Interview de Douglas Anderson

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L'Arc et le Heaume n°4 - Histoire d’un aller et retour.

L'Arc et le Heaume n°4 - Histoire d’un aller et retour

Interview réalisée et traduite par Laura Martin-Gomez en 2014 pour L'Arc et le Heaume n°4.
Douglas Anderson est, entre autres, l'auteur du Hobbit annoté publié aux éditions Bourgois.

Pourriez-vous d'abord nous parler un peu de vous et de votre carrière pour nos lecteurs francophones ? Comment avez-vous découvert Tolkien ?

Douglas Anderson : J'ai lu pour la première fois le Hobbit et le Seigneur des Anneaux pendant l'été 1973. J'avais 13 ans, je passais quelques jours chez ma sœur (qui a neuf ans de plus que moi), et je m'ennuyais. Je me suis plaint qu'il n'y avait rien à faire ou à lire, et elle est sortie en trombe de sa cuisine et m'a lancé le Hobbit et le Seigneur des Anneaux, qu'elle avait attrapés au passage dans sa bibliothèque (c'était des gros livres). Et elle m'a dit : « Voilà. Lis ça. Tu vas aimer. Maintenant, fiche-moi la paix. » C'est curieux à quel point ce simple geste a déterminé la suite de mon existence.
Après Tolkien, j'ai commencé à diversifier mes lectures, aussi bien en fantasy contemporaine que du côté des œuvres de fantasy plus anciennes et des récits médiévaux qui ont inspiré Tolkien. Ces lectures ont donné lieu à l'anthologie Tales Before Tolkien (2003), éditée par mes soins. J'ai réalisé une autre anthologie de ce type pour C. S. Lewis, intitulée Tales Before Narnia (2008). Je me suis penché en particulier sur de nombreux écrivains de la période s'étendant des années 1880 aux années 1950, en éditant des recueils de nouvelles ou en préfaçant des rééditions de leurs œuvres. J'ai ainsi préfacé la première réédition en près de soixante-dix ans du roman d'E. A. Wyke-Smith The Marvellous Land of Snergs (1927), qui a inspiré Tolkien pour ses hobbits.

Comment vous est venue l'idée d'écrire le Hobbit Annoté ? Avez-vous eu dès le départ un lien particulier avec le Hobbit ?

Douglas Anderson : Tout a commencé au milieu des années 1980. À l'époque, j'étudiais le texte des différentes éditions du Hobbit. Je me suis demandé s'il serait intéressant de produire une édition variorum, qui mettrait en évidence les modifications apportées par Tolkien au texte publié. Pour établir son évolution, j'ai choisi cinq éditions du Hobbit dont j'ai photocopié les pages avant de les coller en vis-à-vis sur de grandes feuilles de 50 cm sur 120. Ensuite, j'ai relu l'ensemble ligne par ligne, en surlignant les différences à l'aide de marqueurs de couleur. Une fois ce travail achevé, j'en ai conclu que les changements n'étaient pas suffisamment nombreux pour justifier une édition variorum, mais il y avait tout de même beaucoup de choses intéressantes à dire sur le livre par ailleurs, et j'ai donc suggéré la création d'une édition annotée. La première édition est parue en 1988, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la première publication du Hobbit aux États-Unis.
L'édition révisée et augmentée du Hobbit annoté est sortie en 2002. J'étais ravi d'avoir la chance de revenir dessus, car entre-temps, de nouveaux écrits de Tolkien avaient été publiés, et la littérature critique avait crû en volume, tout cela apportant de nouvelles informations. En fin de compte, j'ai recommencé à zéro, de sorte que la réédition est presque un nouveau livre, qui reste néanmoins basé sur la première édition, bien entendu.

Dans quelle mesure avez-vous travaillé ou été en contact avec John Rateliff pendant vos travaux respectifs sur le Hobbit ?

