Le point souscrit : un nouvel usage du tehta

Deux Anneaux
Arden Smith — Septembre 1992
traduit de l’anglais par David Giraudeau
Article théoriqueArticles théoriques : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs.
Cet article est issu de la revue spécialisée à but non lucratif Vinyar Tengwar no 25 (p. 6—7) parue en septembre 1992. Le traducteur remercie Carl Hostetter et Arden Smith pour leurs permissions de traduire ce texte en français et de l’inclure sur ce site internet.

En dépit de trésors linguistiques aussi merveilleux que les appendices du Livre des Contes Perdus, « Les Étymologies » dans la Route Perdue et l’« Appendice sur les Runes » dans The Treason of Isengard, la série l’Histoire de la Terre du Milieu (angl. The History of Middle-earth) ne nous a pas donné beaucoup de nouveau matériel concernant les tengwar jusqu’à la publication de Sauron Defeated. Dans ce nouveau volume, nous disposons non seulement des versions en tengwar, longtemps attendues, de la lettre d’Elessar à Samsagace en anglais et en sindarin (SD, p. 130—131), mais aussi de deux versions différentes de la page manuscrite d’Edwin Lowdham en vieil anglais écrite dans « le système d’écriture númenóréen » (SD, p. 319—321). J’espère être à même de pouvoir étudier en détails ces documents nouvellement publiés dans un futur proche, mais Christopher Tolkien a déjà fait une bonne partie du travail en analysant l’emploi des lettres fëanoriennes dans les Textes I et II du manuscrit en vieil anglais de Lowdham (cf. SD, p. 322—327).

Dans les notes au Texte II (SD, p. 326—327), Christopher Tolkien discute de la manière dont l’usage des tengwar dans le nom adunaïque Zigūr (= Sauron) et celui quenya Tarcalion (= Ar-Pharazôn) diffère de l’usage général dans le texte en vieil anglais d’où ces noms sont tirés. Les formes aberrantes dont il est question sont données ainsi :

ligne 5 Zigūr

ligne 10 (à) Zigūre

ligne 11 Zigūr (sic ; le Texte II possède en réalité )

ligne 8 Tarcalion

Après avoir noté l’emploi inhabituel de pour le z, Christopher Tolkien déclare :

Les autres consonnes dans Zigūr et dans Tarcalion ne sont pas différentes de celles utilisées pour représenter le vieil anglais ; mais l’usage des signes diacritiques est mystérieux. Dans Zigūr(e), = i, = u, = e et le signe souscrit = voyelle longue, tout comme dans le reste du texte. Mais à une occasion dans le nom Zigūr, un point souscrit est placé sous le r, mais pas dans les autres occurrences. Dans Tarcalion, des points seuls sont placés sous le r et le n ; représente probablement lio (mais avec = i), mais il n’existe aucune représentation du a à ses deux occurrences dans le nom.

Qu’est-ce qui est à proprement parler « mystérieux » dans ces signes diacritiques ? Leur placement sur la consonne précédente a été assez souvent observé, en particulier dans les textes en quenya. Les tehtar eux-mêmes ( = e, = i, = o, = u) sont également sans surprises, étant identiques à ceux de l’inscription de l’Anneau Unique. Le pour le i de Tarcalion pourrait simplement signifier que le i est une variation vocalique plutôt qu’une voyelle à part entière ; le tehta est souvent employé comme signe pour un y qui suit. L’omission du tehta pour a est également chose courante, comme Tolkien l’écrit dans l’appendice E du Seigneur des Anneaux (LotR p. 1121, note 1 ; SdA, App. E, p. 1211, note 10) :

En quenya, où le a était très fréquent, son signe vocalique était souvent totalement omis. Ainsi, calma « lampe » pouvait être écrit clm. C’était naturellement lu calma, puisque cl n’était pas une combinaison initiale possible en quenya, et m n’apparaissait jamais en position finale. Une autre lecture possible était calama, mais ce mot n’existait pas.

