Conférence sur J.R.R. Tolkien

Michael Tolkien, traduit de l'anglais par Vivien Stocker – juin 2016
Note de lectureNotes de lecture : En tant que présentations ou compilations, ces articles sont les plus accessibles à tous les lecteurs. Aucune connaissance sur J.R.R. Tolkien n'est requise.
Cet article est une traduction de Lecture of J.R.R. Tolkien publié sur le site de Michael Tolkien. Nous le remercions d'avoir accepté la publication de cette traduction sur notre site.

Conférence sur J.R.R. Tolkien donnée devant
l’association de Science Fiction et de Fantasy
de l’Université St. Andrews,
le 2 mai 1989.

Peut-être devrais-je commencer par présenter brièvement mes compétences. Je suis le fils du second fils de J.R.R. Tolkien, Michael. Je suis né en janvier 1943 et j’ai fréquemment vu mon grand-père jusqu’à sa mort en septembre 1973. La question que l’on me pose le plus souvent est de savoir si c’est un fardeau d’avoir un nom comme celui-ci, car des questions me seront inévitablement posées. J’espère que la teneur de mes propos apportera une réponse suffisante. En dehors d’une invitation à la Norwich School, il y a quelques années, c’est la première occasion que j’ai de faire une conférence formelle sur mon grand-père ; et ma relation avec lui et son travail est de celles qui défient tout type de routine. J’espère ainsi qu’il n’y aura pas trop de digressions déroutantes ; j’espère aussi que ce que j’aurais dit sera vu comme une série de points de départ pour de futures questions et commentaires.

Je souhaiterais remercier l’Association de Science Fiction et de Fantasy car c’est pour moi un grand honneur et un plaisir de revenir à l’Université St. Andrews. J’ai eu la chance de recevoir une excellent éducation, ici, dans les années 1960, bien que je doive le confesser honteusement dans un contexte tolkiennien, étant tombé à la fois sous le charme de Henryson Dunbar et Douglas, et des poètes moyen-écossais, j’ai tout d’abord détesté et éprouvé du ressentiment envers les exigences des cours d’anglo-saxon et de moyen-anglais, bien qu’au final, les irrésistibles qualités de Beowulf et de The Wanderer, The Seafarer et de Sire Gauvain et le Chevalier Vert réglèrent rapidement et favorablement la question. Les reproches implicites des enseignants à propos de mon nom, de mes relations et de mes surprenantes indispositions n’aidèrent pas cet étudiant quelque peu « ronchon » (je reviendrai sur cette aspect de mes études en présentant la correspondance que j’ai eu à ce propos avec mon grand-père ; et accessoirement, je m’autorise à citer librement ses lettres à mon intention ; à peine une poignée d’entre-elles a été publiée et elles constituent l’un de ces paquets qui devraient être conservés dans une boîte anti-feu).

(En 1978, je les ai envoyées à Humphrey Carpenter lorsqu’il travaillait à la sélection que lui et mon oncle Christopher produisaient pour Allen & Unwin. Il m’écrivit, à propos de ma collection de lettres : « Elles sont pleines de bonnes choses de toutes sortes et reflètent la très grande portée de son esprit. »)

Les autres raisons pour lesquelles je suis heureux de revenir ici sont que j’ai continué à ressentir une affection particulière pour cette région du Fife1) (que j’ai, au grand étonnement de la plupart de mes camarades étudiants, arpentée et explorée de fond en comble). J’ai aussi toujours caressé le rêve de revenir enseigner dans cette université. Maintenant, en mettant les rêves de côté, j’ai le plaisir de prolonger un lien familial qui remonte 50 ans en arrière, à la conférence de mars 1939 au mémorial Andrew Lang, bien que je sois désolé de noter que, dans la biographie officielle de mon grand-père, cet engagement fut décrit comme l’une des « innombrables interruptions » qui l’empêchèrent de travailler au Seigneur des Anneaux. Cependant, il est clair que cette conférence ne fut pas seulement une distraction ; elle servit ensuite de base au remarquablement astucieux et souvent particulièrement spirituel, partial et intransigeant essai du Conte de Fées, connu sous le nom de « Tree and Leaf2) », qui entra dans le recueil d’articles en l’honneur de Charles Williams publié en 1947. Il a contribué à clarifier ses objectifs et l’orientation du Seigneur des Anneaux, et peut être pris comme un guide indispensable sur l’art et les concepts des fantaisies de Tolkien (si vous en avez besoin d’un !). Donc, ce qui peut être vu comme une distraction est en fait une redynamisation qui lui donna plus de confiance, comme celle de savoir à quel type de public l’entreprise pouvait s’adresser. Je ne sais rien à propos de l’occasion à St. Andrews ou de la manière dont la conférence originale fut reçue mais je tiens à souligner que St. Andrews était une niche dans la saga de Tolkien (dans de multiples sens !) et, plus loin, j’ai volontairement incorporé quelques citations et quelques commentaires de l’essai qui a évolué à partir de la conférence.

Lorsque j’ai accepté à mon tour, et après consultation avec les membres seniors de notre clan, une invitation à St. Andrews, j’ai proposé au secrétaire de votre association de parler de ma propre expérience de mon grand-père. Et dans un sens qui est au cœur de mon propos. Mais l’expérience est désespérément difficile à cerner et à catégoriser, et possède une brutalité inconstante et insaisissable quand vous avez le plus besoin de la rendre cohérente. Je pense que vous pouvez comprendre que lorsque que vous avez été proche de quelqu’un, il est difficile de séparer une masse de souvenirs et de réponses entrelacés. Il est souvent difficile pour moi de distinguer Tolkien en tant que personne de mon expérience de ses écrits et des nombreuses expériences indirectes qui transitent par les souvenirs et les réactions des proches, et en particulier, bien évidemment, ceux de mon père (qui mourut seulement 10 ans et demi après son père). En outre, simplement relier ou recréer ces expériences possède le grave danger de devenir sentimental, complaisant ou inintéressant, voire les trois à la fois. Ma formation littéraire, acquise en grande partie ici, m’a rendu particulièrement conscient de ce que je pourrais appeler l’« illusion biographique » : connaissez votre auteur intimement et vous aurez le « sésame ouvre-toi » de ses travaux ; c’est particulièrement tentant avec Tolkien, dont de nombreux écrits fictionnels semblent provoquer de fervents adeptes à des théories personnelles et programmatiques, qui pourraient même être justifiées par la manière dont le grand créateur tenait son couteau et sa fourchette ou, comme le dit Philip Larkin de M. Bleaney, « sa préférence pour la sauce au jus de viande ». Tolkien remarquait cela de façon amusante dans une lettre à W.H. Auden (en juin 1935). Ayant conçu la grande araignée Araigne, il disait :

« … s’il y a un quelconque rapport avec la mygale qui m’a piqué lorsque j’étais un tout jeune enfant, les gens sont libres de le penser… Je puis seulement dire que je ne m’en souviens absolument pas… je ne déteste pas particulièrement les araignées, et je n’ai aucun besoin de les tuer. D’ordinaire, je sauve celles que je trouve dans la baignoire3)… »

