La Mythologie selon le Seigneur des Anneaux — Critique

Présentation

La Mythologie selon le Seigneur des Anneaux est un ouvrage de 192 pages écrit par Ilan Ferry, jeune auteur publiant pour la première fois sur J.R.R. Tolkien, et édité par les Éditions de l'Opportun, maison spécialisée dans la culture populaire chez laquelle l'auteur a auparavant publié un livre centré sur le personnage de Tyrion Lannister de G.R.R. Martin 1).

Dans l'ensemble, cet ouvrage s'est avéré très décevant. Entre les plagiats de Wikipédia (entre autres), les erreurs factuelles, les interprétations hasardeuses et finalement les amalgames entre les films et l’œuvre de J.R.R. Tolkien, rien ne distingue positivement ce nouveau livre qui prétend ouvrir vers des domaines pointus (Tolkien, la mythologie scandinave, la mythologie antique) sans en avoir les moyens. L'ouvrage tire sa véritable identité des références à la culture populaire, comme Star Wars ou Harry Potter, trop peu développées néanmoins pour valoir le détour.

Note sur la couverture

Le livre présente une couverture ornée d'un cercle d'inscriptions rappelant celles de l'Anneau Unique. Il s'agit en fait d'une stylisation du titre dans une police rappelant les tengwar elfiques et dont la lecture donne : “La mythologie selon le Seigneur des anneaux : clins d'oeil grecs et romain” [sic]. Un sous-titre “Les mythes fondateurs” figure en deçà.

Esprit de l'ouvrage

Présenté comme un (“grand”) spécialiste de l’œuvre de J.R.R. Tolkien en 4e de couverture, l'auteur expose son ambition dans son introduction (p. 13-15) : non pas faire un ouvrage de référence, mais un “guide” destiné à “défricher” et à donner les “clefs nécessaires” pour comprendre la Terre du Milieu. La modestie (apparente) de cette ambition s'explique par l'existence d'autres livres “extrêmement passionnants” (p. 14), à propos desquels je reviendrai ci-dessous.

Le sujet précis, la “mythologie selon le Seigneur des Anneaux”, est assez mal expliqué. Il s'agit en fait de l'ensemble des références de l’œuvre aux mythologies antique et scandinave que l'auteur a voulu relever dans Le Seigneur des Anneaux et qui sont rassemblées sous ce terme. En réalité, l'auteur va bien au-delà des mythes (et des légendes) et fait référence aussi à l'histoire, la philosophie, l'actualité contemporaine, allant même jusqu'à dresser des parallèles entre les personnages fictifs de Saroumane et Sauron avec les dirigeants Donald Trump et Jair Bolsonaro (en évoquant une œuvre “prophétique”, p. 38). Le manque de distinction claire entre les inspirations de Tolkien et les réutilisations de son œuvre (par Stephen King par exemple, p. 41) entretient une certaine confusion sur l'objet véritable du livre et sur cette nébuleuse de références.

L'auteur adopte un plan en quatre parties : les lieux (le Mordor, le Gondor, etc.), les races (Elfes, Nains, Hommes, Magiciens), les monstres et autres (Orques, Balrogs, Ents, Nazgûl), et enfin les artefacts (l'anneau, les épées, le miroir de Galadriel). Il ne présente donc pas les inspirations par thèmes (la mythologie scandinave, par exemple), mais fait la part belle à une présentation classique de la Terre du Milieu qui n'est pas très bien justifiée par ailleurs (par exemple, les Magiciens sont dans les races, alors que l'auteur affirme par ailleurs qu'ils sont de même nature que les Balrogs, présentés dans les monstres et compagnie). En outre, on se demande si la présentation généraliste qui est faite de la Terre du Milieu s'imposait, à l'heure où d'autres livres et nombre d'encyclopédies gratuites en ligne fournissent un très bon niveau de connaissances à ce sujet (voir plus loin).

Enfin, chaque section du livre comporte une partie “Le Point Pop Culture” distinguée par un liseré latéral. Il ne s'agit plus alors de mythes, mais de références à Games of Thrones, Star Wars, Harry Potter, Hunger Games (env. 30 pages au total). Ces références ne sont pas inintéressantes et étendent le sujet aux liens éventuellement réalisés par d'autres œuvres avec Le Seigneur des Anneaux (The Lord of the Rings). Il est clair que l'auteur a ses préférences pour ce thème sur lequel il peut de fait s'exprimer plus librement.

À noter que le style est marqué par un recours récurrent à l'humour, en particulier dans les sous-titres (“Nain porte quoi”, p. 96) mais aussi dans le corps du texte (“après avoir foutu le dawa”, p. 170, “avant de perdre son Unique lors d'une sauterie avec Isildur”, p. 171).

