Table des matières

Le passé en quenya

Quatre Anneaux
Thorsten Renk
traduit de l’anglais par Damien Bador
Article théoriqueArticles théoriques : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs.

Introduction

De tous les temps attestés aux diverses étapes d’élaboration du q(u)enya de Tolkien, c’est le passé que nous connaissons le mieux (après l’aoriste / présent, bien sûr, temps le plus souvent utilisé pour lister les verbes dans les écrits de Tolkien). Si une forme verbale supplémentaire se trouve dans un lexique, il s’agit presque toujours d’un passé, rarement d’un participe. Cela vient probablement du fait que dans la conception de Tolkien des langues elfiques, contrairement aux autres temps, le passé révèle l’évolution du verbe à partir de sa racine primitive. Pour autant que nous le sachions, le futur quenya est dénoté au moyen d’un simple suffixe (habituellement –uva). Un temps identifié par un suffixe est généralement appelé une « forme faible », et celle-ci peut souvent être prédite à partir du présent si l’on connaît le suffixe adéquat.

Par contraste, le passé des langues de Tolkien est un mélange de formes faibles et fortes (i.e. pour lesquelles le radical verbal est modifié), et pour comprendre ces dernières, il est souvent nécessaire de connaître la racine primitive du verbe. Dans le cadre de l’environnement fictionnel de Tolkien, qui affecte d’être un investigateur des langues elfiques, ces passés seraient des indices de taille lui permettant de comprendre le développement des racines primitives jusqu’au quenya.

Pour l’étudiant du quenya, cela rend le passé relativement difficile à maîtriser, vu que nous pouvons fréquemment classifier les verbes en fonction de la forme qu’ils prennent au passé, mais pas prédire de manière exacte le passé d’autres verbes (dont nous ne connaissons que le présent). L’objectif de cet essai est d’étudier le passé quenya et ses modifications au cours du temps en présentant l’ensemble des formes attestées aux différentes périodes, à partir du « Qenya Lexicon » de 1914-1918 aux formes apparaissant dans les textes tardifs circa 1970, et en faisant des comparaisons lorsqu’il est possible de retracer l’évolution d’un verbe au cours du temps. Il deviendra évident que si certaines idées demeurèrent remarquablement stables au cours du temps, les détails de ce système ne cessèrent d’évoluer, et Tolkien changea fréquemment d’avis sur certaines formes. La complexité de la formation du passé elfique est une caractéristique remarquable des langues de Tolkien, contribuant clairement à leur saveur « réelle » et démontrant que Tolkien inventa non seulement des langues mais toute leur évolution historique.

Le « Qenya Lexicon »

Le « Qenya Lexicon » (QL), publié dans le Parma Eldalamberon nº 12, est le premier document publié dans lequel apparaît le qenya (plus tard orthographié quenya), la langue de Tolkien s’inspirant du finnois, du latin et du grec. Il remonte à 1915-1918 et contient plus de deux cents passés verbaux, qui permettent une vision très détaillée des premières idées de Tolkien sur la structure du passé. Cependant, de nombreux autres verbes de ce lexique sont donnés sans que leur passé soit précisé.

Nous pouvons diviser les verbes du qenya en deux groupes, suivant leur dérivation : les verbes primaires, directement dérivés de la racine, habituellement avec répétition de la voyelle radicale, e.g. siqi- « soupirer », de la racine SIQI1), comprenant parfois aussi une vocalisation des racines consonantiques, e.g. sulp- « lécher », de SLPL2), et les verbes dérivés, qui présentent un suffixe dérivationnel ajouté à la racine, souvent –ya ou –ta. Dans certains cas, la distinction n’est pas vraiment claire. Un verbe comme lampa- « frapper, battre »3), de la racine LAMA, pourrait être considéré dériver de la racine par affermissement m > mp ou par perte de la voyelle radicale répétée et ajout du suffixe –pa. Comme nous avons des preuves d’un développement à partir de la racine nue pour ces verbes, nous les considérerons dérivés, bien que ce ne soit pas nécessairement correct dans tous les cas.

Les verbes du QL ne sont pas listés suivant une convention standardisée. À la place, les formes verbales au présent sont parfois terminées par un tiret (indiquant qu’elles représentent un radical), parfois ne le sont pas (la traduction suggère alors souvent un infinitif) et parfois sont sous une forme fléchie. On y voit deux terminaisons personnelles différentes, -(i)r et –i(n). Tolkien semble avoir modifié l’attribution de ces terminaisons aux différentes personnes tout au long de la création du QL, nous trouvons par exemple elin « je conduis »4) mais mokir « je hais »5) et usin « il s’échappe »6). Patrick Wynne et Christopher Gilson analysent la situation plus en détail en PE 14, p. 23-24. Un passé est supposé être fléchi : pilty- « frapper » passé paltye « #frappa » paltien « #je frappai / il frappa »7), indiquant que la forme passée habituelle correspond aussi au radical, bien qu’apparaissent des changements comme y > i en présence d’une terminaison.

Par conséquent, les conventions suivantes seront adoptées par la suite : puisque le présent se termine généralement par un tiret, nous listerons tous les verbes comme des radicaux (sans précision supplémentaire lorsque le tiret a été ajouté), là où l’on peut déduire le radical, il sera identifié par #, et la forme originale du QL sera listée à côté. Toutes les formes verbales au passé seront listées comme des troisièmes personnes sans augment pronominal, et nous supposerons que les tirets (occasionnels) peuvent être omis.

Remarques générales

Il n’est pas inhabituel qu’un verbe qenya possède plus d’une forme passée ; pour bon nombre d’entre eux, deux formes sont données (habituellement sans indication de préférence et sans que l’une soit indiquée être archaïque), cf. nesta- « nourrir », passé nēse, nesse8), bien que l’on n’observe jamais trois formes passées distinctes.

Dans un exemple, le passé est différent selon que le verbe a une signification transitive ou intransitive : olto- « accroître, multiplier » passé olonte (trans.) ōle (intrans.)9), bien que cela ne soit pas habituel : si des significations transitives et intransitives sont données à la traduction pour bon nombre de verbes, une forme passée unique est indiquée, par ex. tilt- « faire pencher, incliner » (trans.) « décliner » (intrans.) passé talte10).

La seule marque du passé qui s’observe dans presque tous les exemples est la voyelle finale –e. En plus de celle-ci, le passé est indiqué de diverses façons, dont « (1) affermissement en n » (infixation nasale), « (2) affermissement de la longueur vocalique, (3) apophonie “apparente” » et « (4) suffixe entre le radical et la terminaison » (voir les notes un peu plus tardives de Tolkien concernant les paradigmes verbaux du qenya en PE 14, p. 26). Pour les verbes dérivés en particulier, il y a également la possibilité qu’ait eu lieu une perte (partielle) de la terminaison dérivationnelle.

Verbes primaires avec allongement vocalique

L’allongement de la voyelle radicale est le principal mécanisme de formation du passé des verbes radicaux. En plus de cet allongement, la voyelle finale du verbe est changée en –e au passé. Cela permet de distinguer les temps lorsque la voyelle radicale du verbe est déjà longue au présent, cf. qīni- « parler haut, piauler » passé qīne11). L’allongement est habituellement indiqué par un macron, mais un accent aigu est parfois utilisé à la place, cf. kumin « j’empile » passé kúme12).

Si nous négligeons la répétition de la voyelle radicale au présent et trions les verbes par la dernière consonne de la racine, l’allongement vocalique a lieu pour les racines avec une consonne finale unique, à l’exception d’un exemple en -w-, où se voit une infixation nasale (voir ci-dessous). Il semble qu’il s’agisse du principal mécanisme de formation du passé pour les radicaux se terminant en -k-, -l-, -m-, -r- et -v-. Plus remarquablement, les vingt-quatre verbes à radical en -r- forment leur passé par allongement vocalique.

