Les Hauts-Elfes sont-ils finno-ougriens ?

 Trois Anneaux
Harri Perälä – Janvier 2000 (mai 2005)
traduit de l’anglais par Damien Bador
Articles de synthèse : Ces articles permettent d’avoir une vue d’ensemble du thème traité mais ils nécessitent une bonne connaissance des principales oeuvres de J.R.R Tolkien.

Introduction

Le quenya est une langue artificielle créée par le Professeur J. R. R. Tolkien. C’est la langue des Hauts-Elfes d’Arda, le « monde secondaire » de Tolkien, dans lequel ses romans se situent, notamment le Seigneur des Anneaux. Tolkien créa de nombreuses langues dans le cadre de son monde fictionnel, mais seules deux langues elfiques, le quenya et le sindarin, finirent par être plus ou moins complétées.

Ce qui suit est ma tentative d’identifier les similarités et les différences entre le quenya et ma langue natale, le finnois. Je me concentrerai sur les formes tardive de cette langue, parfois appelées quenya mature (voir la section : L’histoire du quenya de notre point de vue). Je n’ai aucune compétence en linguistique, je vous prie donc d’excuser toute inexactitude dans mon utilisation de la terminologie afférente. Je serais heureux de lire tout commentaire que vous pourriez être amené à faire.

Résumé

D’après son créateur, les principaux modèles du quenya étaient le latin, le finnois et le grec. On pourrait peut-être dire qu’au départ, le finnois fut le plus important de ceux-ci, car il donna à Tolkien l’impulsion initiale pour créer le quenya. De fait, l’influence du finnois semble très forte dans les premières formes de cette langue, au moins en ce qui concerne le vocabulaire, où de nombreux mots sont de style finnois. Le quenya se distancia ultérieurement quelque peu du finnois, mais la similarité ne disparut jamais1). Comparer les grammaires des deux langues montre que celles-ci sont hautement infléchies, le nom présentant un grand nombre de déclinaisons. D’un autre côté, les détails de leur structure ne semblent pas vraiment similaires. D’après ce que l’on connaît de la grammaire du quenya, elle apparaît relativement plus simple que celle du finnois.

La phonétique et la phonologie – les sons de la langue et le système qu’ils forment – étaient importantes pour Tolkien, qui voulait par dessus tout que ses langues aient une belle sonorité. De ce côté, certaines caractéristiques du quenya sont clairement en accord avec le finnois : les deux langues utilisent très fréquemment des voyelles, et n’autorisent pas les groupes consonantiques lourds. Cependant, de nombreuses différences existent, comme les nombreuses consonnes du quenya qui sont étrangères au finnois. Le quenya ne comporte pas non plus nombre de particularités qui sont considérées typiquement finnoises. Le résultat naturel des similarités entre les deux structures phonétiques est que le quenya comporte de nombreux mots qui ne seraient pas improbables en finnois. Certains d’entre eux existent d’ailleurs effectivement dans cette langue, bien qu’ils aient une signification différente. Un dictionnaire étymologique rédigé par Tolkien contient environ une douzaine d’emprunts directs au finnois, dont quelques-uns pourraient être détectés dans le Seigneur des Anneaux par un lecteur attentif. Certains noms quenyarins dans la mythologie de Tolkien pourraient aussi avoir des racines finnoises.

Rautala a également posé une question à demi sérieuse similaire au titre de mon article. Sa réponse est négative – si le quenya était une « vraie » langue, il ne pourrait être placé dans le groupe finno-ougrien. Je pense qu’il me faudra acquiescer. Le quenya est clairement une langue en soi, même si elle doit beaucoup à ses modèles, comme le finnois.

