Un chant de grand pouvoir: La construction par Tolkien de Lúthien Tinúviel

Clare Moore1) – 2021
Traduction de Jean Chausse - 2022

Cet article est initialement paru dans la revue de la Tolkien Society, Mallorn n° 62 (hiver 2021). Tolkiendil remercie chaleureusement Clare Moore, auteur de l'article, et la Tolkien Society de nous autoriser à republier ce texte ici. Nos remerciements vont aussi à Jean Chausse qui a traduit ce texte. L'article de Clara Moore a remporté en 2022 le prix du meilleur article de la Tolkien Society.

En 1954, J.R.R. Tolkien partagea pour la première fois à ses lecteurs son « conte principal » de Beren et Lúthien, dans un chant entonné par Aragorn pour les Hobbits, en pleine nature sauvage, lors de leur périple vers Fendeval dans La Fraternité de l'Anneau2). Ce chant n’était qu’une simple allusion à une histoire bien plus développée sur laquelle Tolkien travaillait depuis 1917. Cependant les lecteurs ne purent avoir accès à une version plus détaillée qu’après la publication posthume du Silmarillion par Christopher Tolkien en 1977. Depuis lors, de nombreux lecteurs ont cru que le Silmarillion était une œuvre parfaitement aboutie et entièrement de la main de J.R.R. Tolkien, même si le livre avait été publié par son fils. Pourtant, Douglas Kane a démontré que ces deux suppositions étaient fausses3). Confronté à une multitude de manuscrits, souvent inachevés et rarement concordants, C. Tolkien a dû décider par lui-même ce qu’il gardait, ce qu’il coupait et comment rendre le texte intelligible. De sorte qu’il peut être considéré comme co-auteur avec son père de l’ouvrage finalement publié.

Beren et LúthienBeren et Lúthien, paru en français en 2017 aux éditions Bourgois.

Malgré cet effort monumental de la part de C. Tolkien, le Silmarillion tel qu’il est publié et la version de Beren et Lúthien qu’il contient ne sont pas sans défauts, ce que Christopher lui-même reconnait d’ailleurs4). Kane fait remarquer que l’une des conséquences des choix éditoriaux faits par C. Tolkien est d’atténuer le rôle joué par les personnages féminins dans le Silmarillion5). Cette tendance est regrettable dans de nombreux exemples pointés par Kane, mais elle est particulièrement préjudiciable en ce qui concerne l’histoire de Beren et Lúthien car ce récit concerne l’un des personnages féminins les plus importants chez J.R.R. Tolkien. Pour mettre à jour la vraie nature de Lúthien pour J.R.R. Tolkien, il est indispensable de se plonger dans l’ensemble de ses brouillons, plutôt que de se reposer uniquement sur le Silmarillion.

Grâce à la publication des différents tomes de L'Histoire de la Terre du Milieu entre 1983 et 1996, ainsi qu’à celle du volume spécifique Beren et Lúthien en 20176), les lecteurs et les chercheurs ont désormais accès aux multiples versions du récit écrit par J.R.R. Tolkien tout au long de sa vie — versions compilées et annotées, mais non modifiées par son fils. Tom Shippey a identifié au moins neuf différentes versions de l’histoire. Chacune est différente par sa longueur, sa forme, et son degré d’achèvement7) :

  1. Le « Conte de Tinúviel »,
  2. « Le Lai de Leithian »,
  3. Le chapitre XIX du Silmarillion,
  4. « Le Premier Silmarillion » 8),
  5. « La Quenta Silmarillion »,
  6. « Les Premières Annales du Beleriand »,
  7. « Les Nouvelles Annales du Beleriand »,
  8. La chanson d'Aragorn,
  9. « Les Annales Grises ».

C. Tolkien a utilisé les cinq versions narratives majeures pour compiler le volume unique Beren et Lúthien. Ces versions sont le « Conte de Tinúviel », « Le Lai de Leithian », « L'Esquisse de la Mythologie » (que Shippey a rebaptisé Le « Premier Silmarillion »), « La Quenta Noldorinwa » (« La Quenta Silmarillion » selon Shippey), et la « Quenta Silmarillion (le chapitre XIX du Silmarillion pour Shippey). Les listes de Shippey et de C. Tolkien sont pourtant toutes deux des simplifications comparées à la complexité de la chronologie des manuscrits. En effet J.R.R. Tolkien a écrit de multiples versions du même brouillon et nous savons qu’il a parfois effectué des modifications sur un manuscrit bien des années après sa rédaction, plutôt que d’en récrire un nouveau.

Pour mon analyse du développement par J.R.R. Tolkien du personnage de Lúthien, j’ai suivi les choix de C. Tolkien dans Beren et Lúthien et j’ai comparé les cinq versions principales de l’histoire. Les évolutions qui apparaissent révèlent les changements introduits par J.R.R. Tolkien au fur et à mesure de ses révisions de l’histoire. J’ai laissé le chant d’Aragorn de côté car il est trop court et incomplet. J’ai fait référence au chapitre XIX du Silmarillion seulement quand il ne présente aucune différence avec le manuscrit de la Quenta Silmarillion. Je n’ai pas non plus exploité les différentes « Annales » car leur forme est moins narrative que les autres versions disponibles. A cause de leur format, les « Annales » ne présentent pas d’information intéressante que l’on ne trouverait pas dans les autres manuscrits9).

La première version connue (le « Conte de Tinúviel ») se trouve dans Le livre des Contes Perdus, une version du légendaire, qui incorpore encore l’idée d’origine d’une connexion entre notre monde et la Terre du Milieu, écrite entre 1917 et 192510). La deuxième tentative de J.R.R. Tolkien consiste en une version versifiée sur laquelle il a travaillé entre 1925 et 1931 appelée Le Lai de Leithian. En 1926 il a aussi écrit un résumé en prose pour son ancien professeur R.W. Reynolds intitulé Esquisse de la Mythologie concernant particulièrement « Les Enfants de Húrin ». En 1930 il écrivit la Quenta Noldorinwa, un manuscrit plus long que la très courte Esquisse. Après cela il rédigea la Quenta Silmarillion, sur lequel il travaillait encore en 1937 lors de la publication du Hobbit. Par la suite, son attention se focalisa sur sa suite du Hobbit. Comme C. Tolkien le souligne dans Beren et Lúthien, il s’est inspiré des deux brouillons de la Quenta Silmarillion pour rédiger sa version publiée dans le Silmarillion, mais en y apportant des changements éditoriaux11).

 Lúthien fuit Hírilorn.

Cet essai compare les changements apportés par J.R.R. Tolkien entre les versions du Conte de Tinúviel (le Conte), le Lai de Leithian (le Lai), l'Esquisse de la Mythologie (l'Esquisse), la Quenta Noldorinwa, (QN) et la Quenta Silmarillion (QS). Cette comparaison met à jour des différences importantes entre les différentes versions. Verlyn Flieger décrit ces variations comme parfois intentionnelles et parfois involontaires12). Ce qui est certain, c'est que J.R.R. Tolkien cherchait à inscrire sa « Matière de la Terre du Milieu » dans la même tradition que les manuscrits d’autres mythologies, comme les légendes arthuriennes par exemple ou les mythes de l’Antiquité classique. D’après Flieger, les différences involontaires sont dues au « vagabondage de son processus créatif »13). Même si nous ne pourrons jamais connaitre de l’intérieur le mode créatif de J.R.R. Tolkien, l’étude de ses nombreuses révisions révèle une direction claire pour le récit de Beren et Lúthien, et, tout particulièrement pour le personnage de Lúthien.

Quasiment tous les universitaires s'accordent à dire que Lúthien est un personnage entreprenant14), et absolument central dans le Légendaire (J.R.R. Tolkien l’a d’ailleurs reconnu lui-même dans certaines de ses lettres tardives). Mon étude vise à montrer que Lúthien ne présentait pas ces caractéristiques dans les toutes premières versions. Je prétends que les révisions successives ont peu à peu formé ce personnage puissant et entreprenant que les lecteurs ont découvert dans le Silmarillion et ont fait de Lúthien le personnage central de ce conte et même de toute l’histoire de la Terre du Milieu.

