Transmettre la tradition : Númenor ou la route retrouvée

Damien Bador — 2012
Articles de synthèseArticles de synthèse : Ces articles permettent d'avoir une vue d'ensemble du thème traité mais ils nécessitent une bonne connaissance des principales œuvres de J.R.R Tolkien.

Je me rappelle bien la splendeur de leurs bannières, reprit-il. Elle me rappelait la gloire des Jours Anciens et les armées de Beleriand, où tant de grands princes et capitaines étaient assemblés. Et pourtant pas tant, pas si beaux que lorsque Thangorodrim fut brisé et que les Elfes pensèrent que le mal était fini à jamais, alors que ce n’était pas vrai.

Vous vous le rappelez ? dit Frodon, exprimant sa pensée à haute voix dans son étonnement. Mais je croyais, balbutia-t-il comme Elrond se tournait vers lui, je croyais que la chute de Gil-galad avait eu lieu il y a des éternités1).

Quel cadre pour le Légendaire ?

Spécialiste de la littérature germanique ancienne, Tolkien devait être particulièrement sensible aux hasards historiques qui virent la préservation de chefs d’œuvre comme Beowulf, tandis que d’autres textes disparurent à tout jamais. De même, les grands compilateurs de légendes, au premier chef desquels on peut compter Snorri Sturluson et Elias Lönnrot, lui étaient bien connus. Tolkien se différenciait toutefois de ces derniers. S’il déplorait l’absence d’une mythologie typiquement anglaise, son désir n’était pas de collecter ce qui pouvait en subsister à travers les récits populaires et les fragments de manuscrits anciens. Le but majeur de sa vie fut d’en inventer une qui s’inspire et évoque l’atmosphère de son pays. L’idée d’accroître la vraisemblance d’une œuvre de fiction au moyen d’un cadre réaliste expliquant la manière dont l’histoire était censée être venue à la connaissance du public n’était en soi pas nouvelle. H. Rider Haggard, dont Tolkien était un admirateur, l’utilisa notamment dans l’un de ses plus fameux romans, Elle ou la source du feu.

Le problème se posait avec acuité pour Tolkien, qui ne souhaitait pas simplement mettre en scène des aventures dans un pays lointain, mais les situer dans un passé mythique de l’Europe. Le cadre imaginaire par lequel les récits de son Légendaire devaient être transmis aux lecteurs contemporains fut source de nombreuses difficultés. Il ne cessa d’évoluer, tandis que la vision qu’avait Tolkien des premiers Âges du monde s’affinait et gagnait en profondeur. Quelques constantes demeurèrent toutefois, tel le lien entre le narrateur historique et son ancêtre Eärendil, qui devaient tous deux partager un même amour pour la mer. D’autres apparurent progressivement, comme le personnage de Pengolod, l’érudit de Gondolin qui compila une grande partie du savoir des Eldar. Dans ces éléments venant se surajouter au schéma initial, l’un d’entre eux joua un rôle capital dans la cristallisation du cadre de la transmission. Après que Tolkien décida d’incorporer au Légendaire sa propre vision de la légende de l’Atlantide, l’île de Númenor devint un passage obligé dans la chaîne narrative. La résolution de certains problèmes cosmogoniques en fit le pivot même de la médiation : le point géographique où le savoir des Elfes inspira les légendes humaines et le point ultime où l’histoire est distincte du mythe pour les Hommes des périodes ultérieures.

La piste anglo-saxonne : d’Eriol à Ælfwine

Cet élément a été publié dans le magazine
L'Arc et le Heaume n°3 - Númenor.

L'Arc et le Heaume n°3 - Númenor

Parmi les textes fictionnels de J.R.R. Tolkien, le Livre des Contes Perdus s’intéresse au premier chef à la médiation et à la transmission des récits. Le thème principal de l’ouvrage devait en effet être la narration. Plutôt que de résumer l’histoire des Elfes à la manière du Silmarillion publié, Tolkien envisageait initialement d’en faire la matière de récits oraux, racontés par les Elfes de Mar Vanwa Tyaliéva, la Chaumière du Jeu Perdu située sur Tol Eressëa, l’Île Solitaire. Cette demeure avait été construite par les Gnomes (ou Noldor) Lindo et Vairë, afin de préserver un lien entre la Faërie et les enfants des Hommes qui empruntaient Olórë Mallë, le Chemin des Rêves. Le cadre fictionnel du Livre des Contes Perdus devait voir l’arrivée d’un navigateur humain à la Chaumière du Jeu Perdu, où on lui aurait conté l’histoire des Gnomes.

Ce dernier, généralement nommé Eriol dans ces textes, avait pour nom réel Ottor Wǽfre, suivant une note de Tolkien2). C’était un Angle vivant au Ve siècle de notre ère, originaire de l’île d’Heligoland, au large du futur Danemark. Né sous l’influence de l’étoile Earendel, autrement dit la planète Vénus, et animé par un besoin d’errance, il partit en quête de Tol Eressëa, l’« île inconnue », que Tolkien faisait alors correspondre à la Grande-Bretagne. Après avoir trouvé cette terre, il erra un temps dans la contrée, se rapprochant progressivement de la ville elfique de Tavrobel, dans la région centrale de l’île. Cherchant un abri pour la nuit, il vint à faire halte dans la Chaumière du Jeu Perdu, où Lindo et Vairë l’invitèrent à entendre les premiers récits relatés par le Livre des Contes Perdus. Sa curiosité le poussa à demeurer sur place et à apprendre ainsi la majeure partie de l’histoire des Eldar.

Bien que la fin de l’ouvrage prévu demeure floue, car les notes de Tolkien explorent divers scénarios, il semble qu’à l’origine Tolkien ait envisagé de laisser les événements narrés faire irruption dans le récit. Après avoir appris dans quelle situation désespérée se trouvaient les Elfes d’Europe continentale, les Grandes Terres du Livre des Contes Perdus, Eriol devait être témoin, voire acteur significatif d’une grande tentative pour les secourir. La Sortie de l’Avant, dernière grande entreprise des Eldar, devait se conclure par la défaite complète des Elfes et leur départ des terres habitées par les Hommes. Les Elfes demeurant en Tol Eressëa auraient fini par s’évanouir et être oubliés par les Mortels. Eriol, souhaitant joindre son sort à celui des Elfes, but le limpë, la liqueur des Eldar, et se maria avec une Elfe nommée Naimi, dont il eut un fils, Heorrenda. Il termina sa vie dans la ville de Tavrobel, après avoir couché par écrit les récits qu’il avait entendus. Selon une note, le recueil qu’il rédigea et que compléta son fils, nommé le Livre Doré d’Heorrenda, resta sur place pendant de longues années avant d’être découvert dans les ruines de sa demeure3).