Cependant, je m’empresse d’ajouter que, même si je suis certain que je vais souvent simplement confirmer (ou en ajouter un peu) à ce que vous savez déjà, j’ai récemment fait la lumière sur l’intelligente critique de l’édition américaine de la Biographie de H. C. faite par un universitaire, un certain Dick Barbieri, qui fut l’un de mes collègues d’échange étudiant en 1978-9. (J’ai trouvé que l’article était, à certains égards, une approbation encourageante de mon entreprise.) Ce bref essai suggérait que le livre devenait trop impliqué en « racontant chaque détail d’invention et de révision durant les années où les grandes fantaisies de Tolkien étaient en gestation et, ainsi, négligeait de nous dire tout ce que nous aurions aimé savoir sur Tolkien l’homme, dans l’âge mûr. »

Je ne prétend pas être capable de relever ce défi et je soutiens que la publication des Lettres de Tolkien y a partiellement répondu, même si je ne suis pas certain que le verdict soit juste ; mais il indique qu’il y a encore un rôle valable et précieux pour le souvenir, même s’il prouvait seulement, à la fin, que tous les grands écrits transcendent l’écrivain lui-même. Il écrivait comme il le faisait à cause, mais aussi en dépit, de ce qu’il était. Ainsi, alors que je rappellerai souvent des détails superflus, j’essayerai néanmoins de les relier aux écrits lorsque cela semble pertinent. Mais je dois souligner que mon grand-père reste, pour moi, surtout l’homme qu’il était ; quelqu’un souvent si proche en mémoire que, pour être objectif, perspicace, et a fortiori avoir un parti pris sélectivement « littéraire » est virtuellement impossible.

Une autre confession que je dois faire est que je me sens découragé par l’immense et invisible compagnie des experts de Tolkien. J’ai lu la plupart de ce qu’il a écrit, parfois plusieurs fois à différents stades de ma vie — je peux comprendre par exemple qu’une lecture du Seigneur des Anneaux à quatorze ans diffère de celle de quelqu’un de 25 ou 40 ans — mais je peux seulement prétendre être une autorité sur ce à quoi ressemblait et ce que cela signifiait d’être son petit-fils (ce qui est devenu pour moi une partie intégrante de la lecture de son œuvre). Si, par hasard, j’arrive à aborder plus que cela — ce qui est, pour ainsi dire, mon exposé ou mon excuse pour me tenir ici, veuillez s’il vous plaît considérer cela comme une chance (ou peut-être comme un douteux bonus).

Puis-je en dire un peu plus au sujet des experts, au moins pour justifier certaines des insistances ou des biais qui suivront ? [Et sur la base de la connaissance des sentiments de mon grand-père, je considère que ce matériel convient à mes objectifs.] Lorsque le New Tolkien Companion de J.E.A. Tyler est sorti en 1979, j’ai lu un commentaire très intelligent d’un certain John Ezard, à propos de ces clés alphabétiques exhaustives sur les grandes fantaisies, dans un journal local du Lancashire (mes parents vivaient près de Clitheroe à ce moment-là).

Du livre, il disait : « Je trouve cela utile à petites doses : sur-utilisé il développe le défaut de la plupart des autres tomes (d’analyse) ; il suce la moelle des histoires. C’est aussi basé sur le prétexte évasif (que Tolkien en vint à regretter d’avoir encouragé) que la Terre du Milieu est réelle. » [{Je dois ajouter ici ce qu’il disait dans « Tree and Leaf », à propos du créateur de fantasy réalisant « la consistance profonde de la réalité4) » — un monde crédible en soi, de ses propres termes — une subcréation réussie pour ainsi dire.}] Peut-être alors, devint-il une victime de son propre succès. M. Ezard continue : « Pour certains lecteurs ce prétexte est devenue une désillusion. » Et ensuite, il ajoute quelque chose de crucial : « Peut-être qu’un jour, quelqu’un sera capable d’écrire l’étude très attendue sur les moyens littéraires par lesquels il donna vie à son monde. Le problème est que le CULTE fait qu’il est de moins en moins probable que quelqu’un soit capable d’aborder le sujet sans utiliser de pincettes. »

(Le problème est, je pense, que les critiques ne se contentent souvent pas de dire « c’est que x m’a fait » — ils doivent affirmer pseudo-scientifiquement qu’ils ont apporté le nec-plus-ultra de la théorie indiscutable.) Je suis certain que beaucoup d’entre vous ont lu la « fantaisie universitaire » merveilleusement soutenue « Changement de décor » de David Lodge et se souviendront du plan du Professeur Maurice Zapp pour anticiper globalement chaque théorie ou dissertation future sur la vie et l’œuvre de Jane Austen. Un beau morceau d’ironie à double-tranchant car il exprime à la fois l’absurde ambition critique mais aussi un malaise au sein de l’ensemble de l’industrie. Je cite (Penguin éd., p. 44) :

« L’idée était d’être complètement exhaustif, d’examiner les romans sous chaque angle concevable : historique, biographique, freudien, jungien, existentialiste, marxiste, structuraliste, allégorico-chrétien, éthique, exponentiel, linguistique, phénoménologique, archétypal et j’en passe ; ainsi lorsque chaque commentaire aura été écrit il n’y aura tout simplement plus rien à dire à propos du roman en question… Après Zapp, le reste était silencieux. »

D’une certaine manière, maintenant que j’ai dit ce que j’avais sur le cœur, mon introduction est terminée et, comme le serpent blessé d’Alexander Pope « se traine avec peine », je vais aborder plutôt vaguement ce qui est pour moi un souvenir essentiel et indissoluble de ma vie — celui de Tolkien comme philologue.

Et nous devrions d’abord abandonner les associations académiques souvent arides de ce mot. Si un poète se distingue des autres hommes en tout, c’est sûrement par son amour des mots. Les Anglo-saxons parlaient de déverrouiller leur « coffre à paroles », par exemple dans Beowulf, v. 258-259 :

Him se yldesta . answarode
werodes wisa . wordhord onleac
(Le chef alors lui fit réponse, le meneur de la compagnie ouvrit sa réserve de mots5))

Les mots sont un produit qui doit être utilisé avec prudence et révérence. Dans Le Conte du Marchand, Chaucer cite un poème latin tardif et parle du mariage de Mercure (l’esprit vif et créatif) avec Philologie (l’amour des mots). [Ainsi, je veux dire par là qu’il était pour moi un philologue, pas seulement dans le sens technique mais aussi dans un sens presque physique du ressenti, que les mots avaient un type particulier d’animation devant être médité, savouré et palpé.] Cela inclut mes plus anciens souvenirs de lui lors d’évènements familiaux, habituellement des repas avec différents fils de conversation entrecroisés. Incidemment, il semblait posséder l’art de mener plusieurs dialogues à la fois, y compris une sorte de monologue à voix basse, ou de soliloque, si quelque chose de linguistique nécessitait réflexion. Il pouvait commenter les avantages et inconvénients d’une certaine recette, explorer l’étymologie erronée du nom d’un endroit de banlieue ou se divertir du récit d’un personnage excentrique, tout à la fois. Consciemment ou inconsciemment, il prit rapidement, dans mon imagination, le rôle de l’autorité suprême sur des sujets tels que les origines des noms et les caprices des mots dans leur usage et abus. Il aimait à exploser ou exposer des hypothèses communes : il le faisait avec tant d’enthousiasme, de rapidité et de manière si écrasante que l’on était obligé de se taire et d’acquiescer.

Mais il respectait aussi les mots qui étaient déroutants et était plutôt heureux de leur nature insaisissable. (Tolkien était, dans mon souvenir, autant un grand exploseur de mythes que leur créateur, bien qu’il maintenait souvent qu’il explorait plus qu’il n’inventait les mythes dont il était crédité !). Plus particulièrement, il attaquait les légendes formulées par des conceptions erronées de sa vie, des attitudes ou des écrits issus de la prolifération de critiques, d’interviews et de théories dans les années 1960.

