Carl Hostetter et Patrick Wynne — Novembre 1993 traduit de l’anglais par David Giraudeau |
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Articles théoriques : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs. |
Cet article est issu de la revue spécialisée à but non lucratif Vinyar Tengwar no 32 (p. 10—17) parue en novembre 1993. Il présente les fruits d’une recherche ayant pour but de démontrer la volonté de Tolkien de lier ses langues inventées à celles de notre monde, en l’occurrence par le biais de l’étymologie du mot anglais garden (fr. jardin).
Le traducteur remercie Carl Hostetter et Patrick Wynne pour leur permission de traduire ce texte en français et de l’inclure sur ce site internet. |
Il est dit que ces Hommes avaient des rapports depuis longtemps avec les Elfes Noirs à l’est des montagnes et avaient reçu d’eux une bonne part de leur langage ; et puisque toutes les langues des Quendi avaient même origine, la langue de Bëor et de son peuple ressemblait par un grand nombre de mots et de tournures à la langue elfique.
Cette rubrique a pour but d’examiner les mots et autres éléments linguistiques des langues de la sous-création de Tolkien possédant de possibles parents ou des éléments analogues dans les langues de notre monde.
Il y a des fées au fond de notre jardin !
Vous ne pouvez imaginer comme elles sont belles ;
Elles se lèvent toutes et dansent lorsque le Roi et la Reine des fées
Arrivent doucement en flottant sur leur char.
– Rose Fyleman, Fairies and Chimneys, New York, George H. Doran Co., 1920.
lors que la Compagnie de l’Anneau se prépare à descendre l’Anduin depuis la Lothlórien, ils rejoignent Galadriel et Celeborn sur un appontement au confluent du Cours d’Argent et du Grand Fleuve pour un banquet de départ « à la dernière pointe d’Egladil sur l’herbe verte » (LotR, p. 373 ; SdA, II/8, p. 407). Après le repas, le Seigneur et la Dame des Galadhrim présentent à chacun des membres de la Communauté un présent en souvenir du Bois Doré. Lorsque Galadriel s’adresse à Samsagace, elle lui dit (LotR, p. 375 ; SdA, II/8, p. 410) :
– Pour vous, petit jardinier et amateur d’arbres, dit-elle à Sam, je n’ai qu’un petit cadeau.
Elle lui mit dans la main une petite boîte de simple bois gris, sans autre ornement qu’une seule rune d’argent sur le couvercle :
– Ceci représente un G pour Galadriel, dit-elle, ce peut aussi bien évoquer un jardin dans votre langue.
Tolkien explique (LotR, p. 1133 ; SdA, App. F, p. 1228) que, dans le Seigneur des Anneaux, l’anglais est employé pour représenter l’occidentalien1) ou parler commun, qui était parlé comme une lingua franca par les habitants de la Terre du Milieu au Troisième Âge, et dont un dialecte, le hobbitique, était la langue natale des Hobbits. Aussi, lorsque Galadriel note que la rune G pourrait convenir à jardin (angl. garden) dans la langue de Sam, laquelle étant l’occidentalien. Nous disposons donc ici de ce qui, à première vue, peut sembler être une coïncidence remarquable : que le mot occidentalien signifiant « jardin », quelque qu’il puisse être, commence par un g-, tout comme le mot anglais.
Mais cette correspondance est-elle réellement une simple coïncidence ? Comme nous l’avons déjà démontré par le passé dans cette rubrique, il est clair que Tolkien cherchait à donner à ses langues elfiques inventées une parenté avec les langues du « monde primaire », en particulier celles indo-européennes. Puisque, comme nous allons le démontrer, l’occidentalien est originellement dérivé, du moins en partie, de la langue ancestrale eldarine, il n’est pas surprenant de trouver des mots occidentaliens visiblement apparentés à l’anglais.
ans l’appendice F du Seigneur des Anneaux, Tolkien décrit l’occidentalien comme « une langue humaine, bien qu’enrichie et polie sous l’influence elfique » (LotR, p. 1128 ; SdA, App. F, p. 1222). La nature et l’étendue de cette « influence elfique » devient plus claire après examen du développement historique de la langue.
