Christopher Tolkien
© Bob Cohn

Christopher Tolkien

Nom completChristopher John Reuel Tolkien
Naissance et mort21 novembre 1924 - 16 janvier 2020
ParentsJ.R.R. Tolkien & Edith Bratt Tolkien
Frères et soeursJohn, Michael et Priscilla
Épouses Faith Faulconbridge puis Baillie Klass
Enfants Simon, Adam & Rachel



par Yannick Chazareng et Vivien Stocker

Portrait

La jeunesse

Christopher John Reuel Tolkien est le troisième fils et avant-dernier des quatre enfants de J.R.R. Tolkien et de sa femme Edith. Il naît le 21 novembre 1924 à Leeds en Angleterre, alors que son père est maître de conférences à l'université de Leeds. Son prénom est un hommage à l’ami d’enfance de son père, Christopher Wiseman. Il utilise parfois le prénom baptismal « John », comme en témoignent les initiales présentes sur les cartes du Seigneur des Anneaux « CJRT ». Il a une passion pour les étoiles, qu’il observe au télescope, ainsi que pour le chemin de fer. Il fait partie du premier public qui profite des incroyables talents de conteur et d’improvisateur de son père. Une petite voiture lui appartenant inspire ainsi à J.R.R. Tolkien l’histoire de Monsieur Merveille. Après la nomination de J.R.R. Tolkien à la chaire d'anglo-saxon Rawlinson et Bosworth d'Oxford, toute la famille déménage dans la ville en 1925. Christopher est formé à la Dragon School d’Oxford, puis à l'Oratory School de Reading. Durant les premières années de son adolescence, à cause d’une affection cardiaque, il doit rester chez lui avec un tuteur privé. Début 1942, il retourne à l'école, intégrant le Trinity College pour faire quelques études avant d'être appelé au front. En juillet 1943, il entre dans la Royal Air Force où il devient pilote. Il est envoyé en formation en Afrique du Sud, pays où son père est né. En 1945 il est stationné quelque temps dans le Shropshire.

Les études et la vie d’enseignant

Après la guerre il retourne terminer ses études à l'université d'Oxford, au Trinity College. Pendant un temps son tuteur est C.S. Lewis. Son Master of Arts (l'équivalent d'une maîtrise) est une traduction de la Saga de Hervarar et du roi Heidrekr (là encore signée C.J.R. Tolkien), et il obtient son baccalauréat universitaire en 1949. Il enseigne ensuite le vieil anglais, le vieux norrois et l'anglais moderne, en tant que tutor (directeur d’études), puis lecturer (maître de conférences). Il se fait connaître en tant que médiéviste et philologue, et étudie les éléments historiques figurant dans La Bataille des Goths et des Huns (poème en vieux norrois) et publie un article afférent dans le Saga Book1). En 1956, il rédige l’introduction à l’édition par E.O.G. Turville-Petre de la Hervarar Saga ok Heithreks ; deux ans plus tard, en collaboration avec Nevill Coghill, il édite Le Conte du Confesseur de Chaucer ; et en 1959, Le Conte de la Nonne. Il est élu fellow (membre titulaire) du New College d'Oxford en 1963. En 1969, il édite un troisième conte de Chaucer en compagnie de Coghill : Le Conte de l’Homme de loi. Il abandonne sa charge universitaire en 1975 pour se consacrer totalement à l'héritage littéraire de son père, mort deux ans plus tôt. À l’époque, il jette dans un fourré la clé attribuée à chacun des professeurs et que ceux-ci doivent exhiber en fin d’année au cours d’une cérémonie rituelle.

