Teleri lambëo minaþurië - Enquête sur la langue telerine

Quatre Anneaux
Roman Rausch — Janvier 2012
traduit de l’anglais par Damien Bador
Article théoriqueArticles théoriques : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs.
« Ulmo retourna vers les côtes de Beleriand pour les emmener à Valinor ; car ses soins allaient aux mers de la Terre du Milieu et aux côtes des Terres Citérieures, et il ne lui plaisait guère que les voix des Teleri ne dussent plus être entendues dans son domaine. »1)
Le Silmarillion, chap. 5

Introduction

Cet article traite de la langue telerine, créée par J.R.R. Tolkien, et du développement interne et externe de sa phonologie, de sa grammaire et de son vocabulaire. Pour certaines de ces trois dimensions, des tentatives sont faites pour reconstruire de manière prescriptive des formes non-attestées. Ce travail est largement débiteur de l’article de Helge Fauskanger sur le telerin (en particulier la liste de mots, pour ceux publiés avant le VT 41), qui cependant est désormais assez ancien et ne comprend pas les nouvelles informations et les quelques 90 nouveaux mots contenus dans les VT 41 à 49.

Tolkien marqua d’une astérisque les formes qu’il avait reconstruites lui-même, jouant le rôle d’un érudit étudiant les langues elfiques, mais je les considère « attestées » et marque d’un croisillon mes propres reconstructions, sauf quand il s’agit d’une citation directe d’une source primaire, qui est toujours entre guillemets et reproduit exactement les termes employés par Tolkien, en gardant également les astérisques.

Les quatre étapes du telerin

Il existe au moins quatre étapes distinctes dans le développement externe du telerin. Nous rencontrons cette langue pour la première fois dans les écrits contemporains de la période 1920-1925 (probablement 1923). Mais les mots mentionnés à cette époque sont de style assez différent du telerin des « Étymologies » (1937-1938), et on aurait peine à trouver un équivalent exact entre les deux. Cet article traitera essentiellement des « Étymologies » et des étapes suivantes. Une autre source contemporaine est la Tengwesta Qenderinwa en deux parties2), qui fut commencée à l’époque des « Étymologies » et dont la seconde version était toujours en cours d’écriture peu avant la publication du SdA en 1954. Pour une étude de la phonologie du telerin premier, voir « Phonologies historiques de l’ilkorin, du telerin et du noldorin autour de 1923 » (rien n’est connu de sa grammaire, à l’exception d’une forme verbale infléchie).

La troisième étape est l’essai « Quendi & Eldar », écrit en 1959-1960, qui nous procure de nouveaux mots, quelques règles de dérivation et même les premières phrases attestées. Finalement, la quatrième et dernière étape est l’époque comprise entre 1967 et 1969, une période productive où de nombreux essais furent écrits. Non seulement ceux-ci nous donnent quantité de règles et de mots nouveaux, mais ils affermissent la situation et le rôle internes du telerin en Arda, de même que sa relation avec le quenya et le sindarin (conséquence de ce qui fut commencé dans « Quendi & Eldar »). Pour des raisons pratiques, on se référera à ces étapes sous les noms de « telerin premier », « telerin des Étym. », « telerin de Q&E » et « telerin tardif ».

I - Connexions internes

1. Développement historique

Développement historique du telerin

Les Elfes s’éveillèrent à Cuiviénen, et tandis que les Eldar se dirigeaient vers l’Ouest, leur langue commença déjà à changer, produisant l’eldarin commun. Il existait trois principaux clans : Vanyar, Ñoldor et Teleri (ou Lindar). Les Teleri, se trouvant à l’arrière, furent isolés des autres Elfes et ainsi développèrent leur propre dialecte, appelé « telerin commun » par Tolkien. Ils se divisèrent ensuite en trois branches principales : Nandor, Sindar et (Amanya) Teleri, et il en fut de même pour leurs langues.

Ainsi « amanya telerin » (un mot que Tolkien utilise en WJ, p. 411) serait un terme plus précis pour la langue dont nous discutons, puisque le sindarin et le nandorin sont également des langues telerines. Néanmoins, nous utiliserons simplement le terme « telerin » dans cet article. Notons que Tolkien utilisa aussi « telerin » en référence au « telerin commun »3). Nous utiliserons plutôt l’adjectif « lindarin » en référence au troisième clan. Le « telerin ancien » est une étape intermédiaire entre le telerin commun et l’amanya telerin4).

Les différences entre le vanyarin et le noldorin sont très peu nombreuses, et les deux peuvent être considérés comme des dialectes du quenya5) Ils partagent par exemple le même changement b > v (dit avoir été initié par les Vanyar) et la marque du pluriel des noms -r (introduite par les Ñoldor)6), tous les deux absents du telerin commun, et doivent donc avoir aussi partagé le même dialecte de l’eldarin commun, appelé « quenya ancien » dans le diagramme.

En Aman, les Ñoldor avaient des rapports étroits avec les Ñoldor et les Teleri, mais les Teleri vivant sur Tol Eressëa avaient peu de contacts avec les Vanyar. Il y eut ainsi une grande influence entre le telerin et le quenya ñoldorin. Globalement, le telerin possède un rôle intéressant d’« étape intermédiaire » entre le quenya et le sindarin, partageant des caractéristiques intéressantes avec les deux, comme on peut le voir dans le remarque suivante :

« Les noms Findaráto et Angaráto étaient de forme telerine (car Finarfin parlait la langue du peuple de sa femme) ; et leur forme et leur sens s’avérèrent aisés à transcrire en sindarin, à cause de l’étroite relation entre le telerin d’Aman et la langue de leurs parents, les Sindar de Beleriand, en dépit des grands changements qu’elle avait subie en Terre du Milieu. Artafindë et Artanga auraient été des formes plus naturelles en quenya […] »7)

2. La « fonction » du telerin en Arda

Les Teleri d’Aman vivaient à peu près aussi isolés que leurs parents nandorins à l’Est. Seuls quelque-uns partirent en Terre du Milieu, tandis que les autres ne furent guère impliqués dans les grands événements, à l’exception de la tragédie d’Alqualondë. Pourtant, considérant la quantité de matériaux disponibles, le telerin occupe la troisième place au sein des langues elfiques, juste après le quenya et le sindarin, et il y est fréquemment fait référence dans les essais (au contraire du nandorin). Quelle peut en être la raison ?

Il semblerait que ce soit dû à sa phonologie très archaïque et à une grande quantité de linguistes ñoldorins intéressés habitant non loin en Aman. Un bon exemple est le problème de *lemen. Il était suggéré que les mots pour « cinq » avaient été dérivés du radical LEP-, lié aux doigts. Les formes étaient : sind. leben, q. lempë « cinq » ; sind. lefnui, q. lemenya, lempëa « cinquième ». Une intrusion de m était observée en quenya, ce qui conduisit à supposer que le radical pouvait avoir eu une forme alternative *lemen en eld. com., aux côtés du régulier lepen. Le sindarin lefnui n’apportait aucune réponse ici, puisque lepen > #lepn- > #lebn- > #lefn- aurait donné lefnui /levnui/ de même que *lemen > #lemn- > #lefn-.

Mais l’observation des formes telerines clarifiait la situation : elles étaient lepen « cinq » et lepenya « cinquième ». Ainsi, *lemen fut rejeté et le q. lempë dut être expliqué par une contraction de l’eld. com. lepene en #lepne, avec interversion et assimilation : #lenpe > lempë. Et lemenya comme formation analogique était une « explication satisfaisante »8).

Fiole de Galadriel (© John Howe)

En une autre occasion, Tolkien eut l’idée que l’élément EN- « encore » avait besoin d’être distingué de la forme étendue ÉNED- « centre ». Son intention était d’altérer ÉNED- en HENED- ou HENET-. Il ne voulait probablement pas altérer ses dérivés en quenya ou en sindarin, et tous deux perdaient ainsi l’initiale h-, ce qui produisait le q. Endor, sind. ennor « Terre du Milieu »9) comme précédemment. Par conséquent, un linguiste ñoldorin n’aurait pu savoir si le radical originel avait eu un h- ou non, à moins qu’il n’observe la forme telerine Hendor. Cette intention n’est pas décrite explicitement et ces réflexions furent biffées, mais elles sont assez explicites.

Il doit y avoir une situation similaire concernant les radicaux en SP-. L’initiale sp- devient f- en sindarin comme en quenya, et il n’y aurait donc aucune raison de supposer l’existence d’une racine en SP- pour un mot commençant par f- s’il n’existait aucun terme telerin laissant l’initiale sp- inchangée (cf. q. fanya, sind. faun, tel. spania « nuage »). Le nandorin se comportait néanmoins de façon similaire(cf. spenna « nuage » (Étym. : SPAN-), quoique l’étude du nandorin par les Ñoldor ait eu lieu bien plus tardivement.

Cependant, le telerin possédait d’autres détails intéressants. L’eldarin commun affermissait de nombreux radicaux au moyen d’une infixation en a, qui donnait les diphtongues ai, au, ao, ae. Les deux premières étaient assez stables, tandis que ae et ao devinrent respectivement des ē et ō longs en quenya. La présence des anciens ae et ao fut découverte par Fëanor (qui était le meilleur linguiste des Ñoldor ; cette évolution phonétique devint connue sous le nom de « e et o de Fëanor ») après qu’il eut comparé les formes en quenya avec les termes telerins apparentés, qui présentaient des ā longs dans les deux cas10). Ainsi le q. méla « aimant, affectueux », (MEL-), par exemple, ne pourrait pas s’expliquer par allongement e > é mais doit être dérivé de l’ancien #maelá, qui donna māla en telerin.

Dans « Les Étymologies », le q. mála « ami » < mālō est listé avec le commentaire qu’il présente un vocalisme irrégulier. En fait, cette irrégularité pourrait s’expliquer par un emprunt au telerin, où ae > ā et Tolkien reconnaît cette possibilité en PE 18, p. 96, mais dit qu’« un tel emprunt n’est guère probable ». La Tengwesta Qenderinwa explique en revanche que ae et ao devinrent très rapidement ā, mais puisque cela causait un changement insatisfaisant de la voyelle racine, ā fut à nouveau différencié en ǣ et ǭ (pour les voyelles racines e et o, respectivement), mais apparemment avec certaines exceptions, comme mālō.

3. Influences mutuelles du quenya, du telerin et ... de l’adûnaïque (?)

Tolkien établit plusieurs liens entre le telerin et le quenya, et quelques emprunts mutuels sont attestés. Un emprunt particulièrement significatif est le q. telpe, du tel. tel(e)pe « argent », à la place de la forme historique tylepe :

« Mais en quenya, la forme telpe devint habituelle, par influence du telerin ; car les Teleri estimaient mieux l’argent que l’or, et leur talent pour façonner l’argent était même apprécié des Noldor. Ainsi, Telperion était plus souvent utilisé que Tyelperion comme nom de l’Arbre Blanc de Valinor. »11)

Une description plus détaillée est donnée dans la Lettre, nº 347, où la forme est telepi :

« Quoique tyelpe subsista en q., telpe (avec la syncope q.) devint la forme la plus usuelle chez les Elfes de Valinor, parce que les Teleri trouvèrent une grande quantité d’argent dans leurs terres, au nord des Noldor, & devinrent les principaux artisans travaillant ce métal parmi les Eldar. »12)

D’après cet exposé très tardif (1972), le quenya prit telepi au telerin et effectua une syncope régulière > q. telpe. Cela devint un mot commun à Valinor (en tout cas parmi les Ñoldor et les Vanyar13) – mais Tol Eressëa doit-elle aussi comptée, ou les Teleri conservèrent-ils l’usage de telepi ?). L’affinité des Teleri pour l’argent fit que ce nom fut largement utilisé pour leurs noms propres – Telperimpar (Celebrimbor), Tel(e)porno (Celeborn) – les deux sont des Teleri dans une conception tardive des alentours de 1968, Celeborn étant le petit-fils d’Olwë, tandis que Celebrimbor est son compagnon (pour plus de détails, voir « L’Histoire de Galadriel et Celeborn » dans les Contes et légendes inachevés)14).