  • astuvu- « commencer » passé astūve (PE 12, p. 33)
  • #el- « conduire » passé éle (attesté sous la forme elin) (PE 12, p. 35)
  • fum- « dormir » passé fūme, fumbe (PE 12, p. 39)
  • #har- « demeurer » passé hāre, hande (attesté sous la forme harin) (PE 12, p. 39)
  • #kar- « faire, fabriquer » passé káre (attesté sous la forme karin) (PE 12, p. 45)
  • #kum- « empiler » passé kúme, kumbe (attesté sous la forme kumin) (PE 12, p. 49)
  • laqa- « attraper, saisir, capturer » passé lāqe, lanqe (PE 12, p. 51)
  • lava- « lécher » passé lāve (PE 12, p. 51)
  • lim- « attacher » passé līme (attesté sous la forme limin) (PE 12, p. 54)
  • liri- « chanter » passé līre, linde (PE 12, p. 54)
  • loqo- « courir (pour des êtres humains) » passé lōqe, lonqe (PE 12, p. 56)
  • lor- « sommeiller » passé lōre (PE 12, p. 56)
  • lutta-, lutu- « s’écouler, flotter » passé lūte (PE 12, p. 57)
  • mak- « tuer » passé māke, manke (PE 12, p. 57)
  • mal- « écraser » passé māle (PE 12, p. 58)
  • mar- « mûrir, se préparer, grandir » passé māre (PE 12, p. 59)
  • mas- « faire cuire, cuisiner » passé māse (PE 12, p. 59)
  • mel- « aimer, être amoureux » passé mēle (PE 12, p. 60)
  • #mok- « haïr » passé mōke (attesté sous la forme mokir) (PE 12, p. 62)
  • mul- « moudre » passé mūle (PE 12, p. 63)
  • naka- « mordre » passé nanke, nāke (PE 12, p. 64)
  • nara- « casser, quereller » passé nāre (PE 12, p. 64)
  • naya- « cela chagrine » (impers.) passé nāye (PE 12, p. 65)
  • neme- « coudre » passé nēme (PE 12, p. 65)
  • nesta- « nourrir » passé nēse, nesse (PE 12, p. 66)
  • nolo- « oser » passé nōle (PE 12, p. 67)
  • nornoro- « continuer sur sa lancée » passé nornōre, nornoronte (PE 12, p. 67)
  • nuvu- « sentir, renifler à » passé nūve (PE 12, p. 68)
  • #nyara- « raconter, dire » passé nyande, nyāre (PE 12, p. 68) (seul le radical est donné)
  • oro- « s’élever » passé ōre (PE 12, p. 70)
  • pere- « aller à travers, passer, percer » passé pēre (PE 12, p. 73)
  • perpere- « endurer jusqu’au bout » passé perpēre (PE 12, p. 73)
  • pili- « voler » passé pīle (PE 12, p. 74)
  • piri- « tournoyer, tourner » passé pīre (PE 12, p. 74)
  • pulu- « gonfler » (intrans.) passé pūle (PE 12, p. 75)
  • puru- « brûler » passé pūre (PE 12, p. 75)
  • pus- « souffler, renifler » passé pūse (PE 12, p. 76)
  • qama- « être malade, vomir » passé qāme (PE 12, p. 76)
  • qaqa- « caqueter, piailler, glousser » passé qanqe, qāqe (PE 12, p. 76)
  • qele- « périr » passé qēle (PE 12, p. 76)
  • qīni- « parler haut, piauler » passé qīne, qīnine (PE 12, p. 77)
  • qisi- « chuchoter » passé qisse, qīse (PE 12, p. 77)
  • qisqiri-, qisqisi- « froisser, murmurer » passé qisqīre, qisqisse (PE 12, p. 78)
  • qolo- « peiner, faire souffrir » passé qōle (PE 12, p. 78)
  • rama- « crier, brailler, beugler » passé rāme (PE 12, p. 78)
  • rara- « racler, peler, déshabiller, décaper » passé rāre, rande (PE 12, p. 79)
  • ruku- « pétuner, fumer, empester » passé rūke (PE 12, p. 80)
  • sara- « scier » passé sāre (PE 12, p. 82)
  • sili- « briller, étinceler » passé sīle (PE 12, p. 83)
  • siqi- « soupirer » passé sīqe (PE 12, p. 84)
  • siri- « s’écouler » passé sīre, sinde (PE 12, p. 84)
  • soko- « boire » passé sōke (PE 12, p. 85)
  • soro- « s’asseoir » passé sōre (PE 12, p. 85)
  • sovo- « nettoyer » passé sōve (PE 12, p. 86)
  • taqa- « construire, façonner, fabriquer » passé tāqe, tanqe (PE 12, p. 89)
  • tara- « traverser, aller à travers » passé tāre (PE 12, p. 89)
  • teta- « attirer » passé téne (PE 12, p. 90)
  • teve- « haïr, détester » passé tembe (tēve) (PE 12, p. 90)
  • tiri- « observer » passé tīre (PE 12, p. 93)
  • toko- « manier » passé tōke (PE 12, p. 94)
  • toqo- « céder, donner » passé tōqe (PE 12, p. 94)
  • toro- « cuire » passé tōre (PE 12, p. 94)
  • tuku- « aller à la recherche de, chercher » passé tūke (PE 12, p. 95)
  • tupu- « toiturer, couvrir » passé tūpe (PE 12, p. 95)
  • turu- « pouvoir, être capable » passé tūre (PE 12, p. 95)
  • tuvu- « recevoir, accepter » passé tūve (PE 12, p. 96)
  • tyasa- « tester, essayer, sélectionner, choisir » passé tyāse (PE 12, p. 49)
  • tyastava- « goûter (à) » (trans.) passé tyastāve (PE 12, p. 49)
  • tyava- « goûter comme, rappeler » (impers.) passé tyāve (PE 12, p. 49)
  • tyuku-, tyukta- « mâcher » passé tyūke, tyunke (PE 12, p. 50)
  • ulu- « déverser, jaillir » (intrans.) passé ūle (PE 12, p. 96)
  • #um-, uv- « ne pas être, ne pas faire » passé ūme (attesté sous la forme umin, uvin) (PE 12, p. 98)
  • #uq- « pleuvoir » passé ūqe (attesté sous la forme uqin) (PE 12, p. 98)
  • #us- « s’échapper » passé ūse, usse (attesté sous la forme usin) (PE 12, p. 98)
  • #vas-, #vasta- « se presser » (trans. + intrans.) passé vāse, vasse (attesté sous la forme vasin, vastan) (PE 12, p. 100)
  • ‘war- « frotter » passé wāre (attesté sous la forme ‘warin) (PE 12, p. 103)
  • ‘wili- « naviguer, voler, flotter » passé wīle (PE 12, p. 104)
  • #yam- « crier, appeler » passé yāme, yambe (attesté sous la forme yamin) (PE 12, p. 105)
  • #yav- « porter des fruits » passé yāve (attesté sous la forme yavin) (PE 12, p. 105)
  • yolo- « puer » passé yōle, yolle (PE 12, p. 106)
  • #yur- « court » passé yūre (attesté sous la forme yurin) (PE 12, p. 106)

Verbes dérivés avec allongement vocalique

Pour certains verbes dérivés, il est aussi possible de former le passé par allongement de la voyelle radicale. Dans ce cas, la terminaison dérivationnelle est perdue et seule la racine nue apparaît avec un –e final comme marque du passé. Lorsque le suffixe verbal déclenche une assimilation consonantique, celle-ci est annulée dès lors que le suffixe est perdu au passé, cf. konta- « enrouler » passé kōme13), dérivé de la racine KOMO.

  • anta- « donner » passé áne (PE 12, p. 31)
  • kapta- « surprendre » passé kāpe (PE 12, p. 45)
  • konta- « enrouler, rouler, empaqueter » passé kōme (PE 12, p. 47) (dérivé de KOMO)
  • kosta- « débattre, disputer » passé kōse (PE 12, p. 48)
  • linta- « apaiser » passé līne (PE 12, p. 54)
  • lutta, lutu- « s’écouler, flotter » passé lūte (PE 12, p. 57)
  • maivoita- « avoir excessivement envie de » passé maivōye (PE 12, p. 60)
  • makta- « tuer, massacrer » passé māke (PE 12, p. 58)
  • mukta- « [lat.] cacare »14) passé mūke (PE 12, p. 63)
  • nauta- « deviner » passé nāve (PE 12, p. 65)
  • olto- « accroître, multiplier » passé olonte (trans.) ōle (intrans.) (PE 12, p. 69)
  • pusulta- « exhaler par bouffées » passé pusūle (PE 12, p. 76)
  • qilya- « ornementer, embellir, colorer » passé qīle, qīlline (PE 12, p. 77)
  • qosta- « étouffer, noyer » (trans.) passé qōre, qōse (PE 12, p. 78)
  • rauta- « pourchasser, chasser, poursuivre » passé rāve (PE 12, p. 79)
  • resta- « aider, secourir, sauver » passé rēse (PE 12, p. 79)
  • ripta- « couper en bandes, déchirer » passé rīpe (PE 12, p. 80)
  • saita (saya-) « être affamé » (impers.) passé sāye, sanye (PE 12, p. 82)
  • serta- « attacher » passé sēre (PE 12, p. 83)
  • sosta- « s’asseoir » passé sōre (PE 12, p. 85)
  • tiuta- « affermir, corroborer, confirmer » passé tīwe, tiutane (PE 12, p. 93)
  • tuita- « bourgeonner, éclater » passé tūye (PE 12, p. 96)
  • tunta- « voir, remarquer, percevoir » passé tūne (PE 12, p. 95)
  • tyulta- « se cabrer, dépasser » passé tyūle (PE 12, p. 50)
  • tyustyukta- « remâcher, réfléchir » tyustyūke (PE 12, p. 50)

Verbes primaires avec infixation nasale

L’infixation nasale résulte probablement de l’ajout d’une syllabe –ne avec assimilations subséquentes de la consonne radicale. En négligeant la réduplication vocalique au présent, nous pouvons identifier l’infixation nasale pour les radicaux se terminant en -k- > -nke (au passé), -l- > -lle, -m- > -mbe, -n- > -nne, -p- > -mpe, -q- > -nqe / -nge, -s- > -sse, -t- > -nte (-tte), -v- > -mbe et -w- > -ngwe. En se fondant sur le nombre d’exemples, l’infixation nasale semble être le principal mécanisme de formation du passé pour les radicaux avec consonne finale en -p-, -q-, -t- et peut-être en -w-.

  • #aq- « prendre dans sa main » passé anqe (attesté sous la forme aqin) (PE 12, p. 31)
  • #av- « partir » passé ambe (attesté sous la forme avin) (PE 12, p. 33)
  • fum- « dormir » passé fumbe, fūme (PE 12, p. 39)
  • #hat- « jeter » passé hante (attesté sous la forme hatin) (PE 12, p. 39)
  • #hep- « attacher » passé hempe (attesté sous la forme hepin) (PE 12, p. 40)
  • #hoty- « éternuer » passé hontye (attesté sous la forme hotin, dérivé de HOTYO) (PE 12, p. 41)
  • #kap- « sauter » passé kampe (attesté sous la forme kapin) (PE 12, p. 45)
  • #kum- « empiler » passé kumbe, kúme (attesté sous la forme kumin) (PE 12, p. 49)
  • laqa- « attraper, saisir, capturer » passé lanqe, lāqe (PE 12, p. 51)
  • #lom- « cacher » (trans.) « se tapir, rôder » (intrans.) passé lombe (attesté sous la forme lomir) (PE 12, p. 55)
  • loqo- « courir (pour un être humain) » passé lonqe, lōqe (PE 12, p. 56)
  • lōto- « s’épanouir » passé lonte (PE 12, p. 55)
  • mak- « tuer » passé manke, māke (PE 12, p. 57)
  • mat- « manger » passé mante (PE 12, p. 59)
  • miq- « embrasser » passé minque (PE 12, p. 61)
  • naka- « mordre » passé nanke, nāke (PE 12, p. 64)
  • naqa- « voler » passé nanqe (PE 12, p. 64)
  • nete- « obtenir » passé nente (PE 12, p. 66)
  • nyēna- « déplorer » passé nyenne (PE 12, p. 68)
  • papa- « trembler » passé pampe (PE 12, p. 72)
  • pata- « tambouriner, taper » passé pante, patte (PE 12, p. 72)
  • pele- « entourer, encager » passé pelle (PE 12, p. 73)
  • peqe- « peigner, carder, démêler » passé penqe (PE 12, p. 73)
  • qapa- « barguigner, marchander, échanger, troquer » passé qampe (PE 12, p. 76)
  • qaqa- « caqueter, piailler, glousser » passé qanqe, qāqe (PE 12, p. 76)
  • qasa- « s’agiter, claquer, opiner, bruire » (intrans.) passé qasse (PE 12, p. 76)
  • qet- « dire, parler » passé qente (PE 12, p. 77)
  • qiqi- « pendre, se faner » passé qinqe (PE 12, p. 77)
  • qisi- « chuchoter » passé qisse, qīse (PE 12, p. 77)
  • qisqiri-, qisqisi- « bruire, murmurer » passé qisqisse, qisqīre (PE 12, p. 78)
  • qity- « tricoter » passé qintye (PE 12, p. 78)
  • qoto- « additionner, compter, calculer, penser » passé qonte (PE 12, p. 78)
  • rawa- « courir, pourchasser » passé rangwe (PE 12, p. 79)
  • retye- « cracher » passé rentye (PE 12, p. 79)
  • riqi- « arracher, tordre » passé rinque (PE 12, p. 80)
  • sapa- « creuser » passé sampe (PE 12, p. 82)
  • sipi- « flûter » passé simpe (PE 12, p. 84)
  • sisi- « brûler, roussir, enflammer » passé sisse (PE 12, p. 84)
  • suq- « tomber, échouer, chuter » passé sunqe (PE 12, p. 87)
  • taka- « fixer, lier » passé tanke (PE 12, p. 88)
  • tala- « porter, apporter, peser » (intrans.) passé talle (PE 12, p. 88)
  • taqa- « construire, façonner, fabriquer » passé tanqe, tāqe (PE 12, p. 89)
  • teve- « haïr, détester » passé tembe (tēve) (PE 12, p. 90)
  • teke- « marquer » (intrans.) « écrire sur » (trans.) passé tenke (PE 12, p. 90)
  • tiqi- « fondre » passé tinqe (PE 12, p. 92)
  • tyuku-, tyukta- « mâcher » passé tyunke, tyūke (PE 12, p. 50)
  • #us- « s’échapper » passé usse, ūse (attesté sous la forme usin) (PE 12, p. 98)
  • #vas-, #vasta- « précipiter, ruer » (trans. + intrans.) passé vasse, vāse (attesté sous les formes vasin, vastan) (PE 12, p. 100)
  • ‘wele- « bouillir, bouillonner » passé welle (PE 12, p. 103)
  • #yam- « crier, appeler » passé yambe, yāme (attesté sous la forme yamin) (PE 12, p. 105)
  • yolo- « puer » passé yolle, yōle (PE 12, p. 106)

