l'INSEE se basant sur la continuité du bâti (condition qui n'est, a priori, pas remplie par le « bourg » hobbit puisque l'habitation troglodyte du « trou » laisse intact, en apparence, l'identité paysagère) et sur un seuil arbitraire de population (en France : 2000 habitants) ; en l'absence de statistiques précises de population, on ne saurait répondre à cette deuxième condition, mais, quand bien même une telle réponse serait négative, il est douteux que les critères qui ont servi à l'établissement de la norme INSEE soient directement superposables à cet espace imaginaire qu'est la Comté. Il nous faut donc chercher d'autres critères nomothétiques. Une autre définition de la ville, donnée par Élisabeth Dorrier- Appril au début de Vocabulaire de la ville22), est une définition strictement fonctionnelle : la ville concentrerait les différentes fonctions (résidentielle, commerciale, administrative, culturelle, militaire, de transport, etc.). On cherchera ici à montrer que l'exemple d'Hobbitebourg répond, au moins partiellement, à cette définition, et qu'elle constitue par là-même une ville, une semi-ville, pour semi-hommes.

Hobbitebourg est un village dont la situation est relativement privilégié puisqu'elle est située à une courte distance de la pierre qui fait la jonction des quartiers Ouest, Sud et Est, ce qui lui confère une valeur symbolique non négligeable, que vient renforcer la proximité de la route de l'Est, « épine dorsale » de la Comté. Bien plus, le site urbain qui abrite Hobbitebourg (i.e. la vallée légèrement encaissée de l'« Eau ») est incomparable : c'est un espace tout en vallons et en collines ainsi que l'indique la toponymie (The Hill, Overhill), plus salubre que les Marais de Rushock situés en amont23), situé près du lac de Lézeau — on signale, au passage, l'importance de ce lac pour le développement rural et urbain, puisqu'on sait qu'il s'agit d'une importante réserve d'eau douce, utilisée pour l'irrigation des cultures ou comme source d'eau potable. La présence d'un cours d'eau est également utile au meunier, à condition que celui-ci emploie la technique du moulin à eau, ce qui n’est pas évident puisque, comme nous l’avons démontré plus haut, un fort vent d’Ouest souffle sur la Comté, et peut certainement faire tourner un moulin à vent24).

On sait par ailleurs que les bourgs hobbits concentrent les fonctions artisanales : meuniers, forgerons, cordiers, charrons25)) —, celui qui fabrique charrues et chariots, — en somme, tous les corps de métiers artisanaux y sont présents, sauf, peut-être, celui des cordonniers26). Il faut aussi compter avec la fonction de relais postal27) pour la correspondance privée28) comme pour la correspondance publique29). Hobbitebourg, n’est pourtant pas, à proprement parler, le centre de la Comté en termes de population puisque les régions les plus peuplées sont celles qui bordent le Baranduin à l'est de la Comté. Pour ce qui concerne Lézeau, ville jumelle d'Hobbitebourg, on peut poser la question d'une éventuelle conurbation qui serait formée par la coalescence des « banlieues » de ces deux agglomérations, et qui pourrait donner un plus grand poids à ce site urbain. Rien, pourtant, ne permet de répondre définitivement par l'affirmative à une telle question, dans la mesure où la continuité du bâti, constitutive de la conurbation, est loin d'être assurée. Il faut toutefois remarquer qu’après la Guerre de l’Anneau, l’influence d’Hobbitebourg ira grandissante, forte de son prestige récent : on sait que Sam Gamegie, membre de la Communauté de l’Anneau, domicilié à Hobbitebourg, deviendra Maire de la Comté pendant pas moins de quatre mandats. Une telle remarque soulève la question du territoire symbolique d’une ville : comment des représentations historiques peuvent-elles encourager ou au contraire infléchir le développement d’une ville ? Parfois la toponymie elle-même peut participer de cette perpétuation d’un héritage historique — à l’image de la place du bûcher, à Rouen — mais Tolkien remarque, non sans une pointe de satire, que les Hobbits sont moins sujets que les Hommes à ces commémorations chroniques30).

A défaut d’être un pôle industriel, on peut donc dire qu’Hobbitebourg est à la fois un pôle artisanal et, depuis le départ des porteurs de l’Anneau, un pôle historicosymbolique, bien que les archives de la Comté (en fait, les archives privées des Brandebouc) aient été transférées par la suite à Château-Brande31). Mais il est impossible de parler de la culture urbaine hobbite sans évoquer le rôle essentiel des auberges, et de l’espace de rencontre qu’elles constituent. Leur principe est simple : il associe la fonction résidentielle et la fonction de restauration. Tolkien consigne l’existence d’au moins deux de ces auberges dans les environs d’Hobbitebourg : le Buisson de Lierre32), situé sur la route de Lézeau, et Le Dragon Vert, situé à Lézeau même. Il existe une certaine concurrence entre ces auberges qui, semble-t-il, sont aussi des brasseries : ainsi Pippin nous apprend-il que l’auberge du Perchoir Doré, à Stock, sert la « meilleure bière du quartier de l’Est »33). Il existe en fait une véritable identité de ces auberges conviviales. On y sert de la bière, bien sûr, mais aussi du vin acheté à Longoulet : la viticulture demande un ensoleillement important, et les flancs de collines du Quartier Sud s’y prêtent admirablement34). Le cru du Vieux clos jouit, auprès de ces fins œnologues que sont les Hobbits, d’une réputation éclatante. Le nom « Vieux clos » peut nous laisser supposer l’existence d’une ferme qui permet, après pressage du raisin, la fermentation en fût, et probablement en fût de chêne35). Quant à l’orge, dont le malt est destiné à être brassé, et au houblon, qui sert à conserver la bière et à l’aromatiser, ils sont surtout cultivés dans les plaines du Quartier du Nord36). Ce sont des plantes qui demandent peu de soleil et résistent bien au gel (jusqu’à -15 °C pour ce qui concerne l’orge). Il faut cependant compter, pour juger de la qualité d’un vin ou d'une bière servis dans une auberge, avec le millésime :

L’orge du Quartier du Nord fut si belle qu’on devait se souvenir longtemps de la bière du malt de 1420 (datation de la Comté), qui devint proverbiale. En fait, une génération plus tard, on pouvait encore entendre dans quelque auberge un vieux reposer son pot après une bonne pinte de bière bien gagnée, en soupirant : « Ah ! c’était du vrai quatorze cent vingt, ça ! » (p.484, t.III)

En définitive, la ville hobbite incarne, par sa plurifonctionnalité, par sa culture, par son identité, cette « amitié intime avec la terre » que Tolkien attribue aux Hobbits dès le Prologue de son livre. Les critères contemporains de définition ne peuvent rendre compte d’une telle harmonie entre les catégories, canoniquement distinctes, de la « nature » et de la « culture ». Peu d’indicateurs urbains contemporains définiraient Hobbitebourg comme une ville. Et pourtant, les habitants de la Comté n’en continuent pas moins d’y voir une forme urbaine, ainsi qu’en témoigne la toponymie (le « bourg »). C’est donc au seuil d’une question d’ordre épistémologique que nous conduit notre analyse de ce que nous avons appelé une « semi-ville » : comment définir la ville ? Peut-on se contenter de critères objectifs, ou faut-il au contraire leur préférer un critère plus subjectif, qui prenne en compte les représentations symboliques, aussi vrai que chacun porte en-lui même une idée singulière de ce qu’est la ville ?

Le « trou » (ou smial) : « Hole sweet hole » ?

L’habitat traditionnel des Hobbits est le « trou », « vaste tunnel ramifié » creusé à flanc de colline. À la différence des mines exploitées par le peuple des Nains dans les Monts Brumeux, le trou hobbit est essentiellement horizontal : il ne s’agit pas, à proprement parler, de « caves ». Ce sont de véritables maisons « en creux ». Une des indications architecturales que nous possédons à leur propos est la forme circulaire des fenêtres et des portes. Une telle indication a été largement exploitée par l’équipe du réalisateur Peter Jackson.

Cette « rotondité » qui forme l’identité de l’architecture hobbite évoque des courbes plutôt féminines, qui la rattachent à la représentation psychologique de la terre maternelle et nourricière. Un éclairage psychanalytique peut venir conforter une telle hypothèse : le trou hobbit, avec son atmosphère intime37) ne met-il pas en place, en filigrane, la question de la « réinvagination » (c’est-à-dire le désir de retourner dans le ventre de sa mère, ici : de Mère Nature) ? Cet imaginaire s’opposerait à une certaine verticalité qui domine nos représentations habituelles de la ville.

On comprend alors l’origine même du nom « Hobbit » : celui-ci provient du rohirique38) « holbytla » qui signifie « fouisseur ». Mais si un tel nom fut attribué dès l’origine à ce peuple en raison d’une certaine identité « troglodyte », il n’est pas certain que cette troglodytude n’ait pas évolué afin de s’adapter aux contingences géophysiques de la Comté. Un paragraphe du Prologue du Seigneur des Anneaux est consacré à cette évolution.