Une sorte d’influence intéressante peut être observée dans les formes telerine et quenyarine du nom Galadriel. Son aman Celeborn lui donna le nom telerin Alatāriel(le) « jeune fille couronnée d’une guirlande de radiance » (< eld. com. ñalatā ; ÑAL- ; RIG-), qui fut transcrit en quenya par Altariel, avec syncope habituelle de la voyelle médiance, mais sans le développement quenya régulier ñ- > n-. Sa « vraie forme » aurait été Ñaltariel15). Mais ce nom fut « correctement transcrit en sindarin » : Galadriel (ñ- > g-). (Des explication antérieures du nom de Galadriel ne prenaient pas en compte le telerin)16). Dans « Les Étymologies », le quenya emprunta le nom Elwe au telerin, au lieu d’employer la forme historique Helwë (ƷEL-, VT 45, p. 17). De nombreuses années plus tard, Elwe n’était plus en lien avec une signification ou un radical précis.

Bien qu’elle soit archaïque sur de nombreux points, la prononciation du telerin comprenait aussi plusieurs innovations linguistiques. L’une d’entre elles était la transformation du f bilabial (ɸ) en f labio-dental17) (dérivé du p aspiré en eld. com.), qui s’étendit au quenya ñoldorin (mais pas vanyarin).

Les Teleri empruntèrent le mot Vanyar (un terme désignant les Elfes du premier clan) aux Ñoldor, l’adaptant sous la forme Vaniai18) (ils n’avaient presque aucun contact avec les Vanyar eux-mêmes). Celui-ci est dérivé de WAN- « beau », eld. com. wanjā dans « Quendi & Eldar », mais de BAN- dans « Les Étymologies », et BAN- réapparaît après « Quendi & Eldar » dans la forme eld. com. Banyai19). Une autre conception est la racine √GWAN (donc toujours ban- historiquement en sindarin et telerin)20). Mais comme les adaptations phonétiques n’étaient pas toujours historiquement correctes (voir Altariel ci-dessus) et puisque BAN- comme WAN- et GWAN- donne le q. Vanya, cela n’avait probablement aucun impact sur la forme telerine.

Lórien (© John Howe)

Le telerin semble également avoir partagé certaines caractéristiques avec l’adûnaïque, la langue des Dúnedain de Númenor. Nous savons que l’adûnaïque fut fortement influencé par le quenya, mais peut-être le fut-il aussi par le telerin. L’adûnaïque exprime le cas instrumental par le suffixe -mā « avec »21). La préposition instrumentale telerine est 22) (< MAƷ-), dont la signification est dérivée de « main » ( signifiant toujours « main » en quenya). Mais ce fait est mentionné dans une source bien plus tardive, et peut-être Tolkien changea-t-il simplement son idée que l’élément était utilisé pour le cas instrumental en adûnaïque et l’appliqua à la place au telerin. Cela ne serait pas la première fois, vu le parler noir Uruk-hai semble présenter le même suffixe collectif que l’on voit dans le noldorin premier Uidhel « elfe, fée », pl. col. Uidhelhai23).

L’adûnaïque exprime le pluriel des verbes par la terminaison -m, e.g. dubdam « [ils] tombèrent »24) ; le nominatif pluriel des noms non-neutres se forme avec la terminaison -im (e.g. Ēruhīnim « les Enfants d’Eru » (ibid.) comme sujet de phrase ou en apposition à un autre nom). À peu près à la même période, Tolkien imaginait que le telerin gardait le -m comme marque du pluriel (voir 6. Traces du marqueur pluriel « -m » pour une discussion plus complète). Celui-ci devenait -n en quenya, qui ne peut être source de la particularité adûnaïque. Cependant, il est également possible que les Edain l’empruntèrent aux Avari dans des temps très reculés. L’histoire de l’Akallabêth nous parle de la situation linguistique à Númenor et de la relation entre les Númenóriens et les Eldar :

« Car bien que ce peuple continuât à utiliser son propre parler, ses rois et seigneurs connaissaient et parlaient aussi la langue elfique, qu’ils avaient appris aux jours de leur alliance, et ainsi conversaient-ils avec les Eldar, tant d’Eressëa que des régions occidentales de la Terre du Milieu. Et parmi eux les maîtres du savoir apprirent aussi la langue haut-eldarine du Royaume Béni […] »25)

Cependant, la « langue elfique » en question doit être comprise comme étant du sindarin. Une expédition eldarine à Númenor est aussi mentionnée dans le conte d’Aldarion et Erendis :

« Au matin avant la fête, Aldarion contemplait l’extérieur par la fenêtre de sa chambre, qui regardait la mer vers l’Occident. “Vois, Erendis !”, s’écria-t-il. “Il y a un navire se hâtant vers les havres ; et ce n’est pas une embarcation de Númenor, mais une sur laquelle ni toi ni moi ne mettrons jamais les pieds, même si nous le voulions.” Erendis regarda alors, et elle vit un haut navire blanc, avec de blancs oiseaux tournant autour dans la lumière matinale ; et ses voiles luisaient d’argent comme l’écume à la proue tandis qu’il s’avançait vers le port. Ainsi les Eldar honorèrent-ils le mariage d’Erendis, par amour pour le peuple des Terres de l’Ouest, avec lesquels ils étaient très étroitement en amitié. »26)

D’après leur description, ces Eldar doivent avoir été des Teleri de Tol Eressëa, quoique cela ne soit mentionné nulle part, pas plus que ne l’est la langue telerine. Les Númenóriens préféraient les noms en quenya et non en telerin. Dans une conception antérieure, il existait une langue distincte, commune à toute l’Île Solitaire, appellée le tol-eresséen. Elle était dérivée du qenya, mais était fortement influencée par le telerin, tandis que ce dernier était restreint à la côte occidentale27). Aucune description aussi élaborée ne se retrouve dans les étapes plus tardives.

II - Remarques sur le développement phonologique

Bilabiales Labiodentales Dentales Interdentales Palatales Vélaires
Occlusives sourdes p t c
Occlusives voisées b d g
Nasales m n n (ñ)
Liquides sourdes ? (n’existe sans doute pas)
Liquides voisées r, l
Approximantes v y
Spirantes sourdes ɸ (arch.) f s, θ (arch.) þ h, ?ch
Spirantes voisées

Tels sont les phonèmes du telerin. Noter une complète absence des spirantes voisées, en particulier de la labio-dentale /v/. L’eldarin commun ne possédait pas ce son28) ; le quenya le développa à partir de b, le sindarin par lénition médiale de b et m. Aucun de ces changements phonétiques n’advint en telerin. Par conséquent, Tolkien utilisa la lettre v pour représenter l’approximante bilabiale (angl. w /w/). Le telerin ne développa pas non plus les z et ð voisés, étant proche par ce point de l’eldarin commun, qui ne possédait pas ð et n’avait z que par sonorisation de s dans un environnement voisé. En telerin, ce son disparut devant les consonnes (eld. com. ezdē > tel. Ēde)29) et semble être devenu r entre voyelles par rhotacisme dans le telerin de Q&E, comme on le voit dans la terminaison -ria < #-zia < -*sjā (également les mots du telerin premier pelera « barrière » < pelesa30), pirie « sève, jus » < pisye31)). Dans la « Tengwesta Qenderinwa 2 », écrite entre « Les Étymologies » et la publication du SdA, nous trouvons aussi un exemple de rhotacisme KYELES > tel. Teler- (initialement écrits TELES et Teles-, qui apparaissent aussi dans « Les Étymologies », Teler étant spécifiquement listé comme une forme quenya)32). D’un autre côté, le terme otos(o) « sept » du telerin tardif suggère que le -s- médian est permis et ne devient pas voisé.

D’après la « Tengwesta Qenderinwa 2 », la nasale vélaire ñ est un phonème distinct en telerin, par opposition aux autres langues eldarines33), mais cela est modifié en telerin tardif, où elle disparaît en position initiale : ñalatā > alata. Il n’est pas certain que le telerin comporte la spirante postérieure ch [χ], les indications semblant contradictoires sur ce point (voir II–4. ci-dessous), bien qu’elle apparaisse clairement dans le telerin premier alacha « #défendre, repousser, protéger », aoriste alchíne34). La situation est similaire pour les initiales eld. com. sl-, sm- et sw-. En telerin premier, elles deviennent l-, m- et su- respectivement, mais ne sont pas attestées dans les étapes ultérieures. Restant inchangées : l’initiale sp-, uniquement attestée dans « Les Étymologies » ; st-, attestée en telerin premier et dans « Les Étymologies » ; sc-, uniquement présente en telerin premier.

Le telerin possède l’habituel ensemble elfique de cinq voyelles ; brèves : a, e, i, o, u et longues : ā, ē, ī, ō, ū. Les voyelles longues sont la plupart du temps indiquées par un macron, parfois pour distinguer l’orthographe telerine des autres langues elfiques (voir II-6. Les diphtongues ai, āi, ui, oi, au, eu, iu () sont présentes dans notre corpus, selon l’étape conceptuelle. La présence d’au moins une diphtongue longue est notable (la notation pourrait simplement indiquer une tonalité montante), de même que celle d’une voyelle finale longue dans gāialā35).

Le telerin des Étym. transformait l’eld. com. eu̯ en ū long (eld. com. beu̯rō > tel. būro « vassal »). Un tableau du telerin tardif, cependant, montre un développement différent : eu et iu deviennent tous deux iu36), bien que Tolkien n’ait apparemment pas été certain de ce fait, et que eu reste inchangé dans d’autres notes (KEWE- > keu-rā > tel. ceura)37).

Les « Tableaux comparatifs »38), probablement associés à la « Tengwesta Qenderinwa 1 » et aux « Étymologies » présentent une vision complète du développement des voyelles longues et des diphtongues, tel qu’il était alors conçu39) :

  • ǣ, ā, ǭ donnent tous ā
  • ei, ai donnent ai, qui devient plus tard ae ou ę̄
  • oi, ui donnent ui, qui devient plus tard ū
  • ou, au donnent au, qui devient plus tard ǭ
  • eu, iu donnent iu, qui devient plus tard (j)ū

Les autres voyelles longues demeurent inchangées. La notation comportant un crochet souscrit (ę̄, ǭ) indique une prononciation ouverte de ces voyelles. Toutefois, seuls deux exemples des « Étymologies » présentent ces évolutions : būro et pāne < kwǣnē.

Chose intéressante, le telerin transforme à cette époque toutes les diphtongues originelles en monophtongues. Cette monophtongaison semble être un dénominateur commun avec le telerin premier, bien que les détails diffèrent : ei > ı̄ et eu, ou > ū, voir cet essai. Jusqu’à l’étape où disparaissent les diphtongues, les développements sont cependant presque identiques aux sources tardives.

Le tableau mentionné montre le développement suivant : ei > ē, oi > ui, ou > ō, tandis que ai, ui, au et iu ne changent pas. Cela signifierait une disparition de oi, qui était courant en telerin de Q&E (comme dans Elloi « Elfes », par ex.) Les rares diphtongues eld. com. ae, ao et la monophtongue ǭ devinrent toutes des ā longs40). Nous pouvons observer que /w/ forme une diphtongue devant les consonnes, e.g. auta- < AWA-, mais est écrit comme une consonne entre voyelles, orthographié v, e.g. avānie, avantie. Après les consonnes, il demeure consonantique dans Olwe / Volwe, vilerin et Elwe (ce dernier étant biffé), mais devient une voyelle dans vomentienguo, vanua. La finale -au devient -o dans hek-au > heco.

