Tolkien et le magnétophone à bandes

Wayne Hammond & Christina Scull, traduit de l'anglais par Vivien Stocker – mars 2016
Note de lectureNotes de lecture : En tant que présentations ou compilations, ces articles sont les plus accessibles à tous les lecteurs. Aucune connaissance sur J.R.R. Tolkien n'est requise.
Cette article est une traduction de Tolkien and the Tape Recorder publié en 2013 sur le blog de Wayne Hammond & Christina Scull.

Ayant lu en ligne plusieurs commentaires erronés à propos du fait que Tolkien utilisait et possédait des magnétophones à bandes, Christina a relu l’article « Recordings » de notre J.R.R. Tolkien Companion and Guide, ainsi que les informations en lien avec ce sujet dans d’autres parties des volumes du Reader’s Guide et du Chronology. Mais les commentaires ont rapidement disparu (ou, du moins, nous ne les trouvons plus1)), et puisque Christina avait fourni ce travail, nous avons décidé de transformer ce qui aurait pu être la base d’une réponse en un post de blog. La plus grande partie de ce contenu est dans le Companion and Guide, mais consolidé et augmenté d’informations supplémentaires.

À la fin du mois d’août 19522), alors que Tolkien séjournait chez ses amis George et Moira Sayer à Malvern, ses hôtes produisirent un enregistrement sur bandes3) pour l’amuser. Selon Sayer, Tolkien « n’en avait jamais vu auparavant » — c’étaient les tout premiers jours des magnétophones à bandes magnétiques portables pour le grand public en Angleterre — « et dit de façon originale qu’il devait chasser tout diable qui pourrait s’y trouver en enregistrant une prière, le Notre Père, en gotique. Il fut enchanté lorsque je lui fis écouter et il demanda s’il pouvait enregistrer quelques-uns des poèmes du Seigneur des Anneaux pour savoir comment ils sonnaient pour les autres gens. Plus il enregistrait, plus il appréciait d’enregistrer et plus sa confiance littéraire augmentait. Lorsque nous eûmes terminé les poèmes, l’un de nous dit : « Enregistrez-nous la scène des énigmes du Hobbit », et nous nous assîmes envoutés durant presque une demi-heure, alors qu’il le faisait. Je lui demandais ensuite d’enregistrer ce qu’il pensait être l’une des meilleures parties en prose du Seigneur des Anneaux et il enregistra une partie de La Charge des Rohirrim [Livre V, Chapitre 5] » (notes de la jaquette de l’album LP J.R.R. Tolkien Reads and Sings His The Hobbit and The Fellowship of the Ring).

Pochette du LP de Caedmon réunissant des lectures du Hobbit et du Seigneur des Anneaux Pochette du LP de Caedmon réunissant des lectures du Hobbit et du Seigneur des Anneaux

Sayer répéta cette histoire, avec des ajouts et des variations, en deux occasions. Dans « Tales of the Ferrograph », Minas Tirith Evening-Star 9, n°2 (janvier 1980), p. 2-4, il dit que Tolkien enregistra le Notre Père d’abord en anglais puis en gotique. Sayer raconte également que Tolkien « avait une voix parlée très mauvaise, bien que nous ayons produit de très bons enregistrements de lui avec ce vieux ferrographe en positionnant le microphone vraiment très près de lui » (p. 2) et qu’il fut étonné d’entendre comment sonnait sa propre voix. Dans « Recollections of J.R.R. Tolkien », Proceedings of the J.R.R. Tolkien Centenary Conference 1992 (1995), Sayer fait à nouveau référence à l’évènement, mais mentionne le Notre Père en gotique seulement. Il dit que lorsque Tolkien enregistra quelques-uns des poèmes, « il en chanta certains dans la mélodie qu’il avait en tête quand il les écrivit. Il fut content du résultat. C’était frappant de voir combien sa voix semblait meilleure enregistrée et amplifiée. Plus il enregistrait et plus souvent il rejouait les enregistrements, plus sa confiance augmentait. Il [lui plutôt que l’un des Sayer] demanda à enregistrer la grande scène des énigmes du Hobbit. Il la lu magnifiquement et fut particulièrement enchanté par son interprétation de Gollum » (p. 23).