Je crois que sa formation académique rigoureuse lui donnait un grand avantage (mais ajoutait aussi à son impatience frustrée) pour obliger les gens à faire face à la manière nonchalante dont ils usaient des mots et des phrases. Vous pouvez le voir dans certaines lettres très amusantes qu’il me retarderait de citer, mais je vous recommande de lire son analyse de l’interview au Daily Telegraph Magazine en 1967 (Lettre n°294) et celle de l’introduction et des appendices de la traduction suédoise du Seigneur des Anneaux (Lettres n°228, 229).

Mon appréciation de cet aspect de Tolkien est vraiment rétrospectif du temps où j’étais étudiant en littérature. Il ne m’a certainement pas influencé lorsque j’étais enfant ou adolescent à étudier les origines du langage ou même à avoir la curiosité des mots. Je dois plutôt remercier les cours de langue. Ensuite, j’ai aussi développé un respect beaucoup plus spécifique pour et un désir de consulter sa connaissance phénoménale ainsi que ses vivants pouvoirs d’exposition. J’ai senti, dans ses lettres (nous correspondions beaucoup dans les années 1960) qu’il était heureux quand mes études linguistiques devinrent une poursuite positive plutôt qu’une corvée subie. Il me faut citer en particulier les lettres du 6 janvier, du 16 septembre et du 30 octobre 1965 :

« … J’ai apprécié de recevoir une lettre de ta part plus que tout autre chose. Je regrette que mes Gauvain et Pearl ne paraissent pas à temps pour t’aider (s’ils paraissent) : principalement en raison […] de ma découverte de nombreux points secondaires concernant certains TERMES […] ce qui m’en a détourné. {Puis parlant en détails du processus de traduction et du public visé, il termine :} « Mais en réalité, je suppose qu’il s’agit seulement d’un divertissement pour moi6). » {Il suggère ensuite que je pourrais aimer Le Retour de Beorhtnoth fils de Beorhthelm et l’essai qui l’accompagne puis dit :} « Je suis heureux que tu aimes la littérature ancienne et j’espère que tu seras récompensé pour ton travail par de dignes examinateurs […] Tu es dans mon cœur et mes pensées… »

En septembre 1965, il écrivit : « Je suis bien évidemment très intéressé par tout ce que tu as à m’apprendre sur son travail et tes goûts. J’aurai pu t’apporter plus d’aide et de conseils (aurait-on pu penser) surtout sur les parties de ton travail pour lesquelles je possède une connaissance particulière. Mais je fus tellement sous pression alors que tu étais à St. Andrews… (je fais en particulier référence à la bataille sur l’édition PIRATE du Seigneur des Anneaux d’ACE Books aux USA) Si tu habitais à proximité, je pourrais faire en une heure ce qui prendrait des jours à faire de façon moins satisfaisante à l’écrit. Mais dans tous les cas, j’ai le fort sentiment que tu ne devrais pas être influencé dans ton développement de tes goûts et dans la découverte de tes aptitudes par des opinions portées par la loyauté familiale ou l’affection ; ainsi, à la fin, tu auras plus de crédit pour ta propre branche et tes talents si tu ne montres pas trop de preuves que tu évolues sous mon ombre… »

En octobre, je lui envoyais une copie d’examen que nous avions eu en moyen-anglais et il écrivit qu’il lui semblait être « mitée par des professeurs tatillons : ils sonnent plus comme les professeurs de quelque collège de femmes avec leurs petits tests et le harcèlement croissant des étudiants. » (Je trouvais ça un peu injuste !!) « J’ai regardé le document joint mais toute cette affaire d’examens m’afflige désormais comme une maladie. 40 ans que ça dure. Je m’en tiens à ma décision de ne pas envenimer le problème en ne t’envoyant aucune de mes notes sur Beowulf, Gauvain ou Pearl avant tes examens finaux… {Puis après un changement d’avis caractéristique, il dit} « Je serais intéressé d’entendre ton opinion sur la question 3 partie 3 puisque de deux lignes de Pearl str. 5 ne peuvent être discutées sans comprendre toute la strophe… »

[Je trouve que ces lettres montrent bien qu’il écrivait à son petit-fils avec un mélange de franchise, de facilité et avec l’instinct du ton juste.] Mais lorsque j’optais pour une spécialisation en littérature anglaise néo-classique à Oxford, il montrait un intérêt égal, était plein d’anecdotes drôles sur les auteurs que j’avais choisi de lire et était enthousiaste à leur propos.

Parmi les innombrables anecdotes philologiques que je pourrais citer, j’en ai seulement sélectionné quelques-unes à mentionner, avant d’avancer dans la discussion au sujet de mes sentiments et des liens intimes entre le travail fictionnel et la philologie :

1) Je me souviens assis sous un soleil chaud avec lui, en août, à regarder les papillons sur le buddleia7) : je crois que c’était le mois avant qu’il meure ; et il discourait en longueur sur la façon dont « butterfly » était une impasse étymologique — personne n’avait découvert ni comment ni pourquoi les deux mots avaient été associés. Mais, comme avec chaque chose dont il discutait, le mot avait acquis une sorte de nouvelle dimension tout comme l’objet auquel il était attaché et depuis j’ai tenté de résoudre ce problème, assuré par J.R.R.T que la solution ne résidait pas dans l’inversé « flutter-by » !
2) Quand ma première fille, Catherine, est née en 1969, il était plus concerné de clarifier les aléas orthographiques attachés à ce nom et je cite ici une autre lettre écrite à Poole au début des années 1970 :

« J’aurais voulu pouvoir dire un mot sur le nom de mon arrière petite-fille, mais ne l’est pas fait et maintenant c’est réglé ; mais je voulais m’exprimer en faveur de CathArine. Je crois que c’est la meilleure orthographe ou, en tout cas, certainement acceptable. Ayant été alerté (pour ainsi dire) j’ai récemment observé un grand nombre de Catharine dans des avis, etc. Le nom a une curieuse histoire que peu semblent connaître, bien que vous la connaissiez probablement puisque vous l’avez choisi. Ce n’est pas un nom grec et les formes grécisées sont celles de l’église romane (latine), qui a tenté d’associer le nom barbare originel avec pur. D’où la forme liturgique Catharine. Catherine semble, dans l’ensemble, plutôt être une forme abandonnée de Catharine, mais pourrait aussi dériver en partie d’un EKATERINA d’origine inconnue — un nom utilisé dans l’église grecque et russe. Mais disons que nous avons soit CATHAR- soit EKATER !… »
[Ces détails méticuleux sont coincés entre de nombreuses questions pratiques et banales.]