Tour d’Elwing (© John Howe)

Au cours de la période telerine commune (ou peut-être même en quendien primitif), un important changement lindarin fut kw > p (alkwā > tel. com. alpa > sind. alph)41). Un autre pourrait avoir été l’affermissement des l-, r- initiaux en gl-, gr-. Selon une source tardive, « il est disputé si gl- était un groupe initial en eldarin commun ou une innovation telerine-sindarine »42). D’un autre côté, d’après la Tengwesta Qenderinwa, plus ancienne, les groupes initiaux gl, dl, dr et gr étaient des affermissements (ou « fortifications ») des r-, l- originaux en noldorin. Cette langue « oppose souvent, par exemple, gr ou gl aux r et l simples du telerin »43). D’autres groupes de ce type (pr, tr, kr, etc.) apparurent dès la période eldarine commune et furent à nouveau simplifiés ou changés en quenya, mais étaient conservés en noldorin et probablement aussi en telerin.

Concernant le développement des occlusives nasalisées initiales mb-, nd-, ñg-, nous trouvons mb- > m- et ñg- > g- en telerin premier (nd- n’est pas attesté). « Les Étymologies » mentionnent golodo < ÑGOLOD-.

Les « Tableaux comparatifs » montrent que mb-, nd-, ŋg- > m-, n-, ŋg-44), mais il doit s’agir d’une erreur, vu que la discussion signale que « [l]e telerin et le noldorin sont en accord pour traiter habituellement les groupes initiaux mb, nd, ng en b, d, g »45) et cette affirmation est répétée dans l’« Esquisse de la phonologie »46)47).

Cependant, la « Tengwesta Qenderinwa 2 » décrit un développement symétrique produisant les nasales : mb- > m-, ñg- > g- et nd- > n-, comme en quenya48). Dans « Quendi & Eldar », d’un autre côté, apparaissent goldo, góle < ÑGOL et #bar < Hecellubar < MBAR-, tandis que le telerin tardif ajoute damme < NDAN- et à nouveau golodo. Il semblerait ainsi que Tolkien soit retourné vers un développement produisant des occlusives en telerin tardif. Voir également l’Appendice 1 pour un résumé.

1. Le schibboleth du « þ »

L’essai de 1968 « Le Schibboleth de Fëanor » établit une connexion entre les langues eldarines et les événements du Premier Âge. C’est aussi un bon point pour montrer comments les langues elfiques furent consciemment transformées par leurs locuteurs. Le changement þ > s avait été suggéré par de nombreux maîtres du savoir du quenya, mais Fëanor, le principal linguiste des Ñoldor, s’y opposait. Par des moyens extérieurs, Tolkien dut trouver des arguments pour que ce changement ne s’avère pas nécessaire et soit exceptionnel, de sorte que les autres langues d’Aman préservent le þ. Le vanyarin, très proche du quenya, le fit certainement, mais nous avons longtemps été dans l’obscurité concernant le telerin. Les seuls mots impliquant th (t aspiré, la principale source du þ dans les autres langues) étaient ceux du telerin des Étym., nommément :

  • Findo (THIN-) “Thingol”
  • Baradis (BARÁD- / BARATH-) “Varda”
  • bredele (BERÉTH-) “hêtre”
  • Daintāro - “Sauveur des Dani” (< Ndani-thārō) (RP, p. 216)

La conception à cette époque est limpide : le telerin transformait l’initiale eld. com. th- > f-, les intervocaliques -th- > -d- (cf. le même changement en germanique dans des positions différentes, e.g. angl. think, nether ; all. denken, nieder) et -nth- > -nt-.

On voit aussi cela dans les « Tableaux comparatifs » : en position initiale th- > þ- > f- et thr-, thl- > fr-, fl-49), en position médiale -th- > -d-, -b-50).

Mais depuis la publication du VT 47 en février 2005 et du VT 48 en décembre de la même année, nous connaissons de nouveaux mots :

  • þarma “main gauche”51) (< KHJAR-)
  • nēþa “sœur”52) (< NETH-)
  • toloþ “huit”53) (< #TOL-OÞ)

En telerin tardif, le þ initial découle donc de l’initial eld. com. khl-. Le tableau des développements phonologiques est cohérent : le telerin semble modifier les consonnes postérieures palatalisées et les transformer en dentales (à la manière du latin vulgaire, du slavon ou de l’adûnaïque), e.g. l’occlusive postérieure sourde palatalisée kj- devient l’occlusive dentale sourde t- (cf. KJELEP- > tel(e)pe)54). Le PE 18, p. 103, mentionne aussi le fait que le telerin développe la série des ky- en une simple série dentale (non palatalisée). Il s’agit donc d’un développement symétrique lorsque l’aspirée postérieure sourde palatalisée khj- devient l’aspirée dentale sourde puis la spirante dentale θ, prononcée avec la langue derrière les dents du haut55). De plus, nous apprenons que « la transformation des dentales et labiales þ et f en interdentales þ et labio-dentales apparut d’abord en telerin. »56) Ainsi, de façon redondante, on pourrait donner l’exemple qui suit pour ce développement : eld. com. nēthā > tel. anc. nēθa > tel. nēþa.

Nous ne savons pas si cela affecterait des mots comme Findo. Le telerin tardif peut toujours changer th- > f- en position initiale. Notons que nous ne trouvons aucune racine commençant par ƷJ-, donc cela ne peut être la source de l’interdentale voisée ð.

Les « Tableaux comparatifs » montrent que l’antériorisation des vélaires palatalisées ne faisait pas encore partie de la conception du telerin à cette époque. À la place, nous observons généralement la perte du j, d’abord après les dentales : « [l]e telerin, le noldorin, l’ilkorin, le danien avaient des dentales classiques qui correspondaient » à ty, thy, dy, ny, ly57). La « Tengwesta Qenderinwa 1 » semble sous-entendre la même chose, puisqu’on y trouve la mention que ty, hy, ny sont des modifications de t, s (< s, th), n en quenya et correspondent aux noldorins et telerins t, s, th, n58). Deuxièmement, le son de transition disparaît aussi derrière les dentales dans les groupes initiaux kj-, khj- > c-, h-. En position médiale, il semble uniquement possible à gj d’être antériorisé en dı̯ — nous observons : -kj-, -khj-, -gj-, -ŋj- > -ci-, -gi-/-dı̯-, -gi-/-di-, -ŋgi-/-ndı̯-.

Toutefois, cela s’accorde difficilement avec « Les Étymologies » : on y trouve KYELEP- et TELEP-, mais aussi une note selon laquelle le q. telpe pourrait être un emprunt au telerin, auquel cas la racine KYELEP- est suffisante, ce qui sous-entend une antériorisation kj- > tel. t-. Il semblerait qu’au moins l’entrée KYELEP- / TELEP- ait été composée après les « Tableaux comparatifs ».

Cependant, nēþa contredit le bredele antérieur (tous deux ont l’intervocalique -th-). Cela n’est pas nécessairement contradictoire avec Baradis, qui est dérivé de BARATH- dans « Les Étymologies », mais est dit « montrer l’influence de baradā élevé »59). Il doit donc s’agir d’une fusion de deux racines, BARÁD- et BARATH- dès le telerin des Étym. (cf. q. Varda < BARÁD-).

Le changement -nth- > -nt- comme dans Daintāro pourrait toujours être valide en telerin tardif, bien que l’infixation du i donnant a > ai ne semble pas être appuyée par d’autres exemples. Il y a aussi ?lepþa, une lecture possible de leppa « palper, tâter du bout des doigts »60) (modifiée en lepta dans sa forme finale). Mais de ce que nous savons, cette forme est phonologiquement douteuse, puisque dans les autres combinaisons de deux occlusives, aucun développement similaire ne peut être observé : comparer avec occo, une forme rejetée du mot pour « sept »61) ou nette, le nom puéril de l’annulaire, qui s’est développé d’une manière exactement opposée, à partir de l’eld. com. netthi62) ; il semblerait que le telerin favorise les occlusives sourdes géminées.

2. Anaptyxe

En latin, une voyelle d’appui se développe dans les combinaisons médiales -cl-, -bl- et -pl-. Cette voyelle est o (plus tard u) si le l est suivi par a, o ou u, et i s’il est suivi par e ou i. Ainsi par exemple : *stabl- > lat. stabulum, stabilis ; *sūblā > sūbula « alène ». Ce phénomène est appelé anaptyxe et est aussi (partiellement) attesté en telerin. Grâce à la « Tengwesta Qenderinwa 1 », nous savons que le « tel. cul est dérivé de kl », avec l’exemple :

Eld. com. tanklā > tel. tancula « fermoir, broche »63)

La « Tengwesta Qenderinwa 1 » cite « tanklā̆ > tankl. ou tanklā », ce qui signifie apparemment que tanklă pert sa voyelle finale brève que le -l final devient syllabique. Celui-ci est résolu en -al en quenya, d’où le q. tancal. Mais tanklā donne le tel. tancula, comme précédemment et le q. tancala. Concernant la perte du final, voir la règle suivante :

« En eldarin commun, les voyelles brèves inaccentuées tombaient probablement en position finale après l, r, n, m. Cf. *abaro “refusant” > abar »64)

Dans « Quendi & Eldar », nous trouvons de même heculo, probablement dérivé d’heklō et hecul, venant sans doute d’hekla65), termes usités pour ceux des Eldar qui furent laissés derrière en Beleriand. Le premier exemple présente à nouveau kl > tel. cul, le second suggère que le -ḷ syllabique était résolu en -ul en telerin : hekla > #hekḷ > tel. hecul. Cependant, il n’y a pas d’anaptyxe dans les formes telerines tardives aclar, aplat. Soit Tolkien changea d’avis à ce sujet, soit des règles plus complexes interviennent.

Il semble que les -o- intervocaliques devinrent -u- en telerin de Q&E ; voir Hecello « Elfe de Beleriand » > Hecellubar « Beleriand, demeure des Hecelloi »66). C’est à nouveau apparenté au processus latin : *legontor > lat. leguntur « ils rassemblent », *rōbos-to- > lat. rōbustus « de chêne, robuste ». Il serait donc possible que nous ayons bien une évolution hekla > #hekḷ > #hekol puis > hecul. En effet, le -ḷ syllabique du noldorin et du sindarin donne effectivement -ol, e.g. magl, magol « épée » < makla (Étym. : MAK-). D’un autre côté, la citation de magl en parallèle à magol semble suggérer que le développement de magol était un processus tardif en noldorin / sindarin. Par conséquent, -ḷ > *-ol > -ul ou -ḷ > -ul pourrait être un simple développement parallèle en telerin.

Dans « Quendi & Eldar », on nous dit également que : « *edelō comme *edlō devenaient régulièrement ello en telerin. »67) Mais une règle postulée plus tardivement affirme :

« Le telerin perdait souvent les ĕ, ŏ (pas a) dérivés des anciens ē, ō (les eld. com. prim. ĕ, ă, ŏ étaient perdus en quenya, telerin et sindarin) après les sonnantes finales m, n, r, l et s, conservés si [ils étaient] dans une syllabe accentuée. »68).

En appliquant cette règle à edlō « Elda », nous obtenons ce qui suit : q. pr. edlō > eld. com. #edlŏ > tel. anc. #edḷ > tel. #edul. Chose intéressante, ce mot était déjà attesté en tant que forme plurielle, remontant à l’époque des « Étymologies ». Nous y trouvons dans une note qui fut plus tard biffée :

« -m pluriel. Telerin pl. am, um, em. edulam. »69)

Cela pourrait suggérer une forme singulière #edul (voir III-6 ci-dessous pour la discussion du pl. -m).

