Quand l'Ainulindalë devient source d'inspiration

Benjamin Tisot – Décembre 2019
Article théoriqueArticles théoriques : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs.

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L'Arc et le Heaume n°6 - Ainulindalë et Valaquenta.

L'Arc et le Heaume n°6 - Ainulindalë et Valaquenta

Il y eut Eru, le Premier, qu’en Arda on appelle Ilúvatar ; il créa d’abord les Ainur, les Bénis, qu’il engendra de sa pensée, et ceux-là furent avec lui avant que nulle chose ne fût créée. Et il leur parla, leur proposa des thèmes musicaux, ils chantèrent devant lui et il en fut heureux. Un long temps s’écoula où ils chantèrent chacun seul, ou à quelques-uns, pendant que les autres écoutaient, car chacun ne comprenait que cette part de l’esprit d’Ilúvatar d’où lui-même était issu, et le sentiment de leur ressemblance mit longtemps à venir. Pourtant une meilleure compréhension leur vint à mesure qu’ils écoutaient et les fit croître en accord et en harmonie1).

C’est ainsi que tout commence dans le légendaire de J.R.R. Tolkien. En 1977, Christopher Tolkien, aidé par Guy Gavriel Kay, publie le Silmarillion d’après des notes de son père écrites sur plusieurs décennies. En introduction de cet ouvrage, l’« Ainulindalë », sous ses airs cosmogoniques, décrit la création d’Eä sous la baguette d’Eru Ilúvatar, dans une musique primordiale jouée par les Ainur jusqu’à ce qu’elle soit perturbée par l’intervention dissonante de Melkor et de ses deux violons, Makar et Meássë2), venus en renfort dans cette discordance. Quoi de plus normal, alors, que des artistes décident de s’inspirer de cette oeuvre pour, à leur tour, nous présenter leur vision de l’« Ainulindalë ». Pourtant ils mettent du temps avant de s’y intéresser et c’est, à priori, en 1984 aux États-Unis, que commencent les créations sur cette oeuvre avec « Ainulindalë - The Creation Story From The Silmarillion » de Frank Felice sous la forme d’un poème symphonique qu’il exécute dans une composition orchestrale.

En 1997, un groupe de black métal français aux accents médiévaux nommé Osgiliath3) s’empare de cette oeuvre pendant treize minutes, au son des flûtes et des grosses caisses rythmées. Comme on peut s’y attendre, le morceau démarre de manière lente et légère pour dévier ensuite vers la dissonance à environ la moitié, annonçant l’intervention de Melkor et de ses sbires. Chantée en français, la chanson reprend, pour les dialogues, la traduction de Pierre Alien. Le groupe n’en est pas à sa dernière interprétation de l’oeuvre du Professeur ; en effet, sur leur album « L’Ombre du Passé », on retrouve les titres nommés « Eärendel », « Au Poney Fringant » ainsi que « Gollum ».

L’année 2004 a été florissante chez les artistes et leurs approches de l’« Ainulindalë », sûrement dû à un certain engouement à la suite de la sortie de la trilogie de Peter Jackson. Les finlandais du groupe de fantasy métal Avathar4) publient leur vision sur l’album « Beyond The Spheres of the Mortal World ». Le couplet, sur un son de clavier, de gros riffs de guitare en pentatonique et chanté d’une voix rauque et gutturale (comme il en est bien souvent présente dans le style métal), tranche avec un refrain plus mélodieux, où les voix en choeur donnent un côté sacré à l’ensemble. Cette même année, le groupe français Ainulindalë5) nous présente, sur leur album « The Lay Of Leithian », leur version dans un style folk acoustique avec une première partie à plusieurs guitares, ponctuée de choeurs, suivie d’une deuxième nettement plus calme, aux sonorités venteuses accompagnant une mélodie langoureuse. La formation polonaise de Noro Lim6) offre, quant à elle, une version orchestrale avec violon, violoncelle, flûte traversière et piano.