Une lettre que Tolkien écrivit à son éditeur, Rayner Unwin, le 29 août 1952, montre que Sayer n’exagérait pas l’intérêt de Tolkien. Tolkien fut surpris de voir à quel point les cassettes rendaient bien et, avec son succès comme lecteur, se demanda si la BBC serait intéressée par l’utilisation des enregistrements. Unwin suggéra qu’il pourrait en discuter avec Tolkien à leur prochaine rencontre, mais rien ne semble avoir découlé de cette suggestion. Pas plus que de la suggestion de Tolkien, dans sa lettre du 28 août 1953 à George Sayer, de lui rendre une nouvelle visite et de faire un enregistrement à deux voix avec lui. Une sélection des enregistrements privés que Tolkien fit en 1952 furent publiés en 1975 par Caedmon sur deux albums vinyles longue durée (LP) et sur des cassettes audio. Il serait très intéressant de savoir ce qu’il advint des bandes magnétiques originales, qui comprenaient du matériel supplémentaire par rapport à ce que l’on trouve dans les enregistrements publiés. Dans « Tales of the Ferrograph », Sayer affirme que « Caedmon [coupa] sottement et furieusement » la lecture de Tolkien du Notre Père ainsi que la conversation qui prenait place entre les lectures de ses œuvres. Enfin, Sayer se plaint que Caedmon n’ait « fait aucune tentative pour réduire le bruit de fond. Ils pensaient que le public américain serait déçu si l’enregistrement ne sonnait pas vieux » (p. 3). Après cette expérience, Tolkien réfléchit également à la manière dont un magnétophone à bandes pourrait l’aider professionnellement, lui et les autres membres de la faculté d’anglais d’Oxford. Le 6 juillet 1953, il écrivit au secrétaire des facultés, pour lui demander une subvention pour l’achat d’un enregistreur à bandes qui, dit-il, l’avait impressionné lorsqu’il avait eu l’opportunité d’utiliser de tels enregistreurs hors d’Oxford : « Pour les séminaires ou les classes réduites, ils sont extraordinairement efficaces pour exposer les changements phonétiques et linguistiques ; et pour la « philologie pratique », la reconstruction de formes passées du discours et de modes littéraires (un département pour lequel j’ai de l’intérêt et dans lequel je m’implique depuis longtemps), ils sont devenus d’indispensables assistants. » Il dit qu’il était assez familier de ce genre de machines et qu’il avait fait un certain nombre d’enregistrements, « dont certains sont utilisés ailleurs à des fins pédagogiques » (Oxford University Archives, Chronology, p. 401-402). Il avait à l’esprit un enregistreur portable, qui pouvait être conservé dans sa salle à l’université, mais pourrait être facilement transporté jusqu’aux salles de conférences ou prêté aux autres membres de l’École. À la réunion du Bureau de la faculté d’anglais, le 16 octobre, sa demande de subvention fut transférée au Bureau Général avec un fort soutien de la part du Bureau de la faculté d’anglais ; ce fut un succès et Tolkien fut autorisé à acheter un magnétophone avec une subvention de 100 £ au Comité des Études Supérieures. Il semble cependant que cet arrangement n’ait pas été suivi : Tolkien prit sa retraite à la fin du troisième trimestre 1959 (Trinity Term) et ce ne fut pas avant mai ou juin 1960 que l’enregistreur – un Ferranti – lui fut repris par C.L. Wrenn et seulement alors placé à la bibliothèque de la faculté d’anglais.

Au cours de l’été 1953, Tolkien correspondait avec P.H. Newby de la BBC à propos d’une potentielle diffusion radio de sa traduction en anglais moderne de Sir Gawain and the Green Knight. Tolkien espérait qu’on l’autoriserait à lire lui-même le poème pour la diffusion, mais la BBC n’était pas disposée à le lui faire faire, comme Tolkien le raconta à George Sayer dans sa lettre du 31 août 1953. Dans cette même lettre, Tolkien disait que, pour travailler sur Sir Gawain, il avait embauché (loué) un magnétophone, un vieux Sound Mirror, le meilleur qu’il pouvait avoir par ici, qui était « très utile en ce qui concernait le timing et la vitesse. Avec l’aide de Christopher et Faith [Tolkien], j’ai fait trois expériences de voix et des enregistrements des scènes de tentation. Une énorme amélioration et assistance pour l’auditeur. Chris a fait un excellent Gauvain (bien que légèrement oxonien…), avant que nous dussions couper » (George Sayer, « Recollections of J.R.R. Tolkien », p. 24, corrigé avec les références à la lettre d’origine, Chronology, p. 408).