[Incidemment, l’un de mes souvenirs les plus clairs (heureusement conservé par une photographie que vous voudrez voir ainsi que plusieurs autres, juste après), le voit divertir ma grande fille, alors âgée de trois ans, avec des citations spontanées des poèmes de Tom Bombadil, alors que nous étions assis dans le jardin de la maison de ma tante à Summertown, à Oxford, en juillet 1972. C’était caractéristique du don de toujours qu’il avait, de toucher la corde sensible des enfants sans paraître d’une quelconque manière autre que versatile et unique.]
3) Je me souviens de lui me disant plusieurs fois que l’une des plus grandes contributions de Swift à la langue était son invention d’un nouveau son dans le mot « Yahoo » décrivant les singes humanoïdes des Voyages de Gulliver, livre IV.
4) Auparavant, le 24 avril 1957 (lorsque j’avais 14 ans et que je lisais Le Seigneur des Anneaux avec concentration), je reçus une longue lettre que je n’appréciais entièrement que plus tard, mais qui servit à éclairer ses vastes intérêts linguistiques et la manière dont il pouvait en parler à son petit-fils adolescent, ce qu’il désignait plus tard comme sa petite contribution à la Bible de Jérusalem :

« Papa sera peut-être intéressé d’apprendre que j’ai été élu fellow de la Royal Society of Literature (en se fondant sur « Le Seigneur des Anneaux », je suppose) : un agréable compliment et une petite tape d’approbation et de celle que peu ou pas de philologues ou d’hommes de langue ont reçu. L’édition et traduction néerlandaises vont bon train. J’ai dû potasser le néerlandais, mais ce n’est pas une langue vraiment sympathique. En fait, je suis à présent immergé dans l’hébreu. Si tu veux un alphabet beau, mais stupide et une langue si difficile qu’elle rend le latin (ou même le grec) ridicule, mais qui plonge dans un passé qui fait paraître Homère récent, c’est ce qu’il te faut ! (J’espère être, au moment de ma retraite, intégré à l’équipe de la nouvelle traduction de la Bible qui se prépare. J’ai passé le test : avec une version du Livre de Jonah8). Pas de l’hébreu directement ! Incidemment, si jamais tu jettes un œil à l’Ancien Testament et à Jonah, tu verras que la « baleine » — on ne peut pas vraiment dire que c’est une baleine, plutôt un gros poisson — est très importante. Le point important est que Dieu est beaucoup plus clément que les « prophètes », plus facilement touché par la pénitence et pas dicté même par de hauts ecclésiastiques qu’il a lui-même nommés.) Cependant, il y a trop de choses captivantes en ce monde. Il faut choisir et s’en tenir à quelques-unes, sur quoi, avec bénédiction et conseil (comme les prédicateurs) je termine — et avec mon amour et mes bons vœux. Grand-père. »

Ce fut seulement lorsque je relus Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux après mes études intensives en linguistique à St. Andrews que je commençais à apprécier les liens entre les compétences philologiques de Tolkien, sa sagesse et son travail fictionnel, et à trouver un nouveau plaisir dans ces relations.

Bien que j’eus la chance, durant le suivi ultérieur du cours de B. Phil. en littérature du 18ème siècle au Merton College d’Oxford, de voir beaucoup mes grands-parents paternels, je savais alors combien il était harcelé par les experts et les « enthousiastes », dans le sens péjoratif du terme au 17ème siècle ; et quand nous faisions un tour à Sandfield Road, à Headington, pour le thé ou pour se rencontrer lors de repas ou d’occasion familiales, j’avais tendance à scrupuleusement éviter les nombreuses questions que la lecture des livres avait provoquées. C’était probablement une erreur puisque sa correspondance avec moi et d’autres (qu’il n’avait jamais rencontrés) révèle une volonté généreuse, professionnelle et désireuse, d’exposer les dérivations et la structure étymologique de la nomenclature et des légendes qui y sont attachés.

Il se trouve que deux de mes passages favoris de l’épopée v.-a. Beowulf implique les mots « mark » ou « myrc » :

i) mearcstapa (vagabond dans les confins dévastés) [Beow 103], un terme pour décrire Grendel, le monstre paria qui brûle et pille le Château de Hrothgar.
ii) land-gemyrce (côtes) [Beow 209] [Beowulf, marin sage, le mena jusqu’aux bordures du pays].
iii) J’ai aussi à l’esprit cette phrase over myrcan mor [Beow 1405] où myrce signifie froid/sinistre et décrit la retraite de la mère de Grendel avec la proie humaine qu’elle a abattue.

[Sans aucune bonne raison, certaines choses de la grande littérature semblent s’insinuer en vous : peut-être que la poésie est ce que vous ne pouvez vous empêcher de vous rappeler que vous l’aimiez ou pas]. Lorsque je relus ultérieurement Le Hobbit, j’ai réfléchi au nom Mirkwood : signifiait-il « bois-frontière », « marque de la bordure de la sauvagerie » ou « bois sombre, dense, sinistre » ? J’en ai parlé plutôt négligemment dans une lettre et je reçus une réponse qui était si méticuleuse et révélatrice qu’elle est désormais apparue en partie dans une note dans la (pour moi, plutôt superflue) nouvelle édition annotée du Hobbit9). Je ne voudrais pas vous accabler avec la totalité de son contenu, mais ce qui est intéressant c’est :

1) que chaque autorité qu’il invoque, implique une association historique ou légendaire qui enrichit la signification ou le ressenti du mot ;
2) que, comme souvent, il ressentait qu’il travaillait avec du matériau qui était une partie d’un grand corpus de traditions verbales/historiques/mythiques dont les clés ne peuvent souvent être trouvées que par un surprenant labeur et peuvent même vous échapper.

Deux courtes citations illustrent bien le premier point : il cite le v. scand. Volundarkvitha, où des demoiselles cygnes volent du sud à travers Mirkwood (meyjar flugu sunnan Myrkvith igegnum) et l’Atlakviða, où Atli (ou Attila) obtient des frères de Gudrun de venir le voir avant de les assassiner. Parmi les nombreux présents et territoires qu’il promet de leur donner, est mentionné : hris that et maere es menn Myrkvith kalla (cette forêt bien connue que les hommes nomment Mirkwood). C’est aussi intéressant qu’il dise que c’était une grande chance que Mirkwood reste intelligible avec exactement la même force en anglais moderne. (Il me disait toujours que, pour lui, les noms généraient l’histoire). « Au fond d’un trou vivait un hobbit » est bien connue comme étant la pseudo-genèse de l’œuvre du même nom, bien qu’il confesse avoir été vraiment mystifié par sa source et son explication, et par la raison et la manière dont cela vint à lui comme ce fut le cas. (Incidemment, néanmoins, il promit à ceux en charge du supplément à l’Oxford Dictionary, une analyse exhaustive qui ne fut en fait jamais terminée. Il y a une lettre amusante à l’éditeur de The Observer en janvier 1938, en partie sur ce sujet [Lettres, n°25].]

{Il était toujours prêt à accepter ce qui ne pouvait être prouvé ; de même, il était aisément irrité par ceux dont il estimait qu’ils montaient en épingle des choses simples et à l’explication pratique. (par ex., ce n’était pas sans conséquence que le vol de Bilbo et le vol similaire du trésor du dragon de Beowulf aient été identiques dans l’action et les résultats : comment pourriez-vous autrement mettre le dragon hors de lui ?!}

Pour moi, ce moment du chapitre 4 des Deux Tours où l’Ent Barbebois, Merry et Pippin se posent des questions les uns aux autres sur qui et ce qu’ils sont, est typique des méthodes d’investigation vives et persistantes de mon grand-père, et de sa poursuite souvent confuse et latérale du détail :

[Je cite ici les Deux Tours p. 76-78 « Pippin, bien qu’encore abasourdi, n’était plus effrayé » jusqu’à « car nous ne disons rien en cette langue qui ne vaille la peine d’être longuement dit et écouté. »]

Barbebois devient presque un pédagogue plutôt lent, mais soudain, sa recherche rythmique et allitérative des clés donne à l’enquête les dimensions de tout un monde complexe : l’astucieuse addition de Pippin d’une nouvelle ligne, dans un style similaire, est une sorte de remplissage parfait d’un essentiel ou d’une lacune. À ce stade, nous aurions pu avoir une analyse du terme « hobbit » — mais la tradition beaucoup plus riche des noms et histoires, distingue l’Ent du peuple du Comté et dans la dernière partie que j’ai lue, vous pouvez percevoir l’un des ressorts créatifs de l’auteur.