Verbes primaires avec infixation nasale et transformations consonantiques

Dans certains cas, les infixations nasales conduisent à un changement des consonnes finales du présent des verbes. Cela peut n’être que la réapparition de la racine originale comme par ex. nikte- « blanchir, nettoyer » passé niqente15), dérivé de NIQI, mais dans d’autres cas, cela doit représenter un vrai changement des consonnes, en particulier pour des racines en Ř, ainsi qu’il est apparent dans liri- « chanter » passé linde16), dérivé de LIŘI. Nous trouvons ainsi les deux principaux groupes :

Changements « r > d »

  • #har- « demeurer » passé hande, hāre (attesté sous la forme harin) (PE 12, p. 39)
  • liri- « chanter » passé linde, līre (PE 12, p. 54)
  • #nyara- « raconter, dire » passé nyande, nyāre (PE 12, p. 68) (seul le radical est donné)
  • qiri-, qirna- « agiter » passé qinde (PE 12, p. 77)
  • qoro- « se noyer, s’étrangler, s’étouffer » passé qonde (PE 12, p. 78)
  • rara- « racler, peler, dénuder » passé rande, rāre (PE 12, p. 79)
  • siri- « s’écouler » passé sinde, sīre (PE 12, p. 84)
  • turu- « allumer » passé tunde (PE 12, p. 96)

Changements « k > q »

  • lekte- « se regrouper, se raccorder, s’adapter, s’insérer, épisser, coller » passé leqente (PE 12, p. 53)
  • nikte- « blanchir, nettoyer » passé niqente (PE 12, p. 66)

Verbes primaires avec suffixe en « –ne »

Si un verbe primaire se termine par un groupe consonantique, ni allongement de la voyelle radicale (impossible devant un tel agglomérat) ni infixation nasale (les groupes triconsonantiques sont interdits) ne peuvent servir à marquer le passé. Dans ce cas, la voyelle finale du présent est habituellement préservée et le suffixe passé –ne y est ajouté. Alternativement, le passé peut simplement être rendu distinct par une inflexion de la voyelle finale –V > –e (voir ci-dessous), cf. fanta- « tomber endormi, être étourdi, se pâmer » passé fante, fantane17).

Rarement, les verbes primaires avec une voyelle longue au présent peuvent aussi former leur passé avec un suffixe en –ne ; dans ce cas, l’allongement peut glisser, cf. nūru- « gronder (chiens), grommeler », passé nurūne18). Dans d’autres cas, la voyelle radicale est seulement allongée au passé mais un suffixe –ne est ajouté en plus, cf. qelu- « prendre forme, envahir » passé qelūne19).

  • allu- (alnu-) « nettoyer » passé allune (PE 12, p. 30)
  • fanta- « tomber endormi, être étourdi, se pâmer » passé fantane, fante (PE 12, p. 37)
  • kal(l)u- « allumer, illuminer » passé kallune (PE 12, p. 44)
  • kanda- « flamboyer » passé kandane, kande (PE 12, p. 47)
  • malu- « dévorer » passé maltune, malūne (PE 12, p. 58)
  • nūru- « grogner (chiens), grommeler » passé nurūne (PE 12, p. 68)
  • qelu- « prendre forme, envahir (pour des émotions) » passé qelūne (PE 12, p. 76)
  • qīni- « parler haut, piauler » passé qīnine, qīne (PE 12, p. 77)
  • salpa- « prendre une cuillère de, tester, goûter » passé salpane (PE 12, p. 84)
  • sovallu- « #purifier » passé sovallune (PE 12, p. 86)
  • tapi-, tatya- « s’effiler, s’étendre, s’étirer » (intrans.) « sympathiser, se compassionner pour » (trans.) passé tapīne, tapsine (PE 12, p. 89)
  • tanta- « danser (trans.), bercer, agiter » passé tantane (PE 12, p. 94)
  • tompo- « frapper sur, détoner » passé tompone (PE 12, p. 94)
  • #wasta- « demeurer » passé wastane (attesté sous la forme wastar) (PE 12, p. 102)

Verbes dérivés avec suffixe en « –ne »

Beaucoup de verbes dérivés forment leur passé au moyen du suffixe –ne, mais il ne s’agit pas de la seule ni même de la manière la plus courante de former le passé pour cette classe de verbes. Noter que les verbes formés au moyen du suffixe –ya constituent une classe séparée qui sera discutée dans la section suivante. Dans certains cas (rares), on observe un allongement vocalique au passé, cf. lopeta- « cheminer, claudiquer, sautiller » passé lopetāne20), cependant cela ne semble pas être un développement normal.

  • apanta- « ouvrir, révéler, présenter, montrer » passé apantane, apante (PE 12, p. 34)
  • lampa- « frapper, battre » passé lampane (PE 12, p. 51)
  • likinda- « souffler dans une trompette » passé likindane (PE 12, p. 54)
  • lokta- « germer, bourgeonner, faire pousser des feuilles ou des fleurs » passé loktane (PE 12, p. 55)
  • lopeta- « cheminer, claudiquer, sautiller » passé lopetāne (PE 12, p. 56)
  • manda- « habiter, demeurer, rester » passé mandane (PE 12, p. 60)
  • minda- « diminuer, s’estomper, se réduire, disparaître » passé mindane (PE 12, p. 61)
  • olta- « magnifier, prôner, louer » passé oltane (PE 12, p. 69)
  • orya- « semer » passé orīne (irrégulier) (PE 12, p. 70)
  • peanta- « enjoindre, donner des instructions à » passé peantane, peane (PE 12, p. 72)
  • pelekta- « hacher » passé pelektane, pelenke (PE 12, p. 73)
  • piekta-, pietya- « aiguillonner, piquer d’une épingle » passé piektane, pieksine (PE 12, p. 73)
  • purya- « mettre feu à » passé purīne, pustine (PE 12, p. 75)
  • qanta- « remplir, compléter » passé qantane, qante (PE 12, p. 78)
  • rista- « planter » passé ristane (PE 12, p. 80)
  • rukta- « vomir de la fumée » passé ruktane (PE 12, p. 80)
  • saikelta- « affamer » (trans. impers.) passé saikeltane (PE 12, p. 82)
  • (a)sesta- « rapprocher, comparer » passé sestane (PE 12, p. 82)
  • tiuta- « affermir, corroborer, confirmer » passé tiutane, tīwe (PE 12, p. 93)
  • tunda- « enflammer » passé tundane (PE 12, p. 96)
  • tyosto- « tousser » passé tyostone (PE 12, p. 50)

Verbes dérivés avec suffixe en « –ne » et perte (partielle) de la terminaison dérivationnelle

Dans certains cas, les verbes dérivés perdent une partie de leur terminaison dérivationnelle lorsque le suffixe –ne est ajouté pour dénoter le passé. Cela est particulièrement notable pour les verbes se terminant en –ya, qui donnent –ine par combinaison avec le suffixe marquant le passé, i.e. a disparaît et l’on a y > i. Cependant, il y a deux exemples où le suffixe –ta est complètement perdu, cf. poita « nettoyer, purifier » passé poine21) et saita-22), ce dernier ayant déjà la forme alternative saya- au présent. L’un dans l’autre, cette classe de verbes est réduite.

  • listya- « bénir » passé listine (PE 12, p. 55)
  • mirtya- « sourire » passé mirtine (PE 12, p. 61)
  • poita- « nettoyer, purifier » passé poine (PE 12, p. 75)
  • purya- « mettre feu à » passé purīne, pustine (PE 12, p. 75)
  • saita- (saya-) « être affamé » (impers.) passé sanye, sāye (PE 12, p. 82)
  • tintya- « étinceler » passé tintine (PE 12, p. 92)

Infixation nasale avec réapparition de la voyelle du radical

Vu la forme qu’ont certains verbes au présent, l’infixation nasale ne peut agir sur eux, puisqu’elle créerait alors des groupes triconsonantiques. En particulier, les verbes dérivés dotés de la terminaison –ta sont fréquemment dans cette situation, comme le verbe rakta- « empiler, accumuler, amasser »23), dérivé de la racine RAKA par perte de la voyelle finale de la racine et ajout de la fréquente terminaison –ta. Dans ce cas, on pouvait s’attendre à ce que la dernière voyelle du radical réapparaisse au passé, i.e. que le passé soit formé comme si le verbe était **rakata-, ce qui permet d’appliquer l’infixation nasale à la terminaison, donnant la forme rakante24). Cela est presque systématique pour les verbes dont le groupe consonantique final comprend un -t- en deuxième position, qui ont une terminaison caractéristique en –nte au passé. En fait, cette formation paraît être tellement utilisée que nous voyons le passé d’un verbe comme nornoro- « continuer sur sa lancée » être nornoronte25), alors que son présent ne montre aucune indication de l’existence d’une terminaison dérivationnelle en –ta.