Ce même jour, Tolkien écrivit aussi à P.H. Newby qu’il avait passé quelques jours à mener des expériences avec Sir Gawain sur un magnétophone à bandes, « ce qui m’avait suggéré divers points. Parmi lesquels que la traduction, comme copie de lecture, a besoin d’être un peu lissée et allégée par endroits, même si cela néglige la précision requise pour une forme imprimée pour une utilisation (largement) conjointe avec le texte original… » (BBC Written Archives Centre, Chronology, p. 408). À la suite de l’émission réussie sur Sir Gawain, Tolkien demanda à Newby dans une lettre du 3 mai 1954, si la BBC pourrait être intéressée par la diffusion de The Homecoming of Beorhtnoth Beohthelm’s Son, une pièce concernant la bataille de Maldon, qu’il avait écrit en vers allitératifs, en précisant qu’il en avait lui-même fait un enregistrement et qu’il le trouvait vraiment bon. Pour celui-ci, il joua tous les rôles et fit même ses propres effets sonores, y compris déplacer des meubles pour simuler le son des roues d’un chariot. La pièce fut finalement diffusée par la BBC, mais là encore sans que Tolkien ne soit pris comme acteur. Il fit remarquer au producteur de la BBC, le 22 septembre 1954, que les « directions visuelles » dans Beorhtnoth pouvaient être ignorées « bien que j’envisage quelques lignes supplémentaires. J’ai testé cela en enregistrant l’ensemble sur bande magnétique » (BBC Written Archives Centre, Chronology, p. 440). Les enregistrements privés de Tolkien furent édités avec d’autres matériels enregistrés par Christopher Tolkien, sur une cassette audio par HarperCollins, Londres, dans une édition limitée gratuite pour la Tolkien Centenary Conference d’Oxford en 1992.

Jaquette de la cassette audio de The Homecoming of Beorhtnoth Beohthelm’s Son Jaquette de la cassette audio de The Homecoming of Beorhtnoth Beohthelm’s Son

Début 1966, l’éditeur de Tolkien George Allen & Unwin se mit d'accord avec Donald Swann pour l’enregistrement de son cycle de chants des poèmes de Tolkien, The Road Goes Ever On. À l’origine, l’album devait aussi inclure des lectures des poèmes de Tolkien par Michael Flanders, le collègue de Swann sur At the Drop of a Hat, et pour cela, Tolkien utilisa des enregistrements cassette pour leur fournir conseil et assistance. Le 28 mars 1966, Tolkien écrivit à Swann, depuis l’hôtel Miramar à Bournemouth, qu’il avait échoué à trouver un magnétophone à bandes dans les environs, sur lequel enregistrer la Lamentation de Galadriel (Le Seigneur des Anneaux, Livre II, Chapitre 8). Si le sujet était urgent, cependant, il était prêt à continuer ses recherches, mais si cela pouvait attendre qu’il revienne à Oxford, il y ferait alors un enregistrement ; dans tous les cas, il envoyait quelques notes. Cela pourrait suggérer que Tolkien possédait un magnétophone à cette date, mais la correspondance ultérieure laisse à penser que ce n’était pas le cas, plutôt qu’il en connaissait un qu’il pourrait utiliser.

Au cours d’une visite de Donald Swann et sa femme aux Tolkien, le 20 décembre 1966, il fut convenu qu’il devrait y avoir un enregistrement longue durée du cycle de chants produit par Swann et le baryton William Elvin sur une face et Tolkien lisant ses propres poèmes (plutôt qu’une lecture de Michael Flanders) sur l’autre. Début mai 1967, Caedmon, la compagnie produisant le LP, envoya à Tolkien un magnétophone à bandes Philips sur lequel il pourrait pratiquer avant de faire les enregistrements à Oxford, le 15 juin. Alors qu’il lisait La Cloche marine, il découvrit une erreur dans le texte imprimé dans Les Aventures de Tom Bombadil et autres poèmes du Livre Rouge (1962). Plus tard, avec l’aide de deux hommes de Caedmon, il acheva l’enregistrement d’au moins huit poèmes du volume Bombadil, ainsi que des poèmes elfiques A Elbereth Gilthoniel et Namárië issu du Seigneur des Anneaux4).