3. Le développement du j

Des exemples de « Quendi & Eldar » et des « Étymologies », nous pouvons dériver un développement clair de la voyelle non-syllabique eld. com. j (également écrite ı̯ et y par Tolkien), qui devient la voyelle i derrière des consonnes :

Telerin des Étym.

  • spania < #spanjā “nuage”

Telerin de Q&E

  • arpenia < #ar(a)kwen(d)jā « #noble »
  • delia < del-ja « aller, avancer, procéder »
  • Pendia < kwendjā « quenya »
  • -ria < #-sjā « son »
  • Vaniai < bánjā-i « Vanyar »

Telerin tardif

Ce système est partiellement préservé :

  • Ciriáran < #kirjā-aran(o) « roi navigateur »
  • glania < #glanjā « borner, limiter »
  • nia < #-njā « mon, de moi »

Cependant, les nombres ordinaux, étant également formé comme des adjectifs, contredisent complètement ce système, j demeurant non syllabique, et transcrit y :

  • minya < #minjā “premier”
  • tatya < #(a)tatjā “deuxième”
  • nelya < #neljā “troisième”
  • canatya < #kanatjā “quatrième”
  • lepenya < #lepenjā “cinquième”
  • enetya < #enekjā “sixième”
  • ototya avec substitution analogique de -tya (la forme historique aurait été #otosjā) “septième”
  • tolodya < #tolodjā “huitième”
  • neterya < #neterjā “neuvième”
  • paianya < #kwajanjā “dixième”

Comment expliquer cela ? Ce phénomène ne peut dépendre de la consonne précédente, nous voyons à la fois j > i et j > y après n et r, par exemple. Il doit donc s’agir une irrégularité des ordinaux ; peut-être que l’influence du quenya joua un rôle significatif ici. La source de ces ordinaux est l’essai « Les Rivières et collines de feux de Gondor », que j’ai considéré faire partie des essais de la phase 1967-1969 ; il fut en fait rédigé très tard au cours de cette période, en juin 1969 ou plus tard70), et les termes désignant les ordinaux furent couchés sur papier plus tard que tous ceux donnant j > i.

4. Le développement de H, KH, Ʒ, Ñ and G

Le q. pr. kh représente une occlusive aspirée devenant déjà une spirante en eldarin commun ; ʒ est une spirante vélaire voisée ou approximante (correspondant à la palatale y et à la labiale w71) et h représente le même son qu’en anglais (un h aspiré). Les racines commençant par KH-, Ʒ- et H- furent sujettes à de nombreuses transformations au cours des changements externes des conceptions linguistiques de Tolkien. Essayons d’examiner l’ensemble de la structure dans laquelle s’inscrit le telerin. Des « Étymologies », de la Tengwesta Qenderinwa et des « Tableaux comparatifs », nous pouvons tirer le tableau suivant :

Telerin Qenya Noldorin
KH- > h-72) h- h-
Ʒ- > h-
73)
Ñ- > ñ-74)
g-75)
h-76)
-77)
-
g-78)

Nous ne savons pas ce que donnait le KH- initial à ce stade en telerin. Il pourrait devenir h- comme dans les autres langues, ou peut-être ch-. Le seul exemple de Ʒ- disparu est écrit sur une page ultérieurement rejetée : Elwe, dérivé du radical ƷEL-79), identique en noldorin. Une note marginale dit : « changer en KHEL- », quoi que cela puisse dire pour le développement des consonnes. L’entrée finale affirme cependant que ƷEL- était confondu avec EL- en telerin et noldorin. Cela doit se référer à la perte du ʒ- initial. Cette perte est explicitement confirmée dans la « Tengwesta Qenderinwa 2 », où il est ajouté que « médialement le ʒ disparut très tôt sans laisser de traces » en telerin80). De plus, selon la Tengwesta, le Ñ- initial demeure ñ- en telerin, devient g- en beleriandique et disparaît en quenya et en noldorin (le sindarin ultérieur est un mélange de noldorin et de beleriandique). Cela semble cependant contredire « Les Étymologies », où il devient h- en quenya, comme dans holme « odeur » < ÑOL-.

Alors que l’« Esquisse du développement phonétique »81) mentionne que [ŋ] n’apparaît pas en isolation en telerin82), la « Tengwesta Qenderinwa 2 », plus tardive, affirme exactement l’inverse — que le telerin est la seule langue à posséder ce son en tant que phonème indépendant83). Il semble que les conceptions aient grandement varié sur ce point.

Après la publication du SdA, une nouvelle consonne initiale apparaît, H-, bien que l’on découvre rapidement qu’elle n’est pas vraiment neuve mais prend le rôle de l’ancien Ʒ- et que Tolkien changea simplement la prononciation archaïque sans modifier les développements phonologiques. La racine HO-, qui apparaissait sous la forme ƷO- dans « Les Étymologies » est une indication dans ce sens. Les radicaux en Ʒ- ont désormais un rôle quelque peu différent. Ainsi, nous obtenons le tableau suivant par le biais de « Quendi & Eldar » et de l’« Esquisse de la phonologie »84) :

Telerin Quenya Sindarin
KH- > ? h- h-
H- > h-
85)
h-
Ʒ- > ? # #

Exemples :

  • Q. Hildor « les Suivants »86) (très probablement dérivé de KHIL-) et sind. hadhod (< chaðaud < chaðǭd)87), adaptation du mot khuzdul Khazâd.

Un radical ʒăn- « prolonger, agrandir, s’étendre », accompagné de l’alternative yăn- est daté de décembre 195988) et est donc (approximativement) contemporain de « Quendi & Eldar ». Un dérivé eld. com. ʒandā « long » est donné, mais aucune forme dérivée sindarine, telerine ou quenya. Peut-être Tolkien pensait-il toujours au q. anda, sind. (← nold.) and, ann « long », comme ann-thennath « #long-courts », qui avait déjà été mentionné dans le SdA.

Et finalement, un essai de la période tardive (donnant enfin un tableau complet) :

Telerin Quenya Sindarin
KH- > h- h- h-
H- > h- h- ou
Ʒ- > g-
Ñ- > ñ- > n- g-

Exemples :

  • KHAN- > tel. hāno, q. hanno, sind. hawn « frère » (coll.)89) ; cela renforce l’hypothèse que le telerin transformait également le KH- initial en h- aux étapes précédentes (cf. l’affirmation : « dans toutes les langues eldarines, kh devenait une spirante, puis h en position initiale »90).
  • ƷOR- (eld. com. ʒōrē) > tel. ōre, q. órë, sind. gûr « cœur » (dans un sens moral).

Tous les radicaux en H- furent ultérieurement rejetés, mais leur développement montre que le telerin garde ce h- initial. Les exemples attestés sont :

  • HOR- > tel. hor-, q. #(h)or- « avertir » (dans un sens moral)91)
  • HENED-/HENET- > tel. Hendor, q. endor, sind. ennor « [la] Terre du Milieu »92)

Finalement :

  • ÑAL- > tel. Altāriel, q. Ñaltariel, sind. Galadriel93) ; ce développement est également confirmé par une note disant que le telerin perdait les initiales faibles ñ et ʒ94).

Cette étape nous donne également assez d’informations pour observer le développement des -ʒ- et -χ- médians :

  • ʒ disparaît après une voyelle qui est ensuite allongée, ce qui advient déjà en eldarin commun tardif : MAƷ- > tel. « main » (dans des dérivés et des composés)95) ou LUƷ- > eld. com. « arc, courbe » > tel. « arc »96).
  • ʒ est dévoisé devant t, se transformant en χ (toujours en eldarin commun), qui est ensuite assimilés en t : MAƷ- > q. pr. maʒtā > eld. com. maχtā > tel. matta « manipuler, manier, gérer, s’occuper de »97) ; un développement similaire devrait avoir lieu lorsque χ vient en contact avec d’autres occlusives sourdes.
  • Il est affirmé en VT 41, p. 9, qu’« en quenya et en telerin, le χ médian aussi devenait finalement un h dans la plupart des cas ». Cela est très étrange et contredit la phonologie du quenya décrite dans le SdA, où il est dit dans l’Appendice E :
« Ainsi le nº 11 fut appelé harma et représentait la spirante ch dans toutes les positions, mais lorsque ce son devint un h aspiré en position initiale (bien qu’il n’ait pas changé en position médiale) le nom aha fut forgé […] »98)

Ainsi le quenya h n’est autre qu’un h aspiré en position initiale et soit un ach-Laut soit un ich-Laut en position médiale (« la combinaison quenya ht se prononce comme cht dans les mots allemands echt, acht. »)99) L’affirmation du VT 41 pourrait alors se référer seulement au -h- intervocalique ; peut-être somme-nous ici en présence d’une prononciation alternative ou est-ce juste une erreur ?

Dans tous les cas, matta avec -χt- > -tt- était une dérivation contemporaine du commentaire de VT 41 (p. 9), de janvier-février 1968. Ainsi, cette affirmation doit également faire référence au -h- intervocalique en telerin ; il doit être prononcé comme un h aspiré (un h aspiré devant une consonne est à peine audible et n’est pas naturel pour la phonologie des langues elfiques attestées). De la sorte, aucun son en χ n’existerait en telerin (sauf s’il résultait d’autres mutations phonologiques actuellement inconnues). Mais si ce commentaire est une erreur ou propose une prononciation alternative, nous aurions un -χ- intervocalique en quenya (aha /aχa/) comme en telerin (#-ch). Noter que /χ/ se trouvait en telerin premier dans le mot alacha « #défendre, repousser, protéger », aoriste alchíne100).

Une remarque finale doit être faite sur le développement de l’eld. com. g, qui subsiste en position initiale en telerin :

  • GAP- > gampa « crochet, houlette »101) (contrairement au q. ampa)

De même en position médiale devant et après des consonnes :

  • LOG- > logna « trempé, inondé »102) (contrairement au sind. loen)
  • PHÉLEG- > felga « cave, caverne » (contrairement au sind. fela, q. felya)

Il peut disparaître entre voyelles, tandis que la voyelle précédente reçoit probablement un allongement compensatoire :

  • RIG- > eld. com. rīgā > tel. ría « couronne, guirlande »103), mais pas toujours, voir loga « marécage (?) »104) (LOG-)
Dans l’« Esquisse du développement phonétique », nous observons gd > d avec un allongement compensatoire (khagdā > hāda « tertre empilé »105)), qui est ultérieurement modifié en gd > ct, tt (khagdā > hacta, hatta « barrière, haie », snagdē > nacte, natte « une meurtrissure, une blessure », negdē > necte, nette « miel »106)).

5. La syncope vocalique

En eldarin commun, les voyelles des mots longs disparaissent suivant la règle suivante :

« Omission par perte phonétique de la voyelle (brève) non-accentuée devant l’accent eldarin commun était fréquente en sindarin entre les occlusives et l, r, et habituelle en telerin dans les formes nominales qui ne demeuraient pas moins que disyllabiques. »107)

Ainsi, dans le développement de l’eld. com. palátā, le premier a entre l’occlusive p et la liquide l est omis, donnant le tel. plata « plat de la main » (PAL-)108). Le tel. calca « verre » (< KALAK-) pourrait alors être dérivé de l’eld. com #kalakā́109). Noter que dans cet exemple, la deuxième voyelle est perdue, non pas la première, dans le cas contraire on aurait obtenu le déplaisant **claca (bien que -cl- soit autorisé en position médiale, voir aclar ci-dessous).

Le tel. galla « arbre » (< GAL-/GÁLAD- ?) est dérivé de l’eld. com. galadā110)111)112), où l’accent doit également être sur la dernière syllabe ; mais au regard de GÁLAD- dans « Les Étymologies », il pourrait aussi y avoir une omission similaire après l’accent eldarin commun. Le tel. trumbe « bouclier » (< TURÚM-) est dérivé de l’eld. com. turúmbē dans « Les Étymologies », montrant que cette perte phonétique avait déjà été planifiée lors de cette phase ; de même, le tel. bredele < eld. com. #beréthelē (< BERÉTH-).