  • kalta- « enflammer, allumer » passé kalante (PE 12, p. 44)
  • lahta- passé lahante (PE 12, p. 50) (pas glosé, peut-être « répandre »)
  • mekte- « viser » passé mekente (PE 12, p. 60)
  • nornoro- « continuer sur sa lancée » passé nornoronte, nornōre (PE 12, p. 67)
  • olto- « accroître, multiplier » passé olonte (trans.) ōle (intrans.) (PE 12, p. 69)
  • orto- « élever » passé oronte (PE 12, p. 70)
  • otto- « taper, frapper à la porte » passé otonte (PE 12, p. 71)
  • oito- « manquer » passé oionte (PE 12, p. 71)
  • pelte- « courir » passé pelente (PE 12, p. 73)
  • pipte- « tomber, pendre, traîner » passé pipente (PE 12, p. 74)
  • qapta- « échanger » passé qapante (PE 12, p. 76)
  • rakta- « empiler, accumuler, amasser » passé rakante (PE 12, p. 78)
  • silte- « filtrer (la lumière), trembloter, papilloter » passé silint (PE 12, p. 83)
  • sokto- « donner à boire » passé sokonte (PE 12, p. 85)
  • sorto- « poser, placer, s’établir » passé soronte (PE 12, p. 85)
  • tyasta- « mettre à l’épreuve » passé tyasante (PE 12, p. 49)
  • ulto- « déverser » (trans.) passé ulunte (PE 12, p. 96)

Si la première partie du groupe consonantique final a subi un changement, comme par ex. q > k dans lekte- « se rejoindre »26), dérivé de la racine LEQE, la consonne originelle peut être restaurée lors de la réapparition de la voyelle radicale et de l’infixation nasale :

  • lekte- « rejoindre, se raccorder, s’adapter, s’insérer, épisser, coller » passé leqente (PE 12, p. 53)
  • nikte- « blanchir, nettoyer, purifier » passé niqente (PE 12, p. 66)

Modification de la voyelle finale

Il existe une autre classe de verbes, dont le groupe consonantique final se comporte différemment. Ces verbes possèdent une occlusive nasalisée devant la voyelle finale. Si une répétition de la voyelle radicale avait lieu, l’infixation nasale de la terminaison serait possible mais donnerait à nouveau la même occlusive nasalisée, e.g. panta- pourrait se développer en **panante. Ce n’est cependant pas le cas (Tolkien n’aimait probablement pas la répétition de la nasale). À la place, le passé de ces verbes se dénote simplement en changeant leur voyelle finale en –e, et si le verbe au présent se termine déjà en –e, le passé n’est pas distinct.

  • apanta- « ouvrir, révéler, montrer, présenter » passé apante, apantane (PE 12, p. 34)
  • arm- « rassembler, collecter » passé arme (PE 12, p. 32)
  • fanta- « tomber endormi, être étourdi, se pâmer » passé fante, fantane (PE 12, p. 37)
  • kanda- « flamboyer » passé kande, kandane (PE 12, p. 47)
  • lant- « lâcher, tomber » passé lante (PE 12, p. 51)
  • nang- « avoir un rhume » passé nange (PE 12, p. 66)
  • panta- « ouvrir, déplier, étaler » passé pante (PE 12, p. 72)
  • qanta- « remplir, compléter » passé qante, qantane (PE 12, p. 78)
  • sanga- « empaqueter serré, compresser, presser » passé sange (PE 12, p. 81)
  • tenge- « savoir, comprendre, saisir » passé tenge (PE 12, p. 91)
  • ‘yanta- « élargir, accroître, ajouter à » passé yante (PE 12, p. 106)

Suffixe en « –sine »

Les verbes qui se terminent par –tya au présent ont une forte tendance à donner –(k)sine au passé. Cela n’est probablement rien d’autre qu’une terminaison en –ne combinée à une transformation du y la précédant en i et t > (k)s. Occasionnellement, d’autres passés se voient cependant aussi pour ces verbes.

  • kitya- « s’écouler, goutter » passé ekitsine (PE 12, p. 47)
  • mauya- « pleurer » passé mausine (PE 12, p. 60)
  • naitya- « endommager, faire mal » passé naiksine (PE 12, p. 65)
  • paitya- « rembourser, rétribuer » passé paisine (PE 12, p. 72)
  • piekta-, pietya- « aiguillonner, piquer d’une épingle » passé pieksine, piektane (PE 12, p. 73)
  • poitya- « rendre propre, nettoyer » passé poiksine (PE 12, p. 75)
  • qeletya- « pourrir » (intrans.) passé qeleksine (PE 12, p. 76)
  • saitya- « affamer » (trans. impers.) passé saiksine (PE 12, p. 82)
  • sutya- « adoucir, apaiser » passé suksine (PE 12, p. 87)
  • tapi-, tatya- « s’effiler, s’étendre, s’étirer » (intrans.) « sympathiser, se compassionner pour » (trans.) passé tapsine, tapīne (PE 12, p. 89)
  • telyanta- « séduire, charmer » passé telyansine (PE 12, p. 90)

Suffixe en « –tine »

Les verbes se terminant en –sya, –nya ou –rya subissent un développement similaire à la classe précédente : au passé, les changements consonantiques donnent un suffixe –tine, dont on peut à nouveau extraire l’habituel suffixe –ne, qui engendre ensuite des changements consonantiques.

  • niqisya-, niqista- « neiger » passé niqistine, niqistane (PE 12, p. 66)
  • palasya- « éclabousser, écumer » (intrans.) passé palastine (PE 12, p. 72)
  • panya- « planifier, arranger, vouloir, signifier » passé pantine (PE 12, p. 72)
  • purya- « mettre feu à » passé pustine, purīne (PE 12, p. 75)
  • tenya- « sentir, toucher » passé tentine (PE 12, p. 91)
  • turya- « attraper feu » passé tustine (PE 12, p. 96)
  • ‘winya- « fulgurer, scintiller » passé ‘wintine (PE 12, p. 104)

Formes passées courtes

Dans quelques cas, en particulier pour les verbes se terminant en –kta ou –hta, le passé est considérablement raccourci. On voit souvent une voyelle finale différente de –e.

  • lūta-, lukta- « passer (du temps) » passé lue (PE 12, p. 56)
  • ohta-, ōta- « crier » passé oa (PE 12, p. 69)
  • pukta- « #forniquer » passé pue et irrégulier pūke (PE 12, p. 75)
  • rakta- « s’étendre, atteindre » passé rai, (PE 12, p. 78)
  • rōna- « se lever, s’élever, gravir, monter » passé roa, roi (PE 12, p. 80)
  • sahta- « être chaud » passé sai (PE 12, p. 81)

Passé avec augment

Dans deux cas, le passé est dénoté par un augment additionnel, i.e. une voyelle préfixée. Puisqu’il ne s’agit en aucun cas de la voyelle radicale, nous pouvons hypothétiquement supposer qu’il s’agit de la même marque du passé e que l’on voit habituellement comme terminaison verbale.

  • halta- « sauter » passé ehalle, halle (PE 12, p. 39)
  • kinka- « pendre » (intrans.) passé ekinkatte (PE 12, p. 47)

Dissimilation

Dans un cas, la première consonne du radical verbal est modifiée au passé pour éviter une répétition de m, comme map- > **mampe. Cela semble cependant un phénomène extrêmement rare, et il est dû dans ce cas à une fusion des racines MAPA et NAPA.

  • map- « saisir, prendre » passé nampe (PE 12, p. 59)

Passé des verbes avec consonnes vocalisées

Le « Qenya Lexicon » contient nombre de verbes dérivés de racines purement consonantiques. Dans de tels cas, les verbes présentent des voyelles provenant de la vocalisation des consonnes sonantes de la racine. Cependant, ces voyelles ne sont pas aussi « stables » que de vraies voyelles racines. Cela se voit notamment au passé : dans cette classe verbale, le passé se forme constamment en changeant la première voyelle verbale en -a- et la deuxième voyelle en -e, la marque standard du passé (avec une exception : le verbe kilkin « je rassemble, récolte, moissonne » possède le passé kalka27). Aucun autre allongement vocalique ou suffixe passé ne se voit pour ces verbes. À l’occasion, cette manière de former le passé semble s’être étendue par analogie à d’autres verbes contenant des voyelles dans leur racine, voir par exemple qingi- « (faire) vibrer, racler (un instrument à cordes) » passé qange28), dérivé de la racine QINGI.

  • #ilk- « sembler » passé alke (attesté sous la forme ilkin) (PE 12, p. 42)
  • #kilk- « rassembler, moissonner, récolter » passé kalka (attesté sous la forme kilkin) (PE 12, p. 47)
  • #kulp- « contenir » passé kalpe (attesté sous la forme kulpin) (PE 12, p. 47)
  • mald-, mild- « marteler, battre » passé malde (PE 12, p. 62)
  • milk- « avoir, garder, posséder » passé malke (PE 12, p. 62)
  • minty- « rappeler » passé mantye (PE 12, p. 62)
  • pilty- « frapper » passé paltye (PE 12, p. 74)
  • qildi- « se reposer, se tenir immobile, être silencieux » passé qalde (PE 12, p. 78)
  • qilti- « ceinturer, encercler » passé qalte (PE 12, p. 78)
  • qingi- « (faire) vibrer, racler (un instrument à cordes) » passé qange (PE 12, p. 77)
  • silki- « couper, faucher, décimer » passé salke (PE 12, p. 84)
  • silt- « trier, tamiser, cribler » passé salte (PE 12, p. 84)
  • sinty- « étinceler » passé santye (PE 12, p. 85)
  • sulp- « lécher, grignoter » passé salpe (PE 12, p. 84)
  • tanta- « rebondir » passé tante (PE 12, p. 94)
  • tarqa- « sécher, préserver » passé tarqe (PE 12, p. 94)
  • #tild- « couvrir » passé talde (attesté sous la forme tildir) (PE 12, p. 93)
  • tilt- « faire pencher, incliner » (trans.) « décliner » (intrans.) passé talte (PE 12, p. 93)
  • tirty- « apportionner, diviser » passé tartye (PE 12, p. 94)
  • tulpu- « soutenir, étayer » passé talpe (PE 12, p. 93)
  • tump- « construire » passé tampe (PE 12, p. 93)
  • tunq- « entendre » passé tanqe (PE 12, p. 93)
  • #ulq- « #déchirer » passé alqe (attesté sous la forme ulqin) (PE 12, p. 97)
  • unq- « crocher dans, attraper » passé anqe (PE 12, p. 98)
  • unqu- « entendre » passé anqe (PE 12, p. 98)
  • #vilk- « couper » passé valke (attesté sous la forme vilkin) (PE 12, p. 101)
  • #virt- « servir » passé vartye (attesté sous la forme virt-) (PE 12, p. 102)

Autres développements divers

Finalement, nous avons des passés attestés de verbes qui peuvent difficilement être regroupés dans l’une des catégories ci-dessus. Ils peuvent ne pas être irréguliers du point de vue de Tolkien, mais nous les listons ici afin de compléter notre échantillon sans avoir à les analyser plus avant.