Cependant, le signe diacritique d’allongement n’apparaît dans aucune autre inscription en tengwar publiée, bien qu’il puisse avoir pour origine le porteur long . En tout cas, sa fonction est ici claire et en aucune cas « mystérieuse ».

Ce qui nous amène donc au point souscrit ; mais sa fonction est-elle réellement un mystère ? Dans Tarcalion, les lettres et sont toutes deux suivies par un a implicite. Les lettres et ne possèdent pas de voyelles qui les suivent, et c’est ce que le point souscrit indique. Ce point souscrit pourrait donc apparaître également sans le dans Zigūr à la ligne 11, comme il le fait à la ligne 5, puisque la lecture voulue n’est pas *Zigūra (cf. clm pour calma sans point souscrit), ou ce pourrait avoir été un oubli de Tolkien.

Jusqu’à cette année, il n’existait aucun exemple publié de cette application du point souscrit. Mais à présent, nous avons non seulement les exemples de Sauron Defeated, mais également un duo d’exemples issus d’un catalogue d’exposition, J.R.R. Tolkien: Life and Legend. An Exhibition to Commemorate the Centenary of the Birth of J.R.R. Tolkien (1892—1973) (Oxford, Bodleian Library, 1992). En page 77, nous découvrons la photo d’une page, en date du 14 décembre 1960, contenant la devise héraldique d’Idril de pair avec la légende :


Soit clairement Menelluin Írildeo Ondolindello sans voyelle à la fin de Menelluin puisque la légende sous la devise est « Devise d’Idril Le “Bleuet” motif Menelluin ». Nous trouvons également, p. 82, quelques croquis de motifs géométriques avec l’inscription quenya . Je pense que ce pourrait être interprété comme calma hendas, en dépit que dans le mode normal quenya, désigne kw et désigne nd sans qu’il soit nécessaire d’ajouter un signe diacritique de nasalisation. Je suppose que le sens de la phrase est « une lumière dans l’œil », avec hendas étant hen « œil » au fameux cas « locatif court » de la déclinaison de Plotz1). Quoiqu’il en soit, cette phrase montre que e point souscrit peut être employé sans ambigüité dans un cas comme clm = calma.

Bleuet des champs
Bleuet des champs (lat. Centaurea cyanus)
Motif héraldique d’Idril Celebrindal
Motif héraldique d’Idril Celebrindal
(issu de Pictures by J.R.R. Tolkien, planche 47)

Lorsque l’on écrit un texte en quenya en notant les a avec le tehta de manière cohérente, l’emploi du point souscrit serait superflu. C’est pour cette raison que nous ne l’avions pas observé ainsi employé jusqu’à cette année, les anciens textes en tengwar précédemment publiés (i.e. tout ou partie des différentes versions de la Lamentation de Galadriel) faisant usage du tehta pour le a. À présent que nous disposons d’inscriptions qui omettent le tehta pour le a, nous disposons d’inscriptions autorisant l’introduction du point souscrit, employé pour indiquer une consonne de fin de syllabe qui n’est pas suivie d’une voyelle.

Remerciements – Alors que nous étions en train d’examiner nombre de manuscrits à la Bodleian Library au mois d’août, Christopher Gilson, Carl Hostetter, Patrick Wynne et moi-même avons vu de nombreux exemples du point souscrit. Le mérite revient à Chris Gilson pour avoir été le premier à interpréter sa fonction.

Voir aussi

Sur Tolkiendil

Sur le net

1) N.d.T. : Cette déclinaison fut transmise à Dick Plotz par Tolkien dans une lettre datée de c. 1966—1967. Cette lettre est présentée dans le Vinyar Tengwar no 6 (p. 13—14) et est disponible sur ce site.
 
langues/ecritures/tengwar/point_souscrit.txt · Dernière modification: 06/05/2021 23:27 par Zelphalya
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