Sur L’Atlas de la Terre du Milieu – Première édition anglophone

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Par Simon Ayrinhac, juin 2023

atlas_of_middle-earth_first_edition.jpgThe atlas of Middle-earth (première édition, 1981)

LAtlas de la Terre du Milieu de K.W. Fonstad est aujourd’hui un ouvrage cartographique de référence sur l’œuvre de Tolkien. Publié originellement en 1981, il a été révisé en 1991 pour tenir compte des informations supplémentaires apportées par The History of Middle-Earth (HoMe, volumes I-XII), alors en cours de publication par Christopher Tolkien. L’édition révisée de 1991 a sans cesse été rééditée depuis sa parution, tandis que l’édition de 1981 n’a connu qu’une seule itération1). De ce fait cette version de l’Atlas est un peu occultée : on n’en connaît pas grand chose car elle n’a pas bénéficié d’une numérisation (partielle ou complète), et elle est très onéreuse sur le marché de l’occasion2). L’édition révisée suit de près l’édition de 1981 : la pagination est strictement identique, et textes et cartes ont été peu modifiés. Si l’on tente d’évaluer l’ampleur des révisions, environ 20% de la surface occupée par les cartes a été modifiée3) et le pourcentage doit être plus faible dans le cas du texte.

Les modifications ponctuelles sont nombreuses. Donnons-en un seul exemple : la carte de Menegroth (p. 20) montrait à l’origine le grand hêtre Hírilorn de l’autre côté de l’Esgalduin, et non au-dessus de la salle du trône de Thingol4). Une modification est cependant notable : sur la première version de la carte du Beleriand Est (p. 15), la forteresse naine de Belegost était correctement positionnée (selon les sources textuelles) tandis que dans la carte révisée Belegost a été déplacée beaucoup plus au sud5).

Le texte de l’Ambarkanta (et les cartes et diagrammes associés) publié dans la Formation de la Terre du Milieu (HoMe IV, 1986) a été décisif pour la révision des cartes de l’Atlas. Les cartes de l’Ambarkanta ont été dessinées dans les années 30 par Tolkien et représentent Arda dans son ensemble. Au-delà de la question de la canonicité de telles représentations, il est évident qu’en termes graphiques et géographiques elles ont beaucoup apporté à l’Atlas. Les cartes générales de l’édition de 1981 se restreignaient à une zone géographique couvrant l’Ouest de la Terre du Milieu, Belegaer, Aman, et Númenor suivant l’Âge cartographié (p. 4-5, p. 16-17, p. 38-39, p. 40-41, p. 44-45). Pour montrer la Mer d’Helcar, plus petite et située très loin à l’est, la carte originale du Premier Âge (p. 4-5) propose une coupure en zigzag de la carte, dans laquelle vient aussi se loger Utumno, la forteresse de Morgoth. Si certaines cartes sont honorables6), d’autres sont vraiment faibles. Ainsi le continent de la Terre du Milieu est représenté dans l’édition originale comme un « rectangle » (encart de la p. 44 dans l’édition de 1981, en p. 45 dans l’édition révisée), ce qui donne une des cartes de K.W. Fonstad les plus laides que je connaisse, bien que son contenu purement informatif soit quasiment identique à l’édition révisée.

Dans quelques cas il est évident que Fonstad a révisé ses cartes grâce aux croquis et dessins de Tolkien publiés dans HoMe. Ainsi le Mont Destin (p. 147) n’avait à l’origine pas de cône central strié, probablement basé sur un dessin de Tolkien publié dans le Calendrier de 19777). Les routes autour de Brie (p. 125) avaient un tracé un peu différent, avant que ne soit publié un plan de Brie par Tolkien8). L’Antre de Shelob (p. 143), dont seul était montré le débouché supérieur, respecte scrupuleusement le dessin du passage par Tolkien9). De même la cité maléfique de Minas Morgul (p. 143) était représentée à l’origine comme un simple cercle avec un point dedans et à proximité de la route, avant d’être remplacée par un ensemble de formes géométriques situées à bonne distance de la route par un chemin en lacets10).

Certaines modifications font « boule de neige ». C’est le cas pour la Grande Route de l’Est. D’abord conforme à la carte générale du Seigneur des Anneaux qui montre une route globalement rectiligne et est-ouest, Fonstad se conforme ensuite aux dessins de Tolkien11) qui montrent de larges sinuosités entre Brie et Fendeval. Les cartes régionales qui montrent la Route (p. 53, p. 75, p. 80) sont modifiées, ainsi que les cartes montrant les trajets des personnages (p. 100-101, p. 162-163, p. 172). Le cas du Thangorodrim est opposé. Dans la première édition, les trois cônes du Thangorodrim (p. 15), adossés à l’abrupte paroi sud des Montagnes de Fer, avaient une dimension modeste de 30 milles (50 km) de large environ. Dans l’édition révisée, ceux-ci subissent une inflation de 370 % pour atteindre une dimension de 110 milles (soit 180 km) de large ! Or, dans le cas du Thangorodrim, Fonstad n’a pas modifié toutes les cartes de l’Atlas en conséquence, ce qui explique l’incohérence constatée entre la carte générale du Beleriand (p. 15) et les cartes du Beleriand à très petite échelle (p. 24-33). Autrement dit, certaines cartes de l’édition révisée montrent encore le Thangorodrim tel que la première édition le figurait. Cette incohérence n’a pas échappé à l’illustrateur de l’édition française12), Stéphane Arson, qui a réduit la taille du Thangorodrim (à 50 milles environ, soit 80 km) pour harmoniser l’ensemble des cartes.