« Les Hobbits avaient tous vécu à l'origine dans des trous creusés dans le sol […] mais, avec le temps, ils avaient dû adopter d'autres formes d'habitation, et c'est dans de telles demeures qu'ils se sentaient le plus à l'aise. De fait, dans la Comté au temps de Bilbon, seuls les plus pauvres et les plus riches maintenaient l'ancienne coutume. Les plus pauvres continuaient à vivre dans des terriers de l'espèce la plus primitive, de simples trous en vérité à une seule fenêtre ou sans fenêtre du tout ; tandis que les gens cossus construisaient des versions plus luxueuses des simples excavations d'autrefois. Mais les sites convenables à ces vastes tunnels ramifiés (ou smials, comme on les appelait) ne se trouvaient pas n'importe où ; et dans les terrains plats et les régions basses, les Hobbits, à mesure qu'ils se multipliaient, commencèrent à construire en surface. » (p.22, p.I)

L'intérieur de Cul de Sac (© John Howe)

On le voit, en raison de l’insalubrité de certaines régions marécageuses (comme le Maresque39) au toponyme significatif), les Hobbits durent entreprendre la construction de maisons en dur, telle la ferme du père Maggotte40) au pays de Bouc. Il est évident que les Hobbits ne disposent pas d'un équivalent de notre Plan Local d’Urbanisme. Mais le dépassement de ces contraintes naturelles, qui s’est accompagné d’une redistribution socio-spatiale, suppose des mesures d’aménagement et d’assainissement qui, pour spontanées qu’elles soient, n’en sont pas moins réelles et complexes.

Ce même passage du Prologue révèle un autre motif de cette évolution architecturale : l’absence de « place », de « site convenable ». On touche ici à un problème essentiellement urbain : celui de la densité du bâti, qui pose la question de nouvelles formes architecturales. Aussi, une lecture attentive du Livre Premier ne peut que faire état du fait suivant : la singularité originelle du bourg hobbit — sa relation d’harmonie avec l’espace qui l’abrite — s’estompe à mesure que l’on approche des frontières de la Comté ; tout se passe comme si l'urbanité humaine, en quelque sorte, « bavait », à la manière d'une aquarelle, aux marges de la Comté, créant par là même un espace intermédiaire de « Marche ». Si ce phénomène est vrai pour ce qui concerne la morphologie urbaine (passage d'une architecture hobbite à une architecture hybride), il l'est aussi pour les représentations spatiales des habitants. Dans le livre I, Frodon, Sam et Pippin constatent la multiplication des haies et barrières, à mesure qu'ils s'engagent plus avant dans le Pays de Bouc. À l'intérieur même de la ville, la pratique du confinement nocturne, surprend les trois hobbits41). C'est en fait la problématique de l’insécurité qui est peu à peu introduite, et qu'incarnent les trois chiens du Père Maggotte aux noms dissuasifs42). Cette « insécurité urbaine » est aussi constitutive d’une identité frontalière, mal perçue par certains natifs de l’intérieur de la Comté43) si bien que « la plupart des gens de la vieille Comté considéraient les gens du Pays de Bouc comme des originaux, presque des étrangers pour ainsi dire » (p.178, t.I). Progressivement, les personnages sont confrontés à une autre géographie urbaine, marquée par la coupure d’avec la nature, ainsi qu’à une autre citadinité corrélative, caractérisée par une plus grande peur de l’altérité. Certains exégètes ont comparé ce passage à la sortie édénique, et l’anneau à une sorte de fruit défendu. En est-il réellement ainsi ? Peut-on dire de la ville humaine qu’elle est un « enfer » ?

Organisation et pratiques de la ville humaine

L'exemple de Minas Tirith offre en effet une image presque inversée d'Hobbitebourg et de la Comté. Cette inversion est-elle liée à une différence raciale ? On peut a priori le dire puisque les Hobbits sont considérés comme des Semi-Hommes, et leurs représentations géographiques ainsi que l'organisation de l'espace différent de celles des Hommes (leur taille a sans doute quelque chose à y voir). Pippin le Hobbit constitue en ce sens un observateur privilégié, et l'usage du point de vue interne matérialise bien le fait que la description de la ville s'accomplit par le regard du Hobbit. En un sens, Pippin ressemble à un géographe de terrain qui parcourt l'espace et analyse les représentations des habitants. Or, il s'agit d'un regard clairement extérieur, qui s'étonne et se réjouit de ce qu'il voit, car les phénomènes géographiques et culturels sortent de l'ordinaire.

L'Anorien, « pays » du Gondor

À l'échelle macro-urbaine, au nord de Minas Tirith se trouve l'Anorien, considéré comme une des provinces du Gondor44). Cet espace à mi-chemin entre vallée et plaine possède son équivalent géophysique avec la vallée du Rhône : il s'agit d'une plaine alluviale. Cette province tire par ailleurs son nom de Minas Anor (qui signifie Tour du Soleil), ancien nom de Minas Tirith (i.e. Tour de Garde, ce qui marque a priori la fonction de refuge et de protection de la ville). Elle est délimitée au nord et à l'est par le fleuve Anduin qui constitue presque un fleuve-frontière, notamment en ce qui concerne Osgiliath, ville située à l'est de Minas Tirith, et séparée en deux par le fleuve (à l'image de la ville-fleuve45) : si le fleuve est assez méandreux en amont, sur le plateau du Rohan, du fait de la faible pente, il emprunte ici un cours plus régulier ; on le franchit en bateau ou bien en passant par le grand pont d'Osgiliath). A l'ouest, le mont Mindolluin et au sud le « pays » de Lossarnach délimitent de leur côté l'espace en question. La frontière est matérialisée par le Rammas Echor, un mur gigantesque s'étendant sur des kilomètres46) et qui enclot tout le Pelennor – c'est-à-dire le « Pays clos » qui entoure immédiatement Minas Tirith. Ce mur a été construit après la chute de l'Ithilien, une province voisine, aux mains de l'ennemi Sauron, qui réside en Mordor, à l'est de l'Ithilien. Cette frontière est distante de Minas Tirith d'une à quatre lieues environ (i.e. 5 à 20 kilomètres) : elle dessine donc l'espace d'une banlieue, étymologiquement parlant. Le mur est surveillé par des gardes : un mot de passe est requis pour le franchir. C'est la raison pour laquelle, lorsque Gandalf arrive à cette limite, la présence de Pippin à ses côtés pose problème. Celui-ci ne fait pas partie du territoire de l'Anorien : il est considéré comme un étranger, un danger potentiel en temps de guerre47). L'Anorien se présente donc comme un espace frontiérisé, en raison notamment de l'état de guerre : on y trouve des « petits murs »48) dispersés un peu partout, reliques de l'exode rural récent des habitants.

Les communications sont par ailleurs mises à l'épreuve, avec un fonctionnement par feux qui permet, à l'instar d'un télégraphe, de transmettre un message49), avec à n'en pas douter plus d'efficacité que le service postal hobbit. Les communications entre les villes ou provinces sont en réalité réduites et difficiles, puisque Minas Tirith est une ville qu'on peut dire primatiale, qui commande un réseau urbain macrocéphale au sein de l'Anorien. La perspective majeure, à partir de Minas Tirith, reste en effet celle des Champs du Pelennor50). A ce titre, l'histoire du Gondor permet d'expliquer ce rapport inégal entre la ville et sa campagne. En effet, Minas Tirith (anciennement Anor) n'a pas toujours été la capitale du Gondor. Avant l'année 1640 du TA, c'est Osgiliath, la ville-fleuve, qui endossait cette fonction, à mi-chemin entre Minas Anor et Minas Ithil (cité de l'Ithilien devenue Minas Morgul en tombant aux mains de Sauron). La ville, incendiée pendant la grande guerre civile du Gondor (1442-1448 TA), a vu son plus grand bâtiment, le Dôme des Étoiles, tomber en ruines. Plus grave, la Grande Peste de l'an 1636 TA a provoqué la fuite d'un grand nombre d'habitants, qui ont refusé de revenir à Osgiliath51). C'est pourquoi, en 1640 TA, la cour royale s'est installée à Minas Anor (devenue plus tard Minas Tirith)52). Cette géo-histoire permet d'esquisser une comparaison avec l'Empire romain, ainsi que le fait Dino Meloni53). Ce dernier pointe le caractère expansionniste et géophage d'un Gondor qui multiplia les conquêtes et les fortifications et assimile par exemple le Rammas Echor au mur d'Hadrien, ou Osgiliath (ancienne capitale) à Rome. Tous ces éléments indiquent donc l'importance de la capitale : elle concentre massivement la population et les fonctions, et, comme Osgiliath est séparée de Minas Tirith par une vaste étendue presque délaissée, un réseau bicéphale s'avère difficile à mettre en place, d'autant plus que le pouvoir politique ne réside que dans la main du Roi (ou de l'Intendant, pour le cas où celui-ci serait absent). Par l'importance de sa puissance presque « absolue », il incarne humainement la macrocéphalie urbaine.

Mais les Champs du Pelennor qui s'étendent autour de Minas Tirith ne constituent pas un désert, ils peuvent plutôt être considérés comme une campagne immense, très étendue, à perte de vue, avec peu de villes (du moins, Tolkien n'en mentionne aucune). Il s'agit surtout de zones rurales qui ont peu à peu été abandonnées à cause de la guerre et des dangers extérieurs : en temps de conflit, la pauvreté n'est ni l'apanage de la campagne ni celui de la ville. En un sens, Minas Tirith et les Champs (au nom significatif) représentent bien les rapports de dépendance entre ville et campagne environnante. Minas Tirith possède en effet le statut multiple de capitale politique, économique, culturelle de l'Anorien et du Gondor tout entier. Les autres provinces n'abritent pas en leur sein de ville suffisamment importante pour contrebalancer le poids de la capitale, si ce n'est sans doute Pelargir sur un plan non-administratif. Aucune indication démographique ne permet cependant d'évaluer l'importance réelle de chacun des pôles urbains du Gondor. En tout cas, les campagnes de l'Anorien jouent clairement leur rôle classique d'approvisionnement en marchandises et nourriture (aire de chalandise). Leur paysage s'apparente pour une grande part à celui de l'openfield. De son côté, Minas Tirith, qui se trouve à une certaine altitude, représente l'espace central et centralisé, avec une position de surplomb au-dessus des « pentes et terrasses » de la campagne. De ce décalage fonctionnel et géographique entre ville et campagne s'est produit une sorte d'exode rural assez marqué, même si la menace de la guerre joue un grand rôle dans le déplacement des populations vers la capitale protectrice54). Les populations rurales se concentrent pour leur part dans les zones montagneuses, ou près des fleuves (ainsi pour l'ancienne ville d'Osgiliath ou la province de la Lebennin, à la frontière sud de l'Anorien). La macrocéphalie a donc une origine double : le poids de Minas Tirith et la crainte de la guerre.