Une telle syncope est absente d’alata « radiance, réflexion étincelante » < eld. com. ñalatā (< ÑAL-) ; il s’agit d’un développement habituel, mais pas universel. Le tel. golodo « Ñoldo » (< ÑGOL-/ÑGOLOD-) ne présente pas de syncope dans « Les Étymologies » ; mais l’eld. com. ñgolodō donne goldo dans « Quendi & Eldar »113), tandis que PM (p. 360) donne à nouveau golodo. Dans l’ensemble, il mérite d’être noté que « Quendi & Eldar » comporte un grand nombre de mots avec syncope : goldo, galla, ello, elni.

Il y avait déjà omission de la voyelle à la période eldarine commune, ce qui est distinct de la « perte phonétique » décrite ci-dessus. Elle est indiquée par une apostrophe, comme dans pal’tā114) ou ap’lata115), tous deux dérivés de PAL-. Mais Tolkien ne place aucune apostrophe devant aklara (< KAL-) > tel. aclar « gloire, splendeur » (perte probable d’un -a court après le -r en eldarin commun). Dans « Les Étymologies », le radical KYÉLEP-116) donne le tel. telpe (eld. com. #kjel’pē) et cette forme est aussi mentionnée en telerin tardif (PM, p. 356 ; UT, p. 266, où elle dérive de kyelep-). Cependant, une explication très tardive (de 1972) contredit ce développement, affirmant :

« Le telerin telepe (en tel. la syncope de la seconde voyelle dans une séquence de 2 voyelles brèves de même qualité n’était pas régulière mais avait lieu dans des mots longs comme Telperion) »117).

La forme eldarine commune est désormais dite être kyelepē. Avec cette règle, nous nous attendrions à #calaca plutôt qu’à calca (à moins de faire l’hypothèse de l’eld. com. #kal’kā) et à #galada < eld. com. galadā. Le tel. ello doit se comprendre comme étant dérivé de l’eld. com. edlō, pas edelō118), mais là où l’accent intervient dans l’une de ces deux voyelles (voir les exemples ci-dessus), cette règle pourrait être invalide ; d’un autre côté, alata et golodo sont parfaitement cohérents. La remarque que la réduction avait toujours lieu dans des mots longs n’affecte pas les noms comme Telperion119)120) ou Telperimpar121)122), mais l’ancien Teleporno123) avec telep- devient désormais Telporno. Il est cependant affirmé que telpe (avec la syncope quenya) devint la forme la plus courante parmi les Elfes de Valinor (voir aussi I-3).

6. Les marques de quantité

Deux signes diacritiques sont présents en telerin : le macron et l’accent. Le macron renvoit sans nul doute à la longueur vocalique. Cela n’est pas nécessairement vrai pour l’accent. S’il se réfère également à la longueur de la voyelle, nous pourrions nous attendre à ce que le macron dénote les voyelle ultra-longues, puisque les deux signes sont mélangés dans les mêmes sources ; une distinction semblable (mais avec un accent circonflexe) se retrouve en sindarin ou en adûnaïque. D’un autre côté, il y aurait alors une grande quantité de voyelles ultra-longues dans différentes formes nominales, et il est possible de supposer qu’il s’agit en fait d’une orthographe différente pour la même marque de quantité vocalique.

Une autre possibilité serait que l’accent se réfère à l’accentuation. Les règles d’accentuation données pour le sindarin et le quenya dans le SdA ne sont pas nécessairement valides pour le telerin. Nous allons examiner ceci en détail.

Telerin des Étym.

Le terme daintáro vient de Ndani-thārō – apparemment á représente ici le ā long subsistant. Cette forme ne fait cependant pas partie des « Étymologies » en tant que telles (qui furent elles-mêmes écrites et augmentées sur une longue période), où seuls des macrons sont attestés.

Telerin de Q&E

Le q. avá est « irrégulièrement accentué sur la dernière syllabe »124) et le terme telerin apparenté, abá possède également un accent. Cependant, les termes quenyarins apparentés aux tel. abapétima « ne devant pas être dit »125) et góle « longue étude (de n’importe quel sujet) »126) sont avaquétima et ñóle, tous deux avec des voyelles longues.

Telerin tardif

D’après les règles en quenya et sindarin, le terme Ciriáran – « roi navigateur »127) serait accentué #Ciriaran s’il était écrit sans accent. Peut-être le telerin s’efforce-t-il de préserver de façon clairement audible le morphème aran dans cette combinaison, ou le i non-syllabique précédent ne peut-il pas être accentué (bien qu’un allongement au contact #ciria + #aran puisse aussi être une explication envisageable). Dans le terme ciúra – « renouveler »128), l’accent pourrait vraisemblablement indiquer une diphtongue montante (et donc aussi l’accentuation, en pratique). Mais s’il dénote la quantité vocalique, il n’est pas présent dans ciure « renouvelé ».

Les noms Findaráto et Angaráto129) contiennent tous deux arāta et donc probablement une voyelle longue (comparer avec Alatāriel). Le présent usage de l’accent pourrait s’expliquer par une transcription en quenya de la quantité vocalique, les noms étant mentionnés parmi ceux d’autres enfants de Finarfin qui sont indubitablement donnés en quenya ; et le quenya utilise l’accent comme marqueur de quantité dans la vaste majorité des exemples. La même chose s’applique probablement au tel. andané « longtemps auparavant, jadis »130) avec l’élément .

III - Le Corpus et la grammaire

Hormis les mots isolés attestés le corpus, il n’existe que quelques phrases :

  • Olue cava, cava Olue, cavaria Olue « [la] maison d’Olwë » (WJ, p. 369)
  • abá care ! « ne fais pas cela ! » (WJ:371)
  • ēl sīla lūmena vomentienguo « Une étoile brille sur l’heure de la rencontre de nos chemins » (WJ:407)
  • ōre nia pete nin « mon cœur (óre) me dit » (VT 41, p. 11)

De celles-ci, les trois premières sont de « Quendi & Eldar », et seulement la dernière est en telerin tardif. Elle comprend un possessif adjectival séparé, nia « mon », différent des précédents suffixes -ria « son », #-ngua « notre » (et différent des suffixes possessifs en quenya). Peut-être Tolkien changea-t-il d’avis, de sorte que le telerin devait développer des pronoms possessifs à partir des anciens suffixes, exactement comme le sindarin. Noter que Tolkien voulait à l’origine que les terminaisons possessives « dans une fonction verbale nominale […] comme mode pour exprimer “ce que nous faisons, nous devons faire” soient « particulièrement proéminentes en telerin »131).

Ce changement externe d’un suffixe en pronom indépendant montre peut-être que le telerin est supposé être moins agglutinant que le quenya. Et comme on peut le voir plus bas, le telerin possède moins de cas que le quenya. Je pense donc qu’il est hautement improbable que le telerin comprenne des terminaisons multiples comme dans le q. leltanelyes « vous l’avez envoyé »132), par exemple.

1. Formation du pluriel

La marque du pluriel -r pour les noms était une invention ñoldorine133). D’après notre matériel, elle ne se répandit jamais en telerin, lequel conserve son marqueur pluriel original -i < :

  • Tel. Fallinel > pl. Fallinelli « Elfes telerins », lit. « #Chanteurs d’écume » (Étym. : NJEL-)
  • Tel. Solonel > pl. Soloneldi « Elfes telerins », lit. « #Chanteurs de vagues déferlantes » (Étym. : SOL-)
  • Tel. Audel > pl. Audelli « Elfes d’Aman » (WJ, p. 364)
  • Tel. Abar > pl. Abari « Avari » (VT 47, p. 13, 24 ; WJ, p. 380)
  • Tel. ēl > pl. ēli « étoiles » (WJ, p. 362)
  • Tel. elen > pl. elni † « étoiles » (WJ, p. 362)
  • Tel. leper > pl. leperi « Doigts » (VT 47, p. 10 ; VT 48 p. 5)

Noter la syncope #eleni > elni, mais son absence dans leperi. La première forme est de « Quendi & Eldar », où nous trouvons des mots telerins syncopés plus souvent que dans les sources tardives, voir II-5. Un affermissement médial curieux peut être observé dans Fallinelli, Soloneldi : -nel « #chanteur » devient -nell- comme suffixe dans le premier cas et -neld- dans le deuxième. Peut-être l’influence d’edela > elda « elfe » joua-t-elle un rôle ici. Dans le telerin de Q&E, le -ld- médian devient -ll-, voir galla (< GÁLAD-). La marque du pluriel forme des diphtongues avec les voyelles finales :

  • Tel. Ello > pl. Elloi « Eldar, Elfes de la Marche » (WJ, p. 376)
  • Tel. Hecello > pl. Hecelloi « Elves de la Terre du Milieu » (WJ, p. 365, 376)
  • Tel. #Linda > pl. Lindai « Teleri », lit. « #Chanteurs » (WJ, p. 382)

Le tel. Pendi « Quendi, Elfes » est utilisé uniquement au pluriel, comme « mot savant des historiens »134), rarement employé en langage courant, puisque le produit du changement KWEN- > PEN- était en conflit avec le radical préexistant PEN- « manquer, être sans, hors de ». Pendi correspond au. q. Quendi, sing. quendë, mais même ce singulier n’était « pas très usité » en quenya135). Il nous faut ainsi accepter que Pendi n’a véritablement pas de singulier et nous ne pouvons assumer -e > -i au pluriel sur cette base. Néanmoins, il semblerait que le telerin tardif au moins n’ait pas possédé la diphtongue ei (elle devient un ē – voir VT 48, p. 7), et que les noms se terminant en -e aient un pluriel en -i semble donc une conséquence probable. Cependant, noter le telerin tardif transforme aussi oi en ui. Une autre marque du pluriel du telerin des Étym., -m est discuté séparément en III-6.

Nous ne savons pas comment mettre les verbes au pluriel en telerin, mais comme le marqueur -r existe en sindarin (cf. Dor Firn-i-Guinar « Terre des Morts qui Vivent » dans le Silmarillion) comme en quenya (e.g. i karir « ceux qui forment »)136), il est hautement probable qu’il apparaît également en telerin. De plus, le pluriel q. -r pour les noms était « originellement dérivé des verbes »137).

2. Les déclinaisons

Le génitif

Toutes les langues eldarines partageaient le même suffixe génitif présent en eldarin commun, dérivé de l’élément HO- « au loin, de ». Il était utilisé comme particule enclitique et le h fut perdu très rapidement, ce qui donne une déclinaison telerine en -o (remplaçant très probablement les -a finaux), comme en quenya. Elle est dite être « plus largement usitée qu’en quenya pur, c’est-à-dire dans la plupart des cas où l’anglais utiliserait la flexion -s ou of »138).

Mais le quenya présentait l’ajout curieux d’une deuxième marque du pluriel au génitif, -n (< -m), e.g. elenion « des étoiles » (elen-i-o-n). Il est explicitement indiqué que ce n’était pas le cas en telerin ; nous pourrions donc nous attendre à ce que le mot apparenté soit #ēlio ou #elnio en telerin.

Le possessif

Le telerin n’emploie pas de cas possessif séparé comme le quenya le fait, il place les deux formes à côté l’une de l’autre sans inflection. La manière archaïque est de placer le possesseur en premier, ainsi Olue cava « maison d’Olwë », mais on peut observer l’opposé dans les développements tardifs, ainsi cava Olue « maison d’Olwë ». Le sindarin possède un développement similaire du génitif non infléchi, comparer Ennyn Durin « Les Portes de Durin »139) ; le quenya peut conserver l’ordre des mots originel, comme dans Oromë róma « un cor d’Oromë »140).