  • ista- « savoir » passé sinte (PE 12, p. 43)
  • #lehe- « venir, être envoyé, approcher » passé lenge (PE 12, p. 52) (seule la racine LEHE est donnée)
  • malu- « dévorer » passé maltune, malūne (PE 12, p. 58)
  • nasa- « avoir un goût désagréable » passé natse (PE 12, p. 64)
  • nesta- « nourrir » passé nesse, nēse (PE 12, p. 66)
  • niqisya-, niqista- « neiger » passé niqistine, niqistane (PE 12, p. 66)
  • - « être né, devenir » passé nōte (PE 12, p. 66)
  • nohto- « saillir, dépasser » passé nonte (PE 12, p. 67)
  • nyasa- « gratter » passé nyatse (PE 12, p. 68)
  • palwa- « égarer » passé paltune (PE 12, p. 71)
  • papava- « vaguer, errer » passé palaute (PE 12, p. 71)
  • peanta- « enjoindre, donner des instructions à » passé peane, peantane (PE 12, p. 72)
  • pelekta- « hacher » passé pelenke, pelektane (PE 12, p. 73)
  • pirpiri- « (faire) tournoyer, pirouetter » passé pirpinde, pirpirinte (irrég.) (PE 12, p. 74)
  • piute- « prospérer, profiter, engraisser » passé piwente (PE 12, p. 74)
  • qilya- « orner, embellir, colorer » passé qīle, qīlline (PE 12, p. 77)
  • qosta- « étouffer, noyer » (trans.) passé qōre, qōse (PE 12, p. 78)

La « Early Qenya Grammar »

La « Early Qenya Grammar » fut rédigée quelques temps après le « Qenya Lexicon ». Elle remonte à la période 1920-1925, très probablement aux alentours de 1923. Accompagnant un compte-rendu très détaillé de la grammaire du qenya se trouve aussi une page d’exemples de verbes au passé29) ; il s’agit de la source principale de notre connaissance du passé des verbes pour cette étape d’élaboration de la langue. On peut observer certains développements du scénario du « Qenya Lexicon ». Le plus manifeste est l’apparence d’un suffixe passé en –ie, par exemple kapa- « sauter » présente une infixation nasale avec cette terminaison, donnant le passé kampie30).

Tolkien décrit ainsi la formation du passé en PE 14, p. 56 : « Le radical passé s’obtient au moyen du suffixe –ye, –ie ou –ne, mais –ie (le plus commun) est normalement accompagné d’un affermissement du radical consistant en (1) infixation en a, (2) infixation en n, (3) allongement vocalique (ce dernier peut-être largement une extension analogique du ā résultant [des affermissements précédents] dans de nombreux radicaux […] »31) Ainsi, la « Early Qenya Grammar » contient surtout des groupes similaires à ceux du « Qenya Lexicon ». Comme dans le QL, un verbe n’est pas limité à une seule forme passée. Les alternatives sont fréquentes, et l’on voit des verbes ayant jusqu’à trois passés différents, cf. tantila- « sauter » passé tantille, tantilane, tantilante32).

Verbes primaires avec allongement vocalique

Pour nombre de verbes radicaux, l’allongement de la voyelle radicale en plus de l’ajout d’un suffixe en –ie sert à marquer le passé.

  • tiq- « fondre » passé tíqie, tinqie présent tiqe (PE 14, p. 58)
  • tul- « venir » passé túlie (PE 14, p. 57)
  • tuv- « recevoir, prendre » passé túvie présent tuve, tue (PE 14, p. 58)
  • hari « haïr » passé hari, harīne (hărie) (PE 14, p. 58)

Verbes primaires avec infixation nasale

L’infixation nasale est la deuxième principale modification du radical pour dénoter le passé des verbes radicaux.

  • mat- « manger » passé mansie, mantye prés. mate (PE 14, p. 58)
  • mapa- « saisir » passé nampie prés. mape (PE 14, p. 58)
  • tiq- « fondre » passé tinqie, tíqie prés. tiqe (PE 14, p. 58)
  • kapa- « sauter » passé kampie prés. kapta (PE 14, p. 58)

Verbes dérivés avec infixation nasale

Avec l’infixation nasale agissant sur les verbes dérivés, nous voyons les deux mêmes possibilités que dans le QL : soit l’infixation nasale a lieu sur le suffixe dérivationnel (principalement –ta), donnant une terminaison –nte, avec si nécessaire l’introduction d’une voyelle additionnelle entre le radical et la terminaison pour éviter un groupe triconsonantique, soit la terminaison dérivationnelle tombe et le verbe forme son passé comme un verbe radical. Les deux possibilités se voient dans notre petit échantillon.

  • lokta- passé lokante (PE 14, p. 58)
  • kapa- « sauter » passé kampie prés. kapta (PE 14, p. 58)

Verbes primaires avec suffixes en « –ne »

Au moins dans le cas du verbe kar- « faire, fabriquer », nous pouvons raisonnablement déduire que le passé n’est pas le résultat d’un affermissement nasal du radical, mais simplement d’un ajout du suffixe –ne : si karne résulte d’une modification du radical, le suffixe final devrait simplement être –ie, comme on le voit dans d’autres cas d’infixation nasale.

  • kar- « faire, fabriquer » passé karne présent kare (PE 14, p. 58)

Verbes dérivés avec suffixes en « –ne »

Pour la plupart des verbes dérivés présentés dans le tableau, le passé se forme au moyen du suffixe –ne, habituellement ajouté derrière la terminaison dérivationnelle.

  • kelu- « s’écouler » passé kelūne, kelwie (PE 14, p. 58)
  • lapta- passé lapthăne (PE 14, p. 58)
  • tanga- « battre » passé tangane (PE 14, p. 58)
  • tantila- « sauter » passé tantilane, tantille, tantilante (PE 14, p. 58)
  • tulya- « envoyer, apporter » passé tulĭne (PE 14, p. 58)
  • hari « haïr » passé hari, harīne (hărie) (PE 14, p. 58)

Verbes dérivés avec suffixes en « –ne » et perte (partielle) de la terminaison dérivationnelle

Dans un cas, la terminaison dérivationnelle –ta que l’on voit au présent disparaît lorsqu’est ajouté un suffixe en –ne au passé.

  • kai- « être allongé » passé kaine présent kaita (PE 14, p. 58)

Verbes dérivés avec suffixe en « –sine »

Comme dans le QL, les verbes dérivés avec une terminaison en –tya obtiennent au passé une terminaison en –sine par modification phonétique.

  • maktya- « tuer » passé maksine (PE 14, p. 58)
  • tantya- « faire rebondir » passé tansĭne (PE 14, p. 58)

Passé des radicaux avec consonnes vocalisées

Comme dans le QL, il existe une classe de verbes dérivés de racines consonantiques dans lesquelles l’une des consonnes est vocalisée. À l’exception du changement du suffixe passé –e > –ie, les verbes présentant une « apophonie apparente » dans la « Early Qenya Grammar » forment leur passé exactement comme dans le QL. Noter aussi les changements -lt- > -ls- et -nt- > -ns- ayant lieu au passé, probablement déclenchés par la terminaison longue, puisqu’ils n’ont pas lieu pour le suffixe présent –e.

  • krp- « cueillir, plumer, épiler » passé karpie présent karpe (PE 14, p. 58)
  • llt- « danser » passé lalsie, laltye présent lilte (PE 14, p. 58)
  • pst- « cracher » passé pastie, pastye présent piste (PE 14, p. 58)
  • slp- « boire » passé salpie présent sulpe (PE 14, p. 58)
  • slt- « tamiser, cribler » passé salsie présent silte (PE 14, p. 58)
  • tnq- « entendre » passé tanqie présent tunqe (PE 14, p. 58)
  • tmp- « battre » passé tampie présent tumpe (PE 14, p. 58)
  • tnt- « rebondir » passé tansie, tantye présent tante (PE 14, p. 58)

Développements irréguliers

Il existe (à nouveau) quelques formations qui ne peuvent aisément être classifiées. Dans tous les cas, elles comprennent des passés alternatifs, i.e. au moins l’une des formes s’accorde avec l’aperçu général donné par Tolkien et les classes définies au-dessus.

  • kelu- « s’écouler » passé kelwie, kelūne (PE 14, p. 58)
  • tantila- « sauter » passé tantille, tantilane, tantilante (PE 14, p. 58)
  • hari « haïr » passé hari, harīne (hărie) (PE 14, p. 58)

Comparaisons avec les formes antérieures

Entre les verbes que l’on trouve dans le QL et l’EQG, le chevauchement n’est pas très grand, mais nous pouvons comparer au moins quelques exemples :

  1. kapta- « surprendre » passé kāpe33), apparaissant dans le QL, possède un terme apparenté plus récent, kapa- « sauter » passé kampie présent kapta34).
  2. #kar- « fabriquer, faire » passé káre35) réapparaît avec un passé différent sous la forme kar- « fabriquer » passé karne présent kare36).
  3. Comme on le voit par l’exemple à peine modifié sulp- « lécher, grignoter » passé salpe37) que l’on trouve sous la forme slp- « boire » passé salpie présent sulpe38), les idées de Tolkien concernant le passé de l’« apophonie apparente » semblent avoir très peu changé.
  4. Finalement, map- « saisir, prendre » passé nampe39) réapparaît sous la forme mapa- « saisir » passé nampie présent mape40), qui présente le même type de dissimilation.

L’un dans l’autre, les deux formes révisées indiquent que Tolkien avait quelque peu réduit l’importance de la forme passée obtenue par allongement de la voyelle radicale – dans un cas une infixation nasale, dans l’autre un suffixe –ne, furent introduits à la place. La modification du passé de kar- est particulièrement intéressante, puisque l’allongement vocalique était presque la seule manière de former les verbes ayant une consonne finale en -r- dans le QL, le choix nouveau d’un élément nasal est donc clairement un développement significatif. Cependant, dans la discussion ci-dessous, il deviendra apparent que Tolkien n’avait pas pris sa décision finale sur ce point.

Qenya de La Route perdue

Plusieurs formes passées apparaissent parmi les verbes en qenya de « La Route perdue ». Cependant, puisqu’il ne s’agit pas d’un essai grammatical ou d’un lexique, ces passés apparaissent généralement de façon isolée, et nous ne savons pas avec certitude à quoi ressemble le présent de ces verbes (considérant que les verbes dérivés du QL peuvent abandonner leur terminaison dérivationnelle au passé, celui-ci ne permet pas d’identifier avec certitude le présent d’un verbe). Ainsi, dans la liste qui suit, nous ajouterons hypothétiquement les présents pour autant qu’il soit possible de les déduire ou de les trouver dans d’autres sources écrites à des périodes différentes. Pour la même raison, nous ne savons pas si l’un de ces verbes possède ou non un passé alternatif.