Cependant, il ne faut pas croire que la capitale soit coupée de la campagne, où les activités agricoles se concentrent effectivement (cultures céréalières, fruitières, élevage bovin, dans des fermes, greniers, granges, bergeries et étables), puisqu'un réseau routier relativement important les relie l'une à l'autre. En effet, afin de favoriser à la fois les communications politiques, et les transports alimentaires, une grande route (la principale) et d'autres plus petites, considérées, pour certaines, comme des « pistes », existent55). Cette route principale conjoint par ailleurs les deux villes notables de l'Anorien : Minas Tirith et Osgiliath56), cette dernière étant en quelque sorte l'avant-garde ou la dépendance de la première. Cependant, si le réseau est assez fréquenté, les moyens de transport semblent assez rudimentaires57). Étant données les distances, cela conduit peut-être à relativiser la force des rapports ville-campagnes.

Le réseau urbain de Minas Tirith se démarque donc de celui de la Comté, puisqu'il est macrocéphale, avec une dépendance agricole assez marquée58), sans régionalisme réel, par opposition avec la polycéphalie hobbite et ses espaces régionaux qui pourraient à la limite constituer un fédéralisme, si pouvoir politique fort il y avait. Or, cette organisation de l'espace macro-urbain humain a en partie sa miniature : Minas Tirith, ville davantage fortifiée encore que la province, et qui oscille entre l'identité-ville et l'identité-citadelle.

La Cité de Minas Tirith : la ville-citadelle

En effet, et contrairement aux bourgs hobbits qui bénéficient d'une paix assez évidente, Minas Tirith est vue par Pippin comme une cité se préparant à la guerre. Le terme de Cité, d'autant plus connoté qu'il est assorti d'une majuscule, recouvre cette idée d'une ville qui peut seule conduire à la paix et qui doit donc commander la lutte. Ce caractère militaire permet de l'envisager la ville à la fois comme vivant pour elle-même, mais aussi pour le conflit. On peut donc discerner deux différences majeures avec le bourg hobbit : une concentration des activités en des espaces bien délimités, qui matérialise la dimension « médiévale » de la cité, et une subordination des espaces aux fonctions militaires.

L'architecture de la ville témoigne de ce phénomène. Le site est constitué en effet par une sorte de piton rocheux, issu des montagnes auxquelles la ville s'adosse, et qui permet de bénéficier d'une position surplombante. La verticalité, à laquelle se joint la circularité, domine dans la construction de la ville. Elle est en effet, à la limite, creusée dans la roche59), et de bas en haut, s'étend sur près de 300 mètres de hauteur, de quoi impressionner un envahisseur. La ville de Minas Tirith montre donc bien qu'on peut s'affranchir avec bénéfice de la géo-physique60), et on peut même affirmer que la ville se confond dans son environnement physique, puisqu'elle est faite de pierre blanche61), à l'image de la roche : c'est pourquoi Ghân-buri-ghân, chef d'un peuple riverain, la surnomme « La Cité de pierre » (« Stone-city »). Les nombreux remparts (à la fois extérieurs et intérieurs), les sept niveaux superposés l'un après l'autre dans l'ascension circulaire (en spirale), les multiples portes fortifiées à franchir dont notamment la Grande Porte, qui n'est tombée qu'une seule fois, au moment de la Guerre de l'Anneau, incarnent la fonction de protection et de refuge, qu'on retrouve dans la ville fortifiée selon Vauban.

En somme, on peut dire que la ville s'est construite avec pour ambition première d'ériger une citadelle, à partir d'une organisation rationnelle, cohérente, et répétée à tous les niveaux de la cité : la perspective stratégique se matérialise dans le positionnement des différentes portes, puisqu'elles ne se succèdent pas dans le même axe mais décalées62). Les rues, par ailleurs clairement dessinées et pavées, peuvent être qualifiées de sinueuses par endroits, en raison de la circularité63). La vie urbaine est-elle pour autant réservée aux soldats, ou à la préparation de la guerre ? Bien au contraire, en vertu de son statut de capitale, Minas Tirith concentre aussi des activités économiques, sociales, culturelles où la citadinité peut s'exprimer autrement. Les habitants peuvent en effet déambuler dans la ville, et le récit montre Pippin en compagnie d'autres Hommes, comme Beregond ou son fils Bergil, en train de se promener sur les remparts ou dans les blanches rues de la Cité. Au gré de ces promenades, apparaissent des éléments indispensables à la vie de la Cité. Or, la répartition est ici plutôt de l'ordre de l'isolement par concentration : on peut en effet affirmer que l'économie ne se mêle pas avec le politique, pas plus qu'avec la socialité, dans Minas Tirith. En effet, d'un point de vue spatial, l'économique se concentre au bord des rues, le politique au sommet de la Cité, et la socialité dans la rue.

En tout cas, la diversité des activités et des fonctions ne fait pas de doute. Sur le plan économique d'abord, avec la Rue des Lanterniers par exemple, au sein de laquelle sont installés des fabricants de lampes, indispensables pour pouvoir s'éclairer la nuit (dans les rues comme chez soi). La concentration corporatiste est, par excellence, un élément de la ville médiévale. Il permet la solidarité urbaine, mais conduit aussi à isoler les différents corps de métiers selon une répartition zonale. En effet, les activités économiques (le commerce n'est jamais explicitement mentionné) se déroulent pour la plus grande part dans les premiers cercles de la Cité, et ce pour une raison simple : les matières premières ou les produits finis arrivent de la campagne et sont acheminées plus rapidement dans les niveaux les plus bas. En effet, la place centrale pour l'économie ne se trouve ni au sommet, ni au niveau intermédiaire, mais en bas de la Cité64). D'autant plus que la circulation dans la ville n'est pas forcément aisée : elle se résume, la plupart du temps, à une locomotion pédestre, avec certes quelques chevaux, mais qui sont réservés aux coursiers de l'Intendant ou du Roi65). Il faut donc supposer que les rues étaient animées par une foule assez nombreuse en ce temps de guerre où tous les hommes se sont massés dans la Cité.

Minas Tirith (© Ted Nasmith)

Les activités socio-culturelles trouvent ainsi leur justification, même si le moral des hommes est au plus bas : il faut en effet noter que le sex-ratio s'est accru avec la guerre, puisque les femmes et les enfants ont émigré dans d'autres régions du Gondor, ce qui explique la masculinisation de la ville66). On peut noter que Minas Tirith diffère en cela, comme en bien d'autres points, des villes occidentales contemporaines, où la part de femmes dans la population urbaine est généralement plus importante. Du fait de l'animation qui règne dans la Cité, la socialité s'éprouve au gré des rencontres, qui se produisent avec convivialité, avec tout uniment l'espoir et le désespoir au cœur, comme si la menace de la guerre soudait la population. C'est pourquoi les habitants aiment à se faire citadins-nomades, à circuler dans la ville, et notamment sur les remparts. Ils s'arrêtent également, de temps en temps, devant quelque lieu de convivialité avant d'y pénétrer, comme la Vieille Hotellerie, qui propose à boire et à manger. En effet, malgré le rationnement et les privations de nourriture, quelques lieux de restauration continuent à fonctionner. Cependant, la faible présence d'espaces verts, à l'exception des Maisons de Guérison (qui fonctionnent en utilisant la vertu médicinale des plantes), ne plaide pas en faveur d'une Cité « verte », même si, et c'est un fait notable, le retour à la paix est accompagné d'un retour de la verdure67). Dans un autre registre, on peut analyser la force des chants dans les formes de socialité urbaine. En effet, Pippin lui-même est employé par Denethor, l'Intendant, pour lui chanter des chansons. Les habitants de la ville, en ce qui les concerne, n'hésitent pas, pour se réjouir ou pour se donner du courage, à chanter ensemble68). La musique, on le voit, permet de souder autour de sentiments communs une identité. Mais cette ambivalence se comprend par le passage de la paix à la guerre puisque, avec le retour de la paix, certaines fonctions abandonnées reprennent vie : les travailleurs reviennent, les femmes et les enfants aussi, les espaces verts jaillissent, etc.69)

Finalement, il faut noter l'importance de la guerre dans la description de Minas Tirith. Il apparaît clairement que celle-ci a provoqué comme un assoupissement de la ville, un affaiblissement de ses fonctions non militaires, et comme une déterritorialisation de la ville. En effet, c'est à peine si les habitants éprouvent un repli identitaire sur leur ville, même s'ils ont foi en sa résistance. En tout cas, c'est avec la paix que la ville retrouve son état ancien et moins morbide. En effet, la ville recouvre une verdure et une beauté en partie perdues, mais surtout les activités reprennent comme avant, et les travailleurs s'y massent à nouveau.70) Cette description permet de supposer, avant la guerre où elle fut presque exclusivement une capitale politique et militaire, un état antérieur de la ville géographiquement, durant laquelle elle était également une capitale politique, économique, sociale, culturelle.