L’histoire du quenya de notre point de vue

Alors qu’il étudiait à Oxford, le jeune J. R. R. Tolkien tomba sur une grammaire finnoise. Cette langue lui fit une forte impression, ainsi qu’il le décrivit plus tard dans une lettre : « C’était comme découvrir une cave à vin entière remplie de bouteille d’un vin extraordinaire d’un type et d’une saveur jamais goûtés auparavant. J’en fus assez intoxiqué. »2) Les langues avaient été la passion de Tolkien depuis son enfance, et il avait déjà essayé d’en inventer certaines qui lui soient propres. Avec cette nouvelle source d’inspiration, il commença à travailler à une langue qui était fortement influencée par le finnois. Alors qu’il la développait, il commença à estimer que celle-ci avait besoin d’une histoire, et d’un monde dans lequel elle aurait été parlée. Au cours de la Première guerre mondiale, Tolkien décida d’unir cette langue avec les histoires mythiques qu’il avait juste commencé à écrire. Ces histoires finirent par donner le Silmarillion, et cette langue devint désormais la langue elfique appelée qenya.

L’influence finnoise était relativement manifeste dans les premières formes de « qenya ». En observant l’index de l’un des premiers lexiques rédigés, on peut aisément trouver de nombreux mots finnois ou proches du finnois. Cette langue subit de nombreux changements (l’un des plus mineurs fut le changement de l’orthographe de son nom en quenya) avant d’atteindre la forme relativement finale que nous observons dans le Seigneur des Anneaux et les écrits tardifs. Certains appellent cette forme le quenya mature. Son vocabulaire semble comporter moins d’emprunts directs au finnois. Le finnois n’était bien sûr pas la seule langue qui influença le quenya. Tolkien lui-même décrit le quenya comme « étant composé d’une base latine avec deux autres (principaux) ingrédients qui s’avéraient me donner un plaisir “phonesthétique” : le finnois et le grec »3) (une lettre citée par Fauskanger, Quenya – the Ancient Tongue). De plus, dans le message 28.48 de TolkLang, B. Philip Jonsson remarque que la protolangue elfique et le quenya ont été influencés par les langues ouraliennes en général, pas seulement le finnois.

L’histoire du quenya du point de vue des Elfes

En plus de son histoire dans le monde réel, le quenya possède aussi une histoire imaginaire inventée par Tolkien. Le développement de l’elfique et des autres langues est partie intégrante de l’histoire d’Arda. Comme toutes les autres langues elfiques, le quenya descend de la proto-langue connue sous le nom de quendien primitif. À Valinor, le quenya était la langue commune, parlée par les Vanyar, les Ñoldor et même les Valar. Elle fut finalement apportée en Terre du Milieu par les Ñoldor. En Beleriand cependant, les Exilés ñoldorins eurent l’interdiction d’user ouvertement de leur langue4). Le quenya survécut, mais devint principalement une langue écrite ou un « parler noble » utilisé dans les cérémonies.

Le quenya était supposé être une langue archaïque. Elle « préservait les principales caractéristiques de la langue elfique originelle, inventé par les Elfes lorsqu’ils s’éveillèrent à l’origine près des eaux de Cuiviénen » (Fauskanger, Quenya – the Ancient Tongue). Le finnois est aussi très conservateur lorsque l’on considère la forme phonétique des mots. Il a par exemple conservé les voyelles finales de nombreux mots finno-ougriens et d’anciens emprunts aux langues germaniques. Cela se voit dans l’ancien mot germanique *raudha5), qui est devenu röd en suédois et red en anglais, mais est préservé en finnois sous la forme rauta. (Hakulinen)

Il s’avère que le mot rauta existe aussi en quenya, permettant d’intéressantes comparaisons. D’après un compte-rendu étymologique, le quenya rauta est dérivé du radical RAUTÂ, ce qui signifie que le mot est apparemment très peu différent de sa forme première. Le sindarin, une langue elfique apparentée, possède également un mot de même origine. Ce mot a cependant subi plus de modifications, devenant rhaud ou –rod. (Tolkien)

Comparaison grammaticale

Les similarités des structures phonétiques sont souvent mentionnées lorsque l’on discute des relations entre le quenya et le finnois, mais ce n’est pas le seul domaine dans lequel des liens peuvent se trouver. « La structure grammaticale [du quenya] » écrit Fauskanger, « impliquant un grand nombre de cas et autres déclinaisons, est clairement inspirée par le latin et le finnois » (Quenya – the Ancient Tongue). Le finnois et le quenya sont ainsi deux langues synthétiques ; elles expriment des choses en ajoutant des terminaisons aux mots plutôt qu’en utilisant des prépositions et autres petits mots séparés. Par exemple, « dans une maison » est talossa en finnois et apparemment coasse en quenya.

