Approche systématique de la traduction des noms elfiques

 Trois Anneaux
Roman Rausch – Octobre 2007
traduit de l’anglais par Damien Bador
Articles de synthèse : Ces articles permettent d’avoir une vue d’ensemble du thème traité mais ils nécessitent une bonne connaissance des principales oeuvres de J.R.R Tolkien.
« Pour moi, un nom vient d’abord, et l’histoire suit. »1)
J.R.R. Tolkien – Lettres

Introduction

Les traductions de noms propres en elfique sont très populaires sur les sites internet s’intéressant à Tolkien et se fondent sur des exemples authentiques. Dans sa lettre à Sam, Aragorn traduit le nom des enfants de celui-ci pour les intégrer au texte sindarin, et Sam les lit fièrement à haute voix. « “Eh bien, c’est magnifique”, dit Frodo, “désormais nous avons tous des noms elfiques” »2).

L’objectif de cet article est de donner un aperçu des traductions attestées de « vrais » noms par Tolkien et de proposer une approche systématique fondée là-dessus. Il s’agit ici d’un guide plutôt que d’une analyse exhaustive.

Traductions attestées

Goldogrin

  • Faidron, Faithron fr. « François », angl. « Francis »3), comparer avec faith, faidwen « liberté » [Francs = « Les libres ».]

Qenya

  • Serinar, Serindo fr. « Stéphane », angl. « Stephen »4) < SERE « s’enrouler, attacher, lier », comparer avec serin (d) « une guirlande, couronne » [grec Stephanos « couronne, guirlande ».]
  • Amillo « un des membres du Peuple Joyeux (les Valar) », fr. « Hilaire », angl. « Hilary »5) [Hilaire vient du latin et signifie « hilare, joyeux »] ; la dérivation de Amillo n’est pas claire, mais ce nom semble contenir l’ablatif –llo, cf. Vali, Valar « Le peuple joyeux »6).
  • Turambar v. nor. « Sigurðr »7) < TURU « suis fort », Amarto, Ambar (rt) « Destin » (personnifié)8) [en vieux norrois : sigr « victoire », urðr « destin » nom de la Norn Urðr, Urd.]

Quenya

  • Eldakar v. angl. « Elfhelm »9) [fr. « Heaume elfique »] ; initialement Eldahar (KHAR- ; VT 45, p. 21).
  • Eldavel v. angl. « Elfwold »10) [« Dirigeant les Elfes », avec « wold » dans le sens de « gouverner », pas dans celui de « forêt ».]
  • Eldakan v. angl. « Ælfnoþ » (KAN-) [fr. « Courage elfique ».]
  • Elendil v. angl. « Ælfwine », angl. « Alwin » (NIL-, NDIL-) [fr. « Ami des Elfes »] ; antérieurement Elesser (SER-), supprimé ?Elériel ou ?Eléniel (ÑEL- « amitié »11)), Elethon (SON- « aimer, se lier d’amitié avec, chérir »12)).
  • Herendil v. angl. « Eadwine », lombard « Audoin », angl. « Edwin » (LRW, p. 46, 264, 378, KHER-) [fr. « Ami de la fortune, de la richesse »] ; versions antérieures supprimées Aláriel (ÑEL- « amitié »13), LAR-14)) et Manadhon, Manaðhon, Manathon (MANAD- « bonheur, état de grâce »15) + SON- « aimer, se lier d’amitié avec, chérir »16)).
  • Valandil v. angl. « Godwine », angl. « Godwin »17) [équivalent de Theophilus / Théophile, Amadeus / Amédée, Gottlieb.]
  • Voronwe v. angl. « Tréowine », angl. « Trewin, Trewyn »18) [fr. « Ami véritable »] – comparer avec BOR-, BORÓN- ; Voronwe est littéralement une « personne constante », cf. le goldogrin Bronweg « le constant »19)20).

À partir de cela, on peut supposer que d’autres noms peuvent également être traduits :

  • Valakar21) « #Godhelm » [fr. « Heaume divin] – ce nom existait réellement en vieil anglais.
  • Eldamir, Qendemir22), plus tard Elessar23) v. angl.« #Ælfstan » [fr. « Pierre elfique »] – ce nom a également existé.