La Cité de Minas Tirith demeure cependant une ville-citadelle, marquée par une organisation logique et préconçue de l'espace avec la circularité et l'alignement des maisons et des rues, tel qu'on peut les voir en vue aérienne dans le film de Peter Jackson. Par conséquent, activités et fonctions sont concentrées séparément, et la fonction politique isolée, ce qui pointe là encore un axe d'opposition avec le bourg hobbit, où les activités sont réparties avec plus d'homogénéité, et où le pouvoir politique est dispersé.

En haut de la Cité : la Citadelle

Afin de comprendre cette dernière différence, il faut s'engager dans une analyse micro-locale de la Cité, en observant son dernier niveau, car c'est là que se concentre tout le pouvoir politique de la ville et même du Gondor tout entier. En effet, la puissance de la Cité dépend de son Roi (ou de son Intendant, si le Roi fait défaut), qui réside au dernier niveau, dans la Tour d'Echtelion. Le sixième et surtout le septième niveau sont les seuls où les instances politiques se sont installées. Symboliquement, ce placement incarne la pensée royale, au-dessus de tout, aristocratique. Pippin nous livre une description intérieure et extérieure de ce centre décisionnel.

De l'extérieur, la vue est imposante. L'Arbre Blanc, symbole de la Cité (il figure sur les vêtements des combattants) se présente le premier, ne serait-ce que sur les surcots des gardes de la porte71). L'entrée de la Citadelle est donc gardée, et surtout architecturalement irréprochable : murs lisses, piliers, et grande arche à clef de voûte sculptée d'une tête majestueuse et couronnée. Cette architecture fonctionne comme un avertissement à l'adresse du visiteur. Une fois la porte franchie, on aperçoit une grande fontaine qui coule à proximité de l'Arbre. Le blanc domine assez clairement cet espace : la cour est pavée de blanc, les tours sont blanches, la roche du piton est blanche ; se dégage de Minas Tirith en général et de la Citadelle en particulier comme une pureté immaculée issue des Núménoréens. La fonction esthétique de la ville trouve ici sa pleine expression. Mais la tour, au fond, n'impressionne pas celui qui la voit de près, car il a déjà eu l'occasion d'en être étonné, de loin. Pippin ne s'attarde pas en effet, pour la simple et bonne raison qu'il a déjà vu la tour, étincelante de beauté.72)

L'Arbre Blanc du Gondor (© Ted Nasmith)

Or, l'intérieur de la Citadelle, dans lequel finit par pénétrer Pippin, ne manque pas non plus d'une certaine beauté, et d'une certaine solennité. L'héritage historique y est écrasant, et la hiérarchie qui existe entre les deux grands trônes — celui du roi surplombant celui de l'intendant — traduit une hiérarchie effective. À l'échelle microlocale, l'espace, en son sens le plus général, est donc également vecteur de représentations socio-politiques : le pouvoir s'inscrit, de fait, dans l'espace, et se dresse verticalement.

On voit finalement que cet espace micro-local plébiscite une verticalité que ne connaissent pas les Hobbits, davantage portés à l'horizontalité. La volonté de prestige, d'élévation, au moyen des remparts protecteurs et de la tour, semble marquée par des représentations phallocratiques. Si la Tour d'Echtelion se dresse dans le ciel et semble l'image médiévale du gratte-ciel, elle possède surtout un caractère viril et inflexible.73) Si, plus concrètement, il s'agit effectivement de protéger la Cité des attaques extérieures, il n'empêche qu'une érection architecturale n'est jamais anodine, et se distingue du creusement en profondeur. En ce sens, la perspective vaginale du trou hobbit contraste avec la représentation phallique de la Tour. Il n'est d'ailleurs qu'à voir les luttes d'influence entre un Denethor et un Gandalf pour comprendre la connotation virilisante du pouvoir. Dans d'autres bâtiments, comme Orthanc ou Barad-Dur, la tour abrite en son sein le chef (Saroumane ou Sauron) de tout un « État », respectivement l'Isengard et le Mordor.

Après ce passage à l'échelle micro-locale, qui a montré que la ville humaine concentrait les activités, on peut se demander, de la même manière que nous avions posé la question pour la ville hobbite, si la ville humaine est une ville, au sens moderne du terme. En effet, dans cette dernière, les activités ne sont pas uniformément réparties : le pouvoir politique peut être dispersé, tout comme les activités économiques. Si Minas Tirith est moderne, ce ne peut être qu'en vertu du médiévalisme, et d'un rassemblement de fonctions dans un espace étroit, à l'image de Carcassonne, ou autre citadelle des XIIème ou XIIIème siècles. C'est pourquoi Minas Tirith nous semble davantage, en termes actuels, une ville-citadelle, marquée par l'hypertrophie des fonctions politiques, et par son caractère primatial dans l'Anorien. On peut surtout la distinguer du bourg hobbit sur certains traits déjà évoqués : macrocéphalie contre équilibre, verticalité contre horizontalité, concentration contre dispersion… Et pourtant, comment comprendre que des espaces qui présentent une morphologie aussi différente que Minas Tirith et Hobbitebourg puissent être tous deux définis comme des « villes » ? Il faut dès lors poser la question de l'appréhension de l'espace, en jouant sur la découverte et l'intégration communes à Gandalf et à Pippin.

Rencontres de pratiques territoriales : un cosmopolitisme géosophique

Car, si la ville hobbite et la ville humaine sont deux phénomènes géographiques fort différents, et si les territoires qu'elles dessinent se distinguent, faut-il pour autant conclure à leur absence de contiguïté ? Bien au contraire, étant donné le caractère cosmopolite74) des personnages tolkieniens, on peut interroger les effets de la rencontre d'un autre territoire que celui auquel on est habitué. De Gandalf, étranger dans la Comté (mais étranger magicien), et de Pippin, Semi-Homme dans Minas Tirith (mais Semi-Homme aventureux parmi un peuple de casaniers), il ressort que le voyage et la découverte conduisent à une géosophie, qui n'appartient d'ailleurs pas qu'à eux (il n'est qu'à voir les cas de l'Elfe Legolas ou du Nain Gimli), bien qu'elle dépende d'un certain nombre de facteurs, et que l'altérité ne soit pas sans limitations.

Un étranger dans la Comté : Gandalf

L’arrivée, au livre I, chapitre premier, du magicien Gandalf dans la Comté provoque des réactions bien différentes ; et la curiosité enthousiaste des jeunes Hobbits qui suivent la charrette du vieil homme75) tranche sur la méfiance du meunier Ted Rouquin. Au début de passage en question, le magicien n’est pas nommé, mais il est désigné par l’expression « un vieillard ». Cet anonymat initial, renforcé par le portrait teinté de mystère76) qu’en brosse Tolkien, confère au personnage une certaine aura. Il est remarquable que le trait extérieur qui frappe les jeunes Hobbits au premier abord soit la taille du magicien77), signe que la ville hobbite, pour insérée qu’elle soit dans un réseau d’échanges intrarégionaux, n’en reste pas moins soustraite aux passages des multiples voyageurs qui sillonnent la Terre du Milieu. Mais si cette rencontre est étonnement chez les jeunes Hobbits, elle se fait méfiance dans la conversation d’une tablée à l’auberge du Buisson de Lierre, qu’un procédé diégétique permet de mettre en scène parallèlement. Un certain Ted Rouquin, meunier de son état, y prend la parole pour manifester sa xénophobie :

« Et pensez à ces étrangers qui viennent voir Bilbon : des Nains qui viennent la nuit et ce vieux magicien errant, Gandalf, et tout ça. Vous direz ce que vous voudrez l’Ancien, mais Cul-de-Sac est un endroit bizarre et ses habitants sont bizarres. »

Gandalf (© John Howe)

Une analyse rhétorique de cette intervention peut nous éclairer sur la nature du sentiment éprouvé par Ted Rouquin : la prise à parti de l’auditoire, suivie d’une accumulation hyperbolique, en traduisent l’aspect purement « logique ». Enfin, la répétition du mot « bizarre » (« odd », dans le texte original) ainsi que le ton catégorique qu’emprunte le meunier sont autant d’aveux de la vanité de ses propres arguments. La peur de l’étranger apparaît donc, sous la plume de Tolkien, comme un sentiment vain, motivé par une crainte irrationnelle de l’autre à laquelle l’enfant, qui sait rire et s’étonner, échappe plus sûrement que l’adulte. Ainsi, et contrairement à ce que pourraient laisser entendre certaines théories, la Comté n’est pas cet hortus conclusus paradisiaque, ce nouvel Eden : la réalité est bien plus contrastée, et les territoires de la ville hobbite, quand ils existent, sont d’abord des territoires psychologiques.

Or, ces territoires de la ville hobbite sont représentés, concrètement, par une question de taille : quelles pratiques lui sont associées ? Le film de Peter Jackson joue d’ailleurs davantage que le livre sur le personnage de Gandalf, et le présente assez clairement comme un bon vivant, depuis longtemps hobbitophile, qui aime fumer la pipe, se promener tranquillement dans les champs, se livrer à la méditation, manger et boire. Sa grande taille lui fait d’ailleurs cogner la tête dans la porte à Cul-de-Sac et à voir son visage, Gandalf ne semble nullement fâché ou surpris ; au contraire, presque amusé. Une sympathie lie de longue date le magicien à la Comté, et notamment aux Sacquet (Bilbon puis Frodon). Avec le temps est née chez Gandalf une affection inébranlable, qui le fait souvent prendre la défense des Hobbits contre les Hommes.78) La charrette, quand bien même elle serait en décalage avec le cheval Gripoil, ne déplaît pas à Gandalf, qui n’est pas homme sage pour rien : il incarne l’ouverture, l’altérité, et la patience que nécessite l’adoption de pratiques spatiales différentes des siennes. En plus d'être philosophe, Gandalf se révèle un bon géosophe.