Le critique, le secrétaire et l’exécuteur littéraire

Christopher est souvent le premier critique des travaux « non-professionnels » de son père ; d'abord, quand il est enfant avec l'histoire le Hobbit (il fut d’ailleurs payé deux pence la correction sur le manuscrit de son père), puis, quand il est adolescent et jeune adulte, avec le Seigneur des Anneaux pendant les quinze années de son élaboration ; il en lit les chapitres aux réunions des Inklings — dont il est entre-temps devenu un membre permanent — après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il se révèle un meilleur lecteur que son père, et pourra même venir à leurs réunions en l’absence de celui-ci. Tolkien n’ayant pas les moyens de se payer un(e) secrétaire, il a la tâche d'interpréter les cartes de la Terre du Milieu de son père, qui se contredisent parfois, afin de produire celles utilisées dans les livres. Il redessine la carte principale du Seigneur des Anneaux à la fin des années 1970 afin de modifier le lettrage et corriger quelques erreurs et omissions, et réalise la totalité des bandeaux en tengwar ornant les œuvres posthumes de son père publiées par ses soins. Il recopie par ailleurs au propre certains chapitres. Pendant son affectation pour formation en Afrique du Sud pendant la Seconde Guerre mondiale, il reçoit de nombreux chapitres du Seigneur des Anneaux de la part de son père, pour lui donner son avis. Anecdote éclairante, il déclare un jour à son père : « La dernière fois, tu as dit que la porte d’entrée de Bilbo était bleue, et tu as dit que Thorin avait un gland doré sur son capuchon, mais tu viens juste de dire que la porte d’entrée de Bilbo était verte, et que le capuchon de Thorin était argenté » ; ce à quoi Ronald s’est écrié « Satané garçon ! » et a traversé la pièce à grandes enjambées pour écrire une note2). J.R.R. Tolkien lui dédiera, ainsi qu’à d’autres personnes, le Seigneur des Anneaux. Christopher précise son rapport à l’œuvre de son père : « Si étrange que cela puisse paraître, j’ai grandi dans le monde qu’il avait créé. Pour moi, les villes du Silmarillion ont plus de réalité que Babylone ». Il déclare encore : « Le soir, il venait dans ma chambre et me racontait, debout devant la cheminée, des histoires formidables, celle de Beren et Lúthien par exemple. »

Après la mort de son père, qui l'avait désigné comme son exécuteur littéraire quelques années auparavant, c’est plus de 50 ans d’archives qui l’attendent, dans 70 boîtes. Le tout dans un désordre effrayant ; presque rien n’est daté ni numéroté, tout est fourré en vrac dans les cartons. Souvent, un brouillon est écrit par-dessus un brouillon plus ancien et les noms des personnages changent régulièrement entre le début et la fin d'un même écrit. Déchiffrer l'ensemble est une tâche difficile et Christopher admet par ailleurs qu'il a parfois dû deviner ce que son père a voulu dire. Il collabore avec Guy Gavriel Kay, étudiant canadien et futur écrivain de fantasy, et parvient à terminer le Silmarillion, qu'il publie en 1977, avec une petite inquiétude. « J'ai tout de suite pensé que le livre était bon, mais un peu faux, dans la mesure où j'avais dû inventer quelques passages », explique-t-il. A l'époque, il fait même un rêve désagréable : « J'étais dans le bureau de mon père, à Oxford. Il entrait et se mettait à chercher quelque chose avec une grande anxiété. Alors je réalisais avec horreur qu'il s'agissait du Silmarillion, et j'étais terrifié à l'idée qu'il découvre ce que j'avais fait. »

Il a également réalisé les nouvelles éditions de Sire Gauvain et le Chevalier Vert (précédemment sorti en 1953) et Sir Orfeo (sorti en 1944), ainsi qu’une Nomenclature du Seigneur des Anneaux (sortie en 1975). Il fonde par la suite le Tolkien Estate, qui gère le copyright des œuvres de son père. Christopher enregistra par la suite des portions du Silmarillion pour Caedmon Records, à New York (1977-78). En 1979 il sort un recueil d’illustrations et de peintures de son père, intitulée Peintures et Aquarelles de J. R. R. Tolkien. En 1981, il approuve le script d’une adaptation radiophonique (pour la BBC Radio 4) du Seigneur des Anneaux. Puis viennent les Lettres (avec Humphrey Carpenter, biographe de son père, en 1981), les Monstres et critiques et autres essais (1983), les Contes et légendes inachevés (1980), puis les douze volumes de l'Histoire de la Terre du Milieu (1983-1996). En 1998, il édite une nouvelle édition de Tree and Leaf, qui contient le poème Mythopoeia. En 1992, il lit le chapitre intitulé La Nouvelle Ombre (publié en 1996 dans The People of Middle-Earth) au Sheldonian Theatre d’Oxford, lors du congrès organisé à l’occasion du centenaire de la naissance de Tolkien. La même année il apparaît dans un documentaire intitulé J.R.R.T. : un portrait de John Ronald Reuel Tolkien 1892-1973.