Tolkien modifia le cadre de transmission des « Contes Perdus » avant de parachever cette première conception. Il semble néanmoins qu’il prévoyait d’écrire un prologue afin d’expliquer comment le livre d’Eriol avait été compilé ultérieurement4). On ignore en revanche si Tolkien envisageait de décrire explicitement les circonstances qui étaient supposées l’avoir conduit à découvrir ces écrits antiques. Il convient néanmoins de noter à cet égard que la ville elfique de Tavrobel était supposée correspondre au village moderne de Great Haywood, où Tolkien résida à son retour des tranchées en 1916–19175). La crédibilité de la transmission jusqu’à l’époque moderne était donc assurée.

Les révisions esquissées pour la phase de rédaction suivante ne furent jamais menées à bien, pas plus qu’elles ne couvrirent la totalité des matériaux déjà écrits par Tolkien. Il paraît clair que ce dernier envisageait des modifications conséquentes du cadre des « Contes Perdus », tandis que les péripéties historiques des Gnomes auraient été modifiées dans une moindre mesure. En particulier, Tolkien avait décidé de dissocier Tol Eressëa de l’île de Grande-Bretagne, rebaptisée Luthany6). Ainsi, il abandonna temporairement la légende du déplacement vers l’Orient de l’île des Elfes7). Les similarités toponymiques entre les îles de Luthany et de Tol Eressëa devaient désormais s’expliquer par le fait qu’après s’être installés dans cette dernière, les Elfes renommèrent de nombreux lieux à la semblance de leurs anciennes demeures de Grande-Bretagne.

Dans cette nouvelle conception, Eriol fut renommé Ælfwine : c’était désormais un navigateur anglo-saxon du XIe siècle, originaire du Wessex, dans le Sud-Ouest de l’Angleterre8). Descendant du roi germanique légendaire Ing, qui avait été un fidèle allié des Elfes et un ami d’Eärendel, il fut instruit dans la vraie tradition des Elfes. Passionné par le peuple féerique, il décida de parcourir les mers à la recherche de Tol Eressëa après avoir été chassé de chez lui par l’invasion normande. Comme l’Eriol de la phase précédente, il finit par atteindre l’île après de longues tribulations. Il y fut bien accueilli par les Elfes, qui le conduisirent à la Chaumière du Jeu Perdu, où il entendit raconter les récits de Lindo et Vairë. La différence capitale d’avec la première version du Livre des Contes Perdus tient au fait qu’Ælfwine aborda Tol Eressëa bien après l’issue des guerres entre les Hommes et les Elfes. L’Île Solitaire acquiert ainsi le statut de refuge des Elfes qui survécurent aux guerres formant le noyau des contes, caractéristique qu’elle conserva par la suite, alors même que l’histoire de ces guerres devait changer du tout au tout. Parallèlement, l’hérédité du rédacteur des « Contes Perdus » prend un relief particulier, car l’accueil qui est ménagé à Ælfwine devient dépendant de l’antique alliance entre sa lignée et les Gnomes : on voit ici les prémices de l’amitié unissant les gens de Númenor et les Elfes de Tol Eressëa9).

Ainsi que Christopher Tolkien le note, cette nouvelle conception entraîne une réduction de la partie jouée par le narrateur humain, réduit à être le compilateur des exploits des Elfes et incapable désormais d’y jouer un rôle. Selon une note isolée, l’Ælfwine du Livre des Contes Perdus devait aussi être autorisé à boire le limpë, mais contrairement à Eriol, il finit par être autorisé à retourner dans son pays natal, dont il languissait ardemment. Son statut d’intermédiaire entre les deux mondes continua cependant à le tourmenter et il regretta amèrement son départ de l’Île Solitaire, comme plus tard les Fidèles exilés éprouvèrent la nostalgie de leur île disparue. Ælfwine finit par s’établir au village britannique de Tavrobel, où il rédigea son Livre Doré, lequel était toujours supposé être la source fictive du Livre des Contes Perdus de Tolkien.

Le personnage d’Ælfwine survécut bien après l’abandon du schéma des « Contes Perdus », alors même que l’histoire des Elfes était radicalement modifiée. Toutefois, l’affaiblissement de son rôle devait se poursuivre dans les phases de rédaction ultérieures. Il finit par devenir un personnage transparent, seulement mentionné à travers les apostrophes de Pengolod de Gondolin lorsque celui-ci levait le voile sur une tradition elfique ou citait les maximes des historiens elfes de jadis. Face à cette perte de substance, Tolkien chercha d’autres moyens propres à servir de cadre à un Légendaire de plus en plus foisonnant. Le thème du voyage onirique devait s’imposer à deux reprises. Une note liée aux « Archives du Notion Club » et datée de 1945 mentionne explicitement la volonté de Tolkien d’abandonner l’histoire d’Ælfwine10). Mais l’abandon ultérieur de ce roman permit au navigateur de reprendre ses voyages : on le retrouve mentionné dans divers essais datés des années cinquante11). Seule la deuxième édition du Seigneur des Anneaux et la « Note sur les archives de la Comté » devait enfin établir un mode de transmission différent. Mais n’anticipons pas.

Les rêveries océanes : d’Alboin à Elwin Lowdham

La Quenta Noldorinwa, que Tolkien rédigea au début des années 1930 est la seule version du Silmarillion complétée de son vivant. Elle était supposée être « tirée du Livre des Contes Perdus qu’écrivit Eriol de Leithien »12), mais fut considérablement modifiée en cours d’écriture. Contrairement aux manuscrits du Livre des Contes Perdus, le cadre lié à Mar Vanwa Tyaliéva n’apparaît nulle part dans le texte. Ce nouveau récit fut suivi par les premières versions des chroniques historiques du Premier Âge, les Annales de Valinor et de Beleriand. Elles introduisirent un nouveau relais dans la chaîne de transmission des événements des Jours Anciens, afin de remplacer les narrateurs de la Chaumière du Jeu Perdu. Pengolod le Sage était un maître du savoir de Gondolin qui survécut au sac de la cité et alla s’établir à Tol Eressëa à l’issue des guerres de Beleriand. Divers textes présentent les enseignements qu’il transmit à Ælfwine. En parallèle, un nouvel événement devait modifier les centres d’intérêt de Tolkien et l’amener à s’intéresser à la période du Légendaire consécutive à la défaite de Morgoth, plus tard désignée sous le nom de Deuxième Âge. Après une conversation avec C.S. Lewis13), Tolkien décida d’écrire un récit de voyage temporel dans lequel ses héros remonteraient jusqu’à l’époque de l’Atlantide, placée au sein de son univers imaginaire.