Dans une lettre à mon oncle Christopher [Lettres, n°205] (après que ce dernier a fait une conférence sur les héros des légendes nordiques au St Anne's College d’Oxford), Tolkien dit : « je suis un pur philologue. J’aime l’Histoire […] mais ses moments les plus intenses sont pour moi ceux où elle éclaire les mots et les noms ! […] Personne ne me croit lorsque que je dis que mon long récit est un essai de création d’un monde dans lequel une forme de langage qui soit agréable à mon esthétique personnelle puisse paraître réelle… » [Dans une lettre à W.H. Auden en juin 1955, quand ce dernier devait parler du Seigneur des Anneaux sur la BBC 3rd Programme, Tolkien disait à propos de ce qu’il décrivait comme ses goûts et influences : « …les langues et les noms ne peuvent être selon moi séparés des histoires. C’est, et c’était, […] une tentative pour fournir un arrière-plan ou un monde dans lequel l’expression de mes goûts linguistiques pourrait avoir une fonction. Les histoires sont venues tardivement, en comparaison… »]

Je me souviens de lui comme d’un homme aimant les énigmes — posant des énigmes et trouvant de surprenantes solutions. Les énigmes ont, bien sûr, des règles (et sont une forme d’art en vieil-anglais) et il adorait le défi des règles et vous défiait avec. Et, comme Gandalf, il triomphait souvent en vous disant qu’il y avait moyen d’outrepasser ces règles sans pour autant les briser. Le discours sur les mots et leurs origines qu’il me faisait avait souvent cette saveur.

Je pense qu’il serait approprié de conclure avec ce qui pourrait être appelé la section philologique de ma conférence, avec une référence à « Tree and Leaf », l’essai sur le Conte des Fées et la fantasy.

Il y parle des pouvoirs indivisibles du langage et de la création d’histoires. « L’esprit qui a pensé léger, lourd, gris, jaune, immobile, rapide a aussi conçu la magie qui rendrait les choses lourdes légères et capables de voler ; qui transformerait le plomb gris en or jaune et le roche immobile en courant rapide… nous pouvons loger un feu brûlant dans le ventre froid du dragon. Mais dans cette « imagination » [fantasy], comme on l’appelle, est créée une nouvelle forme : la Faërie commence10). » Et, en parlant de son propre développement : « je peux seulement dire que le penchant pour les contes de fées n’était pas une caractéristique dominantes de mes goûts premiers. […] C’est la philologie qui a éveillé un goût réel pour les contes de fées, au seuil de l’âge adulte, et c’est la guerre qui l’a aiguisé jusqu’à lui donner pleine vie. »

Dans mon dernier extrait (que je cite maintenant) (p. 154 et 169), nous pouvons voir (a) la haute priorité donnée à la création des MOTS, (b) la vision que la vraie fantasy requiert des compétences considérables et spéciales.

Je voudrais passer de la philologie, bien qu’elle ne soit jamais loin lorsqu’on pense à Tolkien, à des aspects plus aléatoires de sa personnalité. Mais je vais d’abord le faire en référence à son propre et ingénieux conte de fées [ou histoire d’étrange enchantement] « Feuille, de Niggle » — (le titre désigne une simple feuille esquissée restant d’une peinture inachevée d’une impondérable ambition et échelle). Il fut écrit à peu près au même moment que la conférence donnée à St. Andrew’s et inédite jusqu'en 1947. Mais alors qu’il semble implicitement faire face à une certaine perplexité quant à l’orientation que son ambitieuse et de plus en plus redoutable saga du Seigneur des Anneaux, pourrait prendre, je souhaite me pencher sur quelques parties pour souligner comment celles-ci distillent en moi quelques-unes des choses qui me rappellent son comportement. Le tiraillement de Niggle entre sa concentration pour son art (un statut dont il n’est pas certain) et son cœur aimable et sociable qui « lui donnait un sentiment de gêne plus souvent qu’il ne le poussait à l’action11) » [comme nous tous !] est la manière dont je vois souvent mon grand-père.

Ce conflit entre l’étude et d’autres exigences banales, mais nécessaires, est en effet devenu une caractéristique familiale. Le rêve d’être entouré d’étages de livres aimés, ayant une pagaille ordonnée de papiers sur l’un d’eux, un projet absorbant à réaliser je l’ai certainement hérité de mon père qui le tenait à son tour de J.R.R.T. L’étude dans ces trois ménages semble aussi avoir une sorte de sacralité implicite, bien que son résident puisse souvent le haïr, le maudire et s’inquiéter d’y être enterré, mais d’être toujours contraint par lui. Mais je ne veux pas être absolu et dire que Niggle est J.R.R.T. ; comme toutes les superpositions théoriques de ces histoires, rechercher un schéma cohérent détruirait l’enchantement, la flexibilité et la cohérence interne inhérente. (En v.-a., SPELL signifie conte ou histoire : je suis tenté d’appeler le chercheur critique de ce genre-là un « SPEL-BRECAR » [briseur d’histoire].) De la même façon, Bilbo n’est pas J.R.R.T., qui répugnait comme ce dernier à bouger de sa routine perpétuelle pour aller chasser les oies sauvages au-delà des frontières du Comté.

Pour moi, le conflit entre les demandes pratiques de la vie de famille et la nécessité pas toujours agréable de l’activité sociable reste une part de sa stature d’homme. On me demande souvent s’il était l’archétype du professeur distrait (je suppose qu’il correspond à l’image populaire de l’écrivain de fantasy). S’il l’avait été, sa vie en aurait été plus facile et son art moins riche — même si nous utilisons simplement le cliché que le grand art provient de divers types de tension. Je pense me souvenir que Dorris Lessing disait dans une interview radio que tout artiste est, en un sens, névrosé, essayant désespérément d’être normal. Le problème est qu’avec de tels commentaires « graines de vérités » auxquels ils s’accrochent, vous trouvez les gens tendus et névrotiques en supposant qu’ils ont un tempérament artistique et beaucoup à dire à l’humanité. La normalité est, bien évidemment, par définition indéfinissable. Mais Tolkien était pour moi agressivement et extrêmement normal même s’il avait ses ennuyeuses et sympathiques excentricités ; par exemple, il était clair pour moi qu’il pouvait être immensément lent, joyeusement paresseux et apte à damner les normes écrasantes de la perfection qu’il avait lui-même définies. Et une fois hors de son étude, il était capable d’être dynamiquement divertissant et plus patient et affectueux, non seulement envers nous, ses petits-enfants, mais aussi, par exemple, pour traiter les cas méritants de ces fans qui étaient aidés et touchés par ses livres. Pour continuer sur l’image de Niggle, c’était un grand perfectionniste sur une immense toile, qui fixait lui-même des normes implacables dans la création de ses fantaisies et ce, souvent face au genre de critiques qu’il anticipait dans la condamnation de Niggle par Tompkins et Atkins & Perkins. [Je cite Feuille, de Niggle, p. 183 de Faërie et autres textes]

De façon ironique, néanmoins, il devait être beaucoup plus persécuté par ceux qui brûlaient d’être informés de chaque veine et particule de ses « feuilles ». En fait, je pense qu’il aimait plutôt les Tompkins et Atkins de ce monde, et probablement encore plus que ceux susceptibles d’être les plus exigeants et éprouvants, alors qu’il se sentait comme un instrument surestimé par les universitaires et les experts ainsi qu’il me l’écrivait lorsqu’il déménagea dans les appartements du Merton College en janvier 1972 (ma grand-mère était morte en 1971) :

« … hélas ! Je ne serai désormais plus protégé des [Hoopers], des Snoopers, des Goopers, des groupes de presse, des écoutes téléphoniques, des chasseurs de lion transatlantiques et des amateurs de gargouilles »

A la différence de Niggle, les bureaucrates et les fonctionnaires qui le cataloguaient déconcertaient moins J.R.R.T. qu’il ne les tenait en horreur, mais je crois qu’en fait il les traitait souvent, contrairement à ce qu’ils représentaient, avec une courtoisie qui était tout à fait naturelle et charmante, tirant d’eux le meilleur parti ; et il se vantait probablement de son succès après coup, faisant même un petit éloge de la personne qu’il avait convaincue !