Mais la forme habituelle pour exprimer de tels possessifs en telerin est d’ajouter un suffixe possessif : cavaria Olue « la maison d’Olwë » (lit. « la maison de lui, Olwë »). Noter qu’en telerin tardif, c’est plutôt un pronom possessif qu’un suffixe qui est attesté.

L’allatif, l’ablatif et le locatif

Un seul exemple d’allatif est connu : lūmena, d’où l’on peut dériver la terminaison courte -na, par contraste avec le quenya -nna. Son origine doit être le radical NĀ-, donnant les prépositions quenyarines an, ana, na « à, vers ». Comparer aussi avec le sind. na avec un sens allatif (na-chaered « #dans la distance », SdA, livre II, chap. 1). Tout cela suggère que le quenya -nna est le résultat d’un affermissement nasal médian absent en telerin. Un autre élément allatif est -da : avec perte de la voyelle brève finale, il reste -d dans l’adverbe avad ; il n’intervient probablement pas dans les déclinaisons grammaticales.

Aucun exemple de l’ablatif telerin n’est connu. Il s’agissait peut-être d’un #-lo court, apparenté au quenya -llo, mais à nouveau sans affermissement médian. Comparer avec la racine LŌ-141) et les prépositions quenyarines ollo, / lo « de, depuis »142)143) utilisées avec des personnes. Je pense qu’il est cependant probable que le telerin n’emploie pas l’ablatif du tout, lui substituant le génitif (« plus largement usité qu’en quenya pur ») à la place. Comparer aussi Oiolossëo « d’Oiolossë » dans « Namárië », une forme génitive utilisée comme un ablatif.

Le quenya possède plusieurs terminaisons locatives, le -ssë long et les -së, -s courts (comparer aussi avec se, « à, dans »)144). Ce dernier causes des assimilations s’il est ajouté à un -n ou -l final, et nous trouvons alors -nze, -nde, -sse ou -lze, -lde, -lle, -lse145). Le reste d’un locatif semble se trouver dans le sind. ennas « ici, en ce lieu »146). En sindarin, le -s final ne peut provenir de -sV, à cause de la lénition, mais devrait plutôt venir de -ssV, de sorte que la forme eld. com. pourrait avoir été #entassē. S’il en est ainsi, la variation -se / -sse était déjà présente à la période eldarine commune, et nous pourrions également trouver les deux terminaisons en telerin.

Avec notre manque de matériel, il est cependant très difficile de dire quels changements phonétiques seraient causés par la terminaison courte -se. Entre voyelles, le -s- pourrait rester sourd, cf. otos(o) « sept »147). Cependant, le rhotacisme s > r est attesté en telerin de Q&E et en telerin premier, voir l’introduction à II. Dans tous les cas, le quenya a une autre manière d’exprimer les locatifs avec la préposition mi, et cela est fort probablement vrai pour le telerin également.

Le datif

Le seul exemple de datif en telerin est nin « (à) moi », à l’évidence ni « je » avec le suffixe -n, comme en quenya.

L’instrumental

Il ne s’agit pas d’un cas séparé, mais s’exprime en utilisant la préposition « par (des agents) »148), suivi du génitif. Une forme courte ma est également présente dans les notes de Tolkien, mais n’est pas identifiée être du telerin. Il se pourrait que sa longueur dépende de l’accentuation de la phrase. Ce mot est dérivé de l’ancienne signification « main ». On observe une similarité avec l’adûnaïque -mā ; cf. I-3. Avec tout cela, on pourrait reconstruire quelque chose comme #Petin mā lambo « je parle avec (en utilisant) la langue. »

3. Conjugaison des verbes

Pour autant que nous le sachions, le système verbal telerin est similaire à celui du quenya. Il distingue aussi deux classes de verbes : verbes dérivés et verbes radicaux.

Le présent et l’aoriste

Le telerin fait la distinction entre le présent et l’aoriste :

  • #pet- “dire, parler” (KWET-) > pete “dit, parle” (aoriste)
  • #car- “faire” (KAR-) > care “fais / faisons / faites ” (aoriste) ; dans abá care ! « ne fait pas cela ! »
  • #aba- “refuser” (ABA-) > aban “je refuse” (aoriste)
  • #sil- “briller” (SIL-) > sīla “brille, #est en train de briller” (présent)

La formation s’effectue de façon identique au quenya. À l’aoriste, un verbe radical reçoit la terminaison #-i, qui devient -e dans une syllabe finale ouverte (mais l’on peut supposer qu’elle redevient #-i si une terminaison lui est attachée, e.g. tel. #carin « je fais », comme en quenya. Un verbe dérivé demeure probablement inchangé à l’aoriste.

Le présent des verbes radicaux se forme en allongeant la voyelle radicale et en ajoutant -a. Il n’y a aucune indication concernant les verbes dérivés. En quenya, leur présent (avec un sens transitif, semble-t-il) se forme par substitution du -a final > -ëa, comme dans henta « observer, examiner (avec des yeux), scruter », présent continu hentea « #est en train de lire » < -ayā149). Comparer le nom verbal tengwaye avec la terminaison inaccentuée -waye > -weye > -wie donnant le q. tengwie « lecture »150). Le suffixe #-aya resterait sans doute inchangé en telerin : #hentaia « est en train de lire (quelque chose) », #ciutaia « est en train de renouveler (quelque chose) ».

Le passé et le parfait

  • delia- “aller, avancer” (DEL-) > delle “parti, effectué” (WJ, p. 364)
  • auta- “partir, quitter” (AWA-) > vāne (passé simple) ; avānie (parfait) “parti (dans un sens abstrait)”, donc “perdu, passé, mort”
  • auta- “partir, quitter” (AWA-) > vante (passé simple) ; avantie (parfait) “parti (dans un sens physique)” (WJ, p. 366-367)

Dans le premier exemple, la totalité de la terminaison verbale -ia < eld. com. -jā est remplacée par -e, accompagné d’une infixation nasale ou d’une assimilation du suffixe -ne. Une telle formation est connue par le quenya, où, d’après une glose dans « Les Étymologies », une perte de la totalité de la terminaison indique un usage intransitif : q. ulya- « verser », passé simple intransitif ulle, transitif ulyane (Étym. ULU-). Puisque « aller, procéder » est naturellement intransitif, nous pourrions également nous attendre à une telle distinction en telerin.

Le verbe auta- est extrêmement irrégulier, mais nous observons la même terminaison au passé simple -ne attachée à l’élément eld. com. 151) ; wāne > vāne /‘wa:ne/ dans l’orthographe telerine. La forme vante est dite être dérivée d’un verbe en -ta, ainsi #wā-tā > #wā-n-te > vante. Par conséquent, des verbes dotés d’une terminaison -ta suivant une voyelle formeraient habituellement leur passé simple par infixation en -n plutôt qu’en y attachant -ne.

Le parfait avānie est dit être formé à partir d’awāwiiē > a-wāniiē (devrions-nous lire #awāwiı̯ē ?) « avec épenthèse de n venant du passé simple ». Ainsi, -n- devrait ici être vu comme une irrégularité, il sépare les deux voyelles. Autrement, la structure du parfait semble claire en telerin : ajout de la terminaison -ie (remplaçant la terminaison verbale), duplication et allongement de la voyelle radicale. Noter que l’allongement est absent lorsque la voyelle radicale est suivie par deux consonnes, comme dans avantie. Ainsi, nous nous attendrions à des parfaits comme delia- > #edēlie « a procédé » ou #pet- > #epētie « a dit », matta- > #amattie « a manié, géré », et ainsi de suite.

Dans un texte de 1968, Tolkien discute de l’élément avec un sens « “auparavant” ou “derrière” (c’est-à-dire plus tôt dans le temps) », mais qui devint en fait la marque du passé simple du verbe être en quenya et telerin152). C’est ce même élément qui apparaît dans le suffixe du passé simple -ne. Ainsi, le tel. andané « longtemps auparavant, jadis ». D’après cette source, « il ne prend aucune flexion de personne » et est aussi utilisé pour signifier « “oui” dans des réponses à des question factuelles = “c’était ainsi, il en était comme vous le dites / demandez” ». De la même manière, le q. « est » peut être utilisé comme une assertion « il en est ainsi »153).

Il s’agit d’un indice en vertu duquel le verbe « être » pourrait également se retrouver en telerin. Noter aussi qu’il ne s’agit que d’une des conceptions à ce sujet ; il existe quelques exemples où le q. est infléchi, comme nēse « il fut ».

Les participes

  • glania- “clôre, limiter” ((G)LAN-) > glanna “clôt, limité” (VT 42, p. 8)
  • auta- “s’en aller, partir” (AWA-) > vanua “parti, perdu, n’étant plus possédé, disparu, défunt, mort, passé et terminé” (WJ, p. 366-367)
  • ciuta- “renouveler, rafraîchir” (KEWE-) > ciure “renouvelé” (VT 48, p. 7)
  • ceura “#renouvelé” (KEWE-) (VT 48, p. 8)

Du premier exemple, nous pouvons extraire la terminaison -na, qui remplace la terminaison verbale. Il s’agit en fait aussi d’une terminaison adjectivale qui peut être attachée à un radical ; voir logna « trempé, inondé »154) < LOG- sans qu’un verbe adéquat ne soit donné.

Le participe vanua est irrégulier. Il pourrait à nouveau comporter l’élément avec la terminaison -na (< ) et une duplication euphonique de la consonne initiale, ainsi : wā-n(w)ā > tel. vanua /‘wanua/ avec une transformation régulière w > u après une consonne ; en quenya vanwa /‘vanwa/. Les participes ciure et ceura présentent aussi des terminaisons exceptionnelles. Pour le dernier, la forme primitive ceu-rā est donnée, de sorte que tous deux semblent être des formations adjectivales anciennes de KEW(E)- plutôt que des participes des verbes donnés. La terminaison -rā est un suffixe adjectival connu en quenya, comme par exemple dans yára « ancien » (Étym. YA-).

L’impératif

  • ela ! « exclamation impérative, dirigeant la vue vers un objet réel visible »155)
  • heca ! « part ! retire-toi ! »156)
  • abá ! particule impérative négative « ne [fait] pas »157) dans abá care ! « ne fait pas cela ! »

Tous ces impératifs semblent être des expressions figées, formées directement à partir des radicaux, plutôt que des formes verbales infléchies. À l’évidence, il avait existé une particule enclitique en eldarin commun, qui était habituellement préfixée au verbe en quenya, sauf pour certaines formes figées, comprenant « ela ! » et « heca ! », mais rien ne peut être dit à propos d’un développement similaire en telerin.

Les affixes pronominaux

Pour les verbes, seule une flexion est réellement attestée : -n « je ». Et pour ce que nous savons, les autres devraient être très proches des terminaisons du quenya. Dans « Quendi & Eldar », les éléments pronominaux de la deuxième personne sont dites être le ou de avec une variation d/l en quendien primitif158). La même chose se voit dans des notes de 1968 publiée dans le VT 49 (p. 50), où les radicaux de la deuxième personne du singulier sont ki et le / de. D’après l’explication, ki était (ou devint bientôt) « impérieux » : i.e. principalement adressé à de jeunes personnes ou à des subordonnés. En quenya (et également en sindarin, sous l’influence des Ñoldor) une distinction est faite de sorte que l- marque le singulier et d- le pluriel, tandis que le telerin utilise de pour les deux (qui devait alors aussi apparaître sous forme d’une terminaison verbale #-d, #-de « vous »). C’est la seule affirmation claire concernant le telerin dans ce texte.