J.R.R. Tolkien a façonné une Lúthien de plus en plus puissante et en a fait l’actrice principale de son propre destin, ainsi que, dans un contexte plus large, du destin de toute la Terre du Milieu. Il a fait de sa voix et de son chant un outil de pouvoir de plus en plus efficace. Il a ainsi créé une forme de pouvoir, non genré, et il a fait de Lúthien une figure de pouvoir indépendante de sa féminité. J.R.R. Tolkien a progressivement transféré à Lúthien des prises de décisions et des actions, augmentant ainsi son action, son autonomie et sa capacité à prendre en main sa propre destinée (avec toutefois une exception que je discuterai ci-dessous). De plus, en développant son conte dans le contexte plus large de l’histoire de la Terre du Milieu, J.R.R. place Lúthien non seulement au centre du récit ses aventures à elle, mais il fait d’elle un personnage proéminant de tout son légendaire en la faisant peser sur le cours de l’histoire après elle.

La majorité des travaux sur l’histoire de Beren et Lúthien se concentre sur ses possibles sources : celtiques, romans courtois, arthuriennes, médiévales, classiques ou victoriennes15). L’inspiration trouvée par J.R.R. Tolkien dans sa propre vie est bien connue des chercheurs et des lecteurs16). La recherche, qui se concentre sur le conte lui-même, met souvent en lumière le chant de Lúthien, mais celui-ci est le plus souvent présenté comme des incantations magiques ou mis en perspective avec d’autres aspects de sa personnalité et ainsi édulcore sa vraie signification en tant que forme d’art. La plupart des chercheurs présentent son chant comme une connexion au divin, plutôt que d’y voir un pouvoir en tant que tel17). Même lorsque Klag écrit que le conte de Beren et Lúthien peut être lu comme une histoire à propos du pouvoir de la musique, elle ramène ce pouvoir à un simple chant d’amour et fait remonter la puissance de ce chant à la relation entre Beren et Lúthien.

D’autres critiques attribuent la source du pouvoir de Lúthien à l’amour18), à la pureté19), ou à son corps20). Bien des analyses de la manière dont Lúthien incarne son pouvoir dans le monde de J.R.R. Tolkien utilisent un prisme intrinsèquement sexué ou spirituel. Rawls considère que le pouvoir est un attribut masculin, même si des personnages féminins peuvent endosser des caractéristiques masculines et vice versa21). Ce qui génère une définition sexuée de la créativité, le chant étant une forme d’art typiquement féminin. Crowe accepte la conception de Rawls quant à la séparation entre masculin et féminin et classe les différentes formes de pouvoir entre pouvoir temporel (physique ou politique) et pouvoir spirituel. Les personnages féminins penchent du côté du pouvoir spirituel, même s’ils peuvent faire preuve de courage physique et de sens politique. Crowe classe le pouvoir de Lúthien comme spirituel. Coutras, elle aussi, accepte la conception sexuée du pouvoir de Rawls et considère que le pouvoir de Lúthien est théologique. De même, Enright adopte l’approche spirituelle en affirmant que dans le monde de J.R.R Tolkien le pouvoir des femmes obéit à une vision chrétienne en renversant la vision du pouvoir traditionnellement admise dans les sociétés séculières et en affirmant que le pouvoir de l’amour surpasse la fierté.

 Lúthien © Nasmith

J.R.R. Tolkien présente Lúthien comme une figure de pouvoir car elle a de l’influence sur les autres. Toutefois cette influence est différente du pouvoir politique détenu par une gouvernante comme Galadriel, ou la puissance physique dont font preuve les nombreux guerriers de la Terre du Milieu. Le pouvoir de Lúthien est direct, personnel et s’exerce par son chant. Le chant comme un moyen d’influencer les autres n’apparaît pas clairement dans les premières versions du conte mais cette idée émerge progressivement au long des différents brouillons. Dans le Conte, Lúthien danse lorsque Beren l’aperçoit pour la première fois et il tombe amoureux d’elle à cause de cette danse, ce que Lúthien reconnaît elle-même22). Même si J.R.R. Tolkien conservera la danse comme un attribut à part entière de son personnage, probablement à cause de la célèbre comparaison avec Edith, sa propre femme, dans le Lai il ajoute la voix de Lúthien :

« alors elle éleva sa voix claire et perçante
pleine d’une soudaine extase, elle chanta
un chant appris des rossignols »23).

Ici le premier contact entre Beren et Lúthien est le son de sa voix, et c’est son chant qui l’affecte. Dans le Conte, Lúthien utilise une combinaison entre son chant, sa danse et une cape enchantée pour faire sombrer ses gardes dans le sommeil24). Dans le Lai, J.R.R. Tolkien révise cela :

« ses gardes écoutèrent sa voix et tombèrent
soudainement prisonniers de son charme »25).

Sa chevelure, sa cape et sa danse sont toujours présents mais c’est bien son chant qui endort les gardes. J.R.R. Tolkien introduit là de manière explicite comme la manière propre à Lúthien d’influencer et d’enchanter (magiquement) les autres.

Le choix de J.R.R. Tolkien de remplacer dans cette scène la danse par un chant signifie plus qu’un simple glissement d’un art vers un autre. Vink a analysé ce déplacement de la danse vers le chant en examinant le changement dans le vocabulaire utilisé par J.R.R. Tolkien. Ce vocabulaire change radicalement selon les versions. Le rapport des occurrences entre “chant” et “danse” est de 4 pour 1 dans le Lai, tandis que l’on passe à un rapport de 16 pour 1 dans le chapitre XIX du Silmarillion26). J.R.R. Tolkien donne donc clairement la priorité au chant comparé à la danse. Vink en conclut que ces changements ne dénotent pas seulement une nouvelle version de l’histoire mais bien une conception nouvelle de la place de ce conte dans l’ensemble du légendaire. Un légendaire lui-même, à cette époque, en pleine évolution avec une nouvelle conception par J.R.R. Tolkien de la musique des Ainur27). Elle a certainement raison d’un point de vue global, mais J.R.R. Tolkien réalise aussi quelque chose de très spécifique dans son texte lui-même. Le passage d’une Lúthien dansante à une Lúthien chantante n’est pas seulement la preuve d’une nouvelle conception de sa cosmogonie par Tolkien, mais aussi d’une nouvelle conception de la manière dont elle exerce son pouvoir dans le conte. Le texte ne remplace pas seulement le mot « danse » par « chant », mais il décrit comment ce chant opère, comment Lúthien prend le dessus sur les autres, que ce soit sur le mortel Beren ou sur ses gardes elfiques mais aussi — plus tard dans le récit — sur les Valar eux-mêmes.

J.R.R. Tolkien a aussi modifié la forme de la supplication de Lúthien devant Mandos en introduisant le chant comme moyen pour elle d’influencer le Vala. Au tout début, J.R.R. Tolkien décrivait cette supplication comme une prière, sa « beauté » et son « apparence douce et délicate » émeuvant Mandos jusqu’à la pitié28). Dans cette scène, c’est son apparence qui permet à Lúthien d’obtenir la réalisation de son vœu le plus cher. Sa beauté y est son principal atout. Cependant, la beauté n’est pas en elle-même une manifestation proactive de pouvoir. Cette beauté pousse les autres à l’action, surtout les hommes, et souvent pour de mauvaises raisons, comme le souligne Whitaker29). Mais l’action est décidée par ceux qui contemplent sa beauté et non par Lúthien elle-même. Elle n’est pas l’instigatrice de son influence, et elle ne peut pas l’utiliser pour atteindre ses propres objectifs. En ce sens, sa beauté n’est pas une forme de pouvoir proactif, et ce n'est pas Lúthien qui exerce activement son influence sur qui que ce soit. A contrario, Lúthien peut entonner un chant à son gré et elle peut l’utiliser, de manière volontaire, pour arriver à ses fins. J.R.R. Tolkien en fait la démonstration dans la version de la QN lors de la scène devant Mandos — le Lai s’interrompt avant — en introduisant le chant :

« Elle alla dans la salle de Mandos et lui chanta un chant d’amour si beau qu’il en fut ému jusqu’à la pitié, ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant »30).

Désormais, c’est le chant de Lúthien qui apitoie Mandos et non plus son apparence. Dans sa révision de la QS, J.R.R. Tolkien fait même du « Chant de Lúthien devant Mandos » le titre d’un chapitre31), isolant ainsi cet épisode du reste du récit pour souligner la singularité et l’importance de ce chant.