Si les terminaisons et les mots peuvent être « collés » ensembles sans les changer, une telle langue est appelée agglutinative. En principe, le quenya et le finnois sont tous deux ainsi, mais ni l’un ni l’autre n’est purement agglutinatif. En quenya par exemple, casar + la terminaison plurielle partitive –li donne casalli plutôt que casarli (Fauskanger, Quenya – the Ancient Tongue). En finnois, hauki + génitif –n donne hauen, non pas haukin.

Il est habituellement dit qu’il existe quinze flexions nominales en finnois, tandis que le quenya mature en a neuf ou dix. Les cas eux-mêmes sont assez différents dans les deux langues, mais leur quantité suggère que celles-ci sont plus proches l’une de l’autre qu’elles ne le sont de la plupart des langues indo-européennes. Les seuls cas qui semblent être apparentés sont le locatif quenya –sse et l’inessif finnois –ssa / –ssä que j’ai utilisé dans l’exemple « dans une maison » ci-dessus.

Navire pour Valinor (© Ted Nasmith)

En quenya, les pronoms apparaissent habituellement sous forme de terminaisons : par exemple, dans hiruvalye « tu trouveras », la partie signifiant « tu » est –lye. Les verbes finnois sont infléchis en fonction du sujet de la phrase et les pronoms peuvent souvent être omis, mais je pense qu’il existe des langues qui sont plus proches du quenya à ce propos. Au moins l’une des terminaisons pronominales est apparemment un emprunt au finnois : la marque de la première personne du pluriel est –mme dans les deux langues (en fait, le quenya possède aussi une autre première personne du pluriel)6). Il existe également un pronom indépendant me « nous » en quenya. Il en est de même en finnois. Un cas plus incertain est la première personne du singulier : en quenya, elle peut être –nye ou –n. Cette dernière s’avère être identique à celle du finnois, mais il pourrait simplement s’agir d’une coïncidence, puisqu’il est fréquent d’observer des nasales pour exprimer la première personne dans de nombreuses langues du monde primaire.

Cependant, le quenya semble avoir une structure plus simple que son modèle finno-ougrien. Par exemple, il existe un grand nombre de terminaisons en finnois, comme –ko / –kö, –kaan / –kään et –han / –hän qui sont utilisés pour exprimer des questions, marquer l’emphase et ainsi de suite (toimiikohan tämäkään signifie « je me demande si cela aussi fonctionnera »). Ceux-ci n’ont probablement pas d’équivalents dans les exemples publiés du quenya7). Il est probable qu’un grand nombre de formes compliquées ne correspondaient pas à l’image qu’avait Tolkien d’une langue magnifique.

Les sons du quenya et du finnois

Observons les consonnes des deux langues (les lignes correspondant approximativement aux différents types de sons)8) :

Quenya Finnois
t, p, c t, p, k
d, b, g d
s, f, h, hw, hy s, h
v v
n, ng, m n, ng, m
l, hl l
r, hr r
w, y j

Le quenya c et le finnois k sont les mêmes sons orthographiés différemment, comme le sont y et j. Pour ng, j’entends le son de l’anglais king, pas celui de finger. Hw, hl, hr sont les équivalents dévoisés de w, l et r, tandis que hy est semblable au ch de l’allemand ich. Le finnois possède aussi b, g, f et sh, mais ils n’apparaissent que dans les mots empruntés à d’autres langues et ne sont pas des phonèmes véritables. Comme le montre cette comparaison, le finnois possède relativement peu de consonnes, en particulier de peu consonnes voisées. Même le d, la seule occlusive voisée, est un phonème relativement récent, créé par la langue écrite.

