«
Car sache qu’en ce temps Aulë aidé par les Gnomes devisa alphabets et écritures et sur les murs de Kôr de nombreux récits sombres étaient couchés en symboles peints, et des runes d’une grande beauté y étaient aussi tracées ou incisées dans la pierre, et Earendel y lut nombre de récits prodigieux il y a longtemps de cela, et il se pourrait qu’il y en ait toujours un grand nombre à lire, s’ils ne se sont pas corrompus en poussière. »
1)
n littérature, l’expression lettres gnomiques évoque avant tout les apophtegmes des poètes moralistes comme Phocylide de Milet ou Théognis de Mégare2). Ce n’est donc peut-être pas le fait du hasard si les lettres gnomiques inventées par Tolkien présentent des ressemblances avec l’alphabet copte antique, héritier des traditions philosophiques grecques et égyptiennes. Cependant, dans le contexte du Légendaire, le qualificatif gnomique ne saurait désigner autre chose que les Gnomes ou Noldor. Cet alphabet était manifestement conçu pour représenter le noldorin, comme l’attestent deux séries d’inscriptions (voir ER 4). On peut transcrire la première par ILAM NAŊGÓLDAÞON « la langue des Gnomes ». La seconde donne GOLOEÐI(E)L, qui est probablement un autre nom pour le noldorin premier, dérivé de Golodh « Noldo »3), terme qu’on retrouve dans les « Noldorin Word-lists » et le « Noldorin Dictionary »4). Les lettres gnomiques sont uniquement attesté sur une feuille d’examen de l’Université de Leeds, ce qui les fait remonter à la période 1920-19255).
On ne dispose malheureusement d’aucune explication supplémentaire sur leur utilisation dans le cadre du Légendaire. Cet alphabet ne présente guère de similarité avec les systèmes d’écriture inventés par Tolkien à la même période (qenyatique, runes gondoliniques, etc.) et ne se rattache pas non plus aux variantes des runes germaniques qu’il employait. Il est toutefois probable qu’il s’agissait d’une écriture élaborée par les Noldor et utilisée au cours de leur séjour au Beleriand, bien qu’ils aient pu l’inventer avant leur départ de Kôr. Tolkien semble avoir étudié leur évolution diachronique. La plupart des lettres sont présentes en quatre exemplaires ou plus et présentent des changements assez importants entre une écriture script archaïque et une écriture cursive plus récente. La ressemblance est frappante avec l’évolution de l’« Usage noldorin » de l’« Alphabet de Dairon » décrit dans The Treason of Isengard6).
Dans les deux tableaux dont nous disposons, les lettres gnomiques sont ordonnées en colonnes qui correspondent approximativement aux trois premiers témar « séries » des tengwar. L’ordre n’est toutefois pas le même, les deux premiers témar étant inversés, de même que les tyeller « grades » correspondant aux occlusives sourdes et voisées. Il existe aussi d’autres différences de détail, comme le fait que la lettre pour ð est située à la place de n dans le tyellë contenant les lettres représentant m et ng, tandis que le n se trouve dans le tyellë du dessous7).