La négation en quenya

Vinyar Tengwar J.R.R. Tolkien — Juillet 2001
édité et analysé par Bill Welden
traduit de l’anglais par David Giraudeau
Article de synthèse Article de synthèse Article de synthèse

Cet article est issu du fanzine à but non-lucratif Vinyar Tengwar no 42, paru en juillet 2001. Il présente une étude de la négation en quenya, à la lumière de textes inédits.

L’association Tolkiendil remercie le Tolkien Estate et Bill Welden pour leur permission de traduire ces textes en français, et de les inclure sur ce site Internet. Les textes sont © The Tolkien Trust 2001, 2006.

« Q. « yes » » — J.R.R. Tolkien, liste de vocabulaire non publiée, c. 1960 ap. J.-C.
« Q. « no » » — J.R.R. Tolkien, essai tardif non publié, c. 1970 ap. J.-C.
« N’allez pas demander conseil aux Elfes, car leur réponse sera en même temps non et oui. » — Frodo Sacquet, 3018 T.Â.

Les plus anciennes versions des langues elfiques possèdent deux racines différentes pour la négation. Leur fonction distinctive est mieux décrite dans le Gnomish Lexicon (PE 11, p. 50) :

(1) il- (ul-) dénote l’opposé, l’inverse, i.e. plus que la simple négation.
(2) u- (uv-, um-, un-) dénote la simple négation.

Tolkien n’était pas complètement satisfait de chacune de ces racines, bien que pour des raisons différentes. Avec la racine dans √l, mieux représentée par le mot plus récent , le problème était une surabondance de mots visiblement apparentés mais sémantiquement distants. Tolkien écrivit, probablement peu de temps après la publication du Seigneur des Anneaux :

* Supprimer √ba(n) « aller ». (Pour ce sens la racine quenya, sindarine est √men.)
** Supprimer √al / la « ne pas ». Trop inadapté, al, la ont déjà trop à faire.
Substituer : Négation. La négation en eldarin primitif se divise en : 1) refus et ordre négatif (futur) ; 2) refus d’un acte (passé et présent établi).
1) √aba, – distinct de awa, « away »
2) √ū, ?ugu – exprimant originellement la privation

Parmi les choses que al, la avaient « déjà à faire » se trouvaient les dérivés variés des bases en GAL-, tels que alta « éclat », alya « prospère », et alasse « joie ». De plus, « au-delà » était employé en comparaison, comme dans « A (ná) kalima lá B, « A est brillant au-delà de B » = « A est plus brillant que B» », issu d’un essai non publié sur la comparaison (un autre mot utilisé dans ce rôle à une autre époque était epe « avant »).

Ayant pris cette décision, Tolkien pouvait à présent employer al, la, etc. dans des fonctions plus proches en sens de l’ensemble positif « éclat », « prospère », « joie », etc. et l’entrée suivante apparaît dans une liste de racines et dérivés datée de décembre 1959 :

interjection de plaisir/consentement. Ainsi q. « oui », peut-être apparenté à √ala « bon ».

Ce système, dans lequel les racines négatives étaient seulement √aba et √ū, persista pendant plusieurs années. Ainsi, dans un essai très tardif (de la dernière année de sa vie), Tolkien réexamina la question :

û ne conviendra pas. Il n’est pas nécessaire d’éviter à tout prix les similarités avec les langues européennes connues – l’eldarin a été délibérément conçu pour leur ressembler de par le style – mais ici la ressemblance tant avec le grec ου (phon. û) ou avec le norvégien sans rapport ú, comme préfixe, est trop forte.
ú devrait rester, mais avec le sens « mauvais, mal à l’aise, difficile » – similaire à l’indo-européen *dus, grec dus-, Gmc. tuz- (tor-). Cela laissera únótima correct dans la Lamentation de Galadriel, avec la signification « difficile/impossible à compter »… Mais úchebin dans le linnod de Gilraen ne s’accordera pas aussi bien. On doit présumer qu’en sindarin ú était employé comme un préfixe verbal tout autant qu’adjectival, avec une signification intensifiée en « impossible », de telle sorte qu’il s’approchait d’une négation. La nuance demeurera importante. úchebin ne signifiera pas « je n’ai pas gardé », mais « je ne peux pas garder ».