J.R.R. Tolkien démontre la nature performative du chant de Lúthien lors de sa confrontation avec le plus grand des ennemis d’Arda. Tout comme pour sa première rencontre avec Beren dans le Conte, la scène avec Morgoth mentionne son chant mais se focalise sur son art de la danse32). Cependant dans le Lai, J.R.R. Tolkien change la scène pour insister sur sa voix :

« Sa voix s’éleva allant droit au cœur
Aussi pure que celle d’une trompette d’argent »33).

Dans la QS, J.R.R. Tolkien décrit son chant comme d’une « beauté insurpassable, et d’un pouvoir stupéfiant de sorte que Morgoth dût l’écouter impuissant et en fut aveuglé »34). Non seulement J.R.R. Tolkien fait de son chant son mode d’influence sur Morgoth, mais le langage utilisé dans la QS rend ce chant plus assertif et en fait un instrument de pouvoir. Son chant n’est plus seulement « pur comme de l’argent », il est puissant. Il exerce une forme de contrôle sur l’auditoire et agit physiquement sur lui. Il provoque le mutisme chez Beren et la cécité dans le cas de Morgoth.

Le chant de Lúthien face à Morgoth canalise tant de puissance, qu’il la vide de ses forces. Dans le Conte, Lúthien conserve son énergie après sa confrontation avec Morgoth, ce que montre son absence de fatigue lors de son évasion avec Beren. Quand ils font face à Karkaras — le premier nom de Carcaroth — Beren s’interpose entre le loup et Lúthien. D’après J.R.R. Tolkien, c’est une erreur car il empêche ainsi Lúthien d’exercer sa magie pour le protéger35). En décrivant cette initiative de Beren comme néfaste, il suggère que Lúthien serait encore capable de déployer un surcroît d’énergie. Il change cela dans le Lai et dans les versions suivantes en écrivant que Lúthien est trop épuisée pour exercer la moindre magie. Elle est « assombrie » et « épuisée »36). Ceci contraste avec la puissance qu’elle déploie face à Morgoth dans son chant, même si cette puissance n’a rien de physique. Son épuisement démontre que son chant était un déploiement de force qu’elle puisait en elle et qu’elle supporte le coût de cette débauche d’énergie.

Les révisions de J.R.R. Tolkien, non seulement établissent que le vrai pouvoir de Lúthien réside dans son chant, mais les modifications du texte révèlent que sa description de ce pouvoir est non sexuée et n’est pas exclusivement féminine. J.R.R. Tolkien a étendu son idée du chant comme instrument de pouvoir à toute la Terre du Milieu et bien au-delà du personnage de Lúthien. On en trouve le premier exemple dans les modifications apportées à l’épisode avec Tevildo. Dans le Conte, Morgoth capture Beren et l’envoie comme prisonnier à Tevildo, le prince des chats. Lúthien vient à la rescousse de Beren mais dans sa confrontation avec cette figure du mal, elle ne chante pas37). Dans le Lai, J.R.R. Tolkien remplace Tevildo par Thû, un nécromancien précurseur de Sauron. J.R.R. Tolkien introduit alors dans ce poème le personnage de Felagund (qui deviendra Finrod Felagund dans les versions suivantes). Il décrit la confrontation entre Thû et Felagund38). Plutôt qu’une compétition d’énigmes, comme prévu au départ dans ses notes, ces deux puissants enchanteurs se lancent dans un duel d’incantations qu’ils chantent l’un contre l’autre pour prendre le dessus. Cette confrontation entre Felagund et Thû, en montrant deux figures masculines rivalisant par le chant, établit, pour tout ce monde secondaire, le principe du chant comme une forme de pouvoir.

La création de chants n’est pas spécifiquement masculine ou féminine. La plupart des chercheurs classifient pourtant cette capacité comme féminine. Mais cette classification est assignée à J.R.R. Tolkien à cause de la version disponible à cette époque (le chapitre de C. Tolkien dans le Silmarillion publié), mais elle ne reflète pas la réalité de ses écrits. Melanie Rawls écrit que le chant est une forme féminine de créativité et de pouvoir, et cela même quand des hommes l’utilisent 39). Mais la manière dont J.R.R. Tolkien présente l’usage que font Lúthien, Sauron et Finrod du chant ne requiert aucune lecture sexuée. Le chant fonctionne de la même manière pour les trois personnages, peu importe leur sexe ou leur race. Sauron est un Maia, Finrod un elfe et Lúthien un croisement de ces deux races. En fait nous avons un écho de ce pouvoir du chant, interprété par un membre d’une race bien différente et bien plus humble lorsque Samwise Gamgee chante dans la tour de Cirith Ungol dans le Retour du Roi40). Nulle part J.R.R. Tolkien ne semble suggérer que ce pouvoir est réservé à une race ou un sexe particulier. Il ne donne pas non plus d’indice comme quoi un sexe aurait une meilleure aptitude pour le chant que l’autre. J.R.R. Tolkien ne niait pas l’importance du genre, et peut être que son insistance sur la beauté de Lúthien vise bien à renforcer son aspect féminin. Il est donc d’autant plus important de souligner comment il s’est peu à peu écarté de l’utilisation de la beauté de Lúthien comme outil pour influencer les autres. En changeant l’histoire pour faire de son chant le moyen performatif pour agir sur les autres, J.R.R. Tolkien s’est écarté d’une interprétation sexuée de son pouvoir. Le pouvoir de Lúthien n’est pas un pouvoir féminin, mais simplement un pouvoir — exercé au moyen d’un art.

  Lúthien et Huan, par Noei1984.

La plupart des études sur les pouvoirs spirituels en Terre du Milieu repose, elle aussi, sur une lecture sexuée. Par exemple Nancy Enright écrit que chez J.R.R. Tolkien les personnages féminins incarnent une forme chrétienne du pouvoir41). De son côté Coutras écrit dans son explication du pouvoir féminin chez J.R.R. Tolkien que

« la femme, de par sa nature spirituelle, est reliée au Divin d’une manière qui lui appartient en propre42) ».

Les lectures spirituelles du pouvoir offrent une clef de lecture à la charge de Théoden sur le champ du Pelennor, au duel de Glorfindel avec le Balrog et s’appliquent quasi systématiquement aux personnages féminins. Même quand il est attribué à des personnages masculins, le pouvoir spirituel reste, le plus souvent, décrit comme féminin ainsi que Rawls l’explique dans « The Feminine Principle ». De cette manière la conception du pouvoir spirituel repose sur une interprétation sexuée du pouvoir. Countras amplifie cette conception dans sa conclusion quand elle dit

« l’esthétique théologique présente dans le monde imaginaire de Tolkien atteint son point d’orgue dans les manifestations féminines du pouvoir »43).

En ce qui concerne Lúthien, l’interprétation d’un pouvoir spirituel féminin tourne principalement autour de son chant44). Cependant, cette attention portée au chant comme un pouvoir spirituel, masque bien souvent la forme d’art que ce chant représente et la manière dont J.R.R. Tolkien utilise cet art dans ses récits. Les chants de Lúthien entremêlent la beauté, la guérison et le pouvoir en dehors de toute théologie ou divinité. En Arda le chant existe comme une chose physique avec sa forme propre. La description qu’en fait J.R.R. Tolkien dans ce conte démontre un profond amour et un profond respect. Ce serait une erreur de laisser l’interprétation spirituelle prendre le pas sur l’art lui-même, alors que J.R.R. Tolkien prend soin de dépeindre la nature intrinsèque de ce pouvoir.

Les différentes révisions apportées par J.R.R Tolkien montrent non seulement l’amplification progressive du pouvoir de Lúthien sur les autres, mais elles révèlent aussi l’augmentation de son pouvoir sur elle-même. Lúthien est un personnage passif dans les premières versions quand on la compare aux autres protagonistes (Huan par exemple). Bien que l’un des personnages principaux de la narration, elle n’est pas vraiment un protagoniste dans le Conte. Le plus souvent les termes « personnage principal » et « protagoniste » sont considérés comme des synonymes. Il y a pourtant une légère différence de sens entre ces deux termes. Un protagoniste est celui « qui mène l’action » mais aussi « l’avocat ou le champion d’une cause précise »45). L’usage de ce terme implique non seulement que le personnage apparait plus fréquemment que les autres, mais aussi qu’il est le moteur de l’action. Dans les premières versions du conte, Lúthien est un personnage principal, mais sa passivité l’empêche de faire progresser l’histoire. Elle n’est pas le vrai héros de l’histoire.