Nous disposons d’un verbe au passé écrit sous sa forme de base et sa forme fléchie : káre « fit, fabriqua »41) devient kárielto « ils firent »42) à la troisième personne du pluriel, avec un suffixe dénotant la troisième personne du pluriel, –lto. Par comparaison avec ataltane « s’effondra »43) et lantier « ils chutèrent »44), nous pouvons en déduire que la terminaison de base du passé est –e et devient -ie- dès lors qu’une terminaison (plurielle ?) est ajoutée.

Verbes primaires avec allongement vocalique

Pour les verbes radicaux, dans les quelques exemples avec consonnes finales en –l ou –r, un allongement de la voyelle radicale s’observe (il est ici dénoté avec un accent aigu).

  • #kar- « faire, fabriquer » passé káre (LRW, p. 72), présent attesté en LRW, p. 362
  • #ohtacar- « guerroyer, faire la guerre » passé ohtakáre (LRW, p. 47)
  • #tul- « venir » passé túle (LRW, p. 47)

Verbes primaires avec infixation nasale

Pour un verbe radical avec consonne finale –t, on peut voir une infixation nasale.

  • #terhat- « briser » passé terhante (LRW, p. 47)

Verbes dérivés avec infixation nasale et perte (partielle) avec perte de la terminaison dérivationnelle

Pour les verbes dérivés avec terminaison en –ya, la perte de celle-ci est attestée au passé. Noter que #lenna- (une telle forme est attestée dans « Les Étymologies », en LRW, p. 368 ; VT 45, p. 27) est dérivé d’une racine LED, ainsi l’apparent changement consonantique que l’on voit au passé est simplement une restauration de la consonne racine originelle45). De même, la comparaison avec « Les Étymologies »46) suggère que #ulle est une forme passée intransitive.

  • #lenna- « aller » passé lende (LRW, p. 47, 72)
  • #ulya- « verser » passé #ulle (attesté sous la forme ullier) (LRW, p. 47), présent attesté en LRW, p. 396

Verbes dérivés avec suffixe en « –ne »

Le suffixe –ne s’observe comme méthode pour former le passé d’un verbe dérivé.

  • #atalta- « tomber à terre » passé ataltane (LRW, p. 47), présent attesté en LRW, p. 390

Verbes dérivés avec suffixe en « –e »

Comme dans le QL, il existe des verbes avec une occlusive nasalisée dans la racine (ici probablement DANT), pour lesquels tout allongement vocalique serait impossible devant un groupe consonantique ; l’infixation nasale ou l’ajout d’un suffixe –ne mènerait en outre à un groupe triconsonantique. Dans un tel cas, le changement de voyelle finale (ici -a- > -e peut toujours servir à dénoter le passé.

  • #lanta- « chuter » passé #lante (attesté sous la forme lantier) (LRW, p. 47), présent attesté dans le SdA)

Avec une notable exception qui sera discutée plus loin, les passés qenyarins de « La Route perdue » sont très similaires avec les formes que l’on trouve dans « Les Étymologies ».

« Les Étymologies »

Les Étymologies », écrites aux environs de 1938-1940, sont le dernier document publié jusqu’ici qui contient quelque chose ressemblant à un lexique de quenya. Cependant, le nombre de verbes contenu dans « Les Étymologies » est moindre que celui se trouve dans le QL, et seuls quelques-uns d’entre eux voient leur passé être mentionné. Néanmoins, nous disposons d’assez d’exemples pour voir réapparaître une structure assez similaire à celle du QL, dans laquelle coexistent différentes manières de former le passé. De même, les verbes ne sont pas limités à un passé, nous trouvons un exemple pour lequel on a des formes alternatives pour le passé sans différence apparente de signification, cf. onta- « enfanter, créer », passé óne, ontane47) et un dans lequel le passé est différent selon que le verbe est employé de façon transitive ou intransitive, cf. ulya- « verser » passé intrans. ulle, trans. ulyane48).

Verbes primaires avec allongement vocalique

Le passé par allongement de la voyelle radicale apparaît bien dans « Les Étymologies », mais y est comparativement plus rare – il est uniquement attesté pour les deux variantes du verbe négatif.

  • #hum- « ne pas faire » passé hûme (attesté sous la forme humin) (VT 45, p. 17)
  • #u-, #um- « ne pas être, ne pas faire » passé úme (attesté sous la forme uin, umin) (LRW, p. 396)

Verbes dérivés avec allongement vocalique

L’allongement vocalique est attesté pour les verbes dérivés, exactement comme dans le QL ; cela mène à la perte de la terminaison dérivationnelle (et à de possibles changements consonantiques subséquents).

  • lumna- « peser lourd » passé lúve (VT 45, p. 11)
  • onta- « enfanter, créer » passé óne, ontane (LRW, p. 379)

Verbes primaires avec infixation nasale

L’infixation nasale semble être la manière usuelle de former le passé, surtout pour les verbes dont la consonne finale est une occlusive, mais aussi (en supposant qu’il s’agisse d’infixation nasale et pas de l’assimilation d’un suffixe en –ne) pour ceux avec consonne finale en -l-.

  • hat- « briser en deux » passé hante (LRW, p. 386)
  • #tak- « attacher » passé tanke (attesté sous la forme take) (LRW, p. 389)
  • #tap- « arrêter, bloquer » passé tampe (LRW, p. 390), attesté sous la forme tape (VT 46, p. 17)
  • #top- « couvrir » passé tompe (attesté sous la forme tope) (LRW, p. 394)
  • #vil- « voler » passé ville (attesté sous la forme vilin) (LRW, p. 398)

Dans un cas, on peut voir un changement consonantique menant à la réapparition de la consonne racine originelle (de RED) :

  • #rer- « semer » passé rende (attesté sous la forme rerin) (LRW, p. 383)

Verbes dérivés avec infixation nasale

Il existe un cas curieux de verbe dérivé se terminant en –ya où nous observons une forme qui pourrait être une infixation nasale de cette terminaison, si l’on suppose qu’un -i- additionnel fut inséré comme voyelle de connexion. Il s’agit du seul endroit où apparaît une telle forme, et l’on ne peut voir de formation similaire dans le QLcf. par ex. purya « mettre feu à » passé pustine49).

  • farya- « suffire » passé farinye, farne (LRW, p. 381 ; VT 46, p. 9)

Verbes dérivés avec infixation nasale et perte (partielle) de la terminaison dérivationnelle

Dans un autre exemple présentant (probablement) une infixation nasale d’un verbe dérivé se terminant en –ya, on observe une perte de la terminaison dérivationnelle. On peut alternativement analyser cette forme comme un suffxe –ne avec assimilation subséquente –lne > –lle. La forme lenna-, dérivé de la racine LED, présente un retour vers la consonne racine originelle au passé.

  • lenna- « aller » passé lende (LRW, p. 368 ; VT 45, p. 27)
  • ulya- « verser » passé intrans. ulle trans. ulyane (LRW, p. 396)

Verbes primaires avec suffixe en « –ne »

Un suffixe –ne est directement ajouté au radical verbal, surtout pour les verbes primaires avec consonne finale en -r-, mais aussi en -m- dans un cas. C’est un scénario très différent de celui du QL, où l’allongement vocalique était de loin la marque du passé la plus commune pour les verbes en -r-, bien que cela corresponde au passé de kar- que l’on voit dans l’EQG :

  • #kar- « faire, construire » passé karne (attesté sous la forme karin) (LRW, p. 362)
  • #mer- « souhaiter, vouloir, désirer » passé merne (attesté sous la forme mere) (LRW, p. 373)
  • #tam- « taper, exploiter » passé tamne (attesté sous la forme tamin) (LRW, p. 390)
  • #tir- « observer » passé tirne (attesté sous la forme tirin) (LRW, p. 394)
  • #tur- « manier, contrôler, gouverner » passé turne (attesté sous la forme turin) (LRW, p. 395)

Verbes dérivés avec suffixe en « –ne »

Pour un certain nombre de verbes dérivés, le passé est formé par ajout d’un suffixe en –ne sans changement supplémentaire du verbe.

  • onta- « enfanter, créer » passé ontane, óne (LRW, p. 379)
  • sinta- « pâlir, s’effacer » passé sintane (LRW, p. 392)
  • ulya- « verser » passé trans. ulyane intrans. ulle (LRW, p. 396)
  • vinda- « pâlir, s’effacer » passé vindane (VT 46, p. 21)
  • vinta- « #pâlir, s’effacer » passé vintane, vinte (LRW, p. 399)

Verbes dérivés avec suffixe en « –ne » et perte (partielle) de la terminaison dérivationnelle

Dans un assez grand nombre de cas (tout au moins suffisant pour empêcher que l’on appelle cela un développement irrégulier), l’ajout d’un suffixe en –ne au passé mène à une perte de la terminaison dérivationnelle du verbe. Il a été suggéré que cela a lieu de manière régulière pour les verbes intransitifs avec un suffixe en –ya ; sur la base de notre petit corpus, cela est certainement possible, mais ne peut réellement être confirmé. Dans d’autres cas, l’infixation nasale se voit à côté de la perte de la terminaison –ya, cf. ulya- ci-dessus. Cependant, cela ne s’accorderait pas avec l’usage intransitif ultérieur qui est fait de #ahya- (vois ci-dessous), où l’on trouve le passé ahyane, si l’on suppose évidemment que #ahya- représente un verbe dérivé.

  • farya- « suffire » passé farne, farinye (LRW, p. 381 ; VT 46, p. 9)
  • lesta- « quitter » passé lende (LRW, p. 356)
  • vanya- « aller, partir, disparaître » passé vanne (LRW, p. 397)

Verbes dérivés avec suffixe en « –e »

Comme dans les sources précédentes, pour les verbes ayant une occlusive nasalisée comme groupe consonantique final (ici un verbe dérivé), il existe la possibilité que le passé ne soit distinct que par changement de la voyelle finale, ici -a- > -e.

  • vinta- « #pâlir, s’effacer » passé vinte, vintane (LRW, p. 399)

Développements spéciaux

Le verbe « savoir » est un cas spécial – ici, le passé se forme apparemment par inversion de la racine IS-SI. Cela sera plus explicite ci-dessous :

  • ista- « savoir » passé sinte (LRW, p. 361)

Sources tardives

Les formes passées sont rares dans les sources postérieures aux « Étymologies » (et font souvent partie de phrases telles que le présent doit être déduit d’autres sources). Afin de présenter une liste cohérente, nous listerons toutes ces formes comme des « sources tardives », bien que cette liste aille des formes de SD datant d’environ 1946 jusqu’à l’essai très tardif « Eldarin Hands, Fingers and Numerals », postérieur à 1968. Il n’y a ainsi aucune raison de supposer que cette liste représente un système cohérent de formation du passé qui serait utilisé dans les écrits de Tolkien post-SdA.