Douglas Anderson : Cela fait plus de trente ans que je connais John Rateliff, et nous n'avons jamais cessé de nous aider l'un l'autre au besoin. Malgré tout, nos livres ont des objets assez divergents : j'ai travaillé sur les textes publiés du Hobbit, tandis que John s'est occupé des manuscrits inédits.

Quels contacts avez-vous eu avec Christopher Tolkien lors de vos recherches et de la rédaction du Hobbit Annoté ?

Douglas Anderson : Christopher Tolkien a pu lire et apporter ses remarques sur les deux éditions du Hobbit Annoté avant qu'elles ne soient envoyées à l'impression. Au fil des ans, il m'a apporté son aide sur d'innombrables questions.

Il y a de nombreuses illustrations dans le Hobbit, les appréciez-vous particulièrement vous-même ? Qu'est-ce qui vous plaît le plus en elles ? Y a-t-il un illustrateur de Tolkien qui vous plaît particulièrement ?

Douglas Anderson : Ma préférence irait aux illustrations de Tolkien, parce qu'elles sont de la main de l'auteur lui-même, ce qui est rare. Néanmoins, la façon dont d'autres artistes interprètent la vision qu'avait Tolkien des habitants et des lieux de la Terre du Milieu m'intéresse aussi beaucoup. Je trouve très bizarres certaines représentations d'artistes pourtant très talentueux ! Et il existe des illustrations qui possèdent un attrait unique. Parmi les traductions étrangères du Hobbit, j'aime tout particulièrement l'aspect féerique de certaines des illustrations de l'Estonien Maret Kernumees.

Il existe des illustrations qui possèdent un attrait unique. Parmi les traductions étrangères du Hobbit, j'aime tout particulièrement l'aspect féerique de certaines des illustrations de l'Estonien Maret Kernumees.

Le Hobbit Annoté en est à sa deuxième édition en langue anglaise — c'est sur cette dernière qu'est basée la traduction française. Pourriez-vous nous dire quelle ont été les raisons des modifications apportées lors de cette réédition ?

Douglas Anderson : Comme je l'ai laissé entendre plus haut, c'est tout simplement que les quatorze années qui se sont écoulées entre les deux éditions m'ont permis d'apprendre de nouvelles choses, et de découvrir que je n'avais pas encore dit tout ce qu'il y avait à dire.

Pensez-vous qu'il y aura une troisième édition dans le futur ?

Douglas Anderson : Je l'espère. Rien n'est prévu pour le moment, et cela dépend en grande partie de la volonté des éditeurs, mais le matériau d'une nouvelle édition commence à s'accumuler. Suivant une méthode que j'avais déjà appliquée entre les deux premières éditions, je n'ai cessé de réunir des notes et des copies d'articles intéressants, et cela constitue à présent quatre ou cinq dossiers bien remplis. En outre, plusieurs ouvrages particulièrement dignes d'intérêt sont parus depuis la deuxième édition et offrent de nouvelles perspectives sur le livre, comme The History of The Hobbit de John Rateliff sur les manuscrits, ou plus récemment Exploring J.R.R. Tolkien's The Hobbit de Corey Olsen. Par ailleurs, j'aimerais vraiment y adjoindre un index. Au moment de la parution de l'édition révisée, on m'a demandé pourquoi il n'y avait pas d'index, et j'ai répondu que l'idée ne m'avait tout simplement jamais traversé l'esprit. Je ne crois pas avoir jamais vu d'édition « annotée » présentant un index, mais l'utilité d'un tel outil m'est très rapidement apparue, surtout au fil du temps : comme je ne me rappelais plus à quel endroit précisément j'avais parlé d'Helen Buckhurst, d'E. F. A. Geach ou du « Lai d'Aotrou et Itroun », je perdais plusieurs minutes à feuilleter le livre avant de trouver ce dont j'avais besoin.

Comment vous est venue l'idée des appendices proposés à la fin du livre ?