En avril 2007, Christopher publie le « nouveau » livre de son père, Les Enfants de Húrin, que son père avait écrit entre 1951 et 1957 et qu'il avait presque terminé avant de l'abandonner. Il s'agit de l'une des plus anciennes histoires de J.R.R. Tolkien, sa première version datant de 1918. Plusieurs versions de l'histoire ont été publiées dans Le Silmarillion, les Contes et légendes inachevés et l'Histoire de la Terre du Milieu ; Les Enfants de Húrin est une synthèse de celles-ci. Plus récemment, Christopher publie La Légende de Sigurd et Gudrún (2009), deux lais reprenant l'histoire de Sigurd telle qu'elle est relatée dans la Völsunga saga, et La Chute d'Arthur (2013), une vision inachevée des derniers événements de la légende arthurienne. Avec Beowulf, en 2014, Christopher Tolkien dit en avoir terminé avec les œuvres majeures de son père, mais en juin 2017, paraît Beren et Lúthien dans lequel il annonce que l'ouvrage serait « (vraisemblablement) [s]on dernier ». Quelques mois après cette sortie et à l'âge de presque 93 ans, Christopher Tolkien renonce à ses fonctions à la direction du Tolkien Estate, l'entité qui régit les droits des œuvres de son père. Il s'avèrera en 2018 que Beren et Lúthien n'était pas son dernier ouvrage, avec la parution de La Chute de Gondolin qui marque cette fois bien la fin du travail d'éditeur entamé une quarantaine d'années auparavant.


Christopher Tolkien en 2012
(1) Photo accompagnant l'article de Raphaëlle Rérolle dans Le Monde culture et idées du 9 juillet 2012.
(2) Photo accompagnant le communiqué de presse de la Bibliothèque bodléienne annonçant l'attribution de la Bodley Medal à Christopher Tolkien, le 31 octobre 2016.
Crédits photographiques : François Deladerrière / © The Tolkien Estate Limited 2016

L’héritage artistique de Tolkien

En 2001, Christopher fait parler de lui en exprimant des doutes quant à la viabilité des films de Peter Jackson : selon lui, l'interprétation filmique ne saurait s'imprégner de l'essence du travail littéraire. « Ils ont éviscéré le livre, en en faisant un film d'action pour les 15-25 ans, regrette Christopher. Et il paraît que Le Hobbit sera du même acabit. » Le divorce est systématiquement réactivé par les films. « Tolkien est devenu un monstre, dévoré par sa popularité et absorbé par l'absurdité de l'époque », observe-t-il tristement en 2012. « Le fossé qui s'est creusé entre la beauté, le sérieux de l'œuvre, et ce qu'elle est devenue, tout cela me dépasse. Un tel degré de commercialisation réduit à rien la portée esthétique et philosophique de cette création. Il ne me reste qu'une seule solution : tourner la tête. » Il précise qu'il ne s'agit là que de son avis.

Le 31 octobre 2016, la Bibliothèque bodléienne d'Oxford, où sont conservés une grande partie des manuscrits originaux de J.R.R. Tolkien, a décerné sa plus haute distinction à Christopher Tolkien, pour avoir « consacré les 4 dernières décennies à publier l’œuvre inédite de son père, veillant à ce que son riche héritage littéraire soit accessible à tous les lecteurs. » (extrait du communiqué de presse) :

La Bodley Medal est décernée par les Bodleian Libraries de l’université d’Oxford à des personnes qui ont contribué de manière particulièrement remarquable aux domaines et disciplines accueillis dans ces bibliothèques, en particulier la littérature, la culture, la science et la communication. Parmi les prédécesseurs de Christopher Tolkien, on compte le Professeur Mary Beard (littératures classiques), le physicien Stephen Hawking, le réalisateur et metteur en scène Sir Nicholas Hytner, l’auteur Hilary Mantel, l’écrivain et acteur Alan Bennett ainsi que l’inventeur du World Wide Web, Sir Tim Berners-Lee.
Pour Richard Ovenden, l’un des bibliothécaires de la Bodley, « les réalisations de Christopher Tolkien comme chercheur et éditeur sont d’une immense importance. Sans son engagement et son dévouement, l’œuvre de son père n’aurait jamais connu une telle reconnaissance de la part du grand public, sans toute son érudition et ses connaissances, cette œuvre n’aurait jamais été publiée d’une manière aussi exhaustive et éditée avec autant d’autorité. »
M. Christopher Tolkien a déclaré : « Même si je ne m’attendais absolument pas à une telle chose, à laquelle je n’ai jamais songé, il me semble que la Bodley Medal correspond particulièrement bien au caractère absolument unique de l’œuvre de mon père, et qu’elle accorde une place de premier plan, au sein de la République des Lettres, aux recherches qui s’y rapportent. J’éprouve un plaisir particulier à ce que cette distinction vienne de la Bodleian, et soit à son initiative, puisque c’est là que sont conservés une grande partie des manuscrits de mon père et que je garde des souvenirs très heureux de la bibliothèque elle-même. »