Afin de faire de Lúthien le protagoniste du récit, J.R.R Tolkien a augmenté à la fois ses interventions et son autonomie. J’utilise ici « intervention » dans le sens d’une action, en particulier accomplie dans un objectif précis46). J.R.R. Tolkien donne petit à petit plus d’actions à Lúthien et le fait que ses actions produisent un effet précis est on ne peut plus clair. Comme le remarque Agan, Lúthien « prend en main sa destinée et crée les conditions nécessaires pour pouvoir choisir librement ce qu’elle souhaite »47). La direction auto-déterminée des actions de Lúthien établit son autonomie, c'est-à-dire sa « liberté par rapport à un contrôle ou une influence externe48)». En développant les interventions et l’autonomie de Lúthien, J.R.R. Tolkien la fait passer du statut de personnage important par ses fréquentes apparitions dans la narration à celui de protagoniste dont les agissements sont décisifs dans la suite de l’histoire.

La première manière par laquelle J.R.R. Tolkien a accru les interventions de Lúthien fut de lui donner un rôle plus actif dès le début du conte. Dans le Conte, Beren et Lúthien ne sont pas encore amoureux lorsque Beren fait son apparition à Menegroth, celui-ci la suit à son insu49). Alors que dans le Lai, Lúthien et Beren ont eu le temps de tomber amoureux l’un de l’autre avant de venir à Menegroth, ce qui veut dire que Beren n’est déjà plus un étranger pour Lúthien et qu’il a déjà du prix à ses yeux. Cette nouvelle nature de la relation entre Beren et Lúthien augmente les enjeux et rend les étapes suivantes plus lourdes de sens. Dairon — orthographié plus tard Daeron — originellement le frère de Lúthien avant de devenir un elfe amoureux d’elle les dénonce à Thingol. Quand elle en prend conscience, Lúthien arrache à son père la promesse de ne faire aucun mal à Beren avant qu’elle ne le lui amène50). Dans la QS, Thingol envoie ses gardes pour faire arrêter Beren mais Lúthien les devance et présente Beren à son père tel un invité de marque et non comme un prisonnier 51).

A chaque nouveau brouillon, Lúthien joue un rôle plus actif que dans le précédent. Dans la QS, elle garantit la sauvegarde de Beren en arrachant un serment à son père, guide elle-même Beren et se joue des gardes de son père. En faisant tout cela, non seulement elle se montre proactive mais elle prend le contrôle de la situation et la retourne à son avantage en faisant de Beren un invité d’honneur. J.R.R. Tolkien alloue aussi plus de place à Lúthien dans la défaite de Sauron. Quand Huan vainc Tevildo dans le Conte, c’est Huan qui fixe les termes de sa reddition et Lúthien ne joue aucun rôle dans la scène. Cependant, dans le Lai, elle participe activement par son chant et décide elle-même la rançon que Thû doit payer : le maître mot de sa forteresse. Elle le prive également de son enveloppe charnelle52). Elle est désormais un personnage actif qui joue le premier rôle.

De la même manière, J.R.R Tolkien a donné à Lúthien, au fur et à mesure, une plus grande part dans l’action lors de sa confrontation avec Morgoth en modifiant les circonstances de son entrée dans Angband. Il lui fait utiliser des déguisements et il change la façon dont elle décline son identité face à Morgoth. Dans le Conte, Lúthien pénètre dans Angband sans déguisement alors que J.R.R. Tolkien introduit les déguisements dans le Lai ainsi que dans les versions ultérieures. Lúthien donne, grâce à son chant, l’apparence d’un loup à Beren et elle-même se change en chauve-souris53). Non seulement ces déguisements donnent à Lúthien un rôle actif, mais ils jouent un vrai rôle dans son comportement devant Morgoth. Dans le Conte, Lúthien dévoile son identité54) alors que dans le Lai Morgoth perce à jour son déguisement et révèle son vrai nom après qu’elle a prétendu être Thúringwethil55). Cependant, ce pouvoir de Morgoth de deviner son vrai nom sera de courte durée car dans la QN, J.R.R Tolkien rend à Lúthien l’initiative de révéler qui elle est56). Dans la QS, non seulement Lúthien choisi de dire son nom, mais J.R.R. Tolkien ajoute « de tous les êtres de la Terre du Milieu, elle était la seul à pouvoir soutenir son regard »57). Arrivé à la QS, J.R.R. a pris soin que le rôle joué par Lúthien soit cohérent dans la défaite de tous ses adversaires : Thingol, Sauron et Morgoth.

Les allers et retours à propos de qui révèle l’identité de Lúthien — elle-même ou bien Morgoth — démontrent que l’accroissement des interventions de Lúthien n’a pas été linéaire. J.R.R. Tolkien a d’ailleurs aussi hésité sur ses agissements dans sa confrontation avec Thû/Sauron. Dans la QN Tolkien écrit que c’est Huan qui gagne les clefs et le maître mot de la forteresse et il ajoute que « la forteresse fut détruite », mais il ne dit pas par qui elle le fut58). Cette révision constitue une régression pour le personnage de Lúthien car elle perd la part dans l’action que J.R.R. Tolkien lui avait accordée dans le Lai. Cependant elle retrouve son rôle plus actif dans la QS. Elle y exige « la domination sur ta tour » et prend le pouvoir sur « tout ce qui s’y trouvait »59). Dans cette scène, tout comme dans celle ou Lúthien choisit de donner son nom devant Morgoth, J.R.R. Tolkien a finalement choisi de donner à Lúthien l’intervention la plus forte. Il y a pourtant un cas où ses révisions ont diminué le rôle joué par Lúthien et cette réduction est restée dans les dernières versions.

Les modifications apportées par J.R.R Tolkien sur la manière dont elle parait devant Mandos réduisent son action et la ramènent à une forme de passivité. Dans toutes les versions, Beren trouve la mort en combattant Carcaroth, le grand loup d’Angband. Dans le Conte, Lúthien meurt de chagrin60). J.R.R. Tolkien n’est jamais parvenu jusqu’à cette scène dans sa composition du lai, mais dans l'Esquisse il envisage deux possibilités. Soit Lúthien voyage à travers le Chaos des Glaces, soit Mandos relâche Beren après avoir entendu son histoire, ce qui signifierait que Lúthien ne se rendit jamais dans les salles de Mandos61). Certes, la formulation « certains racontent » laisse entendre que les deux traditions sont possibles. Toutefois, la version où Lúthien traverse le Chaos de Glaces pour retrouver Beren est plus dramatique. Les seuls autres êtres à avoir réussi cette traversée sont Melkor et Ungoliant après le vol des Silmarils, et Fingolfin et ses gens après que Fëanor et ses fils les ont abandonnés sans aucun autre moyen de traverser la mer. Lorsque Fingolfin et son peuple ont alors traversé cette région arctique, nombre d’entre eux périrent62). La traversée du Chaos des Glaces est une entreprise difficile et périlleuse. Envisager cette éventualité pour Lúthien lui aurait reconnu une force physique peu commune. Toutefois, J.R.R. Tolkien n’a jamais exploité cette piste jusqu’au bout. Dans la QN, il écrit que Lúthien, soit meurt de chagrin, soit qu’un aigle la transporte jusqu’en Valinor63). Dans la QS il semble s’être décidé pour la mort de chagrin de Lúthien64). Même si c’est un moyen de démontrer l’intensité de son amour pour Beren, mourir de chagrin est une action passive après tant de prises d’initiatives tout au long de sa vie. Le choix rédactionnel de J.R.R. Tolkien n’est donc pas une avancée mais un retour en arrière, un cas unique dans une suite de révisions soigneusement pensées par ailleurs.

Le rôle de Lúthien en tant que protagoniste peut paraître évident quand on voit que J.R.R. Tolkien décrivait l’histoire de Beren et Lúthien comme « l’histoire principale » de son légendaire dans une lettre à Waldman en 195165). Pourtant ce positionnement mérite d’être réaffirmé quand on voit comment de manière systématique les universitaires (et même parfois J.R.R. Tolkien lui-même) considèrent Beren comme le héros de l’histoire. En fait, dans cette même lettre à Waldman, J.R.R. Tolkien écrit

« C’est Beren ce mortel hors la loi qui réussit (avec l’aide de Lúthien, une simple jeune fille de sang elfique royal) là où des armées entières de guerriers ont échoué »66).