L’occidentalien, également nommé parler commun, tire ses origines de l’adunaïque, la langue natale des Númenoréens. Selon le Lowdham’s Report on the Adunaic Languages (SD, p. 413—440), l’ancêtre de l’adunaïque dérivait partiellement du « nimrien primitif », i.e. du quendien primitif (SD, p. 414)2). Lowdham cite l’ad. Minal « ciel » et le q. Menel comme des exemples de parents de cette « communauté primitive de vocabulaire » (ibid.). À la suite d’une longue période de développement indépendant, l’adunaïque fut à nouveau en contact étroit avec l’elfique après l’arrivée des Edain au Beleriand et, par la suite, l’établissement de Númenor dans l’Ouest3). Sous l’influence du quenya, l’adunaïque, sous cette forme plus tardive, adoucit ses sonorités et emprunta de nombreux mots au quenya avec peu ou pas de changement de forme. Lowdham cite l’ad. lōmi « nuit », à partir du q. lóme (radical lómi-), comme exemple de ce genre d’apports tardifs (SD, p. 414—415).
Durant le Deuxième Âge, l’adunaïque fut également parlé au havre de Pelargir, l’une des nombreuses colonies númenoréennes des côtes occidentales de la Terre du Milieu. Là, l’adunaïque fut « mêlé à de nombreux mots des langues des Hommes moindres » et « il devint la langue commune qui se répandit ainsi le long des côtes parmi tous ceux qui étaient en rapport avec Númenor » (LotR, p. 1129 ; SdA, App. F, p. 1223). Après la Chute de Númenor , les Dúnedain employèrent l’occidentalien comme lingua franca dans leurs relations avec les peuples qu’ils gouvernèrent en Terre du Milieu, dont la plupart ne parlait aucune langue elfique ; et à cette époque, en plus des éléments elfiques déjà hérités de l’occidentalien via l’adunaïque, les Dúnedain « enrichirent la langue en y introduisant nombre de mots issus des langues elfiques » (ibid.).
À l’époque de la Guerre de l’Anneau, les Hobbits de la Comté et de Bree parlaient l’occidentalien en tant que langue natale depuis environ un millier d’années. Précédemment, avant qu’ils n’entrassent en Eriador, la plupart des Hobbits parlaient une langue humaine de l’Anduin supérieur, apparentée à celle des Rohirrim. Les Rohirrim et les Hommes des vaux supérieurs de l’Anduin descendaient des Edain parlant l’adunaïque des Jours Anciens (ou d’Hommes proches parents des Edain), et ainsi leurs langues possèdent une ressemblance avec l’adunaïque. Des traces de cette ancienne langue nordique des Hobbits furent conservées dans le dialecte hobbit de l’occidentalien, notamment dans les noms des jours, des mois et des saisons, ainsi que dans les noms propres et les toponymes.
Seule une poignée de mots occidentaliens ont été publiés4), et la plupart apparaissent dans l’appendice F du Seigneur des Anneaux5). Certains de ces mots, tels que kast « mathom » (LotR, p. 1136 ; SdA, App. F, p. 1232), sont endémiques au hobbitique, étant d’origine nordique. Nous ne savons pas si certaines des formes données dans l’appendice F était d’usage général ou spécifique au hobbitique. Mais comme le schéma historique explicité ci-dessus le laisse entendre, il n’est pas surprenant que certains de ces mots présentent des connexions évidentes avec l’elfique, qu’il s’agisse de véritables mots occidentaliens ou de mots hobbitiques d’origine nordique.
Tolkien note que que l’occidentalien tarkil était « un mot quenya employé en occidentalien pour désigner un descendant númenoréen » (LotR, p. 1131 ; SdA, App. F, p. 1226). Selon « Les Étymologies », l’élément final du q. tarkil (primitif *tāra-khil) dérive de la base KHIL- « suivre », et il s’agit probablement d’une forme suffixée de hildi « suivants, hommes mortels » (LRW, p. 364)6). ».)). Ce même suffixe -kil « *homme mortel » apparaît également dans l’occidentalien Banakil « halfling » (LotR, p. 1137 ; SdA, App. F, p. 1233)7). Voici quelques exemples de mots qui sont probablement des parents ou des emprunts de formes elfiques :
balc « horrible ». Il s’agit du premier élément de Balchoth, « un mot populaire d’origine hybride, de l’occidentalien balc « horrible » et du sindarin hoth « horde », appliqué à des peuples tels que les Orcs. » (UT, p. 313 n. 24 ; CLI, p. 711 n. 24), que l’on peut comparer avec le gnomique balc « cruel » (LT1, p. 250 ; CP p. 649 & PE 11 p. 21) et le noldorin balch « cruel » dérivé de la base eldarine ÑGWAL- « tourment(er) » (LRW, p. 377)8).