Dans ses lettres, Tolkien évoqua à plusieurs reprises son « complexe de l’Atlantide », une vision onirique récurrente d’une grande vague engloutissant forêts et champs, qu’il trouvait particulièrement oppressante14). Cette expérience personnelle se combina avec la légende platonicienne pour former le germe de Númenor, la grande île occidentale où s’établirent les Pères des Hommes à l’issue des guerres contre Morgoth. Comme dans le récit de Solon, la morgue et le mépris des dieux (les Valar du Légendaire) devaient conduire les Númenóriens à la ruine. Poussés par Sauron, ils lancèrent une expédition militaire contre Valinor, ce qui força les Valar à en appeler à l’Un. Ilúvatar changea la forme du monde, engloutissant Númenor et tous ses habitants, à l’exception des rares habitants de l’île à être restés fidèles à l’antique alliance avec les Elfes et les Valar. Tel est le schéma historique qui sous-tend « La Route perdue », roman inachevé où un père et son fils sont transportés en songe jusqu’à Númenor, peu de temps avant sa chute.

Alboin Errol, un professeur d’histoire anglais vivant en Cornouailles est visité depuis sa jeunesse par des rêves où il entend des langues inconnues mêlées à du vieil anglais et d’autres langues anciennes, ce qui nourrit son désir de voyager en arrière dans le temps. Il les décode peu à peu, et déchiffre des fragments d’histoire, dont son entourage, incrédule, croit qu’ils sont sortis de son imagination. Après de nombreuses années, alors qu’il est devenu veuf et que son fils Audoin a déjà seize ans, l’intensité des rêves s’accroît jusqu’à envahir sa conscience éveillée. Il rencontre en rêve Elendil, son lointain ancêtre, un habitant de l’ancienne Númenor, qui lui est envoyé comme messager pour lui proposer de voyager dans le passé avec son fils, ce qu’Alboin finit par accepter. Le récit de Tolkien devait être découpé en plusieurs phases, où le père et le fils vivraient une suite d’épisodes de plus en plus reculés dans le temps, prenant l’identité de ceux de leurs ancêtres qui portaient des noms de même signification que les leurs15). Tolkien n’acheva jamais la partie du roman consacrée au voyage temporel, et seuls les deux premiers chapitres númenóriens ont été rédigés in extenso. Selon une note, Alboin et Audoin, sous leurs diverses identités, devaient ainsi passer par le royaume lombard, assister à une cérémonie funéraire au Vinland, rencontrer les Tuatha-de-Danaan, avant de parvenir à l’époque d’Elendil, antérieure au dernier âge glaciaire. Là, ils devaient participer à l’attaque contre Thû (le futur Sauron) menée par Elendil et Gil-galad, avant qu’un ultime saut dans le passé ne les ramène aux derniers jours de Númenor.

Parmi les péripéties envisagées, l’une est particulièrement notable : « une histoire anglaise – de l’homme qui atteint la Voie Droite16) », le chemin éthéré menant vers Tol Eressëa et Valinor après la Submersion de Númenor. Les amorces de récits concernant Ælfwine sont aussi les plus nombreuses et les plus élaborées, Tolkien envisageant désormais de le situer à l’époque d’Édouard l’Ancien (v. 874/877 – 924) et des invasions vikings de l’Angleterre. Il semble que Tolkien ait envisagé de faire fusionner la figure de son voyageur anglo-saxon avec celle de l’érudit anglais moderne, tout en fournissant une raison plus profonde au succès du périple d’Ælfwine, liée à son hérédité. Suite à la Submersion, le voyage vers Tol Eressëa était devenu beaucoup plus difficile que dans les conceptions antérieures du Légendaire, la courbure de la Terre empêchant désormais les Mortels d’atteindre Valinor. Tolkien envisagea aussi que l’air des Terres Immortelles ne soit respirable qu’à une infime proportion des Hommes. Dans un autre fragment, il mentionne en revanche la longévité dont sont dotés les derniers survivants des Númenóriens, ce qui finit par les isoler des Hommes de Terre du Milieu parmi lesquels ils vivent, thème qui se retrouvera dans le Seigneur des Anneaux. En plus de cet héritage, la figure d’Elendil qui apparaît à Alboin évoque à demi-mot la raison de ce voyage temporel : une action de la providence divine pour donner aux Hommes un aperçu d’une réalité plus vaste et éviter qu’ils ne demeurent dans les ténèbres, suite à la rupture du lien qui les unissait aux Elfes et aux Valar17).

Tolkien découvrit cependant qu’écrire les chapitres intermédiaires entre l’époque moderne et la chute de Númenor ne l’intéressait guère. Les éditions Allen & Unwin, de leur côté, se montrèrent assez peu empressées pour cette ébauche de roman, et le succès du Hobbit devait en revanche les conduire à demander une suite de ce livre. Toutes ces raisons expliquent l’abandon de l’intrigue. Tolkien devait pourtant revenir à l’idée qu’il avait commencé à développer. Une dizaine d’années plus tard, une pause dans la rédaction du Seigneur des Anneaux fut l’occasion d’une nouvelle tentative. La scène moderne fut entièrement remaniée, Alboin et Audoin étant remplacés par les membres d’un club de discussion appartenant au cénacle académique d’Oxford. À l’occasion de discussions sur les romans de voyage spatial et temporel, l’un des participants, Elwin Lowdham18), est pris par d’étranges réminiscences en rapport avec la chute de Númenor. La mention de ce nom éveille l’intérêt de ses collègues, dont deux d’entre eux, Michael Ramer et Wilfrid Jeremy, pensent l’avoir déjà entendu quelque part. Lowdham dévoile alors une partie de son histoire personnelle. Depuis la disparition de son père, perdu en mer à bord de son bateau The Earendel, il perçoit en rêve des mots en vieil anglais et dans deux langues inconnues, qu’il appelle avallonien et adunaïque. Sa révélation semble servir de déclencheur et ses rêves gagnent journellement en intensité, à tel point qu’ils semblent rejoindre la réalité lors d’une de leur réunion. Un orage terrible venu de l’Atlantique déclenche des visions chez Lowdham et Jeremy, qui semblent assister à une scène d’apocalypse invisible à leurs amis. Les deux disparaissent dans la nuit et raconteront plus tard avoir fait tout un périple dans les îles britanniques. Guidés par leur intuition, ils récoltent de nombreux récits de la tempête. Beaucoup d’habitants leur racontent qu’elle fut accompagnée de visions d’un ouragan plus puissant encore, un vagabond affirmant même avoir vu un grand navire fantomatique porté sur la crête des vagues19).