L’utilisation de parenthèses pour faire référence à Lúthien contribue à amoindrir son rôle dans la récupération d’un Silmaril sur la couronne de Morgoth. Dans le titre du chapitre qu’il consacre à l’analyse de ce conte, Shippey choisit comme titre « le Conte de Beren », passant totalement Lúthien sous silence67). Coutras omet également Lúthien de son index et y inclut Beren, alors même qu’elle se sert du personnage de Lúthien pour étayer ses thèses. Pourtant, J.R.R. Tolkien dans ses écrits démontre clairement que Lúthien joue un rôle actif et même essentiel dans la réussite de chaque grande aventure de l’histoire (sauf peut-être la mort du Loup Garou des mains de Finrod dans Tol Sirion). Beren n’est, en fait, qu’un personnage secondaire de l'histoire. Lorsqu’elle compare Beren et Turin, Flieger fait remarquer que le personnage de Beren n’est pas vraiment remarquable68). Lúthien est le personnage intéressant, celui qui mène l’action. C’est uniquement grâce à elle qu’un Silmaril est arraché à la couronne de Morgoth et pourtant on en attribue le mérite plutôt à Beren, bien qu’elle joue un rôle bien plus important.

 Lúthien et Beren © Nasmith

En plus de lui avoir donné le premier rôle, J.R.R. Tolkien a développé l’indépendance de Lúthien en mettant en avant sa liberté sur ceux qui tentent de la contrôler. Il l’a fait tout particulièrement en introduisant les fils de Fëanor dans l’histoire. Curufin et Celegorn manœuvrent Lúthien pour qu’elle les accompagne à Nargothrond, le royaume de Firond Felagund et en font leur prisonnière69). La prison est l’exact opposé de la liberté, mais c’est là l’important ; Lúthien s’évade, grâce à des complices, et se libère de l’emprise de Curufin et Celegorn, exactement comme elle a échappé au contrôle de son père en Doriath. Le contraste entre son emprisonnement et sa liberté crée une tension que J.R.R. résout en la faisant s’évader. Sa liberté l’emporte sur le reste. Son indépendance augmente même au fil du récit, de sorte qu’il n’est plus possible pour Curufin et Celeborn de la capturer une seconde fois. Lúthien est entièrement libre de décider de ses faits et gestes.

Thingol, les fils de Fëanor, Sauron, Morgoth et même Beren représentent une menace pour la liberté de Lúthien, mais J.R.R. Tolkien a aussi révisé son texte pour montrer combien Lúthien prend en main son destin. Dans le Conte, Lúthien « commença par se réjouir » de son emprisonnement dans la maison dans les bois qui suit le départ de Beren pour sa quête70). Cette attitude de Lúthien n’est pas surprenante dans la mesure où Beren et elle ne sont pas encore amoureux. Pourtant ce contentement est en contradiction avec l’état d’esprit que l’enfermement devrait produire chez une personne indépendante. Dès sa première révision, J.R.R. Tolkien change cet état d’esprit en la décrivant au désespoir dès le début de son emprisonnement. Il écrit même dans le Lai qu’elle cesse de chanter et de parler71). Si on considère que le chant et la parole sont indissociables de son identité, son silence est en contradiction totale avec une forme de plaisir dans son confinement. Son comportement devient cohérent avec son emprisonnement par son père. Elle déprime dès qu’elle ne peut plus faire ce que son cœur la pousse à accomplir et elle n’est satisfaite que lorsqu’elle retrouve Beren. Cette cohérence dans son comportement montre sa force de caractère et sa volonté de choisir par elle-même ses faits et gestes.

J.R.R. Tolkien met en conformité son état d’esprit dans sa révision de la scène où elle sauve Beren. Dans le Conte, après l’avoir tiré des griffes de Tevildo, Lúthien est déchirée entre son désir de suivre Beren dans les dangers qui l’attendent ou celui de rentrer chez elle72). Elle choisit finalement de l’accompagner partout tout en constatant « mon cœur a changé »73). Cependant, dans le Lai elle ne vacille pas dans sa résolution de rester aux côtés de Beren74). Dans la QS, Tolkien rend sa décision de suivre Beren encore plus irrévocable en mettant dans sa bouche une déclaration qui démontre son autonomie :

« Tu dois choisir Beren. Soit tu abandonnes ta quête et ton serment et tu erreras comme un réprouvé partout sur terre, soit tu restes fidèle à ta parole et tu oses défier le pouvoir des ténèbres sur son trône. Quel que soit le chemin que tu choisisses, je te suivrai et nous partagerons le même destin 75). »

Ces changements au fur et à mesure des différentes versions écartent le moindre doute quant à la volonté de Lúthien de faire ce dont elle a envie. Elle démontre une détermination sans faille qui se traduit dans tous les actes qu’elle pose tout au long de l’histoire. Même si elle est maitresse d’elle-même ses décisions ne sont pas égoïstes. Elles sont celles d’une femme décidée à atteindre ses objectifs.

Le meilleur exemple de cette indépendance se trouve lors du point d’orgue de toute l’histoire dans la description du « choix de Lúthien ». Ici encore, J.R.R. Tolkien n’a accordé une telle autonomie à Lúthien qu’après plusieurs révisions de la scène. Après sa mort, des suites des blessures reçues lors de son combat contre Carcaroth, Beren attend dans les cavernes de Mandos. Dans le Conte, Beren est un gnome (autrement dit un elfe)76), alors que dans le Lai il est un humain77). Ce changement de nature est important à cause de la différence de destin post mortem des humains et des elfes. Les humains sont mortels et à leur mort ils quittent le monde. Les elfes sont immortels, ils vivront jusqu’à la fin du monde, moment à partir duquel leur sort est inconnu. Quand les humains et les elfes meurent, ils vont dans les cavernes de Mandos. Les hommes y patientent avant de passer dans l’autre monde alors que les elfes attendent de se réincarner78). D’après Verlyn Flieger il existe une autre différence. Les Elfes sont liés par la musique des Ainur, leur vie est prédestinée par la Musique79). Les humains, au contraire, existent en dehors de la Musique et bénéficient d’un libre arbitre pour mener leur vie (Flieger, « Music and the Task »). Les natures, humaine de Beren, et elfique de Lúthien, sont donc essentielles dans les révisions apportées par Tolkien à ce qui se passe lors du « Choix de Lúthien ».

Dans le Conte, Mandos permet à Lúthien de conduire Beren depuis les cavernes de la mort jusqu’au monde des vivants80). Dans cette version du récit, Mandos décide ce que Lúthien doit faire. Elle n’a pas le choix, même s’il exauce son souhait d’être réunie à Beren. Comme Beren est un elfe, son sort et celui de Lúthien au-delà du monde n’est jamais mis en péril. Le Lai n’a jamais atteint cet épisode et l'Esquisse ne donne pas de détails. Dans la QN, Beren est un mortel et Lúthien est immortelle. Par conséquent leur sort post mortem est différent. Dans cette version, Mandos, permet à Beren de retourner en Terre du Milieu, mais il décrète que Lúthien deviendra mortelle81). Il ne donne pas encore à Lúthien le choix, même si le prix à payer pour réaliser son vœu est élevé. Elle doit abandonner son immortalité pour retrouver Beren.

Ce sacrifice que fait Lúthien augmente l’importance de l’enjeu, mais J.R.R. Tolkien ne donne toujours aucune initiative à Lúthien. Dans la QS, il donne le choix à Lúthien et a renforcé l’importance de celui-ci dans ces différentes révisions du texte. Dans la première ébauche de la QS, Mandos offre le choix à Lúthien et Beren : Ils peuvent résider en Valinor jusqu’à la fin du monde et ensuite suivre chacun leur destin ; ou ils peuvent revenir en Terre du Milieu mais Lúthien doit devenir mortelle pour que leurs destins finaux se rejoignent82). Beren et Lúthien prennent leur décision ensemble, même si c’est Lúthien qui doit se sacrifier. Ils choisissent la seconde option et Lúthien devient mortelle. Dans cette version, Lúthien participe au choix de leur futur commun. Ainsi J.R.R. Tolkien a alourdi le poids de sa responsabilité dans la décision. Dans les révisions ultérieures, il change une nouvelle fois la manière dont Lúthien doit choisir. Désormais, Mandos offre l’alternative à elle seule. Elle peut trouver refuge en Valinor sans Beren, et ils seront séparés éternellement. Ou elle peut revenir en Terre du Milieu avec Beren en abandonnant son immortalité83). Lúthien suit ce que lui dicte son cœur et choisit Beren en devenant mortelle. S’il y a une eucatastrophe dans ce conte, c’est bien à cet instant précis. Elle est dans cette victoire, même temporaire, sur la mort, cette fin (relativement) heureuse et cette façon de dominer son destin.