bas- « wick, wich »9) est un « ancien élément » que l’on observe dans le nom de village Galabas « Gamwich », qui est composé de galab- « jeu » + bas- (LotR, p. 1138 ; SdA, App. F, p. 1233) et que l’on peut comparer au sind. bar « demeure, foyer (de personnes ou de peuples) » (Silm., p. 356 ; Silm.VF, p. 352), comme dans Brithombar « *Havre près de la rivière Brithon » (Silm., p. 321 ; Silm.VF, p. 316) ou Dimbar « *Pays triste » (Silm., p. 356 {Silm.VF, p. 353). Le Gnomish Lexicon fournit le suffixe bar « habitant » ou “foyer”, -ham » (LT1, p. 251 ; CP p. 651 & PE 11 p. 22) et le terme qenya apparenté -mas « équivalent à l’anglais -ton, -by dans les toponymes » apparaît dans le Qenya Lexicon (ibid. & PE 12, p. 61).
karn(in)- « *divisé, fendu » dans Karningul, la traduction occidentalienne du sind. Imladris « Fondcombe » (LotR, p. 1134 ; SdA, AppF, p. 1229—1230). Cet élément peut être comparé au q. harna « blessé » < SKAR- « *blesser » (LRW, p. 386)10).
-nargian « *excavation » dans Phurunargian « Nain-excavation » (LotR, p. 1137 ; SdA, App. F, p. 1232), le nom occidentalien de la Moria. Cet élément peut être comparé au q. narki « déchirer » < NÁRAK- « déchirer, briser » (Ety p. 374)11)12).
nîn « eau » dans Branda-nîn « limite-eau », la réinterprétation par le peuple des Hobbits du sind. Baranduin, à partir de baran « brun doré » + duin « (grande) rivière » (LotR, p. 1138 ; SdA, App. F, p. 1234). Ce terme peut être comparé avec le sind. nen « eau », comme dans Bruinen « Sonoronde » (LotR, p. 200 ; SdA, I/12, p. 227). La variation entre e et i dans le sind. nen et l’occidentalien nîn peut être expliquer par le Lowdham’s Report, qui note que « les lettres avalloniennes ĕ et ŏ sont habituellement représentées [en adunaïque] par i et u, respectivement » (SD, p. 423).
zara- « vieux » dans Zaragamba « Vieuxbouc » (LotR, p. 1138 ; SdA, App. F, p. 1234) à comparer avec le q. yára « ancien, qui appartient ou qui descend de temps plus anciens » (LRW, p. 399). Pour le développement de y > z, cf. l’adunaïque azra « mer » (SD, p. 431), probablement dérivé de la base eldarine AYAR- « mer » (d’où le q. ear, aire ; LRW, p. 349).
-zîr « sage » dans Banazîr « Samsagace, à moitié-sage » (LotR, p. 1136 ; SdA, App. F, p. 1231) comparable au q. saira- « sage » et sairon « magicien » dérivés de la base SAY- « savoir, comprendre » (LRW, p. 385)13).
uisque nous savons que le mot occidentalien/hobbitique pour « jardin » commence par un g-, nous sommes particulièrement curieux de savoir à quel(s) son(s) d’une langue eldarine parente correspond le g- initial des mots et éléments occidentaliens/hobbitiques qui sont apparentés à des emprunts aux langues elfiques. Fort heureusement, il existe plusieurs mots et éléments occidentaliens/hobbitiques de ce genre :
-gad « rester » dans Ranugad « Hamfast, rester-à-la-maison » (LotR, p. 1136 ; SdA, App. F, p. 1231) comparable au nold. gad-, gedi « attraper », dérivé de la base eldarine GAT- (LRW, p. 358) et la base (peut-être apparentée) GAR- « détenir, posséder » (LRW, p. 357).
galab- « jeu » dans le nom de village Galabas « Gamwich » (LotR, p. 1138 ; SdA, App. F, p. 1234), dont le nom propre Galbasi, réduit en Galpsi « Gamgee », était populairement considéré comme un dérivé (ibid.). Il est comparable à la base GALA- « réussir (prospérer, être en bonne santé – être heureux) » (LRW, p. 357) et la base visiblement apparentée GALÁS- « joie, être heureux » (ibid.).