La solution fut de réintroduire √ala comme racine négative :

L’alternative , la, ala suggérée pourrait être commode, et le fait qu’elle apparaisse en sémitique ne serait pas une objection. Je l’adopte… ala comme préfixe, réduit en al- avant une voyelle, ou par syncope lorsque le contact du l avec la consonne suivante était approprié ; comme négatif accentué « non, ne pas », et la non accentué. Le dernier était également employé comme un préfixe négatif avant certains adjectifs verbaux…
Cette racine ne devrait pas former de verbe négatif ou prendre d’affixes pronominaux, à moins que le verbe ne soit pas exprimé. Dans ce cas lanye et d’autres formes verbales similaires deviennent équivalentes à l’anglais « I don’t » ou « I’m not », etc … Note : le n’exprime pas de différence de temps, normalement inutile : le temps de plus l’affixe pronominal est toujours celui du verbe précédent, à présent rendu négatif.

Un brouillon plus ancien de cet essai fournit plusieurs exemples intéressants :

la navin karitalya(s) mára « Je ne te conseille pas de faire ainsi », littéralement « Je ne juge pas que tu puisses (le) faire bien ». lakare « ne-pas-faire, inaction » (général). Ne rien faire dans un cas particulier, n’est pas exprimé par un préfixe puisque le négatif était normalement accentué ; ainsi lá karita i hamil mára alasaila (ná) « ne pas faire (dans ce cas) ce que vous jugez bon (serait) imprudent ». Le quenya n’a pas besoin de verbe avant alasaila mais peut ajouter « est »1). L’anglais dit normalement « serait » car l’expression entière est équivalente à « si vous pensez que cette action est juste, il serait imprudent de ne pas la faire » et parce qu’il s’agit clairement d’un conseil qui sera suivi, ou non, dans le futur. Si cette incertitude est amplifiée le quenya peut dire nauva « sera ». L’incertitude dans l’avis doit être autrement exprimée en anglais et en quenya : « ne pas faire cela serait (je pense) imprudent », ou « ne pas faire cela peut être/s’avérer imprudent » ; lá karitas, navin, alasaila ná ou lá karitas alasaila ké nauva2)
Notez que bien qu’étant un dérivé verbal, des formations telles que lakare sont des noms et non des « infinitifs » ; elles ne peuvent avoir de complément d’objet autre que l’anglais « inaction ». Pour exprimer l’avis en termes généraux « aoristes » on doit employer le négatif séparé : alasaila ná lá kare tai mo nave (ou navilwe) mára « il est imprudent de ne pas faire ce que l’on juge (ou nous jugeons) bon3) ».

Ces changements présentent un modèle commun dans le développement du quenya de Tolkien. Il pouvait identifier une partie dont il était insatisfait, et ainsi travailler sur une ou plusieurs solutions en détails, souvent dans un registre catégorique ; bien que le concept entier pût être rejeté sur la page suivante.

En fait, les langues elfiques fluctuaient continuellement alors que Tolkien tentait une approche puis une autre pour résoudre les douzaines de problèmes qu’elles présentaient. On peut imaginer que, comme son alter ego Niggle, Tolkien trouvait ses langues à la fois « complètement insatisfaisantes, et malgré tout très belles » ; captant continuellement son attention, mais toujours inachevées. Ainsi la question de savoir si un mot ou une construction grammaticale est du « véritable quenya » finit par devenir, paradoxalement, de plus en plus incertaine à mesure que l’on en apprend davantage sur la manière dont Tolkien travaillait.

Les Elfes, bien sûr, ont la réponse ; mais comme nous le savons à présent, ils pouvaient être très concis et pourtant dire à la fois « oui » et « non ».

Voir aussi sur Tolkiendil

1) Le mot original pour « juger » dans tous ces exemples était neme, corrigé en hame, et finalement en nave dans tous les cas sauf celui-là. Une note marginale donne √ndab « juger ».
2) Le mot est une particule indiquant l’incertitude. Dans le reste du document il fut corrigé en « kwí (ou kwíta) ».
3) À la fin de la page, Tolkien a ajouté « mo pronom personnel indéfini « quelqu’un, on » ; ma pronom personnel neutre « quelque chose, une chose ». »
 
langues/langues_elfiques/quenya/negation.txt · Dernière modification: 09/03/2022 18:03 par Elendil
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