L’évolution de l’elfique primitif au quenya

 Cinq Anneaux
Helge Kåre Fauskanger — Décembre 2001
édité par Vicente S. Velasco — Mai 2003
traduit de l’anglais par Pascal Burkhard, Matthieu Leclerc, Lucas Zembrzuski,
Thomas Gaudry, Rose Méhouas, Corentin Domas & François Parmentier
Articles théoriquesArticles théoriques : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs.

Préface du traducteur initial (P. Burkhard)

Le présent article est, dans sa version originale, proposé dans un seul document pdf. Pour des raisons de lisibilités au niveau des différents notes de traduction et d’édition, nous avons décidé de diviser le document en plusieurs pages, suivant les sections du document d’origine. Les notes du traducteur sont précédées de N.d.T., les notes de l’éditeur, Vicente S. Velasco sont précédées de N.d.É. Les notes de l’auteur sont données sans aucune indication les précédant.

Préface de l’éditeur

Cet article a été initialement écrit par Helge Kåre Fauskanger dans le cadre de son site Ardalambion. J’ai pris la liberté d’éditer le texte original en me limitant en grande partie à corriger les erreurs grammaticales, à réorganiser et réduire les redondances du texte, ainsi qu’à changer quelques-unes des conventions orthographiques (majoritairement à cause des limitation du Rich Text Format) de sorte à ce qu’il soit aussi proche que possible des intentions de départ. J’ai limité mes propres commentaires, ajouts et annotations aux notes de bas de section1). Les notes de Helge, initialement éparpillées dans le texte, ont été mises en bas de page2). Helge a également eu la gentillesse de m’envoyer ses propres révisions et notes additionnelles afin de les inclure dans la version finale.

Abréviations utilisées dans cet article

Toutes les paginations renvoient aux éditions papiers, à moins d’indications contraires :

  • Étym. : « Les Étymologies », dans la Route perdue (Christian Bourgois éditeur, octobre 2008), p. 381-461.
  • Let : Lettres (de J.R.R. Tolkien), Christian Bourgois éditeur, octobre 2005.
  • SdA : Le Seigneur des Anneaux, Christian Bourgois éditeur, octobre 1995.
  • RP : La Route perdue, Histoire de la Terre du Milieu, tome V, Chrisitan Bourgois éditeur, octobre 2008.
  • LCP : Le Livre des contes perdus, Histoire de la Terre du Milieu, tome I-II, Christian Bourgois éditeur, janvier 2002.
  • QL : « Qenya Lexicon » (Qenyaquetsa), publié dans Parma Eldalamberon 12.
  • Silm : Le Silmarillion, Christian Bourgois éditeur, octobre 2005.
  • CLI : Contes et légendes inachevés, Christian Bourgois éditeur, octobre 2005.

Les abréviations référant à des langues sont, elles, conformes à l’usage Tolkiendil :

Introduction

Alors que de nombreux étudiants des langues de J.R.R. Tolkien sont enclins à se pencher sur les formes classiques, c’est-à-dire le quenya et le sindarin tels qu’ils sont supposés avoir existé à l’époque où prennent place les récits du Seigneur des Anneaux et du Silmarillion, l’auteur lui-même se concentre souvent plutôt sur la longue évolution de ces langues depuis les formes les plus primitive de l’elfique. Christopher Tolkien fait cette observation : « Mon père était peut-être plus intéressé par les processus de changement que par l’exposé de la structure et de l’utilisation des langues à une époque précise »3). Ailleurs, il commente la façon avec laquelle son père a élaboré un « développement historique minutieusement affiné du quenya et du sindarin »4).

Pour les spécialistes, le fait que le développement historique était si important pour Tolkien devrait être une raison suffisante pour en justifier une étude approfondie. Une compréhension plus profonde de la manière dont les langues sont supposées avoir évoluée au fil des âges d’Arda devrait également nous amener à une compréhension plus complète des méthodes, de l’esprit et de l’envergure du travail de Tolkien. Cependant, cette étude ne doit pas être entièrement « académique » : les gens qui veulent développer une langue de Tolkien comme le quenya en un système utilisable, voire créer de nouveau mots à partir des racines de Tolkien pour compléter le vocabulaire existant, doivent savoir quelle règle Tolkien lui-même a appliqué lorsqu’il a développé le vocabulaire du quenya. On peut discuter pour savoir si un mot quenya post-Tolkien peut être considéré comme un mot « authentique », mais tout le monde est d’accord pour dire qu’un mot qui n’est pas dérivé en accord avec les règles de Tolkien et qui ne s’insère pas dans son système ne peut en aucun cas être considéré comme authentique.