Tolkien soigna particulièrement la partie contemporaine de cette nouvelle méthode de transmission. En effet, toute l’histoire se présente sous forme d’un compte-rendu de réunions du Notion Club, rédigé par un autre membre, Nicholas Guildford. L’Avant-propos des « Archives du Notion Club » explique comment Howard Green, l’éditeur fictionnel mis en scène par Tolkien, découvrit par hasard une liasse de papiers contenant les entrées supposément publiées. Ce dernier s’étend à loisir sur l’incomplétude du manuscrit et l’impossibilité d’en identifier les auteurs, doutant même qu’un club similaire ait jamais existé à Oxford. Des notes érudites créent des incertitudes supplémentaires, donnant des indices contradictoires sur la date de rédaction, qui remonterait aux années 1940, alors même que des événements des années 1975 et 1987, présentés comme authentiques, font partie intégrante des comptes-rendus. Howard Green finit lui-même par conclure que l’œuvre qu’il publie est une fiction20). En parallèle, Tolkien élabora des documents complémentaires aux comptes-rendus proprement dits, et notamment une grammaire de l’adûnaïque qu’aurait reconstruite Lowdham. Il esquissa même le niveau antérieur des traces matérielles de l’histoire de Númenor, sous forme d’une page de manuscrit en anglo-saxon supposée avoir été écrite en tengwar par le père de Lowdham, où est résumé l’engloutissement de Númenor.

Malheureusement, Tolkien abandonna définitivement ce projet de roman en retournant à l’écriture du Seigneur des Anneaux. L’histoire s’interrompt après que les deux amis, de retour à Oxford, racontent au Notion Club comment leurs rêves allèrent s’intensifiant dans la dernière partie de leur périple dans les îles britanniques. Arrivés à Porlock, ils eurent en commun une expérience de rêve éveillé particulièrement vivide, mettant en scène leurs ancêtres, Ælfwine et Tréowine, à la cour du roi Édouard l’Ancien. Après une attaque infructueuse des Danois, les deux frères d’armes décident de partir vers l’Ouest au moyen d’un bateau capturé. À partir de ce point, seuls survivent des fragments de notes suggérant la direction dans laquelle Tolkien voulait diriger l’histoire. Il semble que les deux amis devaient arriver en vue de Tol Eressëa et qu’Ælfwine ait une vision du Livre des Histoires, apparemment écrit par son ancêtre Elendil. À l’intérieur du rêve de Lowdham et Jeremy, Ælfwine était supposé avoir d’autres visions remontant aux guerres de Beleriand et à Númenor, mais Tolkien n’élabora jamais ces idées plus avant21). Bien que le récit ait été beaucoup plus élaboré que le précédent, cette nouvelle tentative d’insérer l’histoire du navigateur médiéval dans un cadre contemporain par l’intermédiaire des rêves n’aboutit pas non plus, peut-être en raison d’une trop grande complexité. Toutefois, un élément clef se détache des dernières notes : l’hypothèse que le Livre des Histoires n’ait pas été écrit par Ælfwine mais par son ancêtre Elendil, nouveau maillon entre le navigateur anglo-saxon et Eärendil. Cette conception devait se cristalliser avec le Seigneur des Anneaux.

La synthèse númenórienne : de Dírhaval à Elendil

Entre-temps, de nouveaux problèmes conceptuels liés au Légendaire étaient apparus. Son travail sur les « Archives du Notion Club » poussa Tolkien à revoir la légende de l’Ainulindalë. Comme Christopher Tolkien l’explique dans l’introduction aux versions publiées dans Morgoth’s Ring22), son père élabora deux versions concurrentes de la genèse d’Arda. L’une d’entre elles, rédigée avant 1948, développe l’idée d’un monde rond, comme celui que nous connaissons. L’autre, directement dérivée des premières versions que Tolkien avait écrites, fut révisée peu après cette date et constitue la base du texte publié dans le Silmarillion. Tolkien commença par attribuer aux Hommes cette version d’un monde initialement créé rond. Il lia cette « erreur » aux inexactitudes contenues dans « The Drowning of Anadûnê », un conte relatant la chute de Númenor supposément d’origine humaine, qu’il avait écrit peu de temps auparavant pour « Les Archives du Notion Club ». Des notes associées à ce texte indiquent que cette conception d’un monde rond dès la création découlait des mensonges proférés par Sauron à Númenor23). Toutefois, dans les années qui suivirent la publication de la première édition du Seigneur des Anneaux, Tolkien vint à reconsidérer cette dernière affirmation, ne voulant pas admettre que les Elfes puissent se tromper quant à « cette affaire astronomiquement absurde du façonnement du Soleil et de la Lune24) ». L’idée de concepts mythologiques opposés vint ainsi à être inversée, comme le rapporte une série de textes où Tolkien entreprit de réviser plusieurs grandes caractéristiques de son Légendaire :

Les mythes astronomiques des Jours Anciens ne peuvent être considérés comme un compte-rendu des croyances traditionnelles des Eldar sous forme pure, car les Hauts-Elfes d’Aman ne pouvaient être aussi ignorants, aussi les éléments cosmologiques du Silmarillion sont essentiellement un exposé des idées mythologiques, d’origine complexe, qui prévalaient parmi les Hommes25).

On ignore si les Edain avaient déjà compilé leurs croyances mythologiques au Beleriand, mais il paraît assez improbable que tous ces textes aient pu survivre à la ruine des royaumes humains au cours de la guerre des Joyaux. Symptomatiquement, l’Athrabeth Finrod ah Andreth, narrant une discussion à portée cosmologique entre Finrod Felagund et une « femme sage » de la Maison de Bëor, est présenté comme un texte préservé par les Elfes26). Même le « Conte d’Adanel », légende exclusivement humaine sur l’origine des Second-Nés, est apparemment rapporté uniquement parce qu’Andreth finit par le raconter à Finrod27). Le cas du Narn i-Chin Húrin nous fournit des détails supplémentaires. Les introductions au Narn font encore intervenir Ælfwine, lequel précise avoir traduit le conte grâce à l’aide des Eldar de Tol Eressëa. Ceux-ci tenaient le récit en haute estime, bien qu’il ait initialement été rédigé par Dírhaval28), un homme de la Maison de Hador29). Néanmoins, une note isolée rapporte ce qui semble être la conception finale de Tolkien à ce propos : « Les trois Grands Contes doivent être Numénóréens. Ils faisaient partie de l’Atanatárion (ou le Légendaire des Pères des Hommes)30). » De la même manière, les « Notes on motives in the Silmarillion » donnent la source des mythes cosmogoniques véhiculés par le Silmarillion :

ceux-ci nous sont (fragmentairement) parvenus seulement par l’intermédiaire de traditions numénoréennes (humaines), dérivées des Eldar pour les éléments anciens, quoique complétés par des histoires et contes anthropocentriques pour les périodes ultérieures31).