Un Hobbit à Minas Tirith : Pippin

Si les Hobbits de leur côté, « aiment la paix, la tranquillité, et une terre bien cultivée » (p.14, t.I), comment comprendre alors l'adaptation de Pippin dans une cité comme Minas Tirith qui est pourtant tout son contraire : la guerre, l'inquiétude, et la pierre mêlée à la roche, loin de la campagne ? C'est là encore le signe d'un cosmopolitisme marqué de la part de Pippin. Mais cette intégration ne pourrait se faire sans un accueil particulier à son égard, bien que l'ambiguïté des rapports entre Pippin et les habitants de Minas Tirith ne soit jamais levée. Comment Pippin en arrive-t-il donc à adopter les pratiques citadines et identitaires des habitants de Minas Tirith ?

Cela passe tout d'abord par un accueil plutôt bienveillant de la Cité elle-même79). La présence de Pippin à Minas Tirith est considérée comme un événement. Ses coutumes et son apparence sont inhabituelles. Son comportement pendant l'entrevue avec Denethor est tout à fait contraire au protocole et Gandalf doit rappeler à Pippin comment se tenir. Plus généralement, il apparaît comme un étranger, et à la fois presque comme un sauveur. Pourtant, l'accueil dont font preuve les habitants de Minas Tirith est assez troublant, et parfois ambigu. Si Beregond et Bergil son fils se révèlent des guides aimables et sympathiques aux yeux de Pippin, leur attitude mutuelle n'est jamais totalement « homéogéographique ». Ainsi, une scène comique durant laquelle le jeune Bergil se compare à Pippin en matière de taille et de majorité, avait pourtant commencé par une « provocation » de la part de Bergil : il refusait légitimement à Pippin le statut d'Homme et donc celui de membre de la Cité80). Ainsi, la citadinité a tendance à être dépendante de la race. Mais seulement au premier abord ! En effet, quand Pippin franchit les portes que Bergil ne peut passer grâce aux mots de passe qu'il détient, l'ironie provocatrice n'est plus de mise et laisse place à l'admiration81). Plus généralement, la population de Minas Tirith manifeste clairement à Pippin qu'elle l'intègre dans ses rangs. C'est d'ailleurs probablement parce que Pippin s'y est engagé, en se mettant au service de Denethor, personnage le plus influent de la Cité. En adoptant une fonction sociale propre à la Cité, et même à sa défense, Pippin acquiert en quelque sorte la citoyenneté. Il est reconnu comme membre éminent de la ville, puisqu'il concourt à la défendre, un peu comme on défend quelqu'un que l'on aime. Cette acquisition de citoyenneté est d'autant plus forte que son activité n'est pas ouverte à tous82). L'attitude des autres habitants évolue donc au moment même où Pippin revêt les vêtements, le statut d'homme de Minas Tirith83) et, après avoir été l'objet d'inquiétude à la frontière, il est désormais respecté. Il suscite d'ailleurs l'intérêt, parce qu'il vient d'ailleurs : c'est peut-être là l'une des plus grandes marques d'accueil à un individu cosmopolite.84)

Pippin acquiert-il pour autant la citadinité de Minas Tirith ? Ce serait étrange de la part d'un Hobbit, race assez fière de son mode de vie, de ses pratiques quotidiennes. Et pourtant, l'expérience de Pippin à Minas Tirith le marque peu à peu. La citadinité pourrait dès lors se définir comme la capacité à « saisir l'esprit » d'une ville. En effet, si Pippin découvre des habitudes qu'il ne partage pas au début85), il finit par acquérir les caractéristiques des habitants de Minas Tirith, et par en adopter les coutumes et les représentations spatiales. Le relativisme culturel domine en effet dans les premiers moments, et rompre avec l'ethnocentrisme se révèle difficile : problème du petit-déjeuner sacré chez les Hobbits, étonnement face aux « grandes gens » (en raison de leur petite taille), etc. La première discussion avec Bergil montre bien ce décalage, puisque Pippin doit se mettre sur la pointe des pieds pour voir au-dessus des remparts : la ville n’est pas adaptée à un Hobbit.86) Pourtant, le Hobbit intègre les petites particularités de la Cité : à la place des chemins en terre, les rues pavées et sinueuses (il finit par connaître les coins plus ou moins interdits, notamment quand il avertit Gandalf que Denethor tente de tuer son fils Faramir) par exemple. Il profite également de la convivialité de certains lieux qui doivent lui rappeler l’enthousiasme hobbit. De surcroît, dans la bataille, malgré son peu d’expérience, il ne manque pas de courage, même s’il se bat autant pour Frodon que pour Minas Tirith. Enfin, la Cité possédant un caractère qu’on pourrait dire cosmopolite (des gens de plusieurs provinces s’y trouvent), on y parle plusieurs langues : la langue commune (le westron qui est la langue maternelle des Hobbits) et le sindarin que Pippin ne connaît pas. Cependant, Pippin arrive parfois à comprendre des mots de cette langue.87) Une citadinité humaine se développe donc chez Pippin.

Pippin(© Anke Katrin Eissmann)

Mais plus encore, même au moment de son départ, quand il semble qu'il n'ait plus d'attaches avec Minas Tirith ou le Gondor, le lien qui l'unit à ce territoire lui est rappelé, comme si la marque territoriale était indélébile.88) En effet, quand Aragorn rappelle à Pippin qu’il reste un homme du Gondor, c’est comme si Pippin emmenait la ville (surtout politique en l’occurrence) avec lui, et qu’il ne pouvait s’en défaire. Il suffit d’ailleurs de voir l’attitude de Pippin quand il procède, avec ses trois camarades Frodon, Sam et Merry, au « nettoyage de la Comté » (livre VI, chapitre VIII) pour comprendre l’influence du voyage à Minas Tirith. Pippin, en cosmopolite ayant rompu avec l’ethnocentrisme, y a acquis un héroïsme nouveau, tout comme son ami Merry face au Roi Sorcier. En un sens, bien plus qu’un territoire ou qu’une pratique urbaine, la ville de Minas Tirith a transmis un esprit tel qu’il est partagé par les habitants. L’intégration sociale est cependant nette, notamment quand Merry voit son compagnon Pippin à sa juste place parmi les combattants du Gondor qui s’en vont faire diversion au nord-ouest du Mordor. Ainsi, même éloigné de la ville, la présence de celle-ci se marque dans l’identité guerrière et vestimentaire.89) Cependant, cette identité humaine a ses limites et l’Hobbit ne saurait ne pas rester hobbit. Le dialogue entre Pippin et Merry, après quelques jours ensemble à Minas Tirith, renseigne bien sur les ambiguïtés de cette nouvelle citadinité :

« – Mon Dieu ! Nous autres Touque et Brandebouc, nous ne pouvons pas vivre longtemps sur les hauteurs. – Non, dit Merry, moi, je ne peux pas. Pas encore, en tout cas. Mais au moins, Pippin, pouvons-nous maintenant les voir et les honorer. Mieux vaut aimer d'abord de ce qu'on est fait pour aimer, je suppose ; il faut commencer quelque part et avoir des racines, et la terre de la Comté est profonde. Il y a cependant des choses plus profondes et plus hautes ; et sans elles pas un ancien ne pourrait soigner son jardin en ce qu'il appelle paix, qu'il en ait entendu parler ou non. Je suis heureux de les connaître, un peu. » (p.230,t.III)

Pippin, on le voit, laisse échapper comme une lassitude de vivre à Minas Tirith, ou du moins, il sent bien que cette ville n'est pas adaptée à sa conformation physique. L'aspect climatique et les conditions de l'air peuvent jouer en effet un grand rôle dans l'intégration urbaine : qui ne supporte pas la pollution aura du mal à vivre dans une grande ville, par exemple. Or, la leçon de Merry rappelle que, s'il est impossible de totalement intégrer l'identité de l'autre, il demeure la possibilité de connaître et d'honorer. Ce respect que Merry accorde au nouveau, et qu'il considère comme le début d'un amour encore latent, est inspiré par les racines identitaires. Il ne suffit pas de s'enfoncer dans son trou de Hobbit pour croire avoir vu le monde, mais il ne suffit pas de voir le monde pour croire être sorti de son trou. Merry, au fond, montre bien l'ambivalence du cosmopolitisme, entre ethnocentrisme et altérité. Pour conjoindre ces deux réalités, le nomadisme citadin, et la citadinité nomade semblent des clés utiles.

Le Seigneur des Anneaux, entre nomadisme citadin et citadinité nomade

Certes, il peut sembler paradoxal d'employer l'expression de « nomadisme citadin » puisque les populations nomades sont, historiquement, des populations rurales ou, du moins, des hommes qui répugnent à se sédentariser. C’est qu’il faut comprendre le terme « nomadisme » en son sens large, quasi géosophique « d'une personne en déplacement continuel. » Le nombre et la variété des villes traversées par les membres de la Communauté de l’Anneau — en regard de la faible propension à voyager90) dont font preuve les hobbits de la Comté — nous permet de saisir en partie ce que pourrait être ce « nomadisme citadin », proche à la fois du cosmopolitisme et de la flânerie urbaines.

Cependant, si la découverte de la Terre du Milieu peut parfois procurer un réel plaisir (la Lorien, les étendues du Rohan, les villages de la Comté), elle peut aussi déstabiliser et effrayer : les expériences de la Moria, du Marais des Morts, du Mordor n'ont rien de réjouissantes. Quoi qu'il en soit, la Communauté de l'Anneau est itinérante, et elle s'arrête au gré des nécessités du voyage, ce qui donne l’occasion de descriptions précises, qui peuvent nous renseigner, sur la manière dont les membres de la communauté perçoivent un espace donné.