L’une des caractéristiques du finnois est le phénomène appelé gradation consonantique. Cela caractérise l’affaiblissement de t, p, k dans certaines positions. Par exemple, si nous ajoutons la terminaison génitive –n au mot lappu, la consonne double est réduite en une consonne simple, et nous obtenons lapun. Dans une situation similaire, un p simple devient v, et le génitif de tapa est tavan. Le quenya ne possède pas de système similaire.

Les voyelles sont très fréquentes en finnois. À peu près la moitié des sons des mots finnois sont des voyelles, et les mots se terminent généralement par des voyelles. Les deux caractéristiques sont également présentes en quenya. La richesse vocalique doit avoir été l’une des caractéristiques du finnois qui fit la plus grande impression sur Tolkien. Le quenya possède cinq voyelles, a e i o u9), tandis que le finnois en possède huit, a e i o u y ä ö. Puisque le quenya ne dispose pas des voyelles antérieures y, ä, ö, il ne pouvait pas disposer d’harmonie vocalique, une autre caractéristique spécifique au finnois. En finnois, ces voyelles ne peuvent apparaître dans le même mot que les voyelles postérieures a, o, u (e, i sont neutres de ce point de vue).

Les deux langues évitent les groupes consonantiques, le finnois peut-être encore plus que le quenya. Combiné avec la fréquence des voyelles, cela donne aux deux langues un « style » similaire. Cependant, à cause des nombreuses différences listées ci-dessus (et des différences orthographiques), le quenya ne présente pas une apparence très familière pour un Finlandais. Le quenya parlé aussi semblerait probablement peu familier, du fait d’un placement différent de l’accent tonique : en quenya, il suit une règle semblable à celle du latin, tandis que le finnois place toujours l’accent sur la première syllabe.

Vocabulaire

Les Étymologies

Le dictionnaire étymologique simplement connu comme « Les Étymologies », publié dans la Route perdue, est ordonné suivant des « radicaux primitifs » dont sont dérivés tous les mots. Il fut écrit juste avant le Seigneur des Anneaux, ce qui signifie que son q(u)enya n’est pas tout à fait « mature », mais est très proche de ce stade. C’est dans tous les cas la plus importante source de vocabulaire elfique. Il existe (suivant une estimation grossière) un peu moins de 600 radicaux et environ 1000 mots en quenya.

Rautala a examiné « Les Étymologies », trouvant des mots finnois reconnaissables sous quinze radicaux. Ces mots ont à la fois une signification similaire dans les deux langues et une prononciation identique ou presque. Elle a pris en compte les mots quenya, leur forme ancienne (elfique primitif) et même les radicaux. En employant cette méthode, on peut dire que quelques pourcents du vocabulaire quenya sont influencés par le finnois.

Cependant, je voudrais limiter cet examen aux vrais mots du quenya qui peuvent être identifiés comme étant finnois. Cela nous laisse avec environ onze mots parmi un millier ; en d’autres termes, environ un pourcent des mots du quenya dans « Les Étymologies » me semblent être des emprunts directs au finnois :

Quenya Finnois
anta- « donner » antaa « donner »
et- préfixe « en avant, dehors » eteen « en avant, vers l’avant », etu- préfixe « front- »
hala « petit poisson » kala « poisson »
kulda « couleur de flamme, rouge-doré » et d’autres formes kulta « or »
lapse « nourrisson » lapsi « enfant »
nasta « fer de lance, pointe, corne, triangle » nasta « punaise, épingle »
panya- « fixer, mettre en place » panna « poser, placer, mettre, coucher »
rauta « cuivre », changé en « métal » rauta « fer »
tie « chemin, cours, ligne, direction, voie » tie « route, chemin, voie »
tereva « fin, aigu » (dérivé d’une ancienne forme signifiant « perçant, pénétrant ») terävä « aigu »
tul- « venir » tulla « venir »

Pour déterminer précisément si ces emprunts sont en quantité significative, il serait nécessaire de savoir quelle proportion du vocabulaire quenya est empruntée à des langues existantes et combien est pure invention. Malheureusement, je ne suis pas capable de faire une telle estimation. Tolkien emprunta certainement des mots à diverses langues autres que le finnois, comme l’hébreu, l’arabe, le chinois, le grec et les langues scandinaves.