En janvier 2017, la Cité internationale de la tapisserie d'Aubusson (Creuse, France) a annoncé avoir signé une convention avec le Tolkien Estate pour la réalisation, en quatre ans, d’une série de 13 tapisseries et d'un tapis tissés à partir de l’œuvre graphique originale de J.R.R. Tolkien (1892-1973). En janvier 2019, alors que les 4 premières tentures tissées sont prêtées à l'Abbaye du Thoronet, dans le Var, Christopher et sa femme Baillie ont fait le déplacement pour les admirer et Christopher s'est exprimé au cours d'un discours, racontant une anecdote d'enfance ; celle de la larme importune.


Christopher Tolkien et sa femme Baillie Tolkien en visite à l'Abbaye du Thoronet (Var, France), le 19 janvier 2019.
Crédits photographiques : Vincent Ferré (1) et Mathilde Romagnan (2) (via Twitter)

La vie de famille

Il se marie le 2 avril 1951 avec Faith Lucy Tilly Faulconbridge, sculptrice anglaise, qui donne naissance en 1959 à leur premier enfant, Simon Mario Reuel, lequel deviendra avocat et romancier. Le couple se sépare en 1963, et divorce finalement en 1967. La même année, le 18 septembre, Christopher épouse Baillie Klass avec laquelle il aura deux enfants : Adam Reuel Tolkien et Rachel Clare Reuel Tolkien. Christopher Tolkien vit depuis 1975 en France avec sa femme Baillie, ayant voulu fuir les fans du travail de son père, lesquels ont fait subir un véritable harcèlement sur la famille. Il voulait également pouvoir se consacrer entièrement à la valorisation de l’œuvre de son père.

En résumé…

Christopher Tolkien a joué un rôle majeur dans l’œuvre et le rayonnement de l’œuvre tolkienienne. Premier lecteur de nombre de textes majeurs, il a aidé son père en réalisant et corrigeant de nombreuses cartes, a été l’un de ses camarades de lecture commune au sein des Inklings, a suivi ses traces en tant que philologue, avant de devenir son exécuteur littéraire, un rôle qui lui a permis d’identifier, rassembler, classer, corriger, transcrire, commenter et in fine, éditer des milliers de pages laissées par son père à sa mort. Une tâche monumentale, qui a nécessité connaissance intime des écrits de son père, compétence en philologie et talent d’éditeur. Une tâche qui en fait presque le co-auteur de l’œuvre de son père. Un vrai travail de philologue, puisqu’il a dû s’inspirer, faire le tri et publier les « meilleures » versions de textes qui ont eux-mêmes été inspirés par des légendes éparses et anciennes. Une vraie mise en abyme artistique et littéraire. Christopher, depuis le début des années 2000, a transmis à plusieurs chercheurs quelques 3 000 pages de manuscrits et de notes traitant essentiellement des aspects linguistiques présents dans les œuvres consacrées à la Terre du Milieu. Depuis, ces chercheurs ont édité et publié certains de ces documents tous d’une grande complexité.

Bibliographie de Christopher Tolkien

Bibliographie personnelle

  • Hervarar Saga ok Heidreks Konungs, Oxford University, maîtrise au Trinity College, 1953/4.
  • The Battle of the Goths and the Huns dans Saga-Book, University College London, pour la Viking Society for Northern Research n°14, partie 3, 1955-6, p. 114-163.
  • Introduction à l'Hervarar Saga ok Heidreks, édité par E.O. G. Turville-Petre, University College London, pour la Viking Society for Northern Research, 1956.
  • The Pardoner’s Tale de Geoffrey Chaucer, édité avec Nevill Coghill, George G. Harrap, 1958.
  • The Nun’s Priest’s Tale de Geoffrey Chaucer, édité avec Nevill Coghill, George G. Harrap, 1959.
  • The Saga of King Heidrek the Wise, édition et traduction, Thomas Nelson & Sons (Icelandic Texts), 1960.
  • The Man of Law’s Tale de Geoffrey Chaucer, édité avec Nevill Coghill, George G. Harrap, 1969.

Édition des ouvrages de son père

Ouvrages publiés en hommage à Christopher Tolkien

Sources bibliographiques

Sur Tolkiendil

1) University College, Londres, pour la Viking Society for Northern Research.
2) Avant-propos du Hobbit de luxe, édité par les éditions Bourgois.
 
tolkien/portraits/christopher_john_reuel_tolkien.txt · Dernière modification: 29/07/2021 10:30 par Druss
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