Noldorin / sindarin

  • Elendil = Elvellon24) – si ce dernier peut également être utilisé comme nom propre.
  • Eldamir = Eledon – représentant probablement Eleðon < eledh + (g)ond « pierre ».
  • Elessar = Edhelharn
  • Iorhael v. angl. « Frodo »25) – le nom Froði est toujours utilisé en islandais [fr. « éduqué, sage ».]
  • Meril « Rose ».
  • Eirien fr. « Marguerite », angl. « Daisy », formes antérieures Arien, Erien26) – comparer avec le q. Arien « la demoiselle du Soleil » (AR1-).

Adûnaïque

  • Abrazân = Voronwe (voir ci-dessus).
  • Nimruzîr = Elendil (voir ci-dessus et comparer zîr avec SER-, Elesser).

Certains noms n’existaient pas, mais leur traduction apparaît authentique :

  • Eledwen, Eledhwen « Elfsheen »27)sheen » = « magnifique, superbe »] ; ici probablement -wen « magnifique, superbe » < #–bani / #–wani, cf. PE 17, p. 57 ; noter que le nom féminin vieil anglais Ælfflæd a la même signification.
  • Baravorn « Hamfast » [v. angl. « fast » = « restant, durable ».]

D’un autre côté, nous rencontrons parfois des adaptations phonétiques plutôt que des traductions :

  • María fr. « Marie », angl. « Maria »28).
  • Hrísto, Hristo « Christ »29), aussi sind. #Rhíst, #Rhist.
  • Yésus fr. « Jésus », angl. « Jesus »30).
  • #Elain fr. « Élaine », angl. « Elaine », du datif Elainen (inscription pour Elaine Griffiths).

Noter que Elpino31) fut considéré comme une traduction de « Christ », mais rejeté. Cela pourrait signifier « #le choisi » < LEP-, comme le suggèrent les éditeurs de VT.

Éléments

On peut constater que les noms germaniques dominent dans la liste ci-dessus, en particulier pour les sources tardives, et que ces noms sont simplement traduits en convertissant leurs éléments respectifs en elfique. De nombreux noms d’autres langues fonctionnent de la même manière, i.e. consistent en deux éléments signifiants (e.g. grec, slavon). C’est là qu’il y a le plus de chance de faire une traduction correcte. Ainsi, il semble probant d’extrapoler :

  • Germ. Ælf-, Al- = sind. Eledh-, El- ; q. Elda-, Elen-.
  • Germ. Ead-, Ed- = sind. #Heren- ; q. Heren-.
  • Germ. Gott-, God- = sind. Balan-, Rodon- (?) ; q. Vala-.
  • Germ. Ham- = sind. Bar(a)- ; q. #Mar-.
  • Germ. Sig-, Sieg-, gr. Nik-, lat. Vict- = sind., q. Tur-.
  • Germ. wine,win, gr. phil = sind. nnil /nnel,dil, dil(i)on,dilnir (masc.), #dileth, #–dilnis, #–dilien (fém.) (ou dépourvu de genre vellon) ; q. ndil (masc.), ndilme (fém.).
  • Germ. noþ = sind. gon; q. kan.
  • Germ. wis,weis,vis = sind. hael ; q. #–sail.
  • Germ. helm = sind. #–dol, #–thol (?) ; q. kar (voir aussi Russandol « sommet roux »32)).
  • Germ. stan,sten = sind. harn ; q. sar. Précédemment sind. (g)on ; q. mir.
  • Germ. wold, walt, wald, wal = sind. #bel ; q. vel.

Pour le sind. nnil / nnel, dil, dil(i)on,dilnir voir Edennil « Ami des Hommes »33), gaerennil, gaerdilon, gaerdilnir, Gaerdil, Gaerdilion34), quoique ceux-ci semblent être être des adaptations phonétiques des q. Atandil et Eärendil, respectivement. Voir aussi Enerdhil35), probablement une adaptation du q. Anardil « #Ami du soleil ». Nous avons appris plus tard que le q. Eärendil faisait partie des noms « qui ne reçurent pas de forme sindarine dans la légende », mais était expliqué signifier Seron Aeron36). Cependant, les formes « causales et accidentelles » Aerendil, Aerennel s’y trouvaient également37).