Références et plagiat

Dans son introduction, l'auteur a évoqué en quelques mots (p. 14) l'abondante bibliographie tolkienienne à laquelle il contribue présentement. Il aurait pu être intéressant de présenter une courte bibliographie répertoriant au moins les ouvrages cités dans le livre.

Plus dommageable, l'auteur ne renvoie pas à des travaux qui auraient pu intéresser un lecteur de Tolkien débutant par cette introduction. Ainsi, ni Isabelle Pantin, Tolkien et ses légendes. Une expérience en fiction, ni Charles Delattre2) (par exemple lorsque le mythe de l'Atlantide est évoqué p. 103), ne sont cités. Vincent Ferré et son ouvrage Tolkien, sur les rivages de la Terre du Milieu n'est pas non plus cité (on (re)conseillera aussi sa lecture). On notera que Tolkien et le Moyen Âge, édité par Leo Carruthers, est mentionné à un endroit. Mais l'auteur cite surtout David Day, aussi bien L'Univers de Tolkien que L'Encyclopédie illustrée de Tolkien, qui ne sont pas reconnus pour leur fiabilité concernant l'oeuvre de J.R.R. Tolkien. Plus fréquemment, l'auteur fait référence à des travaux disponibles sur internet : articles (Slate, le Point), notices d'encyclopédies en ligne comme Wikipedia, vidéos youtube. Ces dernières références ne présument en rien de la qualité du discours tenu, mais font pendant à une ignorance apparente des travaux publiés auparavant.

Le renvoi à ces travaux est fait de façon très vague, avec assez peu de notes de bas de page (42) sans que l'auteur ne précise jamais la page de l'ouvrage mentionné. Une telle lacune aurait pu être corrigée par un travail éditorial sérieux. On lit par exemple “d'après David Day dans son ouvrage L'Univers de Tolkien” sans référence de page ; ou “on trouve cette référence dans les Deux Tours” sans plus de précision (p. 169) ; ailleurs l'auteur mentionne par exemple un essai d'Anne Martineau et le cite entre guillemets (p. 154), mais ne donne aucune indication pour le retrouver. Ailleurs, il mentionne Emmanuelle Poulain-Gautret mais ne renvoie pas à son essai Détruire et venger, de certaines satisfactions «  épiques  », de la Chanson de Roland au Seigneur des Anneaux (p. 75).

Cette façon dilettante de traiter les travaux déjà publiés a un lien direct avec le contenu du livre, qui entretient de fait une confusion entre les propos qui sont de l'auteur et ceux qui ne le sont pas.

Malheureusement plus grave, l'auteur plagie clairement des travaux antérieurs. Si une partie de l'ouvrage réécrit ponctuellement certaines de ses sources, l'auteur copie aussi in extenso sur des pages continues, et ce sans guillemets ni référence à la source originelle, ce qui contrevient très largement aux droits d'auteur 3).

Ainsi, les pages 22-23 sont complètement issues des pages de Wikipedia et de Wiki deck sur la Terre du Milieu, mais aussi sur Midgard et Heimdall, sans référence. Pages 24-25, l'auteur mentionne un essai publié sur Tolkiendil, Le médiéval en Terre du Milieu : la carte de Thrór, ce qui ne lui donne pas droit à recopier des paragraphes entiers (de “à Canterbury” jusqu'à “intensément étudié par Tolkien”). Pages 27-30 (sur quatre pages donc) l'auteur recopie (sans donner la référence) les pages de l'article de Wikipedia sur la Comté. Pages 33-36 (quatre pages à nouveau) ce sont des paragraphes de Wikipedia et de https://lotr.fandom.com/fr/wiki/ sans retouche. Pages 43-46, c'est l'article du Rohan qui est pillé de la même manière, sans être cité ; pages 51-52, c'est la page Wikipedia du Gondor ; page 59, la page Wikipedia des Hobbits ; page 80, la page Wikipedia sur les Elfes ; pages 93-94, la page des Nains de l'encyclopédie https://lotr.fandom.com/fr/wiki/ ; page 95, la page Wikipedia de Gimlé (de la mythologie nordique) ; pages 101-102, c'est la page Wikipedia des Hommes ; page 132, celle de Gollum. Ce sont au total 25 pages qui sont directement reprises de ces encyclopédies en ligne, parfois avec des fautes (le moulin de Sarehole est renommé Sarhole, p. 30).

Une connaissance des films plutôt que du livre

Si cet abus témoigne d'une pauvre considération pour le travail d'auteur, il s'explique aussi par une connaissance très basique du livre Le Seigneur des Anneaux (The Lord of the Rings) de J.R.R. Tolkien, souvent confondu avec les films de Peter Jackson dont les citations ornent les débuts de chaque chapitre comme s'il s'agissait de la même œuvre. Cette confusion amène l'auteur à écrire que Tolkien a créé une “trilogie” (c'est le cas seulement pour les films, p. 17 ; p. 37) ou à expliquer par exemple qu'Aragorn accepte qu'Arwen suive l'exil des Elfes (c'est dans le film qu'il l'y encourage effectivement ; p. 106).