Je trouve qu’il ressentait en fait une fascination pour les individus concernés alors qu’il trouvait l’idée de l’humanité en masse plutôt intimidante ou répulsive. En m’écrivant à propos de vacances de famille qu’il eut sur la côte du Dartmoor en 1957, il disait « J’aurais aimé être avec vous sur les hauts tors et loin « des gens », c’est-à-dire les gens en foule… ».

Bien que ce soit sans doute désormais généralement bien compris, cela m’a certainement frappé qu’il soit intéressé par la capacité des petites et insignifiantes personnes à atteindre l’inattendu face à des obstacles apparemment insurmontables. Je me rappelle mon grand-père lui-même, citant le commentaire d’Elrond au Conseil d’Elrond dans la Frat. de l’Anneau [vers la fin du chap. 2, livre 2, du Seigneur des Anneaux] :

(a) « Dans cette quête, les faibles ont autant d’espoir que les forts. Mais il en va souvent ainsi des actes qui font tourner les roues du monde : de petites mains s’en chargent parce qu’il le faut, pendant que les yeux des grands regardent ailleurs. » (FdA, p. 344)
(b) « L’heure des Gens du Comté est venue, celle où ils quittent leurs paisibles champs pour ébranler les tours et les conseils des Grands. » (FdA, p. 346)

Il n’est pas difficile de voir comment ce thème est traité dans les fantaisies et ce sentiment, qui n’est en aucun cas sentimental, est exprimé de façon poignante dans le poème bien connu de Hardy, « In Time of ‘The Breaking of Nations’ ».

Cela me met en tête les qualités pérennes portées par le Comté et par son peuple. Bien que je pense que mon grand-père, comme Thomas Hardy et Edward Thomas, savait que les anciennes méthodes étaient parties pour de bon. (« Fayre feeldes ful of folk » devaient devenir des prairies pleines de blé flasque excédentaire). Je pourrais aisément envisager le Comté puisque j’ai été élevé dans ce qui fut un coin perdu de l’Oxfordshire, que j'allais dans une école communale, que je dansais à l’arbre de mai, que j'aidais à la récolte, que je parlais un dialecte que mes parents ne pouvaient piger et que je faisais réparer ma trottinette par le forgeron du village.

Bien qu’on ne puisse pas toujours être d’accord avec ses opinions (et celles-ci allaient changer, évoluer et s’intensifier exponentiellement) mon grand-père se sentait toujours comme un homme aux pieds fermement ancrés dans le sol. [L’immense précision et la richesse de détails pratiques dans les fantaisies le montrent ; et combien savent qu’il était tellement expert dans les habitudes et les caractéristiques du moineau domestique qu’on lui demanda de faire un papier sur le sujet pour un groupe ornithologique d’une certaine importance ?]. S’il était enthousiaste à propos d’une personne, d’un lieu, d’un gadget, d’une pièce de nourriture ou d’une boisson, il était à même de défendre sa préférence de manière ingénieuse ; mais des semaines ou des mois plus tard, il pouvait s’avérer tout aussi apte à les dénigrer avec une éloquence ou une vitupération encore plus persuasive. Il semblait prospérer au milieu des moutons noirs ou bêtes noires. Nous, des deux générations suivantes, avions l’habitude de dire qu’il était possible de passer dans ou hors de ses bonnes grâces sans le savoir, si vous ne visitiez pas Oxford assez fréquemment. Rétrospectivement, ces caractéristiques amélioraient les affections de certains plutôt que l’inverse. Et pour autant que j’étais concerné, les conseils de mon grand-père (même si pas nécessairement meilleurs que ceux de mes parents) étaient toujours plus susceptibles d’être entendus. Il avait une façon de me faire voir le monde réel sous une nouvelle lumière, de réévaluer le familier (ce qui, soutient-il dans « Tree and Leaf », pouvait être atteint par une fantasy bien composée).

J’ai dit que Tolkien ne devait pas être absolument identifié à Niggle ou Bilbo (et, par extension, ni à Frodo), mais je veux être complètement subjectif et détourner ma règle stricte contre l’identification de sa personne : pour moi, il fut toujours Gandalf. Gandalf est le personnage qui est aussi vital hors-scène que dessus ; sa présence, en termes de dialogue direct et d’espace narratif, est plutôt minimal dans Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux, mais vous vous attendez toujours à ce qu’il se montre ou bien vous êtes frustrés par son absence et comblé, bien sûr, lorsqu’il revient après son élimination apparente par le Balrog de Moria. Mon grand-père avait précisément ce genre de distance omniprésente et d’intimité occasionnellement étroite dans le schéma de ma vie. Au travers de certaines images de Gandalf, je peux explorer quelques-unes des mémoires et des réponses à Tolkien.

1) Gandalf est d’avis que la vie est une grande aventure, les voyageurs y sont d’une importance vitale d’une façon mystérieuse, mais que c’est à eux de trouver comment par leurs propres efforts, même s’il les guide régulièrement, mais de façon imprévisible.

« C’est alors qu’ils remarquèrent l’absence de Gandalf. Il les avait suivis jusque-là, sans jamais leur dire s’il prenait part à l’aventure ou s’il leur tenait simplement compagnie pour un certain temps. C’est lui qui avait mangé le plus, parlé le plus, et ri le plus. Mais à présent, il avait tout bonnement disparu ! » (Juste avant la rencontre avec les trolls dans Le Hobbit).

Plus tard, avant d’entrer dans Grand’Peur, après l’hospitalité de Beorn — « Ils surent alors que Gandalf allait les quitter tout juste à l’orée de Grand’Peur, et leur désarroi fut grand. Mais rien de ce qu’ils purent lui dire ne le fit changer d’avis.
« Allons, nous avons déjà eu cette discussion en arrivant au Carroc, dit-il. Rien ne sert d’argumenter. Comme je vous l’ai dit, une affaire urgente m’attend dans le Sud ; et je suis déjà en retard à cause de vos histoires. Qui sait, peut-être nous reverrons-nous avant que tout ceci soit terminé, mais peut-être que non. Cela dépendra de votre chance, de votre courage et de votre bon sens : c’est pourquoi j’envoie M. Bessac avec vous. Je vous ai déjà dit qu’il a plus d’un tour dans son sac, et vous ne tarderez pas à le constater. Alors courage, Bilbo, et ne faites pas cette tête. Courage, Thorin et Compagnie ! Cette expédition est la vôtre, après tout. Songez au trésor qui vous attend, et oubliez la forêt et le dragon, du moins, jusqu’à demain matin ! »