La consonne caractéristique de la troisième personne du singulier dans le telerin de Q&E est r, comme on peut le déduire de la terminaison -ria « son » (<#sjā). En comparant avec la base S- dans « Les Étymologies », il apparaît que nous avons à faire à un rhotacisme s > r. Cela pourrait également être une influence quenya, cependant. Malheureusement, il n’y a aucune affirmation claire à cette période pour déterminer si le rhotacisme fut conçut comme une partie de la phonologie du telerin ou non (il en était certainement ainsi en telerin premier, voir l’introduction au II). Les seules formes concernées viennent de 1968-1969. Dans une note du VT 42, p. 25, il est dit que le tel. ototya était une formation analogique avec tya plutôt qu’avec sya. Cela pourrait signifier que le -sy- intervocalique est autorisé en telerin, et qu’il n’y aurait plus d’obstacle au développement #-sjā > #-sya. Et il y a aussi otos / otoso « sept »159) affichant un -s- intervocalique.

Après la révision de 1965, nous pouvons reconstruire pour la première personne du pluriel le #-ngue inclusif « vous et nous » et le #-due exclusif « nous, mais pas vous ». Avant les révisions de 1965, nous aurions pu avoir respectivement le duel inclusif #-nguo / -ngo (?) (formé avec la marque du duel -u) ou le duel inclusif #-ngue ; le duel exclusif #-mmo ou #-mme. Voir III-4 pour une discussion plus en détail à ce sujet.

4. Le problème de « -nguo »

De la forme génitive vomentienguo « de notre rencontre », il est aisé d’extraire le suffixe possessif #-ngua (-a > -o au génitif). Cela ne prête guère à controverse, mais la question devient : quelle forme de « nous » #-ngua représente-t-il ? Une compréhension complète de la question ne peut être atteinte sans étudier d’abord les formes du quenya ; à ce sujet, cf. « Des différentes formes de “nous” en eldarin », par Roman Rausch. Ce que nous pouvons dire avec certitude est que #-ngua est presque certainement une forme inclusive, dérivée de la racine inclusive qui apparaît à différentes périodes sous les formes we, ñe ou ñwe. Il semble qu’elle soit apparentée à la terminaison quenya -ngwe, qui est parfois plurielle et parfois duelle. Il existe plusieurs possibilités pour le telerin :

Si le duel et le pluriel sont distincts, #-ngua semble avoir été désignée pour être une forme duelle, puisque vomentie devait contenir t, la marque du duel (le quenya omentie dénote la rencontre de deux voies, yomenie de trois ou plus). Le terme apparenté à #vomentiengua était #omentielma, changé en #omentielva. Les deux formes quenyarines auraient également été duelles. Le #-lme inclusif « vous et nous » et le duel #-lmo « toi et moi » pouvaient donner le même suffixe possessif #-lma « notre, le tien et le mien ». La terminaison duelle révisée pourrait être soit #-lva soit #-lve. Puisque les formations en quenya et en telerin sont très différentes, les formes plurielles du telerin sont difficiles à prédire dans ce cas, mais le duel exclusif serait probablement #-mma.

Dans une révision majeure des terminaisons de la première personne du pluriel, #omentielva devient une forme plurielle inclusive. L’ancien caractère duel d’omentie est désormais supprimé, et le mot est réinterprété comme un composé o- + men + tie ou le gérondif d’un verbe omenta-. Cela rend certainement yomenie et une partie de la description de Q&E obsolètes. Mais si cette conception doit être suivie, #vomentiengua devrait également être un pluriel inclusif. Et les possibles formes duelles telerines sont désormais difficiles à déterminer. La forme quenya exclusive est -lwa, formée avec la consonne caractéristique de la deuxième personne, l. En telerin, cela donnerait plutôt d, nous pourrions donc reconstruire le pl. exclusif #-dua. Mais peut-être le telerin ne distingue-t-il pas du tout le duel du pluriel (cf. « les flexions duelles sont spécifiques au quenya »)160). Nous aurions alors un #-ngua inclusif servant de suffixe général.

Résumé :

  • 1959-1960 : #-ngua est probablement un inclusif duel ou général ; l’exclusif serait #-mma
  • 1965 révision : #-ngua est probablement un inclusif pluriel ou général ; l’exclusif serait #-dua

Finalement, quelques remarques devraient être faites sur l’étymologie de cette terminaison. Les langues lindarines changeaient kw > p et de la même manière ñkw > mp, gw > b, ñgw > mb161), donc le ñwe (ou ñwa) primitif ne peut être l’origine régulière du tel. #-ngua (cf. eld. com. liñwi > nold. limb « poisson » ; Étym. LIW-). Une explication possible serait qu’une consonne géminée se développe différemment : *ññwa > *ngua. Comparer avec ññ > ng « comme dans toutes les [langues] eldarines »162).

Les « Tableaux comparatifs » mentionnent que ngj, ngw étaient allongés en ŋ̄j, ŋ̄w, qui donnaient plus tard ŋgj, ŋgw163). Cependant, il s’agit là d’un changement eldarin précoce (pas partagé par le danien), de sorte que les ŋgw résultants deviennent aussi mb en telerin164).

5. Les adjectifs

L’adjectif telerin est habituellement placé après le nom qu’il décrit165). Certains suffixes dérivationnels sont connus :

  • -ia (< -jā) est une terminaison neutre, formant un adjectif ordinaire : arpen « (homme) noble »166) ; correspond au q. -ya
  • -ima (< -imā) signifie « -able, capable », comme dans abapétima « ne devant pas être dit »167) ; même terminaison en quenya
  • -in (< #-ina) peut être extrait de Telepimpar168) et a probablement un rôle similaire à -rin, cf. le sind. -en à côté de -ren
  • -na (< -nā) fonctionne comme une terminaison du participe passé, mais aussi comme un simple suffixe adjectival (voir III-3 ci-dessus) ; même terminaison en quenya
  • -re / ra (< -rā / #-rē) a peut-être un sens de complétude, étant attesté dans ciure, ceura « renouvelé » (ce dernier n’étant pas traduit) ; même terminaison en quenya
  • -rin (< #-rina) semble dénoter les matériaux dans #telperin « d’argent » < Telperimpar169)170) ; correspond au sind. -ren, q. -in (comme dans Tyelpinquar) ; un autre usage existe pour dénoter une langue, comme dans lindārin171), dans ce sens, il correspond au q. -rin
  • -ya (< -jā) - seulement attesté pour les nombres ordinaux

Pour le problème de -ia/-ya, voir II-3 ci-dessus.

6. Traces du marqueur pluriel « -m »

Dans « Les Étymologies », la terminaison q. -on est supposée dériver de ʒō « au loin » + marque du pluriel m (ƷO-). La même marque, accompagnée d’une extension vocalique, se trouve dans une note qui fut biffée :

« eme “beaucoup”, -m pluriel »172). Et dessous, on lit :
« Pl. telerin am, um, em. edulam »173)

Une remarque sur le telerin tardif nous dit :

« En telerin, la finale n (< m, n) n’était pas perdue. »174)

Cette affirmation indique que le tel. -n pourrait descendre de -m, mais il est impossible de déterminer si -m devenait systématiquement -n. Une autre note donne :

« lepe […] Une ancienne formation plurielle dont dérivait, avec l’eld. com. -m(e), lepem(e), qui donna finalement le mot pour “cinq” : tel. lepen […] La forme telerine pourrait remonter à l’eld. com. lepem avec dissimilation du m : le -m final eldarin commun survécut comme tel en telerin, mais comme n en quenya […] Mais plus probablement, les trois formes remontent à l’eld. com. tardif lepene, avec perte du sens pluriel et ajout du e. »175)

Cette affirmation est contradictoire, comme l’indique déjà le VT 47, p. 24-25 ; si -m > -n était un développement quenya spécifique, n’existant pas en telerin, pourquoi alors avons-nous l’eld. com. lepen(e), avec -m > -n déjà modifié ? Par chance, Tolkien modifia cette page, et la nouvelle version donne :

« Puisque le -m final eldarin commun devint -n (avec le même développement subséquent que n dans les langues en descendant), il semblerait que lepen, n’étant plus perçue comme une formation plurielle, prit la forme lepenē̆ […] tel. lepen : quoiqu’il puisse < lepem originel est probablement < lepenĕ »176)

Ainsi, -m > -n devint un développement eld. com. et il y eut aussi une addition de voyelle par influence des autres numéraux trisyllabiques : lepem > lepenē̆. En supposant qu’il n’y ait pas eu de développement semblable, lepem aurait aussi donné le tel. lepen, mais il n’y aurait eu aucun explication pour le q. lempë (nous aurions eu lepem > q. **lepen, comme en telerin). Ainsi, lepenē̆ est une explication pour les deux formes ; en quenya, le mot trisyllabique perd sa deuxième voyelle, la combinaison médiale est transposée et assimilée : > lepnē > lempë. Le développement eld. com. lepem > lepenē̆ explique aussi le sind. leben.

Pipe (© John Howe)

Le telerin tardif possède donc seulement -n plutôt que -m, mais une question intéressante serait de savoir si cette marque est utilisée grammaticalement où que ce soit. Le quenya -n est une addition aux déclinaisons nominales, mais le telerin ne possède pas cette « innovation du quenya » (voir III-3 ci-dessus).

Mais revenons aux « Étymologies » et à edulam. La forme du singulier doit être soit #edul soit #edula ; la première forme a déjà été hypothétiquement reconstruite à partir du q. pr. edlō en II-2, mais il est aussi possible que l’eld. com. edela (voir ELED-) donne le tel. #edul dans « Les Étymologies » et que la voyelle originelle réapparaisse lorsqu’elle est attachée à la terminaison -m. Les am, um et em mentionnés peuvent indiquer que -m est uniquement attaché aux mots se terminant en -a/-u/-e, tandis que les autres pourraient recevoir un autre marqueur. Mais la note toute entière est très obscure, et il n’y a même pas de tiret pour indiquer qu’il s’agit d’une terminaison.

Qu’en est-il de la signification d’edulam ? Puisqu’il s’agit apparemment d’un mot pluriel « elfes », cela pourrait soit être un pluriel ordinaire, comme le sind. edhil, q. eldar, soit un terme apparenté au pluriel collectif sind. -ath (peu probable) ou, considérant eme « beaucoup », une formation plurielle signifiant « beaucoup d’elfes », similaire au q. -li.

7. Divers

Le diminutif

Le suffixe diminutif eld. com. -iki survécut sous la forme -(i)ce en telerin (-eg en sindarin), attesté dans plusieurs exemples, e.g. : nette > nettice « sœur »177). Noter que nette elle-même est déjà une forme diminutive, créée par redoublement médial en eld. com. : #nethi > netthi.

D’autres mots de ce genre sont : hannace « #petit frère », emmece « #maman », attace « #papa », vinice « #bébé »178). Ils représentent tous des noms puérils pour désigner les cing doigts en parler enfantin. La différence entre nettice et emmece peut s’expliquer par le fait que le premier dérive d’un mot se terminant en -i en eldarin commun, tandis que le second doit venir de #emmē.

« ye »

En quenya comme en telerin, si l’on excepte le duel, une élégante manière de se référer aux paires est le suffixe -ye. Tolkien cite Menel Kemenye « Ciel et Terre »179) comme un exemple quenya, mentionnant que cette construction est également possible pour se référer à Soleil & Lune, Terre & Mer, feu & eau180). Cela signifie que quelque chose comme #Gaiar Dorye « Mer et Terre » pourrait être valide en telerin. Mais il est mentionné que ye peut être préfixé devant chaque membre d’une liste en telerin. Cela pourrait peut-être donner alors : #Goldōrin ye-Findārin ye-Lindārin « quenya, sindarin et telerin ».

IV - Une inspiration tirée du monde primaire ?