En dehors des passages copiés des encyclopédies, des erreurs factuelles émaillent le discours : les lettres lunaires ne sont certainement pas un alphabet (p. 24) ; Eärendil ne s'échappe pas d'un labyrinthe (p. 53) ; les Elfes ne se séparent pas dans les deux catégories des Elfes guerriers et des Érudits (p. 81) ; p. 58 la phrase citée n'est pas la première du prologue ; Ilúvatar n'accorde pas la vie aux Nains parce qu'ils ont déjà le libre arbitre : c'est lui qui le leur donne (p. 91) ; les Hommes du Troisième Âge ne sont pas tous appelés Dúnedain (p. 101) ; le Balrog ne meurt pas dans l'abîme de la Moria (p. 141) ; Arachne ne s'appelle pas aussi Morghule (p. 146, p. 147) ; écrire que “la fiole que Galadriel donne à Frodon contient une lumière faite à partir des Arbres de Valinor” est un raccourci (elle contient la lumière d'Eärendil, qui provient du Silmaril de Fëanor contenant effectivement la lumière des Arbres), p. 148 ; “Orome” [sic], n'est pas seulement un “illustre guerrier” mais un Vala (p. 152). Enfin, une subtilité : Sauron ne s'empare pas des anneaux “des Hommes et des Nains” (p. 171), il s'empare d’anneaux de pouvoir qu’il distribue ultérieurement à ces peuples, mais qui ne leur étaient pas destinés par Celebrimbor.

Ces erreurs ponctuelles s'accompagnent d'interprétations douteuses, notamment dans le domaine des références mythologiques avec lesquelles l'auteur établit des liens de façon superficielle et un peu péremptoire. La “titan” Maia devient une inspiration pour la race des Maiar, Hermès une inspiration évidente pour le personnage de Gandalf (p. 71) ; ce dernier personnage trouve d'ailleurs ses origines “dans la fantasy”, ce qui semble un peu confus (p. 69) ; il est curieux de lire que Saroumane est “omniscient et puissant comme Zeus” (p. 74) ; la mort du Balrog ne fait pas “directement référence à l'évasion de Dédale et de son fils Icare” (p. 141) et le lien entre Shelob et le mythe grec d'Arachne n'est pas très convaincant (p. 150). Quelques références historiques, non contextualisées, débarquent sans être très justifiées, par exemple le roi Numa Pompilius (p. 188), l'empereur romain Valens (p. 175). Lire que “c'est un anneau qui fut à l'origine d'une dispute entre le démagogue Drusus et le leader des sénateurs Caepius, entraînant ainsi l'éclatement des guerres sociales jusqu'à l'effondrement de la république romaine”, laisse dubitatif ceux qui s'intéressent à cette période (p. 167). Ces références et comparaisons, trop peu étayées, n'améliorent pas la compréhension du livre de J.R.R. Tolkien et relèvent plutôt de la mésinterprétation.

Enfin, on trouvera des comparaisons entre les personnages du roman et des personnalités politiques contemporaines : Sauron est ainsi vu comme une allégorie de Hitler, ou Saroumane de Pétain (p. 191-192) ; les deux personnages du roman sont aussi comparés à Donald Trump et Jair Bolsonaro (p. 38). En dressant ces parallèles tous azimuts, l'auteur laisse entendre que tous ont la même valeur dans le cadre de l'analyse du livre.

Conclusion

L'auteur et son éditeur ont une responsabilité commune dans la publication d'un ouvrage qui promeut une littérature sans éthique dans le champ de la culture populaire. On fait le vœu qu'il s'agisse d'une erreur de jeunesse, et qu'ils fassent amende honorable en promettant qu'on ne les y reprendra plus.

1) Une critique de cet ouvrage est d'ailleurs parue sur le site de La Garde de Nuit.
2) Ch. Delattre, « Númenor et l'Atlantide : une écriture en héritage », Revue de littérature comparée, 2007/3 (n° 323), p. 303-322 ; https://www.cairn.info/revue-de-litterature-comparee-2007-3-page-303.htm
3) Les articles de Wikipedia et de https://lotr.fandom.com/fr/wiki/ sont en CC-BY-SA et peuvent être réutilisés in extenso, mais avec crédit : voir https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/fr/. Les essais publiés sur le site de Tolkiendil sont protégés par les droits d'auteur.
 
tolkien/sur-tolkien/critiques/la_mythologie_selon_le_sda.txt · Dernière modification: 19/07/2022 19:48 par Tikidiki
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