Ceci a pour moi (pour inventer un paradoxe) toute la fiabilité imprévisible, le mélange d’irritabilité et de gentillesse de Tolkien ; et chez ses interlocuteurs, comme moi, un mélange d’exaspération, d’affection, de besoin et de respect. Cela représente aussi pour moi, sa qualité inestimable à exercer son autorité et son influence sans domination. Gandalf aussi, comme Tolkien, minimise ce qui a de grandes conséquences sur ses propres affaires.
2) Dans le premier de ces deux extraits du Hobbit, l’accent est mis sur le goût de Gandalf pour le plaisir et les bonnes choses de la vie. Sa supercherie aux trolls, de discuter jusqu’à l’aube pour les transformer en pierre inoffensive, ou son lancer de pommes de pin enflammées sur les loups wargs exemplifient aussi cet aspect de mon grand-père tel que je le connais. L’un des mes plus lointains souvenirs (je devais avoir 7 ou 8 ans) est celui d’une longue marche en famille sur des pistes en friche des collines boisées de Chiltern, au nord de Reading. Les haies de ciguë et de berce étaient en fleurs et il appelait leurs ombelles blanches inversées des buffets à guêpes, persécutant constamment les guêpes qui recherchaient probablement plutôt des larves que du nectar. Pour mon plus grand plaisir, il se précipitait soudain avec sa canne, tranchant ce qu’il appelait le buffet à guêpes et nous disant d’aller nous mettre à l’abri !

Des années plus tard, lorsqu’il eut 81 ans, je me souviens de lui poursuivant ma fille Catherine, alors âgée de quatre ans, autour des arbres des jardins du Merton College. Lorsque nous étions enfants, le jeu que nous aimions le plus était sa menace de nous attraper avec le bout arrondi de sa canne : il se lançait là-dedans avec toutes sortes de gestes théâtraux et pseudo-terrifiants. Cette canne prenait aussi place dans l’un de ses gestes les plus drôles : un « Oi ! » bruyant et une ondulation violente de sa canne aux automobilistes vaniteux qui monopolisaient les routes de campagne.
3) Un autre aspect de Gandalf où je trouve un lien significatif avec mon grand-père est ce que j’appellerai la dimension cachée. Il pouvait parfois sembler plutôt vieux et fatigué, frêle, abattu par les exigences du monde. Dans Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux, cela fait partie de l’apparence de la profonde sagesse et comporte une ironie puissante contre ses ennemis. Il peut sembler un peu autoritaire et pédagogue envers Bilbo et les nains et vous pensez qu’il est aussi affirmé qu’il le deviendra ; mais il y a des indices d’un grand pouvoir spirituel au moment crucial de la bataille des Cinq Armées [chap. 17] où les nains du nord avancent.

« Halte ! » cria Gandalf, apparu soudainement, seul, les bras levés au ciel, entre la charge des nains et les rangs qui leur faisaient face. « Halte ! » s’écria-t-il comme un tonnerre, et de son bâton jaillit un éclair semblable à la foudre. « Le malheur est sur vous ! Hélas ! le voilà sur vous tous, plus vite que je ne l’appréhendais. Les Gobelins vous assaillent ! Bolg du Nord arrive, ô Dain ! vous qui avez tué son père en Moria. Voyez ! les chauves-souris flottent au-dessus de son armée comme une nuée de sauterelles. Des loups leur servent de monture et des Wargs sont dans leurs rangs ! »
Tous furent saisis d’étonnement et de confusion. Et pendant que Gandalf parlait, les ténèbres grandissaient. Les nains s’arrêtèrent et levèrent les yeux au ciel. La voix des elfes s’éleva en de nombreux cris.
4) Un aspect supplémentaire de Gandalf qui me rappelle mon grand-père est son plaisir à gagner, à montrer qui était le maître sans pour autant aliéner l’autre ou être prétentieux. De toutes choses, je me souviens jouant d’interminables tours de jeu de l’horloge12) avec lui sur les pelouses de l’hôtel Miramar à Bournemouth et comment il en avait obtenu la maîtrise, mais aussi de son nombre impressionnant de « trous en un » dont il riait avec le plus grand plaisir. L’un des nombreux extraits du Hobbit qui capte cet aspect apparaît lorsque Gandalf explique d’où il tient la carte de Thorin :

« Je m’informais, comme d’habitude ; et c’était une sale affaire, très périlleuse… J’ai tenté de sauver votre père, mais c’était trop tard. Il ne cessait de déraisonner et avait presque tout oublié, sauf la carte et la clef. » (Le Hobbit, chap. 1)

Ayant désormais Le Hobbit bien à l’esprit, je peux entendre Bilbo exhortant Gollum lors du jeu d’énigmes avec son « Le temps est écoulé ! ». Et comme Bilbo, j’essaye de paraître audacieux et joyeux, et je vais travailler sur plusieurs éléments à la fois, en trichant comme Gollum. Je trouve que j’ai probablement trop souvent dévié dans de fastidieux détails et commentaires à propos des principes et bizarrerie de l’analyse.

Et je peux désormais seulement dire que ce que j’avais aussi préparé et ce sur quoi j’avais espéré parler en plus de ça sont des parts cruciales de ma mémoire et de mon expérience de mon grand-père : e.g. notre intérêt et amour mutuel pour la langue galloise ; un nombre immense de blagues diverses au sujet de l’argent et du paiement, en particulier dans ses lettres à Noël et aux anniversaires, une prise de conscience récemment déclenchée par la lecture de son conte pour enfants, Monsieur Merveille, l’importance particulière qu’il portait aux arbres et la manière dont il influençait mon père et moi dans ces domaines.

(En parlant de l’insuffisance du théâtre comme une mode de la fantasy dans « Tree and Leaf », il disait presque indirectement qu’on ne pouvait « introduire grand-chose sur les arbres en tant que tels. ». Comme si un mode empêchant cet exutoire était nécessairement limité!)

Les arbres m’amènent à une brève digression. Si l’on me demande de sélectionner une lecture de quelque chose insuffisamment reconnu des œuvres de Tolkien, ce serait un extrait de sa traduction de Sir Gawayne & the Green Knight, en particulier la strophe où Gawayne entre dans la sombre forêt juste avant Noël. Pour moi, beaucoup de mon grand-père s’y trouve, à la fois dans son habileté, ses sentiments et ses convictions :

« By a mount in the morning merrily he was riding
into a forest that was deep and fearsomely wild,
with high hills at each hand, and hoar woods beneath
of huge aged oaks by the hundred together;
the hazel and the hawthorn were huddled and tangled
with rough ragged moss around them trailing,
with many birds bleakly on the bare twigs sitting
that piteously piped there for pain of the cold.
The good man on Gringolet goes now beneath them
through many marshes and mires, a man all alone,
troubled lest a truant at that time he should prove
from the service of the sweet Lord, who on that selfsame night
of a maid became man our mourning to conquer.
And therefore sighing he said: ‘I beseech thee, O Lord,
and Mary, who is the mildest mother most dear,
for some harbour where with honour I might hear the Mass
and thy Matins tomorrow. This meekly I ask,
and thereto promptly I pray with Pater and Ave and Creed.’
In prayer he now did ride,
lamenting his misdeed;
he blessed him oft and cried,
‘The Cross of Christ me speed!’ — Sir Gawain and the Green Knight, strophe 32

J’aurais aimé traiter de la plupart des critiques négatives de son travail et montrer mes réactions, à la lumière de ma connaissance de sa personne, et par-dessus tout, j’aurais élargi à son amour de l’unité familiale et l'importance que cela avait pour lui, ainsi que son rôle vital pour nous tous en tant que chef et clef de voûte. Et c’est sur cette note que je terminerai, en lisant un poème que j’ai écrit à l’occasion de ses funérailles. Ce fut sa mort qui la première me fit réellement prendre conscience de la mortalité. J’avais perdu d’autres parents aimés, mais quelque part, sa mort dévia un centre de gravité essentiel, une source d’unité, une influence formatrice qui ne fut pas reconnue jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus continuer à se développer.