Mais autrement intéressante est la rencontre entre deux manières d’appréhender l’espace comme dans les cas de l’arrivée de Gandalf dans la Comté, ou de Pippin à Minas Tirith. Ces deux exemples ont révélé la présence d’un hiatus certain entre deux manières d’habiter la ville et de composer avec l’altérité, bien que ce hiatus ne soit pas pour autant infranchissable. Mais le même phénomène peut aussi s'observer quand des individus d'une race différente pénètrent dans l'espace d'une autre. L'exemple de Legolas et de Gimli pénétrant dans Minas Tirith91) est, à ce titre, assez éloquent : deux manières d'habiter la ville — une citadinité elfe, écotopique, et une citadinité naine, lithotopique — se confrontent et se répondent. Un autre exemple est la manière de donner l'heure92) qui surprend Pippin lors de son premier séjour à Minas Tirith : le changement de ville impose effectivement d'entrer dans une autre temporalité, dans une rythmique propre de la ville.

Il y a bien dans l’œuvre de Tolkien une invitation à pratiquer le nomadisme citadin, à la fois cosmopolite et géopoétique, tel que le définit Philippe-Gervais Lambony dans Vies Citadines.93) Cette invitation ne nie pas pour autant le risque qu’il y a à quitter son pays, sa ville et son « trou », mais elle propose au contraire de « risquer le départ », à la manière de cet avertissement équivoque que Bilbon avait coutume d’adresser à son neveu devant la porte de Cul-de-Sac et qui a certainement nourri le désir de voyage du jeune Frodon :

« C'est une affaire dangereuse de pousser ta porte, Frodon. Dieu sait jusqu'où tu pourrais être emporté. Te rends-tu compte que c'est ici le chemin même qui traverse la Forêt Noire et que, si tu le laisses faire, il pourrait t'emmener jusqu'au Mont Solitaire, et même au delà, vers des contrées plus dangereuses encore. » (p.137, t.I)

Et, dès lors, c’est la carte, la carte elle-même, outil géographique par excellence, qui permet que se forme le désir d'une autre ville, par-delà les frontières :

« Frodon commença à ressentir de l'agitation, et les vieux chemins lui paraissaient trop battus. Il regardait des cartes et se demandait ce qu'il y avait au-delà de leur bordure. Celles qui avaient été tracées dans la Comté montraient surtout des espaces blancs à l'extérieur des frontières. » (p.85, t.I)

Conclusion

En définitive, à ceux qui voudraient arguer que Tolkien, créant un espace géographique de toutes pièces, s'est révélé un piètre géographe, nous répondons qu'au contraire, la géographie de la Terre du Milieu est des plus cohérentes, ne serait-ce parce que de nombreuses cartes existent, ou parce que certains termes géographiques se lisent épisodiquement.94) Il y a bien plus : les phénomènes géographiques peuvent assez souvent être analysés avec des outils épistémologiques modernes. Certes, la ville n'y apparaît pas dans ses formes contemporaines et c'est bien naturel : peut-on en vouloir à Tolkien d'avoir préféré s'inspirer de l'époque médiévale ? On peut surtout constater qu'un certain nombre de réflexions modernes géographiques s'appliquent aux espaces décrits. Que ce soit en matière d'organisation d'espace, de spatialité, de territorialisation, de pratiques spatiales, les enjeux de la géographie urbaine trouvent ici, dans ce jeu des différences, une autre résonance.

Pour autant, on hésite à qualifier définitivement Minas Tirith et Hobbitebourg de villes modernes. Le prisme de la géographie contemporaine ne saurait que compléter l'appréhension d'esquisses urbaines imaginaires : le lecteur découvre en acte, à travers l'exemple de ces deux villes, une idée née au XVIIIème siècle, et qui jaillit au sein même des villes : le cosmopolitisme. Peut-être est-ce la grande leçon du Seigneur des anneaux : proposer des images vivantes du voyageur, de l'homme qui découvre la géographie d'abord effrayante puis excitante de ces nouveaux mondes. Chacun des individus de la Communauté fait cette expérience du déplacement dans un autre espace, un autre territoire, une autre citadinité, et l'apprentissage de l'autre ailleurs que chez soi. La dialectique du mal est alors motivée par la force de l'altérité que ne partagent pas les troupes orques ou Sauron. Déplacement dans l'espace pour accueillir et découvrir l'autre, voilà ce qui semble sauver les héros du Seigneur des anneaux. Or, la mobilité de ce phénomène ne manque pas de questionner le lecteur lui-même, amené à suivre le mouvement spatial. Celui qui lit plonge dans la Terre du Milieu, et elle lui semble vraie, géographiquement crédible. On se permet ainsi de suivre la définition d'Italo Calvino : « Lire, c'est aller à la rencontre d'une chose qui va exister », exprimée dans Si par une nuit d'hiver un voyageur. Le voyage géographique que nous venons d'accomplir aura peut-être permis, au-delà des cartes, au-delà du mythe, de faire exister une réalité, « un fragment de la vraie lumière ». En ce sens, Gandalf, Legolas, Pippin sont autant d'avatars du lecteurgéographe qui parcourt la Terre du Milieu comme il parcourt les lignes du Livre, afin d'errer à travers les villes.

Bibliographie

Tolkien

Toutes les pages citées font référence aux éditions suivantes :

  • Le Seigneur des anneaux, trad. Francis Ledoux, éd. Gallimard Jeunesse, coll. « Folio Junior »,

Paris, 2000 (édition en 3 tomes ; Tome I : La Communauté de l'Anneau ; Tome II : Les Deux Tours ; Tome III : Le Retour du Roi)

  • The Lord of the Rings, version originale, édition du cinquantenaire, Londres, 2004.

Tolkien et son œuvre

  • CARPENTER, Humphrey, J. R. R. Tolkien : A Biography, éd. Allen and Unwin, Londres, 1977 ; J. R. R. Tolkien : Une Biographie, Trad. Pierre ALIEN, éd. Christian Bourgeois, Paris, 1980.
  • FERRÉ, Vincent (dir.). Tolkien, trente ans après (1973-2003), éd. Christian Bourgeois, Paris, 2004.
  • FOSTER, Robert. The complete guide to Middle-Earth : An A-Z Guide to the Names, Places, and Events in the Fantasy World of J. R. R. Tolkien, éd. Harper Collins, Londres 1978, rééd. 1993.
  • HAMMOND, Wayne & SCULL, Christina. J. R. R. Tolkien : Artist and Illustrator, éd. Houghton Mifflin, New-York, 2000.
  • SHIPPEY Thomas, « Les versions cinématographiques de Peter Jackson » in The Road to Middle Earth, trad. David Giraudeau, éd. Allen & Unwin, Londres, 1982.

Géographie

  • DORRIER-APPRIL, Elisabeth (dir.), Vocabulaire de la ville, éd. Temps, coll. « Question de géographie », Nantes, 2001.
  • GERVAIS-LAMBONY, Philippe (dir.), Vies citadines, éd. Belin, Paris, 2007.