Ce texte précise encore que ce sont les Fidèles qui préservèrent les récits en question, renvoyant ainsi aux « rouleaux de savoir » dont fait mention la légende de l’« Akallabêth ». Elle affirme en effet que des textes préservant le savoir des Númenóriens furent embarqués à bord des navires des Fidèles. Dans cette nouvelle conception, Elendil se voit fréquemment attribuer un rôle majeur. Une note des Contes et légendes inachevés se rapportant à « Aldarion et Erendis » signale que cette chronique historique de Númenor fut l’une des rares à être conservées, de par l’intérêt que lui portait Elendil. Le paragraphe introductif d’un texte très tardif appartenant à l’ensemble intitulé « Eldarin Hands, Fingers and Numerals » va dans le même sens. Ce passage est particulièrement intéressant, car il précise les conditions dans lesquelles le texte vint à être préservé de la Submersion et se retrouva dans les archives de Minas Tirith. L’origine elfique de ce texte est aussi discutée. De manière significative, l’essai original est attribué à Pengolod (dont le nom est ici orthographié Pengoloð). Cependant, il ne s’agit plus d’un discours, comme ceux qu’Ælfwine rapportait dans les conceptions précédentes, mais d’une « dissertation » :

Le compte-rendu qui suit est l’abrégé d’un document curieux, préservé dans les archives de Gondor par un hasard étrange (ou de nombreux hasards de cet ordre) depuis les Jours Anciens, mais dans une copie apparemment faite à Númenor peu de temps avant sa chute : probablement par ou d’après les ordres d’Elendil lui-même, lorsqu’il sélectionnait les archives qu’il pouvait espérer emmagasiner en vue du voyage vers la Terre du Milieu. Celui-ci dut indubitablement sa sélection et sa copie, d’abord à l’amour qu’Elendil lui-même éprouvait pour les langues eldarines et les travaux des maîtres du savoir qui traitèrent de leur histoire, mais aussi au contenu inhabituel de cette dissertation en quenya : Eldarinwe Leperi are Notessi : Les Doigts et numéraux elfiques. Elle est attribuée, par le copiste, à Pengoloð (ou Quendingoldo) de Gondolin, qui décrit les noms elfiques puérils des doigts qui sont employés par les enfants et leur sont enseignés32).

On peut ainsi reconstituer le schéma de transmission finalement adopté par Tolkien. Les récits et légendes elfiques furent consignés à Númenor à l’époque où rien ne venait encore troubler l’amitié entre les deux peuples. En tant que Seigneurs d’Andúnië, les descendants de Silmarien bénéficièrent certainement de leur situation sur la côte ouest de l’île, à proximité de l’un des ports où venaient aborder les Eldar. Cela devait logiquement faciliter le travail d’Elendil lorsqu’il se donna pour tâche de rassembler un maximum de textes en vue du départ des Fidèles. Malgré tout, la difficulté de sa tâche fut certainement augmentée par le fait qu’à son époque les Eldar ne se rendaient plus à Númenor depuis plusieurs générations, l’empêchant de vérifier auprès d’eux la véracité de certains des textes qu’il fit copier. De là des confusions et des mélanges avec les anciennes croyances humaines antérieures à l’arrivée des Edain au Beleriand, qui avaient sans doute été compilées sous une forme ou une autre au cours de l’histoire de Númenor. L’Athrabeth Finrod ah Andreth constitue un bon exemple de la manière dont les deux traditions en vinrent à se mélanger sur certains points, puisqu’il contient la relation d’une légende humaine, probablement rapportée par les Elfes aux Númenóriens plusieurs siècles après la mort d’Andreth.

Dès lors, la venue d’Ælfwine à Tol Eressëa et sa rencontre avec Pengolod ne s’avéraient plus nécessaires à la vraisemblance de la médiation. Un texte en particulier semble confirmer que Tolkien renonça définitivement au cadre par lequel s’ouvrait le Livre des Contes Perdus. L’« Akallabêth » constitue la quatrième partie du Silmarillion publié et résume l’histoire de Númenor, en s’étendant particulièrement sur son déclin et sa submersion. Le manuscrit dont le texte publié fut tiré avait en fait été intitulé « La Chute de Númenor », comme les premières versions de cette histoire que Tolkien avait rédigées longtemps auparavant33). Ce manuscrit se présentait comme un récit raconté à Ælfwine34). On peut le constater à la lecture de la première et de la dernière phrase du manuscrit de Tolkien :

Des Hommes, Ælfwine, les Eldar disent qu’ils vinrent au monde au temps de l’Ombre de Morgoth35)
Et si tous ces contes sont feints ou si certains au moins sont vrais, par lesquels les Valar gardent vivante parmi les Hommes une mémoire par-delà l’obscurité de la Terre du Milieu, tu le sais désormais, Ælfwine, en toi-même. Pourtant il se pourrait que nul ne te croie36).

Le changement de titre opéré par Christopher Tolkien est fort significatif, car il aurait été improbable qu’un Elfe fasse usage d’un nom en adûnaïque. Toutefois, Christopher Tolkien rapporte que son père utilisa plus tard cette version humaine du nom pour désigner le récit, comme dans un brouillon de l’Appendice A finalement rejeté pour cause de longueur excessive37). Et de fait, Tolkien décida au final de changer l’attribution de ce texte et de considérer qu’il avait été écrit par un locuteur de l’adûnaïque, même s’il ne prit jamais la peine de le corriger pour en retirer les nombreuses apostrophes à Ælfwine :

Des gestes d’Ar-Pharazôn, de sa gloire et de sa folie, il en est dit plus dans le récit de la Chute de Númenor, qu’Elendil rédigea et qui fut préservé au Gondor38).