En plus des emprunts réels, « Les Étymologies » contiennent des mots de quenya qui existent en finnois mais ont une signification complètement différente. Tolkien savait probablement suffisamment de finnois pour reconnaître nombre de ces mots, mais je pense que certains d’entre eux sont simplement le résultat d’une similarité phonologique plutôt que de vrais emprunts. Je dirais qu’il existe plus de quatre-vingts mots de ce type dans « Les Étymologies ». Un grand nombre d’entre eux sont de la forme CVC-CV (C = consonne, V = voyelle). Par exemple :

Quenya Finnois
amme « mère » amme « baignoire »
arka « étroit » arka « craintif, timide »
harya- « posséder » harja « un pinceau »
kúma « le Vide » kuuma « chaud »
lanta- « tomber » lanta « fumier »
poika « propre, pur » poika « garçon, fils »
ráka « loup » raaka « cru, rude ; cruel »
Vala « Puissance, dieu » vala « serment »

En lien étroit avec le groupe précédent, on trouve aussi des mots compatibles avec la phonologie du finnois, mais n’étant pas attestés dans cette langue. Ces mots (par exemple morko, lepse, lauka) diffèrent souvent très légèrement d’un mot finnois existant, ou ont simplement une apparence phonétique compatible avec le finnois. Ce groupe de mots est plus vaste que celui des mots finnois réels apparaissant en quenya. Cependant, environ un tiers du vocabulaire quenya des « Étymologies » est incompatible avec le finnois10). Cela est essentiellement dû aux différences consonantiques notées précédemment.

Autres sources

Le Quenya Corpus Wordlist de Fauskanger (voir les Sources) peut nous donner une assez bonne idée du vocabulaire quenya en-dehors des « Étymologies ». Les mots sont essentiellement tirés de textes ultérieurs et représentent probablement assez bien l’image finale que Tolkien voulait donner à sa langue. Étudier ce lexique donne essentiellement des résultats similaires à ceux des « Étymologies ». À nouveau, environ un tiers des mots ne pourrait s’insérer dans la phonologie finnoise ; parmi les autres, il se trouve plusieurs mots finnois de significations diverses, quoiqu’ils ne soient pas aussi fréquents que précédemment. La chose la plus notable est peut-être que Tolkien semble avoir abandonné les emprunts directs au finnois après « Les Étymologies » : je n’en ai trouvé aucun dans ce lexique.

Mots finnois dans « le Seigneur des Anneaux »

De nombreuses personnes pourraient être intéressées de savoir combien d’influences finnoises se sont glissées dans l’œuvre la plus populaire de Tolkien. Contrairement au Silmarillion, l’histoire même du SdA ne semble pas présenter de lien évident avec la Finlande, mais cet ouvrage comporte certaines expressions quenya avec des mots finnois. J’ai identifié les trois suivants :

1. Dans le chant de Galadriel lorsque la Compagnie quitte la Lórien11) :

ar ilyë tier undúlavë lumbulë
« et tous les chemins sont noyés profondément dans l’ombre »12). Tier est le pluriel de tie « chemin » (le finnois a tie « route »).

2. Ligne 13 du même chant :

i falmarinnar imbë met, ar hísië
« […] sur les vagues écumantes entre nous, et la brume […] »13). Le mot met vient du pronom me « nous » + la terminaison duelle –t indiquant que cela concerne deux personnes. Me signifie « nous » en finnois.