Au-delà de pouvoir choisir où elle ira après sa mort, la décision de Lúthien de devenir mortelle change la nature même de son existence et lui donne la possibilité de transcender son destin. Elle obtient ceci par ses propres mérites comme J.R.R. Tolkien le dit explicitement dans la QN quand il écrit que Lúthien a gagné le surcroît de temps qu’elle et Beren ont partagé après leur retour de chez Mandos84). Ce texte ne fait pas partie stricto sensu du conte de Beren et Lúthien. J.R.R. Tolkien l’a inclus dans le récit de la chute de Doriath. Pourtant cette formulation confirme que la capacité pour Lúthien de choisir son destin est due à ses exploits durant sa vie.

Lúthien est la seule personne à gagner cette possibilité de choisir son destin par ses propres forces et ses exploits. D’autres personnages (Elrond, Elros, et Arwen par exemple) ont aussi la possibilité de choisir parce qu'ils sont les descendants de Lúthien. Le choix d’Arwen n’est poignant que parce qu’il réplique le choix originel de son ancêtre Lúthien85). La seule autre personne à connaître une situation similaire à celle de Lúthien pourrait être Tuor, un mortel qui épouse une elfe et reçoit l’immortalité elfique86). Les circonstances de ce changement de destinée ne sont pas développées et nous ne savons pas s’il a la possibilité de choisir ou si ce destin lui est accordé indépendamment de sa volonté. J.R.R. Tolkien écrit lui-même en 1954 « il est supposé (et non établi) que [Tuor] a été l’unique exception à recevoir « l’immortalité » limitée des elfes »87). Même si on met de côté la question de la participation ou non de Tuor à son changement de destin, son cas est l’inverse de celui de Lúthien car il rentre dans la Musique plutôt que de la quitter.

 Lúthien devant le trône de Morgoth – Lionel Marty.

Dans l’épisode du choix de Lúthien, J.R.R. Tolkien rassemble ses développements sur le chant de Lúthien, sur son action et sur son autonomie pour créer le moment le plus évocateur de tout le récit. Son chant lui donne du pouvoir sur Mandos et ses actions courageuses, lors du sauvetage de Beren et de la récupération du Silmaril, la mettent en situation de déterminer sa destinée sans dépendre de personne, si ce n’est d’Ilúvatar lui-même. Ce résultat est obtenu grâce aux nombreuses révisions que J.R.R. Tolkien a faites à son texte et fait de Lúthien un personnage puissant. J.R.R. Tolkien a fait de Lúthien non seulement le personnage important d’un conte, mais il en a fait une figure centrale de l’ensemble de son légendaire.

Tout le processus de révisions successives de la part de J.R.R. Tolkien a fait de Lúthien le personnage le plus important de toute l’histoire de la Terre du Milieu. J.R.R. Tolkien, lui-même décrit dans sa lettre à Milton Waldman, écrite en 1951 soit près de dix ans après la dernière révision du texte, que ce conte de Beren et Lúthien était le « fil conducteur fondamental » de l’ensemble du Silmarillion, « et perdait sa pleine signification s’il était pris isolément ». Pourtant quand J.R.R. Tolkien a commencé cette histoire en 1917, c’était un conte qui se suffisait à lui-même, sans implications sur le reste de ses écrits88). Au fur et à mesure qu’il révisait son conte et qu’il développait le reste de son légendaire, J.R.R. Tolkien a accru le rôle joué par Lúthien dans l’histoire de la Terre du Milieu. Il y est parvenu en changeant la nature des Silmarils et en transmettant aux descendants de Lúthien un héritage dont les effets se feront ressentir tout au long du Premier et du Troisième Age.

Le changement le plus important apporté par J.R.R. Tolkien afin de faire de Lúthien un personnage central de l’histoire de la Terre du Milieu est l’importance accrue accordée aux Silmarils. Dans le Conte, les Silmarils sont fameux dans toute la Terre du Milieu et possèdent une forme de pouvoir sacré, mais « le sort du monde n’est pas lié à eux »89). J.R.R. Tolkien a inclus ces joyaux dans l’histoire de Lúthien pour la première fois dans le Lai90). Les Silmarils deviennent les dernières reliques de la lumière des Deux Arbres, créés par Fëanor et dérobés par Morgoth. La récupération de ces trois joyaux devient le sujet principal du Silmarillion et le fil conducteur de tout le Premier Age avec comme moteur le serment des fils de Fëanor de reprendre les Gemmes à quiconque les détient. J.R.R. Tolkien a combiné les deux histoires pour la première fois dans le Lai, entre 1925 et 193191). Le texte exact du Serment n’est pas donné dans le conte de Lúthien, car il a été prononcé bien plus tôt au cours du Premier Age et il n’est pas du tout inclus dans le Silmarillion publié. Celui-ci ne contient qu’un résumé du serment. C’est fort dommage, car, comme l’écrit Kane, « des mots même du serment suintent le pouvoir et l’effroi »92). On peut trouver le texte exact du serment dans les Annales d'Aman, que C. Tolkien estime pouvoir dater de 1958.

Ecrite après les principales versions du conte de Lúthien, la rédaction du serment aide à comprendre comment celui-ci interagit avec l’histoire de Lúthien et la rend incontournable dans tout le légendaire. Voici le texte complet :

Qu’il soit ami ou ennemi, qu’il soit immonde ou pur
Vassal de Morgoth ou Vala lumineux
Un Elda, un Maia ou un de leurs descendants
Un Humain, encore à venir en Terre du Milieu ;
Aucune loi, aucun amour, aucune fraternité d’armes
Aucune terreur, aucun danger pas même le Destin lui-même
Ne sauront le défendre de Fëanor et de sa lignée,
Quiconque cachera, thésaurisera ou tiendra en sa main
Gardera près de lui ou cachera au loin un Silmaril.
Nous en faisons tous le serment :
Nous lui donnerons la mort avant la fin des temps
Malheur à lui jusqu’à la fin du monde !
Et vous Eru Père de tous ! écoutez nos paroles,
Vouez-nous aux ténèbres éternelles si nous faillissons.
Sur leur montagne sainte que Manwë et Varda soient témoins
Et se souviennent de notre vœu93).

Ce serment est le moteur de l’action dans le Silmarillion où les fils de Fëanor sont en chasse des Silmarils. Le serment mène Fëanor et ses fils en exil, provoque les Massacres Fratricides et déclenche la guerre avec Morgoth. Il conduit aussi Fëanor à sa perte, après quoi ses fils, se retrouvent dans une impasse et peu empressés de récupérer les joyaux sur la couronne de Morgoth, malgré leur promesse. Ils ont perdu l’espoir de pouvoir l’emporter face à un ennemi aussi puissant. Pendant qu’ils tergiversent, Lúthien affronte Morgoth et devient le seul enfant d’Ilúvatar à récupérer un Silmaril. Les deux autres le sont par Eonwë, le Maia héraut de Manwë, et sont ensuite volés par Maedhros et Maglor. Lúthien réussit là où Fëanor et ses fils ont échoué. Ceci suffit à la mettre au-dessus de la plupart de ses contemporains et fait d’elle l’un des héros les plus importants d’Arda.