Douglas Anderson : La première édition (1988) comportait deux appendices, plus une bibliographie. Le premier appendice contenait toutes les notes sur le texte et ses révisions, tandis que le second portait sur les runes. Dans l'édition de 2002, le premier appendice reprend l'intégralité d'une version de « La Quête d'Erebor » (dont de larges extraits avaient déjà été publiés par Christopher Tolkien dans Contes et légendes inachevés), et un second appendice toujours sur les runes, mais plus développé. Les notes sur le texte et ses révisions ont quant à elles été repositionnées tout au long du livre, sous la forme d'annotations, une partie de la bibliographie servant à y renvoyer le lecteur curieux. Dans les deux cas, ces appendices sont tout simplement nés d'une nécessité. Des annotations ponctuelles ne seraient pas le meilleur moyen possible de présenter certains types d'informations : il s'agit alors de trouver ce moyen.

Le Hobbit Annoté est sorti en septembre 2012 aux éditions Christian Bourgois. C'est une première publication de votre livre en français et c'est aussi la première édition d'une nouvelle traduction du Hobbit en français, par Daniel Lauzon. Avez-vous eu des contacts particuliers avec les éditeurs ou le traducteur ? Avez-vous eu l'occasion de voir la version traduite du Hobbit Annoté depuis ?

Douglas Anderson : Aucune des personnes impliquées dans cette traduction ne m'a contacté. En fait, j'ignorais qu'une traduction française était en préparation ; je ne l'ai appris qu'après sa publication. Évidemment, les éditeurs anglophones sont censés vous prévenir dans ce genre de cas, mais d'expérience, cela n'arrive jamais. Je n'ai découvert l'existence de la traduction espagnole, El Hobbit Anotado (1990), qu'avec plusieurs années de retard. Il s'est plus ou moins passé la même chose avec les traductions italienne et japonaise. En règle générale, ce sont des amis fans de Tolkien qui m'ont appris leur existence, avec un certain temps de latence. Je n'ai toujours pas eu l'occasion de jeter un œil à la traduction française.

Wayne Hammond et Christina Scull ont publié The Lord of the Rings: A Reader's Companion, dont la démarche est similaire à celle du Hobbit Annoté. Selon vous, pourrait-on appliquer la même formule à d'autres ouvrages de Tolkien ?

Douglas Anderson : Sans vouloir donner de réponse catégorique, il me semble évident que la richesse et la profondeur du Hobbit et du Seigneur des Anneaux appellent explications et commentaires. On m'a proposé à plusieurs reprises d'écrire un Seigneur des Anneaux annoté, mais j'ai toujours refusé. À mon avis, tout l'intérêt d'une édition annotée est de prendre un texte connu et d'offrir aux lecteurs un éventail d'approches permettant d'appréhender la façon dont fonctionnait l'esprit de son auteur. Les illustrations du Hobbit, non seulement celles de Tolkien, mais aussi celles qui figurent dans ses diverses traductions, constituent une dimension de plus, elles apportent des perspectives culturelles supplémentaires : elles témoignent de la façon dont différents artistes, différentes cultures ont interprété ce texte. Ayant déjà réalisé un travail de ce genre pour le Hobbit annoté, il me semblait que produire un Seigneur des Anneaux annoté n'aurait été qu'une entreprise similaire à plus grande échelle, qui avait de grandes chances de tourner à la pédanterie vaine. Malgré tout, j'ai fini par participer à un autre Tolkien annoté, d'une certaine manière : Tolkien on Fairy-Stories (2008), conçu avec Verlyn Flieger, est une sorte de version annotée du célèbre essai « Du conte de fées », qui présente également des extraits de brouillons jusqu'alors restés inédits. En fin de compte, l'utilité d'une version annotée dépend avant tout du matériau de départ.