3. Dans les mots qu’Aragorn cite à son couronnement14), prononcés à l’origine par Elendil :

Et Eärello Endorenna utúlien.
« Hors de la Grande Mer en Terre du Milieu je suis venu. »15) Utúlie (la terminaison –n signifie « je ») est le parfait de tul- « venir », qui a la même signification que le finnois tulla. Un autre élément finnois possible dans cette phrase est et. Ici, il signifie « hors, en-dehors », mais il pourrait aussi se traduire par « en avant », un peu comme le finnois eteen.

Les noms

Il existe aussi des noms présentant une influence finnoise dans les œuvres de Tolkien. Cependant, il faut être prudent de ne pas sauter aux conclusions dans ce cas. Il faut nous souvenir que les mots des langues de Tolkien sont liés les uns aux autres et qu’ils ont des significations. Par exemple, de Anna suggère que Valinor, qui est souvent associé à la lumière dans l’œuvre de Tolkien serait en lien avec valo, le mot finnois pour « lumière ». C’est fort possible, mais la question pourrait ne pas être aussi simple que cela. Valinor signifie « la terre (ou peuple) des Valar », et d’après de Anna, les Valar ne dérivent pas leur nom du finnois mais de l’ancien scandinave (le vieux norrois, N.d.T.), où il signifie « une prophétesse ». À cause de problèmes tels que celui-ci, nous ne pouvons souvent que spéculer.

De Anna présente aussi l’idée qu’en quenya16), l’un des premiers noms pour le Soleil, Kalaventë / Kalavénë (« navire de lumière »), aurait été inspiré par le finnois kalavene (« bateau de pêche »). S’il en est ainsi, le mot kala, qui demeura un mot fort important à l’usage (on peut le voir dans les noms Calacirya et Calaquendi), pourrait avoir une origine finnoise assez intéressante ! (Comme on le voit dans la liste ci-dessus, le quenya possède également le mot hala « petit poisson ».)

En quenya, il existe un groupe de noms qui ressemblent à ilma (« air ») et Ilmarinen (un personnage du Kalevala, à l’origine un dieu finnois17)) :

  • Ilmen, « la région des étoiles »
  • Ilmare, la dame de compagnie de Varda
  • Ilmarin, « demeure des hauts cieux », la demeure de Manwë

Il est notable qu’Ilmarinen puisse se diviser en Ilmari + le diminutif –nen. Tolkien avait-il l’intention d’associer Manwë avec Ilmarinen, le dieu des voyageurs et des vents dans l’ancienne religion finnoise, ou le mot ilma est-il le seul lien entre les deux ? Les plus braves pourraient aussi chercher à deviner si Silmaril et les mots apparentés ont été inspirés par ilma.

La similarité entre les noms d’Eru Ilúvatar et Ilmatar du Kalevala encourage la spéculation, en particulier du fait que les deux prennent part à la création du monde. Un autre nom quenya qui s’insérerait bien dans le Kalevala est Annatar, utilisé par Sauron au Deuxième Âge. Cependant, il s’agit probablement juste d’une coïncidence. Le finnois –tar / –tär est une terminaison féminine, que l’on trouve dans de nombreux noms du Kalevala. En quenya, tar signifie « haut, élevé » ou « seigneur ».

Sources

  • Carpenter, Humphrey. J. R. R. Tolkien: elämäkerta. Nemo : 1998.
[Traduction finnoise de J. R. R. Tolkien: A Biography]
  • De Anna, Luigi « The Magic of Words: J. R. R. Tolkien and Finland » Scholarship & Fantasy : Proceedings of The Tolkien Phenomenon, p. 7-19. Université de Turku, Finlande : mai 1992. K. J. Battarbee éd.
[Tout au moins disponible à la bibliothèque de Turku, Finlande.]
[Un livre sur la structure et le développement du finnois.]
  • Rautala, Helena. « Familiarity and distance: Quenya’s relation to Finnish. » Scholarship & Fantasy: Proceedings of The Tolkien Phenomenon, p. 21-31. Université de Turku, Finlande : mai 1992. K. J. Battarbee éd.