Verbes primaires avec allongement vocalique

On trouve un allongement vocalique pour trois verbes radicaux avec consonnes finales en –v, –r et –l (qui mènent aussi à un allongement vocalique dans de nombreux cas du QL). Cependant, deux des trois exemples datent de la période antérieure au SdA.

  • #undulav- « lécher » passé unduláve (SdA, présent ; cf. LRW, p. 367)
  • mol- « œuvrer » passé mōle (PE 17, p. 155)
  • #ohtakar- « guerroyer, faire la guerre » passé ohtakáre (SD, p. 246)
  • #sam- « avoir » passé sáme (attesté sous la forme samin) (PE 17, p. 173)
  • #tul- « venir » passé túle (SD, p. 246), présent attesté en LRW, p. 395
  • yor- « enclore » passé yóre,yonde (PE 17, p. 43)

Verbes dérivés avec allongement vocalique

Bien que ce groupe soit assez réduit, il comprend une forme archaïque de « donner » restée inchangée depuis le QL :

  • anta- « donner » passé áne, antane (PE 17, p. 93, 147)
  • fanta- « voiler » passé fāne, fantane (PE 17, p. 180)

Verbes primaires avec infixation nasale

L’infixation nasale ne s’observe que rarement dans les sources tardives ; parmi les exemples dont nous disposons, il semble que si les consonnes finales de la racine sont des occlusives, on observe de préférence une infixation nasale.

  • #cam- « recevoir » passé camne, cambe (VT 47, p. 21)
  • kes- « chercher » passé kense (PE 17, p. 156)
  • #sakkat- « déchirer » passé sakkante (SD, p. 246)
  • talt- « #glisser » passé talante (PE 17, p. 186)
  • #váquet- « dire non » passé #váquente (attesté sous les formes váquetin et váquenten) (WJ, p. 370)
  • yor- « enclore » passé yonde, yóre (PE 17, p. 43), dérivé de YOD

Verbes dérivés avec infixation nasale

L’infixation nasale du suffixe dérivationnel –ta est dite « régulière » pour les verbes de ce type dans la discussion d’öante en WJ, p. 366. Il n’est pas totalement clair en quoi consiste cette classe de verbe, mais en plus de l’exemple de keante, on peut supposer que les verbes comportant une diphtongue ou une voyelle suivie d’une occlusive isolée pourraient aisément reproduire ce modèle – noter que tous les verbes dérivés avec passé en –ne sont d’un type différent et comprennent souvent un groupe consonantique à la fin. S’il en est ainsi, le passé sinte devrait être dérivé de #sita- avec une seule occlusive, et cela semble effectivement sous-jacent dans la discussion que Tolkien fait des racines inversées, où il est sous-entendu en VT 48, p. 25, que sinte serait dérivé d’un tel développement. De plus, pour nombre de verbes, une infixation nasale du suffixe –ya peut s’observer, donnant une terminaison –nye, parallèle à –nte. Cette terminaison est souvent précédée d’une répétition de la voyelle radicale, cf. sirinye, mais celle-ci peut aussi provenir de la terminaison dérivationnelle, cf. tenante. Ces variations pourraient simplement représenter différentes phases conceptuelles.

  • auta- « s’en aller, quitter » passé öante, vāne (WJ, p. 366 ; PE 17, p. 63)
  • hrisya- « neiger » passé hrinte, hrisinye (PE 17, p. 168)
  • húta- « maudire » passé hunte, huntane (PE 17, p. 149)
  • ista- « savoir » passé isinte, sinte (VT 48, p. 25 ; PE 17, p. 77)
  • #kaita- « être couché, être étendu » passé keante, kaine (attesté sous la forme kainen) (VT 48, p. 12)
  • raita- « sourire » passé reante (PE 17, p. 182)
  • karpa- « dire, parler » passé karampe (PE 17, p. 126)
  • lenweta « s’en aller » passé lenwente (PE 17, p. 51)
  • nahta- « limiter, confiner, oppresser » passé nakante (PE 17, p. 77, 166)
  • tenta- « indiquer, pointer » passé tenante, tentane, tente (VT 49, p. 23), la dernière forme étant ultérieurement rejetée
  • sirya- « #s’écouler » passé sirinye (PE 17, p. 77)
  • melya- « ? aimer » passé melenye (PE 17, p. 77)
  • orya- « #s’élever, se lever » » passé oronye (PE 17, p. 77)
  • virya- « changer » (intrans.) passé virinye, virne (PE 17, p. 189)

Verbes primaires avec suffixes en « –ne »

Il existe quelques cas de verbes primaires attestés prendre la terminaison –ne. Dans un cas, la racine sous-jacente est probablement KAB, une forme alternative présentant à la place une infixation nasale est attestée, la forme suffixée pouvant alors peut-être s’interpréter comme une analogie tardive.

  • #cam- « recevoir » passé camne, cambe (VT 47, p. 21)
  • car- « faire, fabriquer » passé carne (PE 17, p. 144)
  • quer- « tourner » passé querne (VT 49, p. 6 et suivantes)
  • nor- « courir » passé norne (PE 17, p. 58, 168)
  • okom- « s’assembler » (intrans.) passé okomne (PE 17, p. 157)
  • #tar- « se tenir debout » passé tarne (PE 17, p. 70), sa racine étant donnée en PE 17, p. 186
  • ten- « arriver » passé tenne (VT 49, p. 23)
  • #la- « ne pas être » passé lāne (VT 49, p. 13), présent attesté sous la forme lanye

Verbes dérivés avec suffixe en « –ne »

Le passé le plus commun que l’on trouve dans les sources tardives est le suffixe –ne ajouté à un verbe dérivé. Dans la plupart des cas, le verbe sous-jacent est caractérisé par un groupe biconsonantique final.

  • #ahya- « change » passé ahyane (PM, p. 395)
  • #atalta- « tomber à terre » passé ataltane (SD, p. 246)
  • ava- « dire non » passé avane (WJ, p. 370)
  • fanta- « voiler » passé fantane, fāne (PE 17, p. 180)
  • finta- « faire, compléter, terminer » passé fintane (PE 17, p. 17)
  • hehta- « mettre de côté, écarter » passé hehtane (WJ, p. 365)
  • henta- « examiner » passé hentane (PE 17, p. 77)
  • kesya- « pousser quelqu’un à enquêter » passé kesyane (PE 17, p. 156)
  • #lanta- « chuter » passé #lantane (SD, p. 246), présent attesté dans le SdA
  • #lelta- « envoyer » passé #leltane (attesté sous la forme leltanelyes) (VT 47, p. 21)
  • #lenta- « #envoyer » passé #lentane (attesté sous la forme lentanelyes) (VT 47, p. 22)
  • nicu- « geler » passé nicune (PE 17, p. 168)
  • ora- « presser, pousser » passé orane, orne (VT 41, p. 13-18)
  • #orta- « élever » passé ortane (SdA), présent attesté en LRW, p. 379
  • penda- « pencher, s’incliner » passé pendane (PE 17, p. 171, 173)
  • talta- « glisser » passé taltane (PE 17, p. 186)
  • tulta- « convoquer » passé #tultane (attesté sous la forme tultanelyes) (VT 47, p. 22), présent attesté en LRW, p. 395
  • tenta- « indiquer, pointer » passé tentane, tenante, tente (VT 49, p. 23), la dernière forme étant ultérieurement rejetée
  • mahta- « manier » passé mahtane (VT 49, p. 10)
  • ava- « refuser, interdire » passé avane, aune (attesté sous les formes avanen, aunen) (VT 49, p. 13)
  • tengwa- « lire » passé tengwane (VT 49, p. 48)
  • verya- « être joint à » passé #veryane (attesté sous la forme veryanen) (VT 49, p. 46)
  • vista- « changer (trans.) passé vistane (PE 17, p. 189)

Dans un cas, le suffixe est relativement inattendu, puisque dans d’autres sources (et aussi dans la forme sindarine onen « j’ai donné » dans le SdA) le verbe anta- s’observe avec un passé par allongement vocalique :

  • anta- « donner » passé antane,áne (PE 17, p. 93, 147) (aussi attesté sous la forme antanen) (VT 49, p. 14)

Verbes dérivés avec suffixe en « –ne » et perte (partielle) de la terminaison dérivationnelle

Dans plusieurs cas, la suffixation de –ne conduit à une perte de la terminaison dérivationnelle. En PE 17, p. 93, Tolkien remarque que la perte des terminaisons dérivationnelles, engendrant des passés forts, a lieu pour les verbes (intransitifs) dérivés d’un primitif, tandis que les verbes dérivés d’un –tă présentent un passé faible, avec la terminaison –ne ajoutée au suffixe. Cela peut expliquer au moins une partie des formations ci-dessous :

  • #kaita- « être couché, être étendu » passé #kaine, keante (PE 17, p. 72) (aussi attesté sous la forme kainen) (VT 48, p. 12)
  • lelya- « apparaître » passé lēline (PE 17, p. 151)
  • menta- « envoyer » passé menne (PE 17, p. 93)
  • ora- « presser, pousser » passé orne, orane (VT 41, p. 13-18)
  • ava- « refuser, interdire » passé aune, avane (attesté sous les formes aunen, avanen) (VT 49, p. 13)
  • tenya- « arriver » passé tenne (VT 49, p. 24)
  • ua- « ne pas être » passé úne (PE 17, p. 144)
  • virya- « changer » (intrans.) passé virne, virinye (PE 17, p. 189)

« ñ » intervocalique restauré

Dans deux cas, un ñ intervocalique présent dans des étapes antérieures de la langue mais absent au temps présent du quenya est restauré au passé (peut-être par infixation nasale). Cela implique par ex. que tëa aurait été #teña dans une phase précédente du développement de la langue. Cela semble être assez rare :

  • ëa « être, exister » passé enge (VT 43, p. 12, 36)
  • tëa « indiquer » passé tenge (VT 39, p. 6)

Verbes dérivés avec suffixes en « –e »

Même dans les textes les plus tardifs, Tolkien semble avoir brièvement considéré l’idée que le changement -a- > -e pourrait dénoter le passé. Cependant, tente fut subséquemment rejeté.