L’héritage occidental : le Livre Rouge de la Marche de l’Ouest

Restait alors à préciser les étapes ultérieures de la transmission des textes du Légendaire. À cet égard, le Seigneur des Anneaux devait là encore participer au thème de l’« ennoblissement des humbles » auquel Tolkien tenait tant39). L’irruption des Semi- Hommes dans le Légendaire allait se révéler particulièrement fructueuse. Ce sont en effet les Hobbits Bilbo et Frodo Sacquet qui sont crédités au premier chef des textes censés rapporter l’histoire des Jours Anciens. Bilbo le Hobbit est ainsi supposé être le journal de voyage de Bilbo, plus tard poursuivi par son fils adoptif et complété par Samsagace Gamegie, qui narrèrent la guerre de l’Anneau40). Le livre du Seigneur des Anneaux devait aussi être accompagné d’Appendices historiques et linguistiques traitant de sujets très périphériques à l’action principale. C’était donc l’occasion de bâtir un pont entre les connaissances tirées des premiers Âges du monde et le récit de la destruction de l’Anneau Unique. Dès les brouillons de l’Appendice A, Tolkien établit les deux sources principales d’où devait être tiré ce savoir :

Ainsi dès le début le Livre Rouge contenait de nombreuses annales, généalogies et traditions des royaumes du Sud, tirées par Bilbo des livres du savoir de Fondcombe ou par Frodo et Peregrin du Roi lui-même et des archives du Gondor qu’il leur ouvrit : comme « Le Livre des Rois et des Intendants » (désormais perdu) et l’Akallabêth, c’est-à-dire « La Chute de Númenor ». À cette matière, d’autres notes et contes furent ajoutés à une date ultérieure par d’autres mains, après le décès d’Elessar41).

Dans ce texte comme dans la première édition du Seigneur des Anneaux, Tolkien ne s’étend guère au sujet des récits du Silmarillion, auquel il est pourtant fait allusion à plusieurs reprises dans le cours de l’action. Il s’était en effet longtemps efforcé d’arracher un accord pour publier de concert le Seigneur des Anneaux et le Silmarillion et une fois le premier terminé, il avait bon espoir de publier le second dans un avenir proche. Seule est donc mentionnée l’Akallabêth, encore qu’elle soit ici présentée comme l’une des sources des annales du Livre Rouge plutôt que comme une section agrégée à celui-ci. En revanche, Tolkien entreprit de prolonger le cadre de présentation de son roman jusqu’à l’époque moderne, afin de suggérer au lecteur qu’il n’était lui-même qu’un traducteur du Livre Rouge et des archives de Gondor. L’Avant-propos à la première édition mentionne ainsi certains des textes dont des copies auraient survécu jusqu’à l’époque moderne. Près de trente-cinq ans après les premiers récits des « Contes Perdus », Tolkien renouait avec une partie de son scénario initial de transmission des textes du Légendaire. Comme pour le Livre des Contes Perdus, il se garda en revanche d’expliciter la manière dont il en aurait eu connaissance. Il évita même d’associer ses récits à une région spécifique de l’Angleterre, contrairement à la paire Tavrobel – Great Haywood qu’on trouve dans ses premiers textes de fiction42) :

J’ai complété par endroits le compte-rendu du Livre Rouge avec des informations tirées des archives du Gondor qui sont parvenues jusqu’à nous, notamment du Livre des Rois. Mais, d’une manière générale, bien que j’aie beaucoup élagué, je suis, dans ce récit, resté plus fidèle aux mots mêmes et à la narration de mon original que dans la précédente sélection d’extraits du Livre Rouge, Bilbo le Hobbit. Ceux-ci étaient tirés des premiers chapitres, composés originellement par Bilbo en personne. Si composés est le mot. Bilbo n’était pas assidu, il n’était pas non plus un narrateur méthodique, et son compte-rendu est compliqué et décousu, voire parfois confus : on retrouve ces défauts dans le Livre Rouge, puisque les copistes, pieux et minutieux, ont fait très peu de modifications43).

L’Introduction aux Aventures de Tom Bombadil se situe dans la même veine fictive en signalant l’existence de marginalia d’où auraient été tirés les poèmes composant ce recueil44). Pourtant, Tolkien supprima par la suite les explications de l’Avant-propos à la première édition du Seigneur des Anneaux, notant dans une de ses copies personnelles du roman que mélanger « les questions personnelles réelles et la “machinerie” du Conte est une grave erreur45) ». L’Avant-propos révisé de 1966 présente donc explicitement ce texte comme une fiction, ce qui n’empêcha pas Tolkien d’enrichir le Prologue en fournissant plus de détails sur les étapes de la transmission immédiatement postérieures à la fin du Troisième Âge. Dans une certaine mesure, l’incomplétude du cadre fictionnel de la première édition était liée au Silmarillion. Tolkien était d’avis qu’il fallait un encadrement fictionnel très riche pour une œuvre si manifestement hétéroclite et éloignée des conventions du roman moderne46). Il prévoyait donc que le cadre envisagé vienne compléter celui du Seigneur des Anneaux, de la même façon que celui-ci enrichissait l’aperçu donné par Bilbo le Hobbit. Après la publication de la première édition, Tolkien hésita longtemps sur l’opportunité d’insérer au Prologue la « Note sur les Archives de la Comté », préférant la réserver à la Préface prévue pour le Silmarillion. Ce n’est qu’en 1966, à l’occasion de la publication de la deuxième édition, demandée par Allen & Unwin pour pallier des problèmes de droits d’auteur aux États-Unis, qu’il se résigna à la placer à l’endroit qui nous est désormais familier47). Cette note apporte des précisions supplémentaires sur les manuscrits du Livre Rouge et leur histoire :

Le Livre Rouge originel n’a pas été préservé, mais de nombreuses copies en furent faites, en particulier du premier volume, pour l’usage des descendants des enfants de Maître Samsagace. La copie la plus importante, cependant, a une histoire différente. Elle était gardée aux Grands Smials, mais fut rédigée au Gondor, probablement à la demande de l’arrière-petit-fils de Peregrin, et complétée en 1592 C.C. (172 Q.A.). Son rédacteur méridional y ajouta cette note : Findegil, l’Écrivain du Roi, compléta cette œuvre en IV 172. C’est une copie exacte en tout point du Livre du Thain de Minas Tirith. Ce livre était une copie, faite à la requête du Roi Elessar, du Livre Rouge des Periannath, qui lui fut apporté par le Thain Peregrin lorsqu’il se retira au Gondor en IV 6448).

Pour la première fois sont explicitement évoqués des textes manifestement censés correspondre aux légendes que le Silmarillion devait présenter. Fort logiquement, ces écrits sont attribués à Bilbo, lequel eut l’opportunité de puiser aux sources de savoir d’Imladris. Tolkien s’abstint toutefois d’établir une liste précise des œuvres que contenaient ces manuscrits, ce qui permettait de laisser planer l’incertitude sur ce qui venait directement de l’enseignement des Elfes et les ajouts qui furent effectués à Minas Tirith. De la sorte, il s’abstenait de mettre en danger sa cosmogonie révisée et se laissait même l’opportunité de présenter deux versions concurrentes des mêmes événements :

Mais l’importance première de la copie de Findegil est qu’elle contient seule l’intégralité des « Traductions de l’elfique » de Bilbo. Ces trois volumes étaient considérés comme une œuvre de grand talent et érudition dans laquelle, entre 1403 et 1418, il avait utilisé toutes les sources qui lui étaient disponibles à Fondcombe, tant vivantes qu’écrites49).