En 2007, le stoner rock, sous-genre du rock et du métal qui se caractérise par des rythmiques hypnotiques et répétitives, n’est pas en reste puisque les argentins de Finger7), avec des sons de guitare lourds sur fond de houle, offrent un Ainulindalë instrumental atypique sur l’album « Los Muros de la Noche ». Toujours en Amérique du Sud, et plus précisément au Brésil, le groupe Renatonagano8), en 2012, entame le morceau dans un duo de guitares acoustiques accompagné d’un chant de basse, avant d’être entrecoupé par des vagues de batterie et de violoncelle. La même année, le groupe italien Galadhrim9) (habitué du légendaire) sort, huit ans après leur album éponyme, un nouvel album intitulé « The Elder Days » qui inclut une interprétation de l’« Ainulindalë ». Durant presque quatre minutes, une guitare acoustique, un violoncelle et une flûte accompagnent un choeur polyphonique, dans un style folk.

En 2013, toujours en Italie, Arcadia10) nous propose son titre ainsi que d’autres opus d’inspiration « tolkienienne » sur leur album éponyme. Le texte entonné en italien par la voix de la chanteuse Chiara Chiego, associée à un ensemble de cordes et à une guitare, nous emporte dans une ritournelle musicale sous la composition de Michele Chiego. Pendant ce temps, outre-Manche, c’est en guitar-hero que Raphael Campbell11), sur l’album « State of The Art », pendant près de six minutes, guitare en avant, s’exécute dans une mélodie rock langoureuse étirant des notes en longueur. C’est aussi cette année qu’un groupe de black metal viking nommé Draugûl12) (venu de Malte bizarrement) propose une version calme sur fond d’arpèges et de clavier, au son du cymbalum guidé par une guitare solo.

L’année suivante, deux groupes allemands proposent leurs interprétations ; Faelend13) sur « Children of Ilúvatar: Music from Middle-Earth » et Oonagh14) sur leur album éponyme. La première, en anglais, sous le titre « Avari Lullaby: Ainulindalë » a des sonorités guillerettes et champêtres chantées comme une berceuse irlandaise, tandis que la deuxième, en allemand, sonne plutôt comme une grosse production orchestrale, digne d’un concours de l’Eurovision.

Au cours de l’année 2016, d’autres interprétations voient le jour. Jonathan Morrison15), un compositeur australien, nous présente sa composition de plus de dix-sept minutes qui semble être une orchestration digitale alternant différents mouvements et représentant les différentes phases de l’oeuvre originale. Dans le même temps, le canadien Dave Tremblay, sous le nom de « Melopoeia16) », propose une approche beaucoup plus expérimentale de l’Ainulindalë, avec une composition phare de une heure et vingt-trois minutes décomposée en vingt-six séquences. L’intégralité du texte est lue ou chantée, ce qui explique la longueur, au fil des séquences qui s’alternent au rythme de l’action. À savoir : cet opus existe aussi en une version purement instrumentale. Plus récemment, en 2017, toujours dans le domaine expérimental, l’artiste russe Sergey Pakhomov17) nous propose pendant quarante-cinq minutes un bruit confus mêlant des bruits de crépitements de feu et de charrette roulant sur les pavés. L’Asie est aussi de la partie avec le groupe indonésien Apoteoza18). Encore une fois, c’est une formation métal qui s’y colle avec un morceau rapide et aussi rythmé qu’un cheval au galop.

Ainsi l’« Ainulindalë » a su inspirer bon nombre d’artistes, venus d’univers musicaux et de pays bien différents. Certaines visions semblent évidentes, telle l’apparition de protagonistes dissidents qui tranche nettement avec l’harmonie globale, tandis que d’autres paraissent plus capillotractées, bien que cela tienne au jugement de chaque auditeur. Beaucoup d’artistes s’y sont essayés avec plus ou moins de réussite. Certains annoncent clairement leur intérêt pour le légendaire par leurs noms, alors que d’autres travaillent l’« Ainulindalë » sans y prêter quelque autre attention. Il est tout à fait normal que « La musique des Ainur » soit le sujet parfait ; la Création mène à la création. Non seulement il s’agit d’une oeuvre majeure de la littérature anglo-saxonne, mais c’est aussi une belle façon de rendre hommage au « Professeur » John Ronald Reuel Tolkien. Je vous invite à effectuer une recherche sur les plateformes musicales telles que Bandcamp, Youtube ou Soundcloud pour découvrir ou redécouvrir les artistes qui proposent des versions de tous genres.

 
tolkien/etudes/ainulindalesource.txt · Dernière modification: 13/02/2023 14:46 par Isabelle Morgil
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