J’ai commencé cette œuvre en novembre 1973 et l’ai complétée en juillet 1974. Je suis loin d’en être content et je doute de le publier un jour, mais il se trouve qu’elle distille de nombreux aspects de Tolkien auxquels j’ai fait référence. Je pense qu’il faut expliquer que j’avais souvent prié avec lui dans l’église de Headington, où le service funéraire eut lieu et qu’elle était plutôt assez loin du cimetière du nord d’Oxford.

Sa dernière fête
His last party
« Alors le dernier des Noldor partit des Ports et quitta pour toujours la Terre du Milieu… »
« In that time The Last of The Noldor set sail from The Havens and left Middle Earth for ever »
Lentement les téléphones nous invitent à participer à la dernière fête
Slowly telephones invited us to attend a last party
Et partagent un étroit regret
And share a close regret.
Important pour une fois, nous arrivons, hésitant,
Important for once, we arrived, unconfident,
Pas au point, comme une armée sans chef faisant retraite,
Out of focus, like an un-led retreating army,
Unis disons dans le sang ou la loi, pour faire face
United somehow across blood or law, to confront
Notre ferme bastion en ruine, la certitude
Our firm stronghold in ruins, the certainty
Que notre guide a fait son dernier
That our guide had made his last
Départ impossible: et ces lentes générations
Impossible departure: and these slow generations
Ressentant dans leurs cerveaux un peu de sa patience
Feeling in their brains just a little of his patience
Pourraient ne pas ressusciter leur hôte inévitable
Might not resurrect their inevitable host
Qui aurait sans doute des regrets
Who'd no doubt feel regret
De manquer sa dernière fête la plus attendue.
To miss his last most well-attended party.
Boisson et calme frivolité cèdent place seulement lentement
Drink and quiet frivolity gave way only slowly
Au dernier et lent voyage : personne ne le trouve aisé.
To the last slow journey: no one found it easy.
L’église du bungalow était un port où l’au-revoir
The bungalow church was a port where goodbye
Se dissout dans l’adieu
Dissolves into farewell
Et le sillage décoré du terrible et lent vaisseau.
And the terrible slow vessel's decorated wake.
Lors amarré et blanc empilé de déclin floral.
Docked now and piled white with floral decay.
Le frêle et pâle cercueil flottant annule sa fuite
The slim, pale coffin ship cancelled its shrunk
Affrété d’une croix de laiton. Les sièges pour la famille
Freight into a brass cross. Family seats
Furent réservés pour regarder le lent lancement.
Were reserved to watch the slow launching.
Embarrassé par cet étrange attirail de rites
Embarrassed by some unfamiliar tackle of the rites
Les garçons étaient occupés comme jamais sur la rambarde du port.
Boys were busy as ever inside the harbour railing.
Une sombre troupe d’universitaires perchés hors de portée.
A dark flock of academics perched out of reach.
Derrière, une foule floue aux millions de motifs,
Behind, a crowd blurred with a million motives,
Dissous dans l’adieu,
Dissolved in farewell,
Son au-revoir muet.
Their goodbye dumb.
La dame moderne sculptée gracieuse au-dessus
The carved modern Lady gracious over
Des douilles vides des chandelles
Empty candle sockets,
Et les lieux où il s’agenouillait et où lentement se démêlent
And places where he'd kneel and slowly unravel
Quatre-vingts années, ce sont retirées :
Eighty years, receded:-
La métaphore succombe à la fin.
Metaphor succumbed at last.
Les brochures pourpres se ferment
Purple booklets shut,
Chancelant, nous dépassons l’audience grise,
Unsteadily we passed the grey audience,
Les bras verrouillés derrière notre perte – lents couples endeuillés
Arms locked behind our loss – slow, coupled mourners
Ajoutant de la poussière aux chaussures noires. Et le pimpant
Adding dust to black shoes. And the spruce
Gravier craque comme des crécelles sur le chemin vers les voitures chaudes.
Gravel cracked like rattles all the way to the hot cars.
La coupe des costumes, les sacs ridicules, une nouvelle barbe,
The cut of suits, grotesque handbags, a new beard,
Ne distrairont pas. D’une certaine manière, le bulbeux corbillard
Could not distract. Somehow the bulbous hearse
Porte sa charge professionnellement ; le trafic tourne
Got its load professionally; traffic turned
Plastique, obéissant, et nous étions assis non loin
Plastic, obedient, and we were sitting close
Et tranquille dans son dernier voyage familier.
And quiet on his last familiar journey.
Ceux qui conduisaient au moins survécurent
Those who drove at least had survival
Pour considérer et mettre le cap sur l’inhumation,
To consider and steered straight to burial,
Entrevoyant seulement l’étrange dignité des lentes roues :
Glimpsing only the strange dignity of slow wheels:
Nous pourrions presque demander : l’a-t-il senti aussi ?
Almost we might ask: did he sense it too?
Maintenant, lumières et îles et un dernier tour en avant.
Now lights and islands and one last turn ahead.
Les portes grises balançant régulièrement se ferment
Grey gates swung steadily shut
Pour verrouiller le moment vivant avec leur mort.
To lock the living one moment with their dead.

(Débuté en novembre 1973. Complété en juillet 1974.)

[Des corrections furent aimablement suggérées par Jon Stallworthy et Anne Beresford, et j’ai ajouté une épigraphe initiale issue du Silmarillion]

Voir aussi

Sur Tolkiendil

1) NdT : Le Fife est une région côtière d’Écosse où se tient la ville de St. Andrews et donc l’université St. Andrews où Michael Tolkien a donné cette conférence.
2) Tree and Leaf est aussi le titre d'un recueil qui n’a pas d’équivalent en français. L’ouvrage le plus proche est Faërie et autres textes, qui contient aussi le texte « Du conte de fées ».
3) Lettre n°163, traduction modifiée.
4) M&C, p. 173.
5) NdT : Version française de Christine Laferrière de la traduction de ces vers par Tolkien, Beowulf, p. 37.
6) Lettre n°266
7) NdT : Buisson aux fleurs bleue-violet qui a la particularité d’attirer les papillons.
8) NdT : Cette traduction a depuis été publiée par Brendan Wolfe dans le numéro d’octobre 2014 du Journal of Inklings Studies.
9) NdT : Le Hobbit annoté a été publié, en anglais, dans deux éditions. C’est de la première, éditée en 1988, dont parle l’auteur ici. En 2002, une seconde édition revue a parue sur laquelle est basée la traduction française.
10) M&C, p. 154.
11) NdT : Feuille, de Niggle, second paragraphe, dans Faërie et autres textes.
12) NdT : Un jeu d’extérieur basé sur le golf où le but est de mettre la balle dans le trou central d’un cercle depuis 12 positions successives placées sur ce cercle, à l’image d’une horloge.
 
tolkien/etudes/michael_tolkien_1989.txt · Dernière modification: 16/01/2024 16:28 par Druss
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