Du mythe à la réalité : le trajet du conte de fées

Comment expliquer alors que Tolkien se soit gardé d’achever son esquisse en nous détaillant la supposée préservation de ces manuscrits jusqu’à l’époque moderne ? Il s’agit là d’une décision mûrie, qui entre en résonance avec plusieurs passages de l’action du Seigneur des Anneaux. Comme pour l’Avant-propos des « Archives du Notion Club », l’objectif de Tolkien était clairement de créer une tension entre la cohérence interne de l’œuvre, qui se présente comme un récit authentique, et les indices qui laissent transparaître son statut fictionnel. Le paratexte poursuit en fait les effets de mise en abyme de l’histoire, parsemés au long du texte, lesquels servent de signal au lecteur que le texte qu’il lit est une fiction. On peut ainsi noter la digression de Meriadoc sur l’histoire de l’herbe à pipe, qui intervient au chapitre 8 « La Route de l’Isengard » du Livre III. Elle renvoie implicitement au Prologue, lequel contient une section sur ce sujet, supposément tirée de l’« Herbier de la Comté », écrit par ce même Meriadoc à une époque postérieure. Il est d’ailleurs notable que la majorité des mises en abyme découlent d’interventions de Samsagace, qui note combien leur expédition lui rappelle les récits épiques qui faisaient son délice.

Tolkien s’efforce en fait de maintenir le délicat équilibre qu’il théorisa dans son essai « Du Conte de fées ». Il s’agit avant tout de garder le lecteur dans un état réceptif, en donnant à l’œuvre de fiction la « consistance interne de la réalité ». Selon Tolkien, c’est la condition indispensable pour que le conte de fées atteigne les buts qu’il lui prescrit. Dans cette optique, il lui paraît nécessaire de recourir à un cadre réaliste servant à accréditer le récit et ce d’autant plus que l’œuvre s’éloigne de l’expérience quotidienne du lecteur : « Une forêt enchantée requiert une marge, et même une bordure élaborée50). » Enrichir sa fiction en y intégrant des mythes connus était un moyen d’y parvenir et c’est peut-être aussi dans cette optique qu’il faut considérer le rôle que Tolkien attribua à Númenor dans la transmission des récits du Premier Âge. Quelle meilleure solution pour faire accepter la réalité secondaire développée par ses soins que de recourir à l’un des plus célèbres mythes de la civilisation occidentale, ayant lui-même été développé par Platon de manière à accroître sa vraisemblance ?

Pour autant, il ne convient pas de confondre le monde fictionnel et le monde réel, tentation que Tolkien lui-même jugeait « trop fatalement attractive51) ». Il préférait donc parler de « subcréation » pour son œuvre mythopoétique, estimant que le terme de création au sens plein devait être réservé à l’acte divin primordial, modèle d’où découlent tous les autres. L’évasion qui est au cœur de la fantasy ne doit donc pas se transformer en rejet complet du monde réel. C’est la tentation que Tolkien attribue aux Elfes, dotés d’une mémoire exceptionnelle et désormais retranchés pour la plupart dans le souvenir de leur histoire de jadis à l’époque de la guerre de l’Anneau52). Ainsi pour Faramir et Boromir, Imladris n’est-elle qu’un nom de légende, par-delà des routes oubliées53). À l’inverse, Samsagace est un personnage pragmatique par excellence et il ne perd jamais de vue l’objectif de sa mission ou les moyens de l’accomplir. Il ne lui viendrait pas à l’idée de confondre les récits du passé avec sa propre histoire, mais il sait s’en inspirer dans les moments de doute. Nulle surprise donc que Tolkien se serve de ce personnage tant pour marquer l’aspect fictionnel de l’œuvre que nous lisons que pour parachever la cohésion d’ensemble de celle-ci. Les contes ont permis à Samsagace d’affiner sa perception et d’atteindre une vision fraîche du monde qui l’entoure. De là une idée plus juste de sa beauté et de sa valeur intrinsèque. Et la force d’écrire à son tour une page du grand Livre des Histoires.

Bibliographie

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Discussion

Nous vous invitons par ailleurs à discuter de ce travail sur le sujet dédié du forum Tolkiendil.