Il est fort connu que les langues artistiques de Tolkien, en particulier ceux qui furent élaborées plus en détail, s’inspiraient en partie du monde réel, et qu’il existe habituellement une ou plusieurs langues sur lesquelles elles étaient modelées. Pour le telerin, cela aurait pu être le latin ou les langues romanes, comme l’italien ou l’espagnol. Tolkien dit être « amoureux de l’italien »181), ainsi que du latin182) et aimait particulièrement l’espagnol parmi les langues romanes183). Les similarités sont particulièrement apparentes pour le telerin premier. Par exemple :

  • Tel. morta, mars « destin » - lat. mortuus, it. morta « mort » ; le dieu Mars
  • -s final, comme dans :

Tel. págas « poupe (de navire) » - lat. paganus « un païen »
Tel. axas « os » - lat. axis « axe »

  • Initiales sc-, st-, e.g. :

Tel. stanca « divisé, cassé en deux, fendu, fourchu » - lat. / it. statua « statue »
Tel. scanta « un coup de hache » - lat. scando « ascensionner, gravir, aborder [un navire] »

  • Combinaison finale -gula :

Tel. tagula « lourde hache de bûcheron » - latin regula « règle » ; Caligula, etc.

Exemples tardifs

  • Initial sp- :

Tel. spalasta « écumer, mousser » - it. spalare « pelleter »

  • La combinaison -ngua :

Tel. #vomentiengua « notre rencontre » - it. / lat. lingua « language »

  • Médiale double -tt- :

Tel. matta - « manipuler, manier, gérer, s’occuper de » - it. matto « fou »

  • La combinaison -gn- :

Tel. logna « trempé, inondé » - lat. magnus « grand, vaste, important »

  • En latin classique avant le Moyen-Âge, /w/ s’écrivait v et /v/ n’existait pas, comme en telerin
  • En espagnol, /k/ devient /þ/ devant les voyelles antérieures e, i. En telerin tardif, khj- devient þ-.

Dans tous les cas, il ne s’agit que de faibles similarités, comparé à la relation entre le sindarin et le gallois ou le quenya et le finnois. Cette influence eut au moins lieu au début, mais le telerin tardif n’a plus grand chose en commun avec l’italien ou le latin (aucun des deux ne possède le son þ, par exemple), étant plutôt une conséquence historique de l’eldarin commun.

Remerciements

Ce travail doit beaucoup à l’article d’Helge Fauskanger sur le telerin (une partie de la liste de mots, notamment). Je voudrais aussi remercier Thorsten Renk pour ses remarques sur plusieurs points pour m’avoir procuré le vocabulaire du telerin premier.

Voir aussi

Sur Tolkiendil

Sur le net

1) Version originale : « Ulmo returned to the coasts of Beleriand, to bear them away to Valinor; for his care was for the seas of Middle-earth and the shores of the Hither Lands, and he was ill-pleased that the voices of the Teleri should be heard no more in his domain. »
2) PE 18, p. 22-107
3) PE 17, p. 19
4) PE 18, p. 80-81
5) N.d.T. : mais voir notamment « À quoi ressemble le quenya vanyarin ? »
6) , 19) , 133) PM, p. 402
7) Version originale : « The names Findaráto and Angaráto were Telerin in form (for Finarfin spoke the language of his wife’s people); and they proved easy to render into Sindarin in form and sense, because of the close relationship of the Telerin of Aman to the language of their kin, the Sindar of Beleriand, in spite of the great changes that it had undergone in Middle-earth. Artafindë and Artanga would have been their more natural Quenya forms […] ». PM, p. 346
8) VT 42, p. 25
9) , 92) VT 41, p. 16
10) VT 39, p. 9-10
11) Version originale : « But in Quenya the form telpe became usual, through the influence of Telerin; for the Teleri prized silver above gold, and their skill as silversmiths was esteemed even by the Noldor. Thus Telperion was more commonly used than Tyelperion as the name of the White Tree of Valinor. » UT, p. 266
12) Versino originale : « Though tyelpe remained in Q., telpe (with Q. syncope) became the most usual form among the Elves of Valinor, because the Teleri in their lands, to the north of the Noldor, found a great wealth of silver, & became the chief silversmiths among the Eldar. »
13) N.d.T. : il n’est pas certain que les Vanyar aient adopté telpe, étant donné qu’ils avaient pour la plupart déjà quitté Tirion avant que les Teleri n’arrivent finalement en Aman, et les derniers des Vanyar partirent seulement trois ans après que la construction d’Alqualondë ait débuté.
14) N.d.T. : mais noter que Celebrimbor est dit être fils de Curufin dans « Des Anneaux de pouvoir et du Troisième Âge », cf. Silm.
15) , 103) PM, p. 347
16) PE 17, p. 59-60
17) , 55) VT 41, p. 7
18) , 113) , 126) WJ, p. 383
20) PE 17, p. 154
21) SD, p. 429
22) , 148) VT 47, p. 18
23) PE 13, p. 155
24) SD, p. 247
25) Version originale : « For though this people used still their own speech, their kings and lords knew and spoke also the Elven tongue, which they had learned in the days of their alliance, and thus they held converse still with the Eldar, whether of Eressëa or of the west-lands of Middle-earth. And the loremasters among them learned also the High Eldarin tongue of the Blessed Realm […] »
26) Version originale : « In the morning before the feast Aldarion gazed out from the window of the bedchamber, which looked west-over-sea. “See, Erendis!” he cried. “There is a ship speeding to haven; and it is no ship of Númenor, but one such as neither you nor I shall ever set foot upon, even if we would.” Then Erendis looked forth, and she saw a tall white ship, with white birds turning in the sunlight all about it; and its sails glimmered with silver as with foam at the stem it rode towards the harbour. Thus the Eldar graced the wedding of Erendis, for love of the people of the Westlands, who were closest in their friendship. »
27) PE 14, p. 60-61
28) cf. VT 46, p. 28
29) WJ, p. 404
30) , 31) PE 13, p. 147
32) PE 18, p. 84
33) , 83) PE 18, p. 103
34) , 100) PE 13, p. 158
35) PM, p. 363
36) , 128) VT 48, p. 7
37) VT 48, p. 8
38) Version originale : « Comparative Tables »
39) PE 19, p. 25
40) VT 39, p. 10
41) VT 42, p. 7
42) VT 42, p. 8
43) PE 18, p. 45, 68
44) PE 19, p. 20
45) PE 19, p. 27
46) Version originale : « Outline of Phonology »
47) PE 19, p. 76
48) , 80) PE 18, p. 103-105
49) PE 19, p. 18, 21
50) , 164) PE 19, p. 23
51) , 95) , 97) VT 47, p. 6
52) , 177) VT 47, p. 14
53) VT 48, p. 21
54) , 110) , 120) Lettre nº 347
56) Version originale : « the shift from dental and labial and f to interdental þ and labio-dental occurred first in Telerin. » VT 41, p. 7.
57) PE 19, p. 22
58) PE 18, p. 44
59) VT 45, p. 7
60) , 122) , 168) VT 47, p. 23
61) , 147) , 159) VT 47, p. 42
62) VT 47, p. 12, 32
63) PE 18, p. 51
64) Version originale : « Short unstressed vowels were probably lost finally in Common Eldarin after l, r, n, m. Cf. *abaro ‘refuser’ > abar » ; VT 47, p. 13
65) WJ, p. 361, 365
66) , 156) WJ, p. 365
67) Version originale : « both *edelō and *edlō regularly became ello in Telerin. »
68) Version originale : « Telerin often lost ĕ, ŏ (not a) from older ē, ō (prim. C.E. ĕ, ă, ŏ were lost in Quenya, Telerin, Sindarin) after final sonant m, n, r, l and s, retained if in an accented syllable. » VT 47, p. 25
69) Version originale : « -m plural. Telerin pl. am, um, em. edulam. » VT 46, p. 29
70) VT 42, p. 6-7
71) PE 18, p. 30, 82 ; VT 46, p. 28
72) , 73) , 75) , 77) « Tableaux comparatifs »
74) PE 18, p. 105
76) RP, p. 432
78) PE 18, p. 105 ; « Tableaux comparatifs »
79) VT 45, p. 17
81) Version originale : « Outline of Phonetic Development »
82) PE 19, p. 36
84) PE 19, p. 74
85) « Esquisse de la phonologie »
86) WJ, p. 387
87) WJ, p. 388, 414
88) VT 47, p. 27 ; PE 17, p. 155
89) VT 47, p. 12, 14
90) Version originale : « kh became in all Eldarin tongues the spirant, and then initially h » VT 41, p. 9
91) VT 41, p. 13
93) PM, p. 347, cf. PE 17, p. 69-60
94) VT 48, p. 26
96) VT 47, p. 12
98) Version originale : « Thus No. 11 was called harma when it represented the spirant ch in all positions, but when this sound became breath h initially (though remaining medially) the name aha was devised […] »
99) Version originale : « The Quenya combination ht has the sound of cht, as in German echt, acht. » SdA, App. E
101) VT 47, p. 20
102) , 154) VT 42, p. 10
104) VT 42, p. 10 ; UT, p. 263
105) PE 19, p. 45
106) « Esquisse de la phonologie » en PE 19, p. 91
107) Version originale : « Omission by phonetic loss of the unstressed vowel (short) before the Common Eldarin accent was frequent in Sindarin between stops and l, r, and usual in Telerin in word-forms that remained not less than dissylabic. » VT 47, p. 9 ; comparer avec la note de bas de page en PE 19, p. 62.
108) VT 47, p. 8-9
109) VT 47, p. 35
111) , 119) , 123) UT, p. 266
112) SD, p. 302
114) VT 47, p. 9
115) VT 47, p. 13
116) VT 45, p. 25
117) Version originale : « Telerin telepe (in T. the syncope of second vowel in a sequence of 2 short vowels of the same quality was not regular, but occurred in words of length such as Telperion) » Lettre nº 347.
118) WJ, p. 364
121) , 170) PM, p. 318
124) WJ, p. 370
125) , 157) , 167) , 171) WJ, p. 371
127) PM, p. 341
129) PM, p. 346
130) , 152) VT 49, p. 31
131) PE 17, p. 14
132) VT 47, p. 21
134) , 166) WJ, p. 375
135) WJ, p. 361
136) WJ, p. 391
137) PE 17, p. 62
138) , 165) WJ, p. 369
139) SdA, Livre II, chap. 4
140) WJ, p. 368
141) , 142) VT 45, p. 28
143) VT 49, p. 24
144) VT 43, p. 30
145) VT 43, p. 16-17
146) SD, p. 129-131
149) PE 17, p. 77
150) VT 49, p. 48, 54
151) WJ, p. 366
153) VT 49, p. 28
155) WJ, p. 362
158) WJ, p. 363
160) VT 49, p. 51
161) VT 41, p. 8
162) PE 18, p. 104
163) PE 19, p. 24
169) VT 47, p. 8
172) Version originale : « eme “many”, -m plural » VT 46, p. 29
173) Version originale : « Telerin pl. am, um, em. edulam. »
174) Version originale : « In Telerin final n (< m, n) was not lost » VT 42, p. 24
175) Version originale : « *lepe […] An ancient plural formation from this with C.E. -m(e) was lepem(e) which eventually produced the word for ‘five’: T. lepen […] The Telerin form might go back to C.E. lepem with dissimilation of m: Common Eldarin final -m survived as such in Telerin, but as n in Quenya […] But more likely all three forms go back to late C.E. lepene with loss of the sense of plurality and addition of e. » VT 47, p. 10
176) Version originale : « Since Common Eldarin final -m became -n (with the same subsequent development as n in the descendant languages), it would appear that lepen, no longer felt as a plural formation, took the form lepenē̆ […] T. lepen : though it could < original lepem is probably < lepenĕ » VT 47, p. 24
178) VT 48, p. 6
179) VT 47, p. 11, 30-31
180) VT 47, p. 31
181) Lettre nº 167
182) Lettre nº 294
183) Lettres nº 213, 294
 
langues/langues_elfiques/telerin/enquete_langue_telerine.txt · Dernière modification: 08/07/2021 15:42 par Elendil
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