Dwimmerlaik

Éric Flieller — 2008
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En signe de défiance, Éowyn donne au Roi-Sorcier d’Angmar le sobriquet de dwimmerlaik durant la Bataille des Champs du Pelennor.

« Begone, foul dwimmerlaik, lord of carrion! Leave the dead in peace! »1) Le Seigneur des Anneaux - Livre V - Chapitre 6

Apparaissent dans les brouillons du chapitre « The Battle of the Pelennor Fields »2) sous la forme dwimor-lakes, puis dwimmerlake, et associé aux « shadows », le terme dwimmerlaik lie directement le Roi-Sorcier d’Angmar, seigneur de Minas Morgul, la Tour de la Magie Noire, à Sauron, autrement connu sous le nom de « Nécromancien ».

Si le second élément de ce terme, le suffixe –layk, ne pose pas de difficulté de compréhension, venant du vieil anglais lác par le vieux norrois leikr, et signifiant « jeu », « bataille » ou « sacrifice »3), il n’en va pas de même pour le premier élément, dwimmer.

Selon l’OED, explique T.A. Shippey4) , ce terme n’apparaît que cinq fois dans la littérature médiévale anglo-saxonne, sous la forme dweomercræft dans le Brut de Layamon et demerlayk dans le même récit et dans le poème Cleaness5). La première forme signifierait « art magique » et dériverait du vieil anglais gedwimer, « illusion » ou gedwimere, « sorcier ». Quant au terme demerlayk, l’OED le traduit par « magie, pratique d’un art occulte ». Sous la forme dweomerlace relevé dans le Brut, ce mot se traduirait par « sorcellerie », faisant référence aux façons d’être tué. La seconde occurrence relevée dans cette épopée, dweomerlakes song, pourrait signifier « chant de sorcellerie », mais laisse néanmoins ouverte la possibilité que le terme dwimmerlaik puisse renvoyer à une chose ou à une personne et non pas seulement à un concept. Quant à demorlayke relevé dans Cleaness, il renvoie à un rêve ou un cauchemar.

Réticent à écarter ne serait-ce qu’une seule de ces significations a priori contradictoires, J.R.R. Tolkien utilise les termes dwimmer et dwimor à sept reprises dans Le Seigneur des Anneaux. Outre l’utilisation qu’en fait Éowyn, Éomer l’utilise pour qualifier Saruman :

« He is a wizard both cunning and dwimmer-crafty, having many guises. »6) Le Seigneur des Anneaux - Livre III - Chapitre 2

Cette formulation archaïque signifierait quelque chose comme « doué pour la magie », dans le sens particulier de « changeur de forme ou d’apparence ». Gríma Langue-de-Serpent s’en sert aussi pour qualifier la Lothlórien, la Forêt d’Or de Galadriel :

« Webs of deceit were ever woven in Dwimordene. »7) Le Seigneur des Anneaux - Livre III - Chapitre VI

Par ignorance, et donc par peur, Galadriel est qualifiée de « sorcière » par les Cavaliers du Rohan, dont le royaume est perçue comme une « vallée de la magie », auquel sont associés les termes de « toiles (tissées) » et de « dissimulation », suggérant une fois encore les idées de voile, d’illusion et de métamorphose. La nature sinistre du terme dwimor est confirmée quant à elle par le nom Dwimorberg, que Tolkien traduit à deux reprises par « Montagne Hantée ».

Dans l’esprit de Tolkien, le terme en anglais moderne dwimmer est donc certainement l’équivalent du vieil anglais gedwimmer. Sa traduction par « art magique » n’est cependant qu’une de ses significations. Possédant une racine qui signifie « difficile à distinguer, à la limite de la perception », ce mot est associé aux fantômes, aux dissimulations et aux changements d’apparence, tous ces sens convoyant l’idée de vision estompée ou confuse, mais aussi de rêves dans lesquels sont perçus des êtres qui ne sont pas. Le mot implique donc la croyance en des arts magiques fondés sur les illusions, à l’instar de la tradition nord-germanique.