Ce qui suit est une liste détaillée (non « exhaustive » !) des changements phonologiques qui ont eu lieu durant l’évolution du quenya. Même si je décris brièvement la nature des changements, je me suis plus attaché à fournir une étude des changements observés qu’à formuler des règles abstraites qui semblent gouverner ces mutations phonétiques. Les changements ont été listés dans un ordre qui peut être supposément quelque chose de plus ou moins similaire à leur ordre chronologique. Le contenu a été regroupé dans les chapitres suivants :

Pour certains cas, on voit clairement à quel moment se situent les changements phonologiques (Tolkien a même parfois donné des indications explicites à ce propos). Dans de nombreux autres cas, c’est moins clair. Il faut comprendre qu’il ne s’agit là en aucun cas d’une liste « définie » et « canonique » en ce qui concerne la chronologie des mutations phonétiques du quenya. Cela dit, le matériel présenté ici est largement suffisant pour expliquer comment la vaste majorité des mots quenyarins ont atteint leur forme « classique » ou « contemporaine ».

Je mentionne beaucoup d’indices et de déductions qui peuvent éclairer l’ordre chronologique des changements, mais quand on étudie ces choses en détail, il devient rapidement évident que les ressources ne sont pas entièrement concordantes. Par exemple, Tolkien semble avoir eu des problèmes considérables à essayer de déterminer précisément quand l’abrégement des voyelles longues finales de l’elfique primitif a eu lieu. Quelques-unes de ses formes « reconstruites » peuvent impliquer, semble-t-il, que cela s’est déjà déroulé à l’époque de l’eldarin commun. Toutefois, la forme Valinōrē « Valinor » dans WJ, p. 413 implique que les voyelles longues finales étaient encore présentes alors que le b- initial était devenu v-, un changement entièrement spécifique au quenya (Voir aussi l’Appendice : Certains cas spéciaux).


Quelques questions pratiques : dans ses notes, Tolkien mentionne beaucoup de formes primitives, « reconstruites », et il place souvent un astérisque devant certaines formes ancestrales pour les marquer comme « non attestées ». Comme les « reconstructions » supposées par Tolkien lui-même peuvent tout de même être considérées comme faisant davantage autorité que les miennes, je les ai ici distinguées. Les formes reconstruites présumées par Tolkien sont marquées avec le symbole ¤ au lieu de *, l’astérisque étant réservé à mes propres reconstructions – formes qui sont réellement non attestées dans les écrits publiés par Tolkien. (Un double astérisque ⁑ marque une forme incorrecte.) La plupart des formes marquées ici par ¤ proviennent des Étym. Pour les formes primitives étendues mentionnées ici qui ne peuvent pas être facilement retrouvées, la liste de mots annexée à mon article sur l’elfique primitif apportera les références aux sources principales5).

Dans les sources, Tolkien marque souvent les voyelles longues au moyen d’un macron, une ligne au-dessus de la voyelle, nous allons donc les utiliser ici également : ā, ē, ī, ō, ū. Cependant, dans les formes du quenya que nous allons exposer en fin de document, les voyelles longues seront marquées, à la place, au moyen d’un accent : á, é, í, ó, ú.

Le son nasal ng, comme dans l’anglais king, est représenté ici par ñ, orthographe souvent utilisée par Tolkien lui-même6). Cependant, conformément à l’orthographe de Tolkien, les regroupements ng et nk (nc) en milieu de mot sont ainsi représentés (sans tilde), toutefois c’est techniquement ñg, ñk.

Les consonnes syllabiques sont ici séparées de la partie précédente du mot par un point, par exemple *hek·l (le l final étant syllabique, un peu comme l’anglais « little » est prononcé lit·l.). Une consonne syllabique initiale est suivie d’un point: *n·dūnē. Une consonne syllabique en milieu de mot est à la fois précédée et suivie d’un point: ¤kwent·r·o.