Noter que Tolkien donne les éléments noldorins / sindarin sous forme lénifiée, e.g. –gon plutôt que –con. On peut supposer qu’il s’agit d’un développement analogique, i.e. que les formes lénifiées sont généralisées pour rester reconnaissables.

Noter aussi que KAN- « oser » est associé avec l’audace, la valeur, le courage dans « Les Étymologies », mais fut plus tard réinterprété par KAN- « crier, appeler à haute voix » avec le q. káno « commandeur »38). Si une décision de traduction doit être prise, il sera préférable de considérer le Silmarillion comme source canonique. Par chance, BER- « vaillant » demeure.

Noter que Tolkien utilisa Vala plutôt que Eru pour traduire « Dieu ». En effet, il est hautement douteux que Eru ait pû apparaître dans les noms de la Terre du Milieu, puisqu’il s’agissait d’un mot gardé pour les occasions les plus exceptionnelles ; comparer avec la description des mariages elfiques :

« Il y avait une forme solennelle pour cette bénédiction, mais nul mortel ne l’a entendue, quoique les Eldar disent que Varda était prise à témoin par la mère et Manwë par le père ; et de plus que le nom d’Eru était prononcé (ce qui était rarement le cas à tout autre moment). »39)

Lorsque Cirion en appela à Eru dans son serment, les mots « remplirent d’effroi ceux qui les entendirent »40) et Tolkien commente :

« Il était considéré que seul le roi de Númenor avait le droit de prendre Eru à témoin, et alors seulement dans les occasions les plus graves et les plus solennelles. »41)

Et noter finalement que Tolkien n’ajoutait habituellement pas de suffixe agentif à ses traductions. Ainsi nous ne voyons pas de **Iorhaelon, **Eldaveldo. En fait, il semble que de tels suffixes sont usités lorsqu’un nom est dérivé d’un simple adjectif, élément ou racine, comme pour Ancalim-e, Ancalim-on, Cal-iondo, Voron-we, Saur-on et ainsi de suite…

Noter encore que Tolkien lui-même n’emploie pas toujours des noms complets, e.g. Eldakan a juste la racine KAN- « oser » suffixée plutôt que le nom complet káne « valeur »42).

Approche

Pour aller plus loin, on peut s’essayer à traduire plus d’éléments afin de les utiliser comme base :

  • Germ. wart,ward = sind. –dir(n) ; q. tir [dans le sens « garder, surveiller, observer », cf. angl. warden] (TIR-).
  • Germ. mund = sind. bar ; q. var (BAR-).
  • Germ. rik,rich = sind. hir ; q. her (voir Ostoher43), Barahir (BARÁS-)) ; aussi sind. –ar (voir Gwaewar « le Seigneur du Vent »44), Rohar45)) ou sind. Tor-, dor ; q. tar (comme dans Sorontar, Thorondor « Roi des Aigles » (T-, TA-)) (KHER-, AR-) ; également sind. –gon ; q. –káno d’après PM, p. 361-362 et le Silmarillion.
  • Germ. fried, frid, fred = sind. sedh, sidh (?) ; q. ser, sen(da) (?) (SED-).
  • Germ. Adal-, Edel- = q., sind. Ar(a)- ; sind. arod (cf. Thinrod « noble membre des Thindrim (Sindar) »46)).
  • Germ. Volk-, Theod-, Diet- = sind. Gwaith- ; q. Lie- (?), peut-être aussi q. / sind. -nos, nost- ou noss- (WEG-, LI-, N-).
  • Germ. hart, hard = sind. tara, tar- ; q. tarya (?) (cf. Tarlang « “Nuque roide”, un nom masculin assez courant »47)) (TÁRAG-).
  • Germ. muot,mut = sind. in ; q. indo (cf. Túrin, Túrindo « humeur de victoire » (TUR-)) (ID-).
  • Germ. bert,brecht = sind., q. Cal- (KAL-) ; sind. gal.
  • Germ. mann,man = sind. dir ; q. ner- (cf. Nerwen48)) (DER-).