-gamba « bouc » dans Zaragamba « Vieuxbouc », Brandagamba « Brandebouc, Marchebouc » et Braldagamba « *Enivrant-bouc » (LotR, p. 1138 ; SdA, App. F, p. 1234). Ce terme est clairement apparenté à la base ƷAN- « mâle » d’où le dor. ganu et le q. hanu « un mâle (des Hommes ou des Elfes), un animal mâle » (LRW, p. 360).
Nous voyons que ces trois éléments occidentaliens/hobbitiques commençant par un g- initial correspondent à des bases eldarines avec un G- ou un Ʒ- initial. Nous pouvons donc supposer que le mot occidentalien/hobbitique signifiant « jardin » correspond, de manière similaire, à une base eldarine signifiant « jardin » avec un G- ou un Ʒ- initial, ou tout du moins ayant une signification suffisamment appropriée pour que le mot occidentalien/hobbitique pour « jardin » puisse en être raisonnablement dérivé.
e fait, il n’existe aucune base eldarine avec un G- ou un Ʒ- initial signifiant « jardin » (ni aucune base signifiant « jardin »). Ce qui n’est pas surprenant puisque la majorité de ces bases possède des significations générales et très simples à partir desquelles se développent des dérivés de sens différents mais néanmoins proches, souvent par l’ajout, de manière caractéristique, de divers suffixes. Par exemple, la base KIL- possède le sens général et abstrait de « diviser » mais avec l’ajout d’un suffixe de concrétisation, le mot quenya kilya « fissure, passage entre des collines, gorge » s’est développé (LRW, p. 365). C’est également le cas de nombreuses racines proto-indo-européennes hypothétiquement reconstruites, et en fait aucune racine p.-i.-e. signifiant jardin » ne se trouve dans le très massif Vergleichendes Wörterbuch der indogermanischen Sprachen (« Dictionnaire comparatif des langues indo-germaniques »). En lieu et place, l’anglais garden dérive de la racine *g̑herdh- ou *gherdh- avec la signification « tisser, lier » ou « saisir, encercler, clôturer, fermer, ceindre » (tome I p. 608). Cette racine est elle-même supposée être une extension de la racine plus simple *g̑her- signifiant « agripper, attraper, se saisir de » (tome I p. 603) que Calvert Watkins donne pour être *gher-1 « saisir, enclore » (p. 22). En plus de l’anglais garden, nous trouvons également dans les dérivés le tocharien tsar, šar « main » ; le phrygien -gordum « cité » ; le sanskrit grhá- « maison, demeure » ; le grec χείρ « main » et χόρτος « lieu clos, lieu d’alimentation, clos (fermier), pâturage » ; le latin hortus « clos, jardin » et cohors « clos ; compagnie de soldats » (d’où l’anglais moderne court) ; le vieil irlandais gort « champs de blé, culture » ; le gallois garth « enclos, jardin » ; le gotique gards « maison, propriété clôturée, famille » ; le vieux norrois gerð « enclos » et garðr « barrière, clôture, clos, ferme » (d’où l’anglais moderne garth) ; et le vieil anglais geard « portion de terrain clôturée » (d’où l’anglais moderne yard), plus généralement « possessions, propriété, demeure, maison » et même « la Terre » (comme dans middangeard « terre-du-milieu »). Le sens sous-jacent de tous ces dérivés est clairement celui de la possession, de choses en général, mais en particulier de la terre, par le biais d’une clôture (avec la main ou par des barrières, des murs, etc.).
’examen précédent de l’étymologie de l’anglais garden nous amène à présent à la source probable du mot occidentalien signifiant « jardin ». « Les Étymologies » donnent la base ƷAR- (LRW, p. 260) de pair avec une groupe de racines et de radicaux eldarins « très mélangés », soit :
ƷAR- « avoir, posséder », d’où q. harya- « posséder », harma « trésor, une chose de valeur », haran « roi, capitaine » et haryon « prince (héritier) » ; nold. ardh « royaume » et aran « roi » ; dor. garth « royaume ».