La force du serment semble en suspens quand les fils de Fëanor craignent de s’attaquer à Morgoth. Mais ils marquent aussi une pause durant le Premier Age lorsque Lúthien possède le Silmaril. Si on considère que le serment pousse Maedhros et Maglor à oser s’attaquer à Eonwë, leur manque de volonté de s’en prendre à Lúthien est une preuve de son pouvoir. Ils la craignent plus que les conséquences de manquer à leur serment. Toutefois la rédaction très spécifique du texte du serment autorise une autre interprétation de la relation entre Lúthien et le serment. J.R.R. Tolkien est d’une culture littéraire et historique dans laquelle il est d’usage d’utiliser des mots masculins pour désigner l’ensemble d’une population. Par exemple il parle “d’Homme” pour désigner l’humanité toute entière, y compris les femmes. Il ne faut donc peut-être pas accorder trop d’importance au fait que tous les mots utilisés dans le serment sont masculins. Il n’en demeure pas moins que le seul personnage à ne pas être affecté par ce serment est Lúthien, une femme.

 Lúthien monte Huan © Nasmith

Finalement, c’est bien la victoire de Lúthien sur Morgoth et sa récupération d’un Silmaril qui raffermit les fils de Fëanor dans leur résolution de reprendre leur guerre avec Morgoth. J.R.R. Tolkien écrit que les exploits de Lúthien ont fait découvrir à Maedhros que Morgoth n’était pas invincible et le convainquent de former son alliance pour récupérer les deux Silmarils de la couronne de Morgoth94). Enfin, les fils de Fëanor ne reprennent le fardeau de leur serment et ne partent en chasse du Silmaril de Lúthien qu’après qu’elle ait quitté le monde et qu’elle ait transmis son joyau à son fils.

Le développement par J.R.R. Tolkien des Silmarils et du serment a tout d’abord des conséquences sur les descendants de Lúthien. Cependant il utilise les interactions entre les Silmarils et ses héritiers pour que Lúthien continue à jouer un rôle actif dans la défaite de Morgoth au Premier Age et dans la chute de Sauron au Troisième Age. La majeure partie de ce rôle post mortem de Lúthien n’est pas racontée dans les différentes versions du conte. On la découvre dans d’autres parties du légendaire. Mais on en trouve toutefois des traces subtiles dans le conte lui-même. Dans le Conte, J.R.R. Tolkien n’écrit rien sur la vie de Beren et Lúthien après leur retour en Terre du Milieu, excepté qu’on avait pu les apercevoir danser et que « leur nom devint fameux au loin et partout »95). Comme il n’a jamais fini le Lai, ce poème ne donne aucun indice sur l’influence de Lúthien sur les évènements qui se déroulent après elle. Ni l'Esquisse, ni la QN ne donnent de détails à ce sujet dans le chapitre consacré à Beren et Lúthien96). J.R.R. Tolkien donne un premier indice dans la QS quand il écrit « par son choix les deux races furent réunies ; et elle fut le précurseur de bien d’autres »97). « Précurseur de bien d’autres » vise Dior et de manière plus importante encore, Elwing. C’est elle qui permet d’obtenir l’aide des Valar et donc la victoire sur Morgoth. Cette phrase vise enfin Aragorn et Arwen dans le Troisième Age.

Cet article est trop bref pour pouvoir se plonger dans les détails de « La ruine de Doriath » dont la version publiée dans le Silmarillion a été profondément modifiée par C. Tolkien98). La dernière version écrite par J.R.R. Tolkien se trouve dans la QN99). Sans analyser les différentes versions, retenons juste que Lúthien a transmis son Silmaril à Dior, ce qui entrainera la chute de Doriath et la mort de Celegorn, Curufin, Caranthir et de Dior100). Après la mort de ce dernier, son Silmaril revient à sa fille Elwing, laquelle épouse Ëarendil, le fils de Tuor et d’Idril. La suite est bien connue : Ëarendil met les voiles pour Valinor pour quémander l’aide des Valar pour vaincre Morgoth ; Les fils survivants de Fëanor attaquent le campement d’Elwing et celle-ci se jette à la mer avec son Silmaril et est transformée en cygne ; elle retrouve Ëarendil et tous deux naviguent jusqu’en Valinor ; ils parviennent à convaincre les Valar et ceux-ci débarquent en Terre du Milieu et défont leur grand adversaire ; ce qui clôt le Premier Âge101).

La réussite d’Ëarendil est reliée à Lúthien de deux manières. Tout d’abord il ne peut accéder à Valinor que grâce au Silmaril de Lúthien, car « les sages disent que c’est grâce au pouvoir de ce joyau béni qu’ils [Ëarendil et Elwing] purent naviguer sur des eaux qui n’avaient pas connu d’autres navires que ceux des Teleri »102). En 1967, J.R.R. Tolkien a écrit que c’est uniquement grâce à ce lien entre les aventures d’Ëarendil et celles de Beren et Lúthien que la navigation d’Ëarendil fut un succès103). La possession du Silmaril de Lúthien par Ëarendil est une condition nécessaire pour trouver Valinor, mais il est tout aussi nécessaire qu’il soit l’ambassadeur à la fois de hommes et des elfes. Ce qu’il peut être en sa qualité de descendant de deux mariages Homme-elfe. Ce double héritage en fait un ambassadeur qualifié auprès des Valar et est l’une des raisons pour laquelle les Valar l’écoutent et accordent leur aide. Donc, non seulement le descendant direct de Lúthien joue un rôle dans la défaite de Morgoth, mais c’est la récupération du Silmaril par Lúthien et son union avec Beren qui ont rendu tout cela possible.

L’usage de la phrase « précurseur de bien d’autres » par J.R.R. Tolkien annonce également l’histoire d'Aragorn et d’Arwen qui forme un écho dans le Troisième Age de l’histoire de Lúthien. Aragorn cause la chute de Sauron et restaure le royaume de Gondor finissant par là ce que Lúthien avait commencé à Tol Sirion. Arwen réplique le choix de Lúthien d’abandonner son immortalité et d’épouser un mortel. Ce qui donne toute sa signification au chant par Aragorn de l’histoire de Lúthien dans la Fraternité de l'Anneau. Aragorn et Arwen mettent le point final à cette longue histoire en réunissant les lignées de semi-elfes. Cette connexion entre ces deux histoires d’amour est bien connue, mais elle reste utile pour bien comprendre comment J.R.R. Tolkien a développé à la fois l’histoire de Lúthien et celle de toute la Terre du Milieu.

L’influence de Lúthien dans le Troisième Age va encore plus loin, car la lumière de son Silmaril brille sous le nom de l’Etoile d’Eärendil. Lumière capturée dans la fiole de Galadriel qui sauve Frodo et Sam dans leur voyage vers le Mont du Destin. Sam découvre même que Frodo et lui sont « toujours dans la même histoire »104). Ce qui est cohérent avec les mots de J.R.R. Tolkien dans la QS quand il dit que l’histoire de Lúthien « n’est pas terminée »105). Par conséquent la récupération du Silmaril par Lúthien sur la couronne de Morgoth joue un vrai rôle dans la défaite du camp du mal dans le Seigneur des Anneaux. Dans les cieux, l’héritage de Lúthien brille pour toujours.

L’histoire de Beren et Lúthien est une des premières histoires sur laquelle J.R.R. Tolkien a commencé à travailler dès les années 1910 et c’est une de celle qu’il continuait à remanier tout à la fin de sa vie en 1973. Ce conte est donc l’un des textes sur lequel il a travaillé le plus longtemps. C. Tolkien a dit que chacune des révisions successives avait rendu le conte plus proche de l’idéal que s’en faisait l’auteur106). Dans ce cas toutes ses révisions peuvent être interprétées comme son désir de créer un personnage de plus en plus puissant grâce à la maitrise de son art. De plus en plus important aussi pour toute l’histoire de la Terre du Milieu. Même s’il n’a jamais pu se satisfaire d’une version qu’il aurait considérée comme finale et n’a jamais publié son conte de son vivant, J.R.R. Tolkien a laissé derrière lui un chef d’œuvre.

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  • Richard West, « Real-world myth in a secondary world: Mythological aspects in the story of Beren and Lúthien », in Tolkien the Medievalist, ed. by Jane Chance, New York: Routledge, 2003, p. 259-267.
  • Lynn Whitaker,« Corrupting Beauty: Rape Narrative in ”The Silmarillion” », Mythlore, vol. 29, n°1, 2010, p. 51–68 (consulté le 7 août 2020).