Les dieux germaniques apparaissent aussi parfois dans les noms propres. Mais même dans ce cas, une traduction n’est pas impossible. Lorsqu’Eriol (Ælfwine) arrive à Tol Eressea dans « Les Contes perdus », il parle de ses dieux aux Elfes, et ceux-ci identifient Odin avec Manwe et Thor avec Tulkas. Certains noms propres théophores (ou plutôt *valaphores ?) sont attestés en quenya : Aulendil, Manwendil, Oromendil49).

Et maintenant, notre tâche sera de combiner les éléments correctement. La liste suivante contient quelques propositions :

  • Alfweis, Elvis = sind. #Elhael, #Elethael ; = q. #Elessail, #Eldasail
  • Eadwart, Edward, Eduard, Édouard = sind. #Herenvar ; q. #Here(n)var
  • Eadmund, Edmund, Edmond = sind. #Herendir(n) ; q. #Herentir
  • Theoderich, Þiudareiks, Dietrich, Dirk, Théodoric, Théodore = sind. #Gwaithir ; q. #Nostoher
  • Sigmund, Sigismond = sind. #Turvar ; q. #Turuvar
  • Philipp, Philippe = sind. #Rochennil, #Rochdil, #Rochdil(i)on, #Rochdilnir ; q. #Roccondil
  • Alexander, Alexandre = sind. #Baradir ; q. #Varaner
  • Berthold = sind., q. #Calavel
  • Albrecht, Adalbert, Albert = sind. Ar(a)gal, #Cal(a)rod, #Aracchal, #Arochal (cf. Aracchír, Arothir50)) ; q. #Arakal, #Arkal
  • Walther, Walter, Gauthier, Gautier = sind. #Rimbel, #Hothvel, #Belhoth ; q. #Rimbevel

Voir aussi

Sur Tolkiendil

Sur le net

1) Version originale : « To me a name comes first and the story follows. » L, p. 165
2) Version originale : « ‘Well that’s splendid,’ said Frodo, ‘now we all have Elvish names’ » SD, p. 117-118,126
3) GL, p. 33
4) QL, p. 83
5) QL, p. 30
6) QL, p. 99
7) QL, p. 95
8) QL, p. 34
9) SdA, App.A ; TI, p. 276, 366 ; PM, p. 192
10) TI, p. 366
11) , 13) VT 46, p. 3
12) , 16) VT 46, p. 15
14) VT 45, p. 26
15) VT 45, p. 32
17) LRW, p. 60 ; VT 46, p. 4
18) SD, p. 252, 290, 293
19) GL, p. 24
20) N.d.T. : voir aussi Mardil Voronwë « le Constant », SdA, App. A.
21) SdA, App. A ; PM, p. 199, 213, etc.
22) TI, p. 276, 366
23) SD, p. 128
24) WJ, p. 412
25) SD, p. 129
26) SD, p. 117, 120
27) LRW, p. 131, 276
28) VT 43, p. 26-28
29) VT 44, p. 12
30) VT 43, p. 26-27
31) VT 44, p. 15-16
32) PM, p. 353
33) MR, p. 306
34) PE 17, p. 19, 27
35) UT, p. 248
36) PM, p. 348
37) PM, p. 364
38) Silm., Index ; PM, p. 361-362
39) Version originale : « For this blessing there was a solemn form, but no mortal has heard it; though the Eldar say that Varda was named in witness by the mother and Manwë by the father; and moreover that the name of Eru was spoken (as was seldom done at any other time). » MR, p. 211
40) Version originale : « filled those who heard them with awe » UT, p. 305
41) Version originale: « It had been held lawful only for the king of Númenor to call Eru to witness, and then only on the most grave and solemn occasions. » UT, p. 317
42) PM, p. 260
43) SdA, App. A
44) TI, p. 134 ; LRW, p. 301
45) WR, p. 137
46) , 50) VT 41, p. 9
47) Reader’s, p. 536
48) UT, p. 456
49) UT, p. 210
 
langues/textes/traduction_noms_elfiques.txt · Dernière modification: 06/04/2020 18:47 (modification externe)
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