Études critiques

Sites internet

Sur Tolkiendil

1) « Cette carte est un enfer ! Je n'ai pas été attentif comme j'aurais dû l'être dans le report des distances. Je crois qu'une grande carte révèle tout simplement les failles de l'armure – en plus d'être légèrement infidèle à la petite version imprimée, qui était à moitié dessinée. Je risque de devoir y renoncer à cause de ce faux pas! » (nous traduisons.)
2) « ils longèrent en file indienne des haies et la lisière des taillis […] » (p.132, t.I)
3) « — Le vent se lève à l'ouest, dit Sam. » (p.133, t.I)
4) « […] les feuilles étaient soulevées par de brusques coups de vent. » (p.163, t.I)
5) « Au delà ils atteignirent une nouvelle ceinture d'arbres : de hauts chênes pour la plupart, avec çà et là un orme ou un frêne. » (p.163, t.I)
6) « Des bouleaux au feuillage ténu, qui se balançaient au dessus de leurs têtes dans un vent léger, dessinaient des entrelacs noirs sur le ciel pâle. » (p. 133, t.I)
7) « Ils ne tardèrent pas à arriver dans des prés et des champs cultivés ; il y avait des haies, des barrières et des fossés d'irrigation. […] ils longèrent un immense champ de navets […] .» (p.165, t.I) On notera la présence de barrières et de haies, typiques du paysage de bocage tel qu’il a pu être façonné en Angleterre au début du XVIIIème siècle par le phénomène appelé « enclosure ». Le terme de « pré » (meadow) nous a conduit à formuler l'hypothèse d'un élevage extensif dans le Quartier du Sud.
8) « [Les Hobbits] n’aiment pas davantage les machines dont la complication dépasse celle d’un soufflet de forge, d’un moulin à eau ou d’un métier à tisser manuel, encore qu’ils fussent habiles au maniement des outils. » (p.14, t.I)
9) « Tous les documents s'accordent sur le fait que ce fut Tobold Sonnecor de Longoulet dans le Quartier du Sud qui le premier fit pousser la véritable herbe à pipe dans ses jardins […] La meilleure du pays provient toujours de ce district, spécialement les variétés connues sous les noms de Feuille de Longoulet, Vieux Tobie et Étoile du Sud. » (p.27, t.I)
10) Le bois fut tout particulièrement précieux pour la reconstruction de la Comté après sa mise à sac par Saroumane : « [Sam] était souvent parti dans la Comté pour son travail de sylviculture. » (p.484, t.III)
11) Le Brandevin (Baranduin) est désigné par le terme « river » dans le texte, mais il se jette en réalité dans la mer Ouistrenesse, ce qui en fait, selon la convention géographique française, un fleuve.
12) « Au bout de quelque temps, ils passèrent l'Eau à l'ouest de Hobbitebourg sur un étroit pont de planches. » (p.132, t.I)
13) « La rivière n'était plus guère en cet endroit qu'un ruban noir, bordé d'aulnes penchés. » (p.132, t.I)
14) , 16) « Ainsi débuta la datation de la Comté, car l'année du passage du Brandevin […] devint l'An Un de la Comté, et toutes les dates suivantes furent calculées en conséquence. » (p.19, t.I)
15) « Un corps d'une quinzaine de policiers, variable selon les besoins, était affecté à « battre les limites du pays » pour s'assurer qu'aucun intrus, grand ou petit, ne caus[e] de nuisance. » (p.31, t.I)
17) « Même du temps de Bilbon, on pouvait encore constater la puissante veine pâle dans les grandes familles telles que les Touque. » (p.18, t.I)
18) « Cette voie était peu usitée, étant à peine propre à la circulation des charrettes, et il y avait peu de trafic en direction du Bout-des-Bois […] l’herbe était épaisse et touffue, le sol inégal, et les arbres commençaient à s’assembler en forêts. » (p.138-143, passim)
19) « faire pousser de la nourriture et la consommer occupait la majeure partie de leur temps » (p.29-30, t.I)
20) « a well-ordered and well-farmed countryside was their favorite haunt. » (p.1, t.I)
21) Le nom même de « Comté » (Shire) nous autorise un tel rapprochement puisque ce terme désigne un découpage administratif proprement anglais
22) DORRIER-APPRIL, Elisabeth (dir.), Vocabulaire de la ville, éd. Temps, coll. « Question de géographie », Nantes, 2001
23) Faut-il y voir une raison physique (hauteur des collines) ou bien le fruit de l'aménagement hobbit avec, on l'a vu, la plantation d'arbres de part et d'autres du fleuve ?
24) Ceci est un effet comique. (Ouh ouh, vous lisez les notes.)
25) « Elles étaient particulièrement en faveur auprès des meuniers, des forgerons, des cordiers, des charrons, et des autres artisans. » (p. 22, t.I
26) « [Les Hobbits] portaient rarement des chaussures, leurs pieds ayant la plante dure comme du cuir et étant revêtus d’un épais poil frisé, très semblable à leur chevelure communément brune. Ainsi le seul métier manuel qui fût peu en honneur chez eux était-il la cordonnerie. » (p.15, t.I)
27) « Aux fonctions de maire étaient attachées celles de Maître des Postes » (p.31, t.I)
28) « Les Hobbits étaient loin d’être tous des lettrés, mais ceux qui l’étaient ne cessaient d’écrire à tous ceux de leurs amis (et à un choix de relations) qui habitaient à plus d’un après-midi de marche. » (p.31, t.I)
29) On citera l’exemple de l’anniversaire de Bilbon, maire de la Comté, exemple qui nous amène à relativiser la performance du système postal hobbit : « [Les gens s’enthousiasmèrent […] ils guettèrent avec avidité le facteur, dans l’espoir d’invitations. Elles ne tardèrent pas à pleuvoir : la poste de Hobbitebourg fut embouteillée, celle de Lézeau débordée, et il fallut faire appel à des facteurs auxiliaires. » (p.56, t.I)
30) « Il y eut quelque discussion sur le nom à donner au nouveau chemin. On pensa à Jardins de la Bataille […] mais, au bout d’un moment, on l’appela tout simplement, à la manière raisonnable des Hobbits, le Chemin Neuf. Cela resta une plaisanterie tout à fait dans le goût de Lézeau de le désigner sous le nom de Cul-de-Sharcoux. » (p.481, t.III)
31) « Vers la fin du Quatrième Age, on trouvait déjà dans la Comté plusieurs bibliothèques contenant de nombreux livres d’histoire et archives. Les plus importantes de ces collections étaient sans doute celles des Tours d’Endessous aux Grands Smials et à Château-Brande. » (p.39, t.I)
32) « [L’Ancien] pérorait au Buisson de Lierre, une petite auberge de la route de Lèzeau […] » (p.49, t.I)
33) « J'avais compté passer par Le Perchoir Doré à Stock avant le coucher du soleil. La meilleure bière du Quartier de l'Est, ou en tout cas l'était-ce : il y a longtemps que je ne l'ai goûtée. » (p.160, t.I)
34) « Dans le Quartier du Sud, les vignes étaient chargées de raisin […] » (p.484, t.III)
35) On a montré plus haut combien les chênes étaient une composante essentielle de la végétation de la Comté.
36) « L’orge du Quartier du Nord » (p.484, t.III)
37) « Un feu clair brûlait dans l’âtre. » (p.91, t.I)
38) Rohirrim : il s’agit de la langue d’un peuple humain inventé par Tolkien, qui vivent près du foyer initial de peuplement hobbit : le plateau du Rohan, où coule le fleuve Anduin.
39) « des traînées de brume montaient lentement comme de la fumée des ruisseaux et des prés profonds, le long des pentes. » (p.131, t.I) ; on peut aussi signaler un patronyme loval assez éloquent : la famille des « Barbotteux ».
40) « Ils suivirent donc le chemin jusqu’à ce qu’ils vissent apparaître parmi les arbres les toits de chaume d’une grande maison et de bâtiments de ferme. Les Maggotte, les Barbotteux de Stock et la plupart des gens du Maresque vivaient dans des maisons ; la ferme était solidement bâtie en brique […] » (p.166, t.I)
41) « Les gens du Pays de Bouc tenaient leurs portes verrouillées à partir de la nuit, et cela non plus n'était pas dans les habitudes de la Comté. » (p.179, t.I)
42) « — Étau ! Croc ! Loup ! Allons, mes agneaux ! » (p.167, t.I)
43) « — Mais qu’en est-il de ce Frodon qui vit avec lui ?, demanda le Vieux Chénier de Lèzeau. Il s’appelle Sacquet mais il est plus qu’à moitié un Brandebouc, à ce qu’on dit. Je ne comprends pas pourquoi un Sacquet de Hobbitebourg irait chercher femme là-bas, où les gens sont si bizarres. — Et il n’y a rien d’étonnant à ce qu’ils le soient, intervint Papa Bipied, vu qu’ils habitent du mauvais côté du Brandevin et tout contre la Vieille Forêt. C’est un sombre et mauvais endroit, si la moitié de ce qu’on rapporte est vrai. » (p.50, t.I)
44) « – Où sommes-nous, Gandalf ? demanda [Pippin]. – Dans le royaume [realm] de Gondor, répondit le magicien. Le pays [land] d'Anôrien défile toujours » (p.22, t.III)
45) « ce sont là les ruines d'Osgiliath de part et d'autre de l'Anduin » (p.50, t.III)
46) « Il [le Rammas Echor] courait sur dix lieues ou plus du pied des montagnes pour y revenir » (p.26, t.III)
47) « Vous [Gandalf] savez les mots de passe des Sept Portes et vous êtes libre de poursuivre votre route. Mais nous ne connaissons pas votre compagnon [Pippin]. Nous ne désirons aucun étranger dans le pays en ce moment » (p.24, t.III)
48) « Pippin voyait tout le Pelennor, étalé devant lui, parsemé dans le lointain (…) de petits murs » (p.49, t.III)
49) « le seigneur de la Cité avait fait édifier des tours pour les feux d'alarme au sommet des collines isolées le long des deux lisières de la grande chaîne et qu'il maintenait en ces points des postes où des chevaux frais étaient prêts en permanence à porter ses messages en Rohan au nord ou à Belfalas au sud » (p.23, t.III)
50) « enclosant ainsi les Champs du Pelennor : belles et fertiles terres sur les pentes et terrasses descendant vers les dépressions de l'Anduin » (p.26, t.III)
51) Les risques urbains sont quelquefois évoqués par Tolkien : incendies (Bilbo le Hobbit, ch. 14), pandémies, etc.
52) « Osgiliath » in FOSTER, Robert. The complete guide to Middle-Earth, éd. Harper Collins, Londres 1978, rééd. 1993, p.309
53) MELONI, Dino « Arda, l'inspiration antique et médiévale de son architecture et de ses édifices », in CARRUTHERS, Leo (dir.). Tolkien et le Moyen Âge, CNRS éditions, Paris, 2007. Voir en particulier « Comparaison avec l'Empire romain », p.249-250.