Voir aussi

Sur Tolkiendil

Sur le net

1) N.d.T. : Comme le remarque David Giraudeau, cet avis fait écho à un texte de Tolkien publié depuis, où ce dernier indique que « Le finnois, que je rencontrai lorsque je commençais à construire une “mythologie”, était une influence dominante, mais celle-ci a été considérablement réduite. Elle survit dans certaines caractéristiques… » PE 17, p. 135
2) Lettre nº 163, citée par Carpenter (J. R. R. Tolkien : une biographie) et Fauskanger (Tolkien’s Not-So-Secret Vice).
3) Version originale : « composed on a Latin basis with two other (main) ingredients that happen to give me ‘phonaesthetic’ pleasure: Finnish and Greek »
4) N.d.T. : plus exactement, ce sont les Sindar de Beleriand qui eurent l’interdiction de parler à une personne employant le quenya pour s’adresser à eux, par ordre du roi Elu Thingol.
5) Le dh de raudha se prononce comme le th de l’anglais this.
6) N.d.T. : en fait, -mme est la première personne exclusive du nombre duel en quenya « mature », les deux terminaisons de la première personne du pluriel étant –lme (exclusif) et –lve (inclusif) ; cf. VT 49, p. 51.
7) N.d.T. : cependant, il existe aussi des formes emphatiques en quenya, comme elyë « même toi » dans le poème Namárië, cf. RGEO, p. 66-67. De même, un tableau de terminaisons verbales du PE 17, p. 75, propose une liste de formes réflexives à la 3e personne : sing. -kse, duel -kset, pl. -kser. Aussi, si le quenya reste probablement plus simple que le finnois à ce propos, il semble plus lui ressembler qu’à la plupart des langues indo-européennes modernes.
8) La liste des consonnes du quenya se fonde sur celle de Fauskanger dans Quenya – the Ancient Tongue. Pour une manière quelque peu différente de les présenter (qui rend le système encore plus éloigné du finnois), voir Bradfield, Elvish Pronunciation Guide.
9) N.d.T. : voir à ce propos l’étude phonologique du quendien primitif présentée dans la Tengwesta Qenderinwa, in PE 18, p. 83, où est explicité l’origine des différentes voyelles du quenya.
10) La quantité dépend considérablement de la manière dont elle est calculée. J’ai décidé de compter les mots avec un d comme étant incompatibles avec le finnois, bien que d apparaisse dans cette langue comme un grade faible de t dans certaines formes déclinées (et dans des emprunts récents à d’autres langues).
11) SdA, Livre II, chap. 8, l. 11
12) Version originale : « and all paths are drowned deep in shadow ».
13) Version originale : « […] on the foaming waves between us, and mist ».
14) SdA, Livre VI, chap. 5
15) Version originale : « Out of the Great Sea to Middle-earth I am come. »
16) N.d.T. : L’auteur aurait en fait dû employer le terme « qenya », plus adapté dans ce contexte, ces noms étant tirés des Contes perdus ; l’orthographe des deux termes a d’ailleurs été corrigée, la version originale donnant les formes Kalavent- / Kalavún-, citées à partir d’un autre article, qui comportait une coquille à cet endroit-là (communication personnelle de l’auteur, 2010) ; cf. LT1, p. 222.
17) N.d.T. : En 2010, dans une communication personnelle, l’auteur m’a signalé que la théorie selon laquelle Ilmarinen serait à l’origine un dieu finnois ne fait pas nécessairement l’unanimité parmi les spécialistes. C’est toutefois une idée soutenue par Martti Haavio dans son livre Suomalainen mytologia (WSOY, 1967).
 
langues/langues_elfiques/quenya/hauts-elfes_finno-ougriens.txt · Dernière modification: 08/03/2022 11:04 par Elendil
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