Pour écrire les formes primitives, Tolkien représente indifféremment la semi-voyelle y, comme dans l’anglais you, par un y ou un j (dans les Étym. telles que publiées dans la Route perdue, Christopher Tolkien a, dans la plupart des cas, modifié l’orthographe utilisée par son père, remplaçant les j par des y). Dans cette étude, nous avons constamment utilisé le graphème j quand des mots primitifs sont cités, passant au y quand nous aurons atteint les formes quenyarines. (Cependant, pour garder des références opérationnelles, nous gardons le y quand nous mentionnons des rubriques des Étym., par exemple YUR plutôt que JUR. Inévitablement, il y a quelques incongruences orthographiques, comme lorsque nous citons la forme primitive ¤wājā en nous référant à l’entrée WAY dans les Étym., mais les graphèmes j et y renvoient, de toute façon, aux mêmes sons dans toutes les formes elfiques.)

Les sons aspirés de l’elfique primitif sont marqués ici au moyen d’un h en exposant, comme dans ph, th, kh. (Dans les sources publiées, Tolkien écrivait simplement ph, th, kh.)

L’elfique contient certains sons labialisés, des consonnes prononcées avec les lèvres arrondies. La labialisation de la consonne est indiquée ici au moyen d’un w en exposant, par ex. kw, gw, nw, ñw. (Cependant, dans l’orthographe normale du quenya, kw est écrit qu7), et les autres groupes sont représentés par de simples digraphes en -w, par ex. nw. La distinction entre nw comme consonne labialisée unitaire nw et nw comme un simple groupement n + w n’est pas maintenu dans l’orthographe normale. En effet, Tolkien ne fait cette distinction dans aucun de ses écrits publiés.)

Les consonnes palatalisées sont ici indiquées au moyen d’un j en exposant, par ex. nj (= n palatalisé, comme la ñ espagnole) et tj (plus ou moins similaire au t initial dans l’anglais « tune »). Dans l’orthographe quenyarine, les sons précédents sont respectivement représentés par ny et ty, bien que ces combinaisons puissent également désigner les simples groupements n + y, t + y.

L’alphabet anglais contient des lettres spécifiques seulement pour deux sons fricatifs, f et v. Nous utiliserons également les lettres spéciales þ (plus ou moins égale au th anglais comme dans think) et ð (le son voisé anglais th comme dans these). La « fricative postérieure », la fricative g, Tolkien la représente par ʒ, donc nous allons également utiliser ʒ ici. Pour l’ach-Laut dans les formes ultérieures nous allons utiliser la lettre grecque χ (comme ch dans l’écossais loch — pas comme dans l’anglais church, un son qui n’apparaît dans aucune langue eldarine), mais nous allons représenter ce même son avec ch dans les mots sindarin.

Les w, n, m sourds sont ici représentés par les digraphes hw, hn, hm. Le digraphe hy représente, de la même manière, le y sourd (= ich-Laut allemand), comme dans l’orthographe normale du quenya.

À noter que, par l’introduction de ces règles orthographiques spéciales, la prononciation des mots primitifs « reconstruits » par Tolkien devient plus précise que par l’orthographe originelle. Bien que je sois convaincu du bien-fondé des interprétations faites ici, elles ne peuvent être prises pour une « vérité tolkienienne ». Par exemple, le mot cité ici comme ¤kwent·r·o (avec le symbole ¤ indiquant une forme primitive donnée en fait dans les documents de Tolkien) apparaît simplement comme « kwentro » dans sa source. Même s’il y a de bonnes raisons de présumer que le « kw » initial est censé être la consonne kw, unitaire et labialisée, et que le r est devenu syllabique à un moment donné, ces détails phonologiques ne sont pas directement confirmés par l’orthographe de Tolkien et n’ont pas d’autorité absolue.

Comme cette exposition chronologique aboutit à une forme reconnaissable de la langue quenyarine, nous allons adopter l’orthographe quenyarine visible dans le SdA. (Les conventions d’orthographe correspondantes sont exposées dans l’introduction de mon cours de quenya.) Nous avons déjà commenté l’usage du y à la place du j ; notons également l’usage du c au lieu du k, de même que le x est préféré au cs/ks, ainsi que l’utilisation du tréma sur certaines voyelles (ë est ainsi marqué lorsqu’il apparaît dans les combinaisons ëa, ëo). Ces divergences par rapport à l’orthographe des formes primitives ne suggèrent aucune distinction phonologique.