54) « Les terres étaient riches et comprenaient de vastes cultures et de nombreux vergers. Pourtant, les bouviers et les cultivateurs qui demeuraient là étaient peu nombreux, et la majeure partie des gens de Gondor vivaient dans les sept cercles de la Cité ou dans les hautes vallées des lisières montagneuses, dans le Lossarnach ou plus au sud dans la belle Lebennin aux cinq rivières rapides » (p.27, t.III)
55) « De nombreuses routes et pistes traversaient les champs verts et il y avait beaucoup d'allées et venues : charrettes s'avançant en file vers la Grande Porte et d'autres en sortant. De temps à autre, un cavalier se hâtait d'entrer dans la ville. Mais la majeure partie du trafic descendait le long de la route principale, qui tournait au sud, en une courbe plus rapide que celle du fleuve, longeait les collines pour disparaître bientôt de la vue » (p.49, t.III)
56) « convergeant vers la ligne de la large route qui menait de la Porte de la Cité à Osgiliath » (p.143, t.III)
57) « Merry fut mandé, et il accompagna à cheval les charrettes » (p.385, t.III)
58) « Il [Sauron] possède une arme qui a réduit maintes places fortes depuis l'origine du monde. La faim. Les routes sont coupées. » (p.147, t.III)
59) « [la route pavée] passait par un tunnel voûté, perçant une vaste avancée de rocher dont la masse projetée divisait en deux tous les cercles de la Cité sauf le premier » (p.29, t.III)
60) « Et sur son avancée se trouvait la Cité gardée, avec ses sept murs de pierre si forts et si anciens qu'elle ne semblait pas construite, mais taillée par les géants, dans l'ossature même de la terre » (p.28, t.III) ; « le mur principal de la Cité était d'une grande hauteur et d'une merveilleuse épaisseur, la construction datant d'avant le déclin dans l'exil de la puissance et de l'art de Númenor » (p.147, t.III)
61) À l'exception du mur extérieur, fait de la même pierre noire qu'Orthanc
62) « Mais ces portes n'étaient pas disposées sur une même ligne : la Grande Porte du Mur de la Cité était à l'extrémité orientale du circuit, mais la deuxième faisait face au sud […] et elles allaient et venaient ainsi en montant » (p.28, t.III)
63) « Ils (…) descendirent le long de la rue en lacets » (p.199, t.III) ; « Pippin tourna un coin donnant sur la vaste place qui s'étendait derrière la Porte de la Cité » (p.157, t.III) ; « il descendit le long de maints chemins sinueux » (p.57, t.III)
64) « Au-delà de la Porte, une foule d'hommes bordait la route et le grand espace pavé dans lequel débouchaient toutes les voies menant à Minas Tirith » (p.60, t.III)
65) « Car les gens de la Cité utilisaient des chevaux très petits, et on les voyait rarement dans les rues, à part ceux que montaient les messagers de leur seigneur » (p28-29, t.III)
66) les Maisons de Guérison « s'élevaient non loin de la porte de la Citadelle, dans le sixième cercle, près de son mur sud, et elles étaient entourées d'un jardin et d'un gazon planté d'arbres, seul endroit de ce genre dans la Cité. Là demeuraient les quelques femmes autorisées à rester à Minas Tirith en raison de leurs aptitudes aux soins ou au service des guérisseurs » (p.205, t.III) ; « Il y a toujours eu trop d'enfants dans cette ville ; mais, à présent, il n'y a plus que quelques jeunes garçons qui ne veulent pas partir et qui pourront trouver quelque tâche à accomplir » (p.50, t.III)
67) « Tournez votre visage vers le monde verdoyant et regardez où tout paraît stérile et froid ! dit Gandalf » (p.397, t.III)
68) « Et les gens chantèrent dans toutes les voies de la Cité » (p.384, t.III) ; « comme ils atteignaient la Rue des Lanterniers, toutes les cloches des tours sonnèrent avec solennité. Des lumières jaillirent à maintes fenêtres, et des maisons et postes des hommes d'armes le long des murs monta le son de chants » (p.63, t.III) ; « et de Dol Amroth vinrent les harpistes les plus habiles de tout le pays ; et il y avait des joueurs de violes, de flûtes, de cors d'argent, et des chanteurs à la voix claire venus des vallées de la Lebennin » (p.388, t.III)
69) « tous ceux qui pouvait venir à la Cité se hâtaient d'y arriver. Et la Cité fut de nouveau remplie de femmes et de beaux enfants qui revenaient vers leurs maisons chargés de fleurs » (p.388, t.III)
70) « De son temps, la Cité fut rendue plus belle qu'elle n'avait jamais été ; et elle fut emplie d'arbres et de fontaines ; ses portes étaient de mithril et d'acier, et ses rues étaient pavées de marbre blanc ; les gens de la montagne y travaillaient, et ceux de la forêt se réjouissaient d'y venir » (p.392, t.III)
71) « Sur les surcots noirs était brodé un arbre en fleur d'un blanc de neige sous une couronne d'argent et des étoiles à nombreux rayons » (p.31, t.III)
72) « Les hommes atteignaient enfin ainsi la Cour Haute et la Place de la Fontaine au pied de la Tour Blanche : belle et élevée, elle mesurait cinquante brasses [i.e 90 mètres environ] de la base au pinacle, où flottait à mille pieds au-dessus de la plaine la bannière des Intendants » (p.30, t.III)
73) « la Tour d'Echtelion, haut dressée à l'intérieur du mur le plus élevé, se détachait, brillante, sur le ciel, et son pinacle étincelait ; des bannières blanches flottaient aux créneaux dans la brise matinale » (p.28, t.III)
74) Définition du Littré : « celui qui vit tantôt dans un pays tantôt dans un autre ; qui adopte facilement les usages des divers pays. »
75) « Des petits enfants hobbits coururent derrière la charrette à travers tout Hobbitebourg et jusqu’au haut de la colline. » (p.54, t.I)
76) « Il avait une longue barbe blanche et des sourcils broussailleux qui ressortaient sous le bord de son chapeau. […] Il y avait [dans la charrette] de grands paquets de pièces d’artifice de toutes formes, dont chacun était marqué d’un grand G rouge et d’une rune elfique. » (p.54, t.I)
77) « De là l’excitation des petits Hobbits. « G comme Grand », criaient-ils, et le vieillard sourit. » (p.54, t.I) On notera cependant que le terme anglais « great » renvoie avant tout à la grandeur morale et serait mieux traduit par « grandiose ». On peut toutefois supposer que l'adjectif peut aussi bien être pris dans son sens premier (de grandeur physique) par un jeu de syllepse sémantique qui prête à sourire.
78) C’est en effet parce que Frodon est un Semi-Homme qui ne désire pas tellement le pouvoir qu’il a pu emmener l’Anneau jusqu’aux flammes de la Montagne du Destin. Cf. p. 133, t.III.
79) « les accents étrangers ne déparent pas de belles paroles, et les Hobbits ont le parler courtois » (p.47, t.III)
80) « – Salut ! dit le garçon. D'où venez-vous ? Vous êtes un étranger dans la ville. – Je l'étais, dit Pippin, mais on dit que je suis devenu un homme de Gondor. – Allons donc ! dit-il. Dans ce cas, nous sommes tous des hommes, ici. » (p.58, t.III)
81) « Pippin monta fortement dans l'estime de Bergil, car, lorsqu'il donna son nom et le mot de passe, le garde le salua et le laissa passer » (p.60, t.III)
82) « Mais, maître Peregrïn, n'être qu'homme d'armes dans la Garde de la Tour de Gondor est considéré comme une dignité dans la Cité, et pareils hommes sont honorés dans le pays » (p.56, t.III)
83) « ils [les Hommes de la Compagnie] le remercièrent d'être venu parmi eux ; ils furent suspendus à ses paroles et à ses histoires des terres étrangères, et ils lui donnèrent tout l'asile et la nourriture qu'il pouvait désirer » (p.57, t.III)
84) « Devant lui, les hommes se montraient d'une courtoisie grave, le saluant à la manière de Gondor, la tête courbée et les mains sur la poitrine » (p.57, t.III)
85) « Ce serait neuf heures, dans la Comté, dit Pippin à haute voix. Juste le moment pour un bon petit déjeuner. Ah, que j'aimerais un petit déjeuner ! Ces gens en prennent-ils jamais, ou est-ce terminé ? Et quand dînent-ils et où ? » (p.44, t.III)
86) « Beregond, étonné, observait avec émerveillement le Hobbit, balançant ses courtes jambes quand il était assis sur le siège ou se dressant sur la pointe des pieds pour regarder par-dessus le rebord [des remparts] » (p.48, t.III)
87) « Beaucoup usaient d’une autre langue que le Langage commun, mais il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre au moins ce que signifiait Ernil i Pheriannath et pour savoir que son titre l’avait précédé dans la Cité » (p.58 , t.III, nous soulignons.)
88) « Car, ne l'oubliez pas, Peregrïn Touque, vous êtes un chevalier de Gondor, et je [Aragorn] ne vous libère pas de votre service. Vous partez maintenant en permission, mais je puis vous rappeler » (p.414, t.III)
89) « Dans cette même compagnie devait aussi aller Pippin, comme soldat de Gondor. Merry le voyait non loin de lui, petite mais droite figure parmi les hommes de haute taille de Minas Tirith » (p.252, t.III)
90) « Sam connaissait bien la région à vingt milles à la ronde de Hobbitebourg, mais sa géographie n'allait pas plus loin. » (p.134, t.I)
91) « – Il y a de la belle maçonnerie ici, dit Gimli, regardant les murs ; mais il y en a aussi de la moins bonne, et les rues pourraient être mieux dessinées. Quand Aragorn entrera en possession de ce qui lui revient, je lui proposerai les services d'ouvriers de la pierre de la Montagne, et nous ferons de ceci une ville dont il puisse être fier. – Il leur faudrait davantage de jardins, dit Legolas. Les maisons sont mortes, et il y a trop peu de choses qui poussent et sont heureuses, ici. Si Aragorn entre en possession de son bien, les gens de la Forêt lui apporteront des oiseaux qui chantent et des arbres qui ne meurent pas », (p.190, t.III)
92) On donnait l'heure en fonction du soleil : « troisième heure depuis le lever du soleil » (p.44, t.III)
93) GERVAIS-LAMBONY, Philippe (dir.), Vies citadines, éd. Belin, Paris, 2007.
94) « C'était ce qui restait de la garde établie au point où la route d'Anôrien et de Rohan pénétrait dans la région urbaine. » (p.146, t.III), et cf. p.134, t.I, le terme de « géographie ».
 
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