1) SdA, Livre I, chap. 2 ; trad. Francis Ledoux. Sauf mention contraire, les autres traductions de cet article sont miennes.
2) LT1, p. 13.
3) LT2, p. 290–291.
4) LT2, p. 287.
5) LT1, p. 15–16.
6) LT2, p. 301.
7) Bien plus tard, cette idée fit néanmoins réapparition et se retrouve dans le Silmarillion publié.
8) La situation textuelle est en fait plus complexe, car Eriol resta longtemps le nom que les Elfes attribuèrent à Ælfwine, comme on le voit notamment dans le titre de la première version des Annales de Valinor, « traduites par Eriol de Leithien, qui est Ælfwine des Angelcynn » ; SM, p. 311. Toutefois, le nom anglo-saxon prime à partir de cette couche de révisions, et il est plus pratique de faire la distinction entre le navigateur humain du Ve siècle et celui du XIe en nommant le second Ælfwine, comme le font la plupart des commentateurs.
9) Se référer en particulier à l’histoire de l’« Akallabêth » publiée dans le Silmarillion, ainsi qu’au roman inachevé « Aldarion et Erendis », publié dans les Contes et légendes inachevés.
10) SD, p. 281.
11) Voir en particulier WJ, p. 4, 173, 192, 311 et PM, p. 142, 395, 403. Les sources tardives l’orthographient souvent Ǽlfwine.
12) SM, p. 92.
13) Celle-là même qui conduisit Lewis à écrire Au-delà de la Planète Silencieuse, le premier opus de sa « Trilogie cosmique » ; cf. LRW, p. 7–8.
14) Voir en particulier la Lettre no 163.
15) Alboin est en effet l’équivalent lombard d’Ælfwine, un nom qui signifie « Ami des Elfes » au même titre qu’Elendil. Il en va de même pour Audoin, qui correspond au vieil anglais Éadwine et peut se traduire par « Ami de la fortune ».
16) LRW, p. 77–78.
17) LRW, p. 48.
18) Personnage dont le nom de famille est orthographié Loudham dans les premiers manuscrits ; cf. SD, p. 150.
19) SD, p. 267.
20) Voir l’Avant-propos aux « Notion Club Papers » en SD, p. 155–160.
21) SD, p. 279.
22) MR, p. 3–7.
23) SD, p. 397–413 ; cf. MR, p. 5.
24) MR, p. 370.
25) Version originale : « The astronomical myths of the Elder Days cannot be regarded as a record of the traditional beliefs of the Eldar in any pure form, because the High-elves of Aman cannot have been thus ignorant; and the cosmological elements in The Silmarillion are essentially a record of mythological ideas, complex in origin, prevailing among Men. » MR, p. 370–371.
26) MR, p. 304–305.
27) MR, p. 345.
28) Dont le nom est orthographié Dírhavel dans la première version de l’Introduction au Narn.
29) WJ, p. 311–315.
30) Version originale : « The three Great Tales must be Numenorean, and derived from matter preserved in Gondor. They were part of the Atanatárion (or the Legendarium of the Fathers of Men). » MR, p. 373.
31) Version originale : « these have reached us (fragmentarily) only through relics of Numenorean (human) traditions, derived from the Eldar, in the earlier parts, though for later times supplemented by anthropocentric histories and tales. » MR, p. 401–402.
32) Version originale : « The following account is an abbreviation of a curious document, preserved in the archives of Gondor by strange chance (or by many such chances) from the Elder Days, but in a copy apparently made in Númenor not long before its downfall: probably by or at the orders of Elendil himself, when selecting such records as he could hope to store for the journey to Middle-earth. This one no doubt owed its selection and its copying, first to Elendil’s own love of the Eldarin tongues and of the works of the loremasters who wrote about their history; but also to the unusual contents of this disquisition in Quenya: Eldarinwe Leperi are Notessi: The Elvish Fingers and Numerals. It is attributed, by the copyist, to Pengoloð (or Quendingoldo) of Gondolin, and he describes the Elvish play-names of the fingers as used by and taught to children. » VT 48, p. 5.
33) PM, p. 142.
34) Le narrateur n’est pas explicitement nommé, mais il doit probablement s’agir de Pengolod, comme pour les dialogues plus ou moins contemporains mettant en scène ces deux personnages. Voir à ce propos les commentaires de Christopher Tolkien en PM, p. 143.
35) Version originale : « Of Men, Ælfwine, it is said by the Eldar that they came into the world in the time of the Shadow of Morgoth… » PM, p. 142–143.
36) Version originale : « And whether all these tales be feigned, or whether some at least be true, and by them the Valar still keep alight among Men a memory beyond the darkness of Middle-earth, thou knowest now, Ælfwine, in thyself. Yet haply none shall believe thee. » PM, p. 159.
37) PM, p. 255.
38) Version originale : « Of the deeds of Ar-Pharazôn, of his glory and his folly, more is told in the tale of the Downfall of Númenor, which Elendil wrote, and which was preserved in Gondor. » UT, Second Age, III. The Line of Elros: Kings of Númenor, « Tar-Míriel (Ar-Zimraphel) ».
39) Lettre no 165.
40) À cet égard, on peut noter que Samsagace représente l’extrémité d’une double trajectoire descendante dans les maillons de la tradition, qui vont des Ñoldor d’Aman à la branche la plus méconnue de la race humaine et des érudits les plus fameux, comme Rúmil de Túna, rédacteur de l’Ainulindalë et inventeur du premier système d’écriture d’Arda, les sarati, jusqu’à un simple jardinier, qui apprit à écrire contre l’avis de son père (cf. SdA, I/1). Sa complétion du Livre Rouge résume à elle seule la nouvelle ouverture au monde qui caractérise la Comté à l’issue de la guerre de l’Anneau.
41) Version originale : « Thus the Red Book from its beginning contained many annals, genealogies, and traditions of the realms of the South, drawn through Bilbo from the books of lore in Rivendell, or through Frodo and Peregrin from the King himself, and from the records of Gondor that he opened to them: such as ‘The Book of the Kings and Stewards’ (now lost), and the Akallabêth, that is ‘The Downfall of Númenor’. To this matter other notes and tales were added at a later date by other hands, after the passing of Elessar. » PM, p. 255.
42) Seule la Lettre no 294, signalant entre autres que Hobbitebourg et Fondcombe étaient supposées être approximativement à la latitude d’Oxford, aide donc à la localisation de la Terre du Milieu par rapport au monde primaire.
43) Tiré de l’Avant-propos à la première édition anglaise du Seigneur des Anneaux, publiée en 1954 ; traduit par Vincent Ferré et Delphine Martin, in Vincent Ferré, Tolkien : sur les rivages de la terre du milieu, p. 308.
44) Faëries et autres textes, p. 317–322.
45) PM, p. 26.
46) Comme Christopher Tolkien le reconnaît dans le Prologue au Livre des Contes Perdus, l’absence complète de cadre est de ce point de vue l’un des défauts les plus notables du Silmarillion publié.
47) Voir PM, p. 14, ainsi que le commentaire de Christopher Tolkien sur la genèse du Prologue du SdA en LT1, p. 5–6. À la date de publication de la deuxième édition du SdA, Tolkien s’inquiétait déjà du temps qu’il lui faudrait pour compléter le Silmarillion et commençait à douter de parvenir à l’achever, comme en témoignent l’impatience et les inquiétudes croissantes exprimées dans les Lettres, no 282 à 284, 286 & 294.
48) Version originale : « The original Red Book has not been preserved, but many copies were made, especially of the first volume, for the use of the descendants of the children of Master Samwise. The most important copy, however, has a different history. It was kept at Great Smials, but it was written in Gondor, probably at the request of the great-grandson of Peregrin, and completed in S.R. 1592 (F.A. 172). Its southern scribe appended this note: Findegil, King’s Writer, finished this work in IV 172. It is an exact copy in all details of the Thain’s Book in Minas Tirith. That book was a copy, made at the request of King Elessar, of the Red Book of the Periannath, and was brought to him by the Thain Peregrin when he retired to Gondor in IV 64. » LR, Prologue, « Note on Shire records. »
49) Version originale : « But the chief importance of Findegil’s copy is that it alone contains the whole of Bilbo’s ‘Translations from the Elvish’. These three volumes were found to be a work of great skill and learning in which, between 1403 and 1418, he had used all the sources available to him in Rivendell, both living and written. » LR, Prologue, « Note on Shire records. »
50) Version originale : « An enchanted forest requires a margin, even an elaborate border. » MC, p. 161 note H.
51) Lettre no 160.
52) Sur cette conception, consulter en particulier la Note 1 associée au texte des « Notes sur Óre ».
53) Voir le récit de la vision et du voyage de Boromir vers Imladris lors du Conseil d’Elrond ; SdA, I/2.
 
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