Voir aussi sur Tolkiendil

1) Un grand merci à Robin Ann Reid pour ses conseils lors de la révision de ce document (remerciements de l'auteur dans l'article original, NdE).
2) La Fraternité de l'Anneau, livre I, chapitre IX.
3) Douglas Charles Kane, Arda Reconstructed: The Creation of the Published Silmarillion, Lahnham, MD: Leigh University Press, 2009, p. 23-24.
4) J.R.R Tolkien, Le Livre des Contes Perdus, tome II, ed. par Christopher Tolkien, New York: Del Ray, 1984, p.333.
5) D.C. Kane, Arda Reconstructed, op.cit., p. 26.
6) J.R.R. Tolkien, Beren and Lúthien, ed. by Christopher Tolkien, New York: Houghton Mifflin Harcourt, 2017.
7) Tom Shippey, The Road to Middle-earth, Houghton Mifflin Company, New York, 2003, p. 313-314.
8) Appelé aussi « L'Esquisse de la Mythologie », comme on le verra plus loin (NdE).
9) Même dans la création par C. Tolkien du chapitre « Beren et Lúthien » dans le Silmarillion publié, Kane note que C. Tolkien a principalement utilisé la Quenta Silmarillion, puisant peu dans les annales (p. 176-177).
10) La première version qui subsiste est déjà une deuxième version du texte. J.R.R. Tolkien a écrit ce brouillon sur un premier brouillon effacé (Beren et Lúthien, op. cit., p. 30).
11) Beren et Lúthien, op. cit., p. 219. Voir D.C. Kane, Arda Reconstructed, op. cit., p. 173-181 pour son analyse de la création de ce chapitre dans Le Silmarillion par C. Tolkien.
12) Voir p. 55 de Verlyn Flieger, « J. R. R. Tolkien and the Matter of Britain », Mythlore, vol. 23, n°1, 2000, p. 47–58.
13) Ibid.
14) C. Agan ; S. Beach ; M. Rawls, « Shadow Bride ».
15) R. Beare ; J.M. Downs ; C. Tuthill; V. Flieger ; T. Honegger ; J. Beal ; M. Librán-Moreno ; K. Colvin.
16) Voir J. Beal ; R. West ; T. Shippey.
17) Voir M.R. Benvenuto ; L. Coutras ; E. Crowe ; N. Enright ; M. Rawls ; A. Slack ; R. Vink ; L. Whitaker.
18) P. Brückner.
19) J.M. Downs.
20) C. Agan.
21) Voir p.100 de Rawls, Melanie, « The Feminine Principle in Tolkien », in Perilous and Fair: Women in the Works and Life of J.R.R. Tolkien, ed. by Janet Brennan Croft and Leslie A. Donovan, Altadena, CA: Mythopoeic Press, 2015, p. 99-117.
22) Les Contes Perdus, op. cit., p. 9-10.
23) Tolkien, J.R.R., The Lays of Beleriand, ed. by Christopher Tolkien, New York: Del Ray, 1985, p. 212.
24) Les Contes Perdus, op.cit., p. 18.
25) The Lays of Beleriand, op. cit, p. 249.
26) The Silmarillion, op. cit., p. 261.
27) Ibid., p. 267.
28) , 80) , 95) Les Contes Perdus, op. cit., p. 39.
29) Voir p. 63 de Whitaker, Lynn, « Corrupting Beauty: Rape Narrative in The Silmarillion», Mythlore, vol. 29, n°1, 2010, p. 51–68 (consulté le 7 août 2020].
30) J.R.R. Tolkien, The Shaping of Middle-earth, ed. par Christopher Tolkien, New York: Del Ray, 1986, p.138.
31) J.R.R. Tolkien, The Lost Road and Other Writings, ed. par Christopher Tolkien, New York: Del Ray, 1987, p. 332.
32) , 54) Les Contes Perdus, op. cit., p. 31.
33) The Lays, op. cit., p. 346.
34) Le Silmarillion, op. cit., p. 180.
35) Les Contes Perdus, op. cit., p. 33.
36) The Lays, op. cit., p. 358.
37) Les Contes Perdus, op. cit., p. 21-28.
38) The Lays, op. cit., p. 276.
39) The Feminine Principle, op. cit., p. 105.
40) Le Retour du Roi, livre VI, chapitre 1.
41) Voir p. 118 et p. 134 de Enright, Nancy, « Tolkien’s Females and the Defining of Power », in Perilous and Fair: Women in the Works and Life of J.R.R. Tolkien, ed. par Janet Brennan Croft et Leslie A. Donovan, Altadena, CA: Mythopoeic Press, 2015, p. 118-135.
42) Coutras, Lisa, Tolkien’s Theology of Beauty, Palgrave Macmillan, Londres, 2006, p. 227
43) Tolkien’s Theology of Beauty, op. cit., p. 230.
44) Voir Countras par exemple, p. 109.
45) « Protagonist », in Lexico (consulté le 8 avril 2021].
46) « Agency », in Lexico (consulté le 2 février 2021), et c'est moi qui souligne.
47) Agan, op. cit., p.168, c'est moi qui souligne.
48) « Autonomy », in Lexico (consulté le 2 février 2021].
49) Les Contes Perdus, op. cit., p. 10.
50) The Lays, op. cit., p. 226-227.
51) Le Silmarillion, op. cit., p. 166.
52) The Lays, op. cit., p. 303.
53) Ibid., p. 334.
55) Ibid., p. 352.
56) Shaping of Middle-Earth, op. cit., p. 136.
57) The Lost Road and Other Writings, op. cit., p. 331.
58) Shaping of Middle-Earth, op. cit., p. 134.
59) Le Silmarillion, op. cit., p. 175.
60) Les Contes Perdus, op. cit., p. 32.
61) Shaping of Middle-Earth, op. cit., p. 28.
62) Le Silmarillion, op. cit., p. 90.
63) , 81) Shaping of Middle-Earth, op. cit., p. 138.
64) Le Silmarillion, op. cit., p. 186.
65) , 66) Lettres, p. 149.
67) T. Shippey, The Road to Middle-earth, op. cit., p. 257.
68) Voir p.24 de Verlyn Flieger, « A Cautionary Tale: Tolkien’s Mythology for England », in Green Suns and Faërie: Essays on J.R.R. Tolkien, Kent, OH: Kent State University Press, 2012, p. 237-241.
69) The Lays, op. cit., p. 285.
70) Les Contes Perdus, op. cit., p. 17.
71) The Lays, op. cit., p. 244.
72) Les Contes Perdus, op. cit., p. 30.
73) Ibid., p. 35.
74) The Lays, op. cit., p. 312.
75) Le Silmarillion, op. cit., p. 177.
76) Les Contes Perdus, op. cit., p. 9.
77) The Lays, op. cit., p. 198.
78) Le Silmarillion, op. cit., p. 28.
79) Voir p.15 de Verlyn Flieger, « The Music and the Task: Fate and Free Will in Middle-earth », in Green Suns and Faërie: Essays on J.R.R. Tolkien, Kent, OH: Kent State University Press, 2012, p. 14-40.
82) Beren et Lúthien, op. cit., p. 229-230.
83) Ibid., p. 230.
84) Shaping of Middle-Earth, op. cit., p. 160.
85) Manwë donne à Eärendil, Elwing, et leurs fils le choix de déterminer « sous quelle famille ils seront jugés » (Le Silmarillion, op. cit., p. 249).
86) Le Silmarillion, op. cit., p. 245.
87) Lettres, op. cit., p. 193.
88) Ibid., p. 149.
89) Les Contes Perdus, op. cit., p. 52.
90) The Lays, op. cit., p. 231-232.
91) Ibid., p. 232.
92) D.C. Kane, Arda Reconstructed, op. cit., p. 111.
93) J.R.R. Tolkien, Morgoth’s Ring, ed. par Christopher Tolkien, New York: Houghton Mifflin Company, 1993, p.112
94) Shaping of Middle-Earth, op. cit., p. 139.
96) Ibid., p. 28, p.139.
97) Le Silmarillion, op. cit., p. 187.
98) Voir D.C. Kane, Arda Reconstructed, op. cit., p. 207-218.
99) Ibid., p. 207.
100) Shaping of Middle-Earth, op. cit., p. 161.
101) Le Silmarillion, op. cit., p. 246-255.
102) Ibid., p. 248.
103) Lettres, op. cit., p. 386.
104) Le Retour du Roi, livre II, chapitre 8.
105) The Lost Road and Other Writings, op. cit., p. 325.
106) Beren et Lúthien, op. cit., p. 14.
 
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