GAR, d’où q. arda « royaume », armar (pl.) « marchandises », arwa (adj.) « maître de, qui possède », qui sert également de « semi-suffixe » sous la forme -arwa « *ayant, possédant » comme dans aldarwa « ayant des arbres, planté d’arbres » ; nold. garo- (gerin) « je possède, j’ai » et garn « propre, propriété ».
GARAT-, d’où q. arta « fort, forteresse » et nold. garth de même sens.
Le sens sous-jacent de ƷAR- « *avoir, posséder » de ses racines, radicaux ou dérivés apparentés est clairement celui de la possession, de choses en général, mais particulièrement de la terre. Ce qui est indubitablement similaire au sens sous-jacent de la racine p.-i.-e. * g̑her- « saisir, enclore », son extention putative *g̑herdh-/*gherdh- « saisir, encercler, clôturer, fermer, ceindre » incluant le mot anglais garden. D’autre part, plusieurs dérivés de ƷAR- correspondent étroitement ou exactement à ceux de *g̑her-. Par exemple, nous avons vu que la signification du v.a. geard « portion de terrain clôturée » pourrait s’étendre à la Terre entière, comme dans middengeard « terre-du-milieu »), la demeure délimitée des hommes dont Tolkien note qu’elle était perçue par les Anglo-Saxons comme étant « clôturée par garsecg, la mer sans rivage, sous la voûte inaccesible du ciel » (MC p. 18). Cela correspond en tous points au q. arda « royaume » (cf. GAR ci-dessus), qui pourrait s’étendre à toute la Terre, sous la forme Arda, la « région clôturée » (MR, p. 7), que les Elfes savaient être encerclée par Ekkaia (MR, p. 157), « la Mer Extérieure qui encercle le royaume d’Arda » (MR, p. 54) et qui s’étend sous le menel, « le dôme apparent du ciel » (MR, p. 387). Compte tenu de cette corroboration étymologique, et du fait, exposé plus haut, que le g- initial occidentalien/hobbitique pourrait résulter du Ʒ- eldarin primitif, il est raisonnable de proposer que ƷAR- « *avoir, posséder » est la source probable du mot occidentalien signifiant « jardin », dont nous savons qu’il commence par un g-.
i le mot occidentalien signifiant « jardin » est en fait originellement dérivé de la base eldarine ƷAR- « *avoir, posséder », alors le fait que tous deux ainsi que l’anglais garden commencent par un g- est plus qu’une simple coïncidence ; il est bien plus probable qu’il s’agisse de mots apparentés, « qui jaillirent de la source commune » ƷAR- que Tolkien conçut intentionnellement dans ce but. Car si la similarité de signification entre la base eldarine ƷAR- « *avoir, posséder » et la racine p.-i.-e. *g̑her- « saisir, enclore » est flagrante, il n’aura pas non plus échappé au lecteur que la ressemblance de forme est également criante. Si cette similarité de sens et de forme fut construite intentionnellement par Tolkien (et ce serait une coïncidence incroyable sinon), alors nous pouvons affirmer avec certitude que Tolkien conçut un lien génétique entre ƷAR- et *g̑her-. La racine *g̑her- possèdent tellement de dérivés clairs dans tant de langues indo-européennes, et dans des langues aussi dissemblables que le tocharien et le gallois, qu’il serait excessivement improbable de les expliquer comme des emprunts d’une langue eldarine quelconque dans des langues séparées. Il semble plutôt que Tolkien construisit intentionnellement la base eldarine ƷAR- « *avoir, posséder » afin qu’elle soit conçue comme la source ancestrale ultime de la racine p.-i.-e. *g̑her- « saisir, enclore » et ses nombreux dérivés, et notamment l’anglais garden.
Ainsi, l’anglais garden est originellement un descendant eldarin, aussi pouvons-nous déclarer en un sens qu’il y a « des fées au fond de notre jardin ». En créant de telles connexions entre ses langues inventées et celles du monde primaire, Tolkien fournit une préhistoire mythique et elfique aux langues des Hommes. En retraçant ces lignées depuis la langue eldarine parente au travers de celles des Indo-Européens jusqu’aux nôtres, nous pouvons voir que notre monde porte encore la marque, même très usée, de leur ascendance elfique ; et elles nous semblent, tout comme Galadriel semblait à Frodon, « présente mais néanmoins distante, une vivante vision de ce qui s’en est déjà allé loin au-delà des courants du Temps ».