Nous allons maintenant tenter d’étudier les changements qui sont apparus pendant l’évolution du quenya depuis les premières formes d’elfique, aussi loin que les intentions de Tolkien puissent être reconstruites. Il faut comprendre que cette exposition chronologique se concentre sur les développements phonologiques : il y a eu évidemment des changements qui n’avaient rien à voir avec ces règles de mutations phonologiques (comme lorsque l’ancienne terminaison du pluriel -i a été remplacée dans beaucoup de cas par la terminaison -r – « un nouveau dispositif » d’après PM, p. 402).

Voir aussi sur le net

Sur Tolkiendil

Sur le net

1) N.d.T. : Notes de bas de page dans la présente traduction, marquées N.d.É. pour les distinguer des notes d’origines et des notes de traduction.
2) N.d.T. : Ces notes, comme mentionné, ne sont précédées d’aucune indication.
3) Version originale : « My father was perhaps more interested in the processes of change than he was in displaying the structure and use of the languages at any given time » LRW, p. 342
4) Version originale : « minutely refined historical development of Quenya and Sindarin », PM, p. 367
5) N.d.É. : Vous pouvez le télécharger sur cette page dArdalambion.
6) N.d.É. : Bien qu’il ait utilisé certaines lettres spéciales pour désigner le même phonème comme ŋ comme dans ŋoldo (Voir en particulier l’édition Ballantine du Retour du Roi en livre de poche, antérieure à 1994.)
7) N.d.É. : Je crois qu’il serait approprié de proposer une opinion différente, proposée par Lukas Novak dans le message Elfling no 7706 (2 janvier 2002). Il écrit à Helge Fauskanger :
« Tout au long de ton article, tu maintiens que les graphèmes [kw] et [kj] peuvent quelquefois renvoyer à des consonnes unitaires labialisées/palatalisées, puisque inter alia a) ils peuvent être initiaux ; et b) ils permettent une syncope, produisant virtuellement un groupement de trois consonnes [N.d.É. : voir chapitre 3, note 7].
« Cela ne me semble pas convaincant. La raison principale est que tu dois alors supposer qu’il existe à la fois, dans la langue, les simples groupements de ce type et leurs équivalents unifiées. Cela me semble très [im]probable (aucune donnée explicite ne le confirme, Tolkien n’a jamais [mentionné]… aucune différence dans [la] prononciation de ces lettres, bien qu’il se soit [permis] quelques variations mineures de prononciation comme la nasale n vs. [ñ?], lw vs. lv > lb, légères palatalisations de l en el, il, etc.). Je pense que ce fait peut davantage s’expliquer en reconnaissant [simplement] que ces groupements ont [une] position quelque peu exceptionnelle dans la langue — en raison du caractère [semi-vocalique] des sons y et w. Ils partagent simplement quelques caractéristiques (très visiblement, ils [allongent la syllabe dans laquelle ils se trouvent]), mais pas toutes [emphase originale]. Ton argument selon lequel “ce sont des consonnes unitaires car ils partagent tous certaines caractéristiques, tandis que ces groupements [non-unitaires] supposés ne les partagent pas toutes” est circulaire, car tu dois présupposer qu’il ne s’agit pas de groupements [non-unitaires] pour valider ta prémisse majeure. Si j’ai raison, le son hy ne devrait [pas] alors être seulement considéré comme un ich-Laut [ç], mais comme un “semi-groupement” ich-Laut similaire plus y [çj]. Autrement, il devrait y avoir deux phonèmes en Q : un si[m]ple ich-Laut en position initiale (par ex. Q hyarmen) et un ich-Laut avec y en position médiale (ou seulement dans une syllabe accentuée ?), ce qui semble improbable. »
Je remercie M. Novak de me laisser le citer directement pour la version révisée de son article, que j’ai modifiée par souci de clarté.
 
langues/langues_elfiques/evolution_quenya.txt · Dernière modification: 08/07/2021 15:35 par Elendil
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