Caedmon remplaça la machine prêtée sur laquelle s’entraînait Tolkien par une autre qu’ils lui offraient, lui envoyant des brochures pour qu’il fasse un choix. Guidé par Joy Hill, il choisit le modèle Philips Automatic Family De Luxe. Il la reçu le 8 août 1967, mais puisqu’il était sur le point de s’absenter et qu’il avait besoin d’une certain assistance pour l’utiliser, ce ne fut pas avant le 27 août que, avec de l’aide, il passa « quelque temps à faire des enregistrements et à découvrir les capacités de la machine Philips ». Il la trouva facile d’utilisation, mais les enregistrements pas très bons. Il suspectait que « le microphone fournit n’est pas de même qualité que la machine. Les enregistrements que j’ai faits il y a neuf ou dix ans après reproduction sur celle-ci, étaient bien meilleurs que ceux faits directement » (lettre à Joy Hill, 30 août 1967, Tolkien–George Allen & Unwin archive, HarperCollins, Chronology, p. 706). Néanmoins, il estima que ça serait utile pour la pratique. (Nous n’avons pas été capable de trouver de références en ligne à ce modèle Philips en particulier, mais si Tolkien pu rejouer des bandes magnétiques des années 1950, qui précédaient les cassettes audio, sa nouvelle machine devait être une variété de bobine à bobine).

Dans une lettre du 6 mars 1968, Tolkien proposa à son petit-fils Michael George de lui prêter le magnétophone que lui avait donné Caedmon. Il fit un commentaire sur la qualité supérieure des bandes faites sur la machine précédente, la Ferranti, fournie par l’Université d’Oxford, par rapport à son nouveau magnétophone, qu’il décrivit encore comme bon à l’exception du microphone. Il nota aussi qu’il devrait renouveler certaines de ses bandes les plus vieilles, à cause de leur détérioration.

Sur Tolkiendil

Sur le net

1) Nous pensons que les commentaires furent fait sur une page Facebook, c’est-à-dire sur une page qui change et se mélange presque constamment et dont le mécanisme de recherché interne n’offre aucune aide.
2) Tolkien avait auparavant (en juillet 1929) brièvement travaillé comme « acteur » pour le Linguaphone Conversational Course en anglais, publié par Linguaphone Institute of London, sous la forme d'une série d’enregistrements en 78 tours. Il lut une introduction et joua l’un des deux rôles de la leçon 20, « At the Tobacconist’s » et fut à nouveau l’un des deux lecteurs de la leçon 30, « Wireless ». Dans ces deux leçons, il est accompagné par l’auteur des leçons, A. Lloyd James de l’Université de Londres. Mais ce furent des enregistrements d’un genre très différent de ceux faits avec la machine de Sayer, dans un studio plutôt qu’à la machine.
3) Dans ‘Tales of the Ferrograph’, Sayer nomme le modèle comme le modèle « Mark I Ferrograph – ce fut leur tout premier modèle à bandes ».
4) Cinq d’entre eux, Les Aventures de Tom Bombadil, Les Mewlips, Le Trésor, Perry le Bigorneau et L’Homme dans la Lune est descendu trop tôt furent publiés pour la première fois fin 1967, comme parties du LP Poems and Songs of Middle Earth (sic). The J.R.R. Tolkien Audio Collection, sorti en 2001, comprend toute la matière issue des LP de Caedmon (excepté le cycle de chants) plus quatre poèmes enregistrés en 1967, mais auparavant inédits : Errance, Princesse Moa, La Cloche marine et Namárië. Un e-book récent du Hobbit (qui n’est pas dans notre collection) comprend à l’évidence de la matière enregistrée supplémentaire issue de cette œuvre et fait peut-être partie du matériel du Hobbit censé accompagner le fac-similé de la première édition prévue pour 2014. [Ndt : Au jour de la publication de la traduction de cet article, c'est-à-dire mars 2016, cette édition en fac-similé n’a toutefois pas été publiée.]
 
tolkien/etudes/tolkien_magnetophone.txt · Dernière modification: 06/04/2020 18:47 (modification externe)
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