En utilisant le mot dwimmerlaik, Éowyn exprimerait ainsi l’idée de « créature de sorcellerie » ou de « sport de cauchemar » caractérisant le Roi-Sorcier, à la réalité incertaine, semblable à une non-existence. C’est d’ailleurs ce qu’elle exprime également lorsque, défendant le corps de son roi, elle le menace :

« You stand between me and my lord and kin. Begone, if you be not deathless ! For living or dark undead, I will smite you, if you touch him. »8) Le Seigneur des Anneaux - Livre V - Chapitre 6

Vouant son ennemi à un sort pire que la mort où chair et âme sont promises à une lente et longue agonie, le chef des Nazgûl se fait ainsi nécrophage :

« Come not between the Nazgûl and his prey ! Or he will not slay thee in thy turn. He will bear thee away to the houses of lamentation, beyond all darkness, where thy flesh shall be devoured, and thy shrivelled mind be left naked to the Lidless Eye. »9) Le Seigneur des Anneaux - Livre V - Chapitre 6

Autrement nommé par Gandalf l’« ombre du désespoir », le Roi-Sorcier d’Angmar personnifie de fait la peur de la mort. Le terme « dwimmerlaik » employé pour caractériser le plus puissant spectre servant de l’Anneau souligne donc le rapport qu’entretient le Seigneur des Nazgûl avec la mort – titre qu’il se donne d’ailleurs lui-même face à Gandalf aux portes de Minas Tirith :

« Old fool ! » he said. « Old fool ! This is my hour. Do you not know Death when you see it ? Die now and curse in vain ! »10) Le Seigneur des Anneaux - Livre V - Chapitre 4

L’idée d’une mort pervertie et dénaturée est d’ailleurs sous-tendue par le terme même de « Nazgûl » en parler orque, puisqu’il est rendu en anglais par Ring-wraith(s), le second élément renvoyant aux fantômes, aux apparitions et autres spectres.

Pour conclure, il faut noter que peu de termes en vieil anglais commençant par dw- ont survécu en anglais moderne. Parmi ces derniers, certains mots obsolètes convoient un sens relativement semblable à celui de dwimmerlaik. Ainsi, le terme dwale signifie « erreur, désillusion », tandis que le verbe dwele peut être traduit par « s’égarer, se perdre » .

Voir aussi sur Tolkiendil

1) « - Va-t'en, immonde dwimmerlaik, seigneur de la charogne ! Laisse les morts en paix ! »
2) J.R.R. Tolkien, The War of the Ring, p. 365 et p. 368.
3) En ligne sur le site An Anglo-Saxon Dictionary de Bosworth et Toller (1898), entrée « lác » : http://lexicon.ff.cuni.cz/html/oe_bosworthtoller/b0603.html
4) T.A. Shippey, « History in Words. Tolkien’s Ruling Passion », in W.G. Hammond et Ch. Scull (éd.), The Lord of the Rings 1954-2004. Scolarship in Honor of Richard E. Blackwelder, Milwaukee, Marquette University Press, 2006, 387 p., p. 34-36.
5) P. Gilliver, J. Marshall et E. Weiner, Tolkien and the Oxford English Dictionary, Oxford, Oxford University Press, 2006, vii-xvi, 234 p., entrée « dwimmerlaik », p. 108.
6) « […] c'est un magicien en même temps rusé et artificieux, qui revêt de multiples apparences. »
7) « on a toujours tissé des toiles de fourberie à Dwimordene. »
8) « Tu te tiens entre moi et mon seigneur et parent. Va-t'en, si tu n'es pas immortel ! Car, vivant ou sombre non-mort, je te frapperai si tu le touches. »
9) « - Ne t'interpose pas entre le Nazgûl et sa proie! Ou il ne te tuera pas a ton tour. Il t'emportera vers les maisons de lamentation, au-delà de toutes ténèbres, ou ta chair sera dévorée et ton esprit desséché laissé nu à l'Œil Vigilant. »
10) « Vieux fou ! dit-il. Vieux fou ! Mon heure est venue. Ne reconnais-tu pas la Mort quand tu la vois ? Meurs maintenant et maudis en vain ! »
 
essais/personnages/dwimmerlaik.txt · Dernière modification: 18/08/2020 18:42 par Zelphalya
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