De manière générale, les bâtiments voient leurs représentations améliorées. Gondolin (p. 23) gagne en détails13) ; les souterrains du Thangorodrim (p. 23) sont nettement améliorés. Certains lieux de Valinor (p. 7) n’étaient représentés que par des points dans la première édition : la Grande Cour d’Aulë, Les Halles de Mandos, ou Formenos. Certains bâtiments passent d’une vue de dessus à une « vue écorchée », en plus de gagner des pièces ou des détails : Cul-de-Sac (p. 119), l’Auberge du Poney Fringant (p. 125), la Tourelle de Cirith Ungol (p. 145) et Minas Tirith (p. 139). Signalons d’ailleurs que le plan de Minas Tirith dans l’édition de 1981 combinait une vue dessus et une vue de côté, une disposition classique dans l’Atlas puisqu’elle concerne une dizaine de lieux ; la première a été réduite et la seconde supprimée dans l’édition révisée. C’est donc une vision de Minas Tirith réellement inédite que nous offre la première édition14).

En bref, la comparaison des deux éditions montre le travail de révision conséquent accompli par K.W. Fonstad, qui a sans nul doute embelli et amélioré son Atlas. La comparaison apporte aussi un éclairage sur le travail cartographique de Fonstad, notamment sa lecture attentive et sa prise en compte des informations de HoMe. Cependant sa volonté de compilation et de synthèse de tous les écrits de Tolkien, quelque soit l’époque dans laquelle ils ont été publiés ou juste ébauchés, crée une Terre du Milieu « composite ». Globalement, les différences entre l’édition originale de 1981 et l’édition révisée sont minimes, et ne sont pas à l’avantage de l’édition originale. La première édition de l’Atlas n’a donc que peu d’intérêt pour elle-même, et est réservée aux collectionneurs.

Voir aussi

1) Karen W. FONSTAD, The Atlas of Middle-Earth, Houghton Mifflin, Boston, 1981, ISBN-13: 978-0-395-28665-4.
2) Le prix minimum était de 120 euros environ en mai 2023.
3) Il semble que Fonstad avait la contrainte que seul 1/3 de l’Atlas pouvait être révisé. Voir Karen W. FONSTAD, “Writing “TO” the Map”, Tolkien Studies, vol. 3, 2006, p. 136.
4) Dans HoMe XII, p.371, on apprend que cette salle était appelée Menelrond (signifiant en Sindarin « dôme du ciel »), « parce que grâce aux artifices et à l’aide de Melian ces hautes voûtes avaient été ornés avec de l’argent et des pierres précieuses disposées comme les étoiles du grand Dôme de Valmar en Aman, d’où Melian venait ».
5) Sur cette question du positionnement fautif de Belegost, voir Didier WILLIS, « Du Beleriand aux confins de Rhûn — Collages et reconstructions cartographiques », in volume : Tolkien, le façonnement d'un monde (volume 2 — Astronomie & Géographie), Le Dragon de Brume, 2014, p. 204-206.
6) Les cartes générales d’Arda mettent en lumière un problème bien connu de l’Atlas, qui est le décalage fortuit d’un repère entre le Beleriand et l’Eriador. Pour le dire autrement : la baie de Balar se retrouve à la même latitude que la Moria, alors qu’elle devrait se trouver au nord de l’Eregion. Voir D.Willis, op. cit., p. 205-206.
7) Voir Tolkien Art Index (https://tai.tolkienists.org/) #433, et Wayne G. HAMMOND et Christina SCULL, The Art of the Lord of the Rings by J.R.R. Tolkien (AotLotR), HarperCollins, 2015, Fig. 150.
8) HoMe VI, p. 335 ; TAI #147 ; AotLotR Fig. 25.
9) HoMe VIII, p. 201 ; TAI#170 ; AotLotR Fig. 94.
10) HoMe VIII, p. 181 ; TAI #169 ; AotLotR Fig. 91.
11) HoMe VI, p. 201 ; voir aussi TAI #146, AotLotR Fig. 30 et TAI #145, AotLotR Fig. 31.
12) Karen Wynn FONSTAD, L'Atlas de la Terre du Milieu, trad. Daniel Lauzon, illus. Stéphane Arson, Bragelonne, 2022.
13) Le plan de Gondolin dans la première édition était très sommaire, et ne comportait en son centre que le Parc du Roi (”Square of the King”) avec en son centre la Tour du Roi (”Tower of the King”).
14) Pour les internautes d’aujourd’hui, ce n’est pas tout à fait exact, car ce plan de Minas Tirith (ainsi que la vue de côté), apparaît (en monochrome) dans l’article de Karen W. FONSTAD, “Mapping Middle-Earth”, Bulletin of the Wisconsin council for geographic education, p. 48-57, 1983.
 
tolkien/sur-tolkien/critiques/atlas_fonstad_premiere_edition.txt · Dernière modification: 27/07/2023 18:38 par Simon
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