Les illustrations du Hobbit, non seulement celles de Tolkien, mais aussi celles qui figurent dans ses diverses traductions, constituent une dimension de plus, elles apportent des perspectives culturelles supplémentaires : elles témoignent de la façon dont différents artistes, différentes cultures ont interprété ce texte.

Mark Atherton a récemment publié une série de poèmes issus de A Spring Harvest, en indiquant que vous prépariez une nouvelle édition de ce recueil. Pouvez-vous décrire à nos lecteurs ce qu'est cet ouvrage ?

Douglas Anderson : Après la mort de George Bache Smith en décembre 1916, Tolkien fut invité à préparer un recueil de poèmes de Smith pour lui rendre hommage. Ce recueil, intitulé A Spring Harvest [« Une moisson de printemps »], a été publié en juin 1918. Il contient une cinquantaine de poèmes de divers types, dont certains ont été écrits dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Smith et Tolkien étaient les deux poètes du T. C. B. S., et bien que plus jeune de deux ans, Smith est le premier à avoir commencé à écrire de la poésie de manière sérieuse, et aussi le premier à s'être engagé dans l'armée. Leur correspondance présente donc une dynamique intéressante, qui évolue au fil du temps.

Quelle influence a pu avoir la personne de G. B. Smith et ses poèmes sur l’œuvre de Tolkien ?

Douglas Anderson : Difficile de répondre à cette question. On peut trouver des thèmes communs aux deux, un usage commun de certaines images, mais il est impossible de dire si l'un a influencé l'autre, ou s'ils ont tous deux puisé dans l'esprit des temps, ou bien si des intérêts partagés se sont exprimés de façon semblable dans leurs œuvres respectives.

Cette réédition sera-t-elle accompagnée de vos commentaires, comme l'est le Hobbit annoté ?

Douglas Anderson : Il ne s'agira pas vraiment d'une analyse détaillée de chacun des poèmes, plutôt d'une étude de la vie de Smith et de son œuvre.

La médiatisation de Tolkien est à nouveau à son comble avec la sortie du Hobbit au cinéma. Avez-vu le film ? Si oui, qu'en avez-vous pensé ?

Douglas Anderson : J'avoue que les films du Hobbit me laissent mitigé. Pour les films du Seigneur des Anneaux, Peter Jackson disposait d'une toile vierge. Pour le Hobbit, plusieurs éléments sont déjà fixés : l'allure générale, le ton de l'histoire, les acteurs qui reprennent leur rôle. Cela engendre des préconceptions chez les spectateurs, qui ne sont que davantage encouragées par les clins d'œil complices que le réalisateur a plaisir à semer. Je trouve cela regrettable : de telles initiatives attirent trop l'attention sur elles-mêmes et finissent par faire sortir le spectateur de l'histoire. En fin de compte, ce ne sont que des distractions vides de sens. Voir un autre réalisateur s'attaquer au Hobbit, avec des acteurs entièrement différents, m'aurait davantage intéressé. En outre, mon travail de longue haleine sur les textes du Hobbit et du Seigneur des Anneaux m'exclut du public visé par ces films. Toutes les modifications superflues apportées aux personnages et à l'intrigue m'embrouillent. Qui plus est, j'ai l'impression que l'imagerie des films du Seigneur des Anneaux a envahi ma propre imagination. Leur esthétique a mis quelques années à laisser mon esprit suffisamment en paix pour que je puisse relire le texte avec une imagination entièrement libre, ce qui m'a grandement ravi. Je n'ai (jusqu'ici) pas ressenti l'envie de voir le premier film du Hobbit, craignant qu'il ait un effet semblable sur moi. Je présume que je finirai bien par le voir, peut-être en même temps que ses deux suites. Je n'ai tout simplement aucun désir de découvrir ce que Jackson a bien pu faire. J'ai vu ce qu'il a fait du Seigneur des Anneaux, et je serais surpris que les trois films du Hobbit apportent quelque chose de neuf. Et je doute franchement de l'intérêt d'étirer l'histoire sur trois films.

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