  • tenta- « indiquer, pointer » passé tente, tentane, tenante (VT 49, p. 23, la première forme étant plus tard rejetée)

Développements spéciaux

Dans deux cas, une inversion de la racine ou la variation AW-WA et IS-SI dans d’autres mots peut expliquer la formation du passé. Le cas de ista- est explicitement confirmé en VT 48, p. 25.

  • auta- « partir, quitter » passé vāne, öante (WJ, p. 366)
  • ista- « savoir » passé sinte, isinte (VT 48, p. 25)

Dans un cas, la marque du passé -n- apparaît deux fois :

  • húta- « maudire » passé huntane, hunte (PE 17, p. 149)

Discussion

Dans un certain sens, le passé quenya « naquit » sous sa forme finale. Toutes les manières de former le passé vues dans le corpus se trouvaient virtuellement déjà dans le QL ; il n’y eut pas de révision substantielle dans l’intervalle. En particulier, certaines formes du passé restèrent inchangées entre le QL et les sources les plus tardives, cf. ista- « connaître » passé sinte dans le PE 12, p. 43 et le VT 48, p. 25, ou kai- « être allongé » passé kaine présent kaita dans le PE 14, p. 58, avec #kaita- « être couché, être étendu » passé kaine, keante dans le VT 48, p. 12 – celles-ci semblent être les blocs fondamentaux à partir desquels se développèrent les langues de Tolkien.

Cela dit, on voit bien sûr des évolutions de détail, par exemple la courte apparition d’un suffixe –ie (au lieu de –e) dans la « Early Qenya Grammar » (qui survécut brièvement dans « La Route perdue » en présence d’une désinence verbale avant de disparaître). Notablement, l’importance relative des différentes manières de former le passé changea apparemment entre les sources premières et les plus tardives : tandis que l’allongement vocalique s’applique à un nombre substantiel de verbes du QL (il s’agit en fait de la méthode de formation du passé la plus commune dans cette source), dans les écrits tardifs, il semble être à peu près aussi important que l’infixation nasale, tandis que dans « Les Étymologies », on trouve clairement plus d’exemples avec infixation nasale. Cependant, le petit nombre d’exemples attestés dans les sources postérieures aux « Étymologies » ne permet pas de tirer de conclusion ferme concernant la régularité des structures. Il est toutefois intéressant de noter que Tolkien appelle le passé öante du verbe auta- « régulier » pour un verbe de ce type50), d’où découle naturellement qu’il existe un type de verbes dérivés qui forme régulièrement le passé par infixation nasale, bien que la plupart des verbes dérivés parmi les exemples tardifs attestés forment le passé au moyen du suffixe –ne.

Une formation passée disparut entièrement : l’« apophonie apparente ». Cela est manifestement dû au fait que « Les Étymologies » ne contiennent pas de racines purement consonantiques. Comme les verbes dérivés des consonnes vocalisées disparurent du vocabulaire, leur manière caractéristique de former le passé le fit également.

Nous avons cause de supposer que le passé des verbes radicaux avec une consonne finale en -r- ne fut jamais entièrement débrouillé. Dans le QL, tous ces verbes forment leur passé par allongement vocalique, le meilleur exemple étant #kar- « fabriquer, faire » passé káre51). Mais dès l’EQG, cela fut remplacé par un suffixe –ne, cf. kar- « faire » passé karne présent kare52). Dans le qenya de « La Route perdue », apparaît la forme passée ohtakáre53), suggérant un changement d’avis en faveur de l’allongement vocalique. Pourtant dans « Les Étymologies », tous les verbes avec consonne finale -r- pour lesquels nous disposons du passé prennent le suffixe –ne (parmi ceux-ci, on a aussi #kar- « faire, construire » passé karne en LRW, p. 362), sans que soit donnée une forme passée alternative. Mais environ sept ans plus tard, dans les « Notion Club Papers », ohtakáre54) réapparaît, indiquant que si Tolkien s’efforça effectivement de résoudre cette question dans « Les Étymologies », il ne se tint pas au scénario qui y est esquissé.

Appendice A – le passé dans les « Fragments avalloniens »

Les fragments d’une langue (« avallonien ») apparaissant dans des rêves et des mémoires lointaines sont un thème de « La Route perdue » et des « Notion Club Papers ». On trouve quatre versions différentes de ces fragments, deux dans chaque texte. Les différentes versions de ces fragments sont très similaires, et offrent donc une opportunité unique d’étudier la manière dont les idées de Tolkien au sujet du passé évoluèrent, dans quelle mesure les premières formes furent reprises dans les textes ultérieurs et quelles stratégies il mit en œuvre lorsque ces formes ne furent pas reprises. Le tableau qui suit présente toutes les formes passées attestées dans ces quatre textes ; les informations tirées de LRW, p. 47, et SD, p. 246, apparaissent déjà dans le corps principal de cet article :

LRW, p. 56 LRW, p. 47 SD, p. 310 SD, p. 246
lende tūle túle túle
« vint » « vint » « vint » « vint »
lantie lantier lantier > lantaner lantaner
« tombèrent » « ils tombèrent » « ils tombèrent » « tombèrent »
ohtakárie ohtakāre ohtakāre ohtakáre
« guerroya » « guerroya » « guerroya » « partit en guerre »
terhante terhante terhante > askante sakkante
« brisa » « brisa » « brisa en deux » « déchira »
lantier ullier ullier ullier
« tombèrent » « se déversèrent » « elles se déversent » [subj.] « se déversent » [subj.]
atalante ataltane ataltane ataltane
« s’effondra » « s’effondra » « s’effondra » « chut »

Certains des changements effectués concernent manifestement le vocabulaire, non la formation du passé, et ne sont donc pas intéressantes pour la présente étude. Il s’agit de lende > tūle, lantier > ullier et terhante > askante > sakkante. D’autres changements sont mineurs, tels que le choix d’accents aigus ou de macrons pour indiquer la longueur vocalique. Nous reste à étudier trois changements intéressants.

Tout d’abord, noter le changement atalante > ataltane. En supposant que le présent est #atalta-, la première forme représenterait une infixation nasale du suffixe dérivationnel avec réapparition de la voyelle radicale, tandis que la deuxième forme est un simple suffixe –ne. Il a été spéculé que ce changement pourrait indiquer que Tolkien avait l’intention de remplacer les passés les plus complexes par de simples suffixes (peut-être assimilables à des formations analogiques). L’infixation nasale des verbes dérivés en –ta est en effet absente des « Étymologies », mais réapparaît dans les écrits tardifs, de sorte que cet exemple spécifique de remplacement n’est probablement guère significatif.

La deuxième observation concerne le destin de la terminaison passée –ie. Dans la « Early Qenya Grammar », celle-ci était fort régulière, et était même le suffixe le plus fréquent. Cela semble toujours être le scénario du premier brouillon des fragments, vu que nous trouvons ohtakárie ou lantie à côté de lantier, indiquant que le suffixe peut être employé avec ou sans terminaison. Il n’est pas surprenant que #atalta- présente toujours une terminaison –e, vu que l’infixation nasale des verbes dérivés en –ta ne mène pas à un passé en –ie dans les EQG, cf. lokta- passé lokante55), mais le développement des passés avec infixation nasale lende et terhante est différent de ce que l’on voit ici. Cependant, dans la version suivante des fragments, les deux terminaisons au singulier en –ie ont disparues, indiquant que –e était désormais considéré comme la voyelle indiquant le passé en l’absence de terminaisons pronominales. Cela est cohérent avec le passé que l’on voit dans les formes du « Qenya Verb », où nous avons par ex. tūle « vint », mais tūlien, tūliendo « il vint »56).

La première version des fragments réapparaissant dans les « Notion Club Papers » est presque identique avec la dernière de « La Route perdue », indiquant que Tolkien la recopia pour l’essentiel. Un premier groupe de corrections suggère ensuite que les différentes formes durent être adaptées à la grammaire du quenya de 1946 – les deux formes en –ie subsistant furent modifiées. Dans le premier cas, lantier > lantaner introduisit un suffixe –ne. Le deuxième cas est plus intéressant, ullier étant conservé, mais la traduction, passant de « se déversèrent » à « [qu’]elles se déversent », réinterprète cette forme comme un genre de subjonctif (et donc plus un passé). Ces deux variantes furent ensuite conservées dans la version finale dans laquelle ne subsiste plus de passé en –ie, conformément aux autres textes tardifs. Noter cependant que la terminaison –ie était associée avec le parfait en quenya tardif, cf. utúlien « je suis venu »57).

Remerciements

Je reconnais ma dette envers le travail effectué par l’équipe éditoriale de Parma Eldalamberon et Vinyar Tengwar, sans lequel la présente compilation de formes verbales aurait été bien plus difficile à créer. J’ai à l’occasion fait usage de la discussion sur le passé du quenya que fait Helge Fauskanger dans son Quenya course. J’aimerais particulièrement remercier Roman Rausch, Helios de Rosario Martínez, Patrick Wynne et Helge Fauskanger pour leurs commentaires de valeur et les suggestions qu’ils m’ont faites.

Voir aussi

Sur Tolkiendil

Sur le net

1) , 2) , 37) PE 12, p. 84
3) PE 12, p. 51
4) PE 12, p. 35
5) PE 12, p. 62
6) PE 12, p. 98
7) PE 12, p. 74
8) , 15) PE 12, p. 66
9) PE 12, p. 69
10) PE 12, p. 93
11) , 28) PE 12, p. 77
12) PE 12, p. 49
13) , 27) PE 12, p. 47
14) N.d.T. : « déféquer »
16) PE 12, p. 54
17) PE 12, p. 37
18) PE 12, p. 68
19) PE 12, p. 76
20) PE 12, p. 56
21) , 49) PE 12, p. 75
22) PE 12, p. 82
23) , 24) PE 12, p. 78
25) PE 12, p. 67
26) PE 12, p. 53
29) , 30) , 32) , 34) , 36) , 38) , 40) , 52) , 55) PE 14, p. 58
31) Version originale : « The past stem is obtained by the suffix -ye, -ie or -ne, but -ie (the commonest) is normally accompanied by stem strengthening consisting of (1) a-infixion, (2) n-infixion, (3) vowel lengthening (this last perhaps largely an analogical extension from the ā resulting in many stems [] »
33) , 35) , 51) PE 12, p. 45
39) PE 12, p. 59
41) , 42) LRW, p. 72
43) , 44) , 53) LRW, p. 47
45) N.d.T. : le VO donne ici « voyelle racine originelle », ce qui est manifestement une coquille.
46) , 48) LRW, p. 396
47) LRW, p. 379
50) WJ, p. 366
54) SD, p. 246
56) PE 14, p. 28
57) LR, p. 967
 
langues/langues_elfiques/quenya/passe_quenya.txt · Dernière modification: 08/07